samedi 29 avril 2023

Fantastique - Stephen King réenchante à sa façon le « Conte de fées »

Retrouvez un Stephen King en très grande forme dans un roman foisonnant d’inventions narratives. Prêts pour la descente au pays des contes de fées ?


Il n’a rien perdu de son génie de la narration. Stephen King est toujours passionnant quand il se lance dans de grands projets permettant de donner libre cours à son imagination débordante. Conte de fées, ce pavé de plus de 700 pages est un excellent cru dans la longue bibliographie de celui qui a popularisé le thriller fantastique à travers le monde. L’histoire suit les péripéties sur terre et dans l’Autre Monde du personnage principal, Charlie, 17 ans, qui semble le reflet de l’auteur quand il était jeune et surtout une simple chienne nommée Radar, vieille, malade, mais très attachante.

Le début du roman, raconté à la première personne par Charlie, est très réaliste. Du style Chronique sociale qui dépeint cette Amérique qui ne fait pas vraiment rêver. Charlie vit simplement dans une petite ville de province entre sa mère et son père.

Le trou vers l’Autre Monde 

Mais un soir, en allant acheter à manger, la maman est tuée par un chauffard. Le père tombe dans une longue période d’alcoolisme. Durant près de 10 ans, Charlie devra se débrouiller presque seul à la maison. C’est donc un garçon déjà dur au mal qui découvre un matin son inquiétant voisin M. Bowditch, blessé dans son jardin. C’est sa chienne, Radar, un berger allemand au pelage élimé, qui a donné l’alerte en hurlant à la mort. Charlie va aider ce vieillard taciturne, devenir son aide familiale, son ami. En échange, le vieil homme lui livre ses secrets : il a plus de 100 ans, a ramené de l’Autre Monde, un pays merveilleux mais très dangereux, des pépites d’or qui lui permettent de vivre simplement sans avoir à travailler. Dernière révélation : la porte de l’Autre Monde est un puits caché dans le cabanon de jardin.

Les 200 premières pages du roman, très humaines, racontent avec gravité et beaucoup d’humanisme cette amitié naissante. La suite est beaucoup plus agitée. Charlie descend le long escalier en colimaçon qui le mène vers l’Autre Monde. Il part avec sa chienne, car un cadran solaire aurait le pouvoir de la faire rajeunir. Dès lors le lecteur, happé par cet univers extraordinaire, va palpiter dans le sillage d’un Charlie bravant tous les dangers pour sauver Radar. Il découvre un peuple malade, qui perd ses traits, devient gris. Notamment une jeune princesse, Leah, charmante mais dont la bouche s’est refermée comme une vilaine cicatrice : « Voilà bien la veine de Charlie Reade, tomber raide amoureux d’une fille que je ne pourrai jamais embrasser sur la bouche. » Dans ce monde crépusculaire, peuplé de loups la nuit, de gros cafards rouges et d’hommes et de femmes mourants, il va trouver des réponses auprès d’un aveugle. Notamment sur la maladie grise : « Respirer devient de plus en plus difficile. La chair inutile avale le visage. Le corps se referme sur lui-même ».

Charlie devra donc affronter de nombreux cauchemars bien réels (Stephen King en a toujours un plein sac en réserve) avant sauver son animal adoré et retrouver sa jolie (mais défigurée) princesse. Car c’est dans un véritable monde de conte de fées, où le Mal tente de l’emporter sur le Bien, que le jeune Américain tombe en descendant l’escalier. Un monde à préserver qu’on quitte à regret à la fin du roman.

« Conte de fées » de Stephen King, Albin Michel, 24,90 €

Album jeunesse - "Ma maison et moi" d'Arthur Dreyfus et Elliot Royer chez Robert Laffont


Nos souvenirs d’enfance passent par plusieurs stades. Souvent, c’est le lieu où l’on a habité qui permet de retrouver ces délicieux moments de la jeunesse insouciante. C’est le thème de cet album écrit par Arthur Dreyfus et illustré par Elliot Royer. Le narrateur entretient un rapport très étroit avec sa maison en bois « en bordure de forêt ».

Il lui est même arrivé de lui donner à manger en cachette. La nuit elle le protège des monstres et le jour elle fait fuir les jeunes harceleurs de son école. C’est dans cette maison qu’il a pour la première fois pris la main de Camille, son amoureuse. Un texte comme un long poème avec de superbes dessins pour prolonger l’enchantement.

