L’Amour, le grand, absolu, plein et définitif, est omniprésent dans les romans de Jane Austen ; un peu moins dans la vie d’Agathe (Camille Rutherford), libraire à Paris dans un magasin qui ne propose que des livres… en anglais. Elle vénère Jane Austen et connaît l’œuvre de la romancière anglaise sur le bout des doigts. Durant ses loisirs, elle tente de terminer un roman. En vain, persuadée que ce qu’elle rédige est mauvais. « Je ne souffre pas du syndrome de l’imposteur, affirme-t-elle à son meilleur ami et collègue Félix (Pablo Pauly), je suis l’imposture ! » Pourtant, ce dernier lui dérobe sa plus récente production, l’envoie en Angleterre et voilà Agathe admise à une résidence d’écriture de 15 jours dans la demeure de Jane Austen, tous frais payés.
De l’autre côté du Channel, elle devra affronter la page blanche, l’amour de Félix et les attaques d’un Britannique aussi insupportable que vieux jeu. Mais si séduisant…
Premier film de Laura Piani qui a beaucoup écrit pour la télévision, cet hommage aux comédies romantiques et à la bonne littérature, celle qui influe sur notre quotidien, notre destin, Jane Austen a gâché ma vie (titre génial, c’est assez rare pour être signalé) fait partie de ces films simples et positifs, véritables bouées de sauvetage dans une production cinématographique trop souvent déprimante.
Certes, il y est question de choix entre deux hommes pour une femme qui doute (le vaudeville n’est pas loin), mais la force de Jane Austen transforme ce qui aurait pu tourner en gaudriole à trois en très intelligente réflexion sur l’utilité de la littérature, des héroïnes en tenues de bal et des films s’achevant sur un long baiser d’amoureux.
Film de Laura Piani avec Camille Rutherford, Pablo Pauly, Charlie Anson.
Deux vieilles amies (Hélène Vincent et Josiane Balasko) cherchent des champignons dans les forêts de Bourgogne quand vient l‘automne. Ces retraitées ont travaillé ensemble à Paris. Elles partagent ainsi un secret qui perturbe leurs familles.
Ce film de François Ozon, sur la fin de vie, les remords et la réputation, est profondément humain. Il permet à deux « anciennes » du cinéma français de rendre une copie parfaite.
La sortie en vidéo chez Diaphana est l’occasion d’une floraison de bonus. Les classiques entretiens avec réalisateur et comédiennes, les scènes et prises coupées ou les essais des costumes.
Enfin, vous pourrez voir le clip de la chanson Le large, interprétée par Françoise Hardy et réalisé par François Ozon.
Duo de flics franco suédois pour démasquer le ou les coupables de plusieurs meurtres sur l’île de Lidingö, banlieue chic de Stockholm. Un thriller ancré dans notre époque signé Johana Gustawsson.
Après un prologue choc, une femme se suicide dans une classe de l’école de Lidingö, le roman Les morsures du silence entre dans sa phase d’enquête racontée par les voix de deux policiers, à la première personne. Le premier, Aleks, commissaire du cru, est en charge de la nouvelle enquête qui défraie la chronique de cette île à proximité de Stockholm. La seconde, Maïa, Française, également commissaire en France mais en disponibilité, vit dans la maison de son mari à Lidingö.
Aleks, après l’appel d’un jeune qu’il entraîne au foot, est le premier à découvrir le cadavre et la