« Ma maison et moi » d’Arthur Dreyfus et Elliot Royer, Robert Laffont, 16 €

vendredi 28 avril 2023

Cinéma - “Avant l’effondrement” personnel et de toute la société

L’effondrement dont il est question dans ce film de la romancière Alice Zeniter est personnel et sociétal. Tristan (Niels Schneider), est un jeune homme de gauche engagé pour changer la société. Directeur de campagne d’une candidate de gauche écologiste à Paris, il mène une vie trépidante.

Pourtant il a conscience que tout est fragile. Le réchauffement climatique semble incontrôlable. La société va mourir en suffoquant. Et personnellement, il a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Sa mère est morte à 40 ans d’une maladie génétique rare. Héréditaire une fois sur deux. Il n’a jamais voulu se faire tester. C’est donc avec la peur de mourir dans quelques années et la crainte de transmettre cette malédiction qu’il survit.

Des états d’âme qu’il partage avec Fanny (Ariane Labed), sa colocataire, professeur de français. Quand il reçoit dans une enveloppe anonyme un test de grossesse positif, sa vie bascule. Il va mener l’enquête auprès des quatre femmes avec qui il a couché ces derniers mois.

C’est sans doute le gros bémol de ce film politique un peu brouillon. Car s’il avait véritablement une conscience politique responsable du futur, Tristan ne multiplierait pas les aventures d’un soir. Encore moins avec la jeune stagiaire qu’il a lui-même engagée dans le staff de la candidate. Moralité, on peut être de gauche et écolo et se comporter comme un macho sexiste réactionnaire…

Film d’Alice Zeniter et Benoît Volnais avec Niels Schneider, Ariane Labed, Souheila Yacoub

 

BD - Tanguy et Laverdure face au Sabre jaune


Exactement comme Buck Danny, dont l’univers est décliné sur plusieurs plans, les aventures des Chevaliers du Ciel, les fameux Tanguy et Laverdure imaginés par Charlier et Uderzo, n’en finissent plus de voler pour la France et le monde libre. En plus de la série actuelle, avec des avions récents comme les Rafale, le lecteur fan de loopings et de combats aériens, peut retrouver ses deux héros préférés au moment où ils débutent leur carrière. La série dite « Classic » est désormais scénarisée par Patrice Buendia et dessinée par Matthieu Durand.

En 1961, les pilotes français participent à des exercices avec les aviateurs canadiens basés à Marville dans l’Est de la France pour le compte de l’Otan. Lors d'un combat simulé, un sabre aux couleurs jaunes (avion à réaction qui a participé à la guerre de Corée), fond sur un canadien et le descend. D’où venait ce jet ? Pourquoi a-t-il pris cet avion canadien pour cible ? Les interrogations sont nombreuses et les deux Français vont se retrouver, bien malgré eux, au centre d’une histoire ancienne qui date de la guerre de Corée.
Une intrigue bien développée, avec ressort diplomatique et référence géo-stratégique, des dessins très inspirés par ceux d’Uderzo, quand il mélangeait réalisme et caricature : l’ensemble est parfait pour les nostalgiques de la grande période des BD d’aventures franco-belge.
« Tanguy et Laverdure Classic » (tome 5), Dargaud Zéphyr, 15,50 €
 

jeudi 27 avril 2023

De choses et d’autres - Au rendez-vous des chakras

Il n’est pas toujours facile d’honorer des rendez-vous. Surtout quand on les prend longtemps à l’avance. Pour le suivi d’une opération, le secrétariat d’un chirurgien vient de me demander si le mercredi 4 octobre à 10 heures je serais disponible. J’ai tendance à répondre « Peut-être ».

Je ne peux objectivement pas en être sûr et certain car, qui me dit que dans six mois à cette même date et heure, un autre rendez-vous encore plus important ne me serait imposé par ailleurs. Et d’une façon plus prosaïque, rien ne m’assure que je serai toujours de ce monde en octobre. Si j’écoutais mon côté pessimiste, je ne prendrais pas le moindre rendez-vous au-delà de trois jours.

Pas très pratique, mais on n’est jamais assez prudent. D’autres sont moins regardants et partent du principe qu’un rendez-vous ne les engage pas. Ainsi, une amie proche m’a raconté pourquoi elle n’est pas allée à une consultation et n’a même pas prévenu la personne qui la lui avait fixée. Souffrant d’une maladie mystérieuse qui transforme ses pieds en braises incandescentes (du moins, c’est l’impression très douloureuse qu’elle en a), après plusieurs non-réponses de spécialistes, elle s’est décidée, à contrecœur, de se rendre chez une rebouteuse.

Une magnétiseuse, exactement, qui voulait lui « rééquilibrer les chakras ». Aussi sceptique qu’un électeur progressiste quand il entend Olivier Dussopt prétendre que sa réforme des retraites est de gauche, elle décide finalement de conserver ses chakras en l’état et de ne pas effectuer le déplacement. Et de se justifier de cette annulation cavalière : « Elle m’a dit qu’elle était aussi un peu médium. Si c’est vrai, elle a certainement deviné que je ne viendrais pas. »

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mardi 4 avril 2023

BD - La Manche, cimetière de la flotte française


Devenu peintre officiel de la Marine belge, Jean-Yves Delitte, en plus de ses séries d’aventures, propose cette  collection sur les grandes batailles navales de par le monde. Il assure scénario, couverture et quelques grandes illustrations dans des albums classiques, complétés d’un dossier pédagogique.

Dans ce nouvel opus intitulé Les cinq îles, il est question de le classique confrontation entre France et Angleterre sur la Manche. En 1215, l’Angleterre est affaiblie. Un Français, le prince Louis, fils du roi Philippe II Auguste, revendique le trône à Londres. Le jeune roi Henri va tenter de sauver son pays (et son pouvoir), aidé de quelques excellents stratèges maritimes.

Depuis Calais, le prince Louis a chargé le sinistre et très cruel chevalier Eustache dit « Le Moine » de préparer une armada pour rallier Londres. Des dizaines de vaisseaux sont réquisitionnés et aménagés pour transporter les troupes françaises. Contrairement aux autres titres de la collection, l’album fait la part belle aux négociations, manœuvres et tentatives de sabotage avant la bataille. Une bataille navale que les Français ne comptent pas livrer, persuadés que les Anglais n’oseront pas les approcher. Mais depuis le port de Sandwich, les navires britanniques sont quand même préparés à la hâte. Et quand les voiles ennemies apparaissent à l’horizon, c’est la grande explication. Quelques heures à peine suffisent pour mettre l’envahisseur en déroute.
Dessinée par Fabio Pezzi, cette épopée maritime est criante de vérité. On a parfois l’impression de retrouver des ambiances à la Hermann, tendance Tours de Bois-Maury.
« Les grandes batailles navales – Les cinq îles », Glénat, 15,50 €

mercredi 26 avril 2023

De choses et d’autres - Chathérapie

La vie quotidienne est source d’une multitude de problèmes, tous plus stressants les uns que les autres. Pour les surmonter, on peut se gaver d’anxiolytiques ou fermer les yeux en procrastinant. Il existe aussi une autre façon de faire passer ces difficultés : la chathérapie. Une discipline non enseignée en médecine mais d’une étonnante efficacité. Tous les possesseurs d’un chat savent de quoi je veux parler.

Car il n’y a rien de plus destressant qu’un chat câlin. Une société d’alimentation pour animaux a même commandé un sondage aux résultats incontestables : « 98 % des propriétaires de chats trouvent leur présence destressante». Vous avez un petit coup de mou et des pensées noires ? Vite, demandez de l’aide à votre chat. S’il fait partie des affectueux, prenez-le sur vous et laissez-vous endormir par ses ronrons intempestifs provoqués par vos caresses. Si c’est un facétieux, lancez un objet dans une pièce et profitez de ses cavalcades pour le rattraper et jouer avec. Si c’est un dormeur, contentez-vous de le regarder roupiller, 22 heures par jour, bien calé dans son panier (ou le canapé du salon).

C’est d’ailleurs le trait de caractère que l’on envie le plus à notre animal de compagnie : « Dormir aussi bien et longtemps qu’eux. »

Il n’y a que les chats dédaigneux qui ne sont pas d’un grand secours, ceux qui font les sourds quand on leur parle gentiment. Un peu à part on trouve aussi les revendicatifs. On en a un à la maison répondant au gentil nom de Marcel. Sa manie : miauler de toutes ses forces, en pleine nuit, pour réclamer une ration de croquettes supplémentaire. Résultat : on dort mal mais cela ne l’empêche pas, lui, d’en écraser toute la journée quand on est au boulot.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le 5 avril 2023

BD - La compagnie rouge frappe aux confins de l’espace


A quoi va ressembler la guerre dans quelques millénaires ? Simon Treins (scénario) et Jean-Michel Ponzio (dessin) tentent d’y répondre dans le gros album de 128 pages portant sur les derniers faits d’armes de
La compagnie rouge. Dans ce futur très lointain, la conquête spatiale a étiré les frontières du monde connu. Plus de guerre à proprement parler mais des escarmouches, généralement sous-traitées par des sociétés spécialisées, les compagnies. Des mercenaires qui se vendent au plus offrant et font fructifier leur réputation en participant à une sorte de championnat intersidéral des guerres officielles.

Quand les drones de la Compagnie rouge débarquent sur cette planète céréalière, la bataille est vite gagnée. Une fois déclarés vainqueurs, les officiers vont prendre du bon temps. Il y a Rouille, un Apollon un peu arrogant, Chérie, seule femme du groupe terrain et Frisette, géant chauve, second de La Chouette, commandante de l’Argo, le croiseur sur-armé. Dans un bar, ils tombent sur Flint, un jeune paysan qui rêve d’être engagé. Un rêve qui va devenir réalité. Il prend le nom de L’Innocent et devient dans un premier temps archiviste de la Compagnie rouge. Il va scanner tous les combats et les mémoriser pour pouvoir les réutiliser dans des situations comparables.
Une fois l’équipage connu, le lecteur va partir avec lui pour une mission aux confins de l’univers. Un piège qui donnera bien du fil à, retordre aux mercenaires de la Compagnie rouge.
Un scénario efficace, digne d’un space-opéra moderne, illustré dans ce style si particulier de Ponzio. Il travaille d’après photos pour les personnages. C’est très réaliste mais un peu figé. Par contre, côté engins et structures planétaires, c’est du grand art.
« La compagnie rouge », Delcourt, 15,50 €

mardi 25 avril 2023

De choses et d’autres - Protestation poilue


Ces derniers temps, mes billets font souvent réagir. Et pas qu’en positif. La preuve, cette lettre reçue hier après avoir fait l’apologie de la chathérapie. Un certain Médor, Labrador croisé Teckel, s’insurge contre mon « parti pris flagrant pour le camp des félins ». Avec son accord (il a remué de la queue quand je lui ai demandé), voici quelques extraits de son message.

« Une nouvelle fois, Michel Litout, vous démontrez que vous êtes tout, sauf indépendant. Pourquoi faire l’apologie des chats alors que la majorité des Français préfère les chiens ? Nous sommes, nous aussi, parfaitement capables de déstresser nos maîtres. Et on assume le terme de maître car nous, les chiens, contrairement à ces égoïstes de chats, on obéit aux ordres de la main qui nous nourrit. Ils ronronnent. La belle affaire ! Quoi de plus flatteur et bénéfique pour le maître qu’une grosse lèche sur la joue ? Et le jouet, ils s’amusent avec, mais seuls. Nous, on le ramène et on fait participer le maître, lui demandant, sans cesse, de le renvoyer pour continuer la partie.

Pour ce qui est de la propreté, nous n’avons pas de litière. Mais on fait mieux : on oblige le maître à nous sortir, à prendre l’air et à faire un peu d’exercice physique, plusieurs fois par jour. Avec les chats, les humains font du gras sur le canapé ; avec nous, les chiens, ils préparent un marathon. Nos croquettes devraient être remboursées par la sécurité sociale.

Enfin, nous sommes de redoutables gardiens. Les cambrioleurs craignent nos aboiements et nos crocs, quand les chats ne se réveillent même pas…

Alors un conseil, Michel Litout, rectifiez le tir, sinon, prenez garde à vos mollets ! »

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 6 avril 2023

BD - Bokko Stratège : la défense l’emporte sur l’attaque


L’Histoire de la Chine a souvent été traversée par de longues périodes de guerre. Le pays gigantesque était scindé en dizaines de royaumes rivaux. Le manga
Bokko Stratège se déroule il y a plus de 2000 ans. Les troupes de Zhao fondent sur la citadelle de Liang. Cette dernière va demander l’aide aux « moïstes » pour se défendre. Le moïsme est une philosophie qui prône l’égalité entre les hommes et rejette toute forme de guerre. Pour sauver Liang, un seul moïste, Ke-ri, se rend sur place.


L’histoire de Sakemi, adaptée par Kubota et dessinée par Mori s’étend sur huit volumes. Le premier plante le décor et met en place les premières défenses imaginées par Ke-ri. Petit, malingre et chauve, il n’impressionne personne. Pourtant il a une force de caractère et une science du combat qui lui permettent de toujours avoir un coup d’avance. Il vaut mieux car ce sont des guerriers aguerris qui tentent de faire tomber Liang alors que lui n’a sous la main que des paysans et quelques nobles très couards.
Un premier album, très psychologique, explique au lecteur les principes du moïsme, plante le décor et les personnages. Mais les amateurs de combats seront comblés car rapidement les attaques se multiplient et la mort frappe de plus en plus les deux camps. Le dessin, très réaliste, s’éloigne un peu du pur style manga pour un classicisme de bon aloi, plus aisé à comprendre pour le public occidental.
« Bokko stratège » (tome 1), Vega Dupuis, 11 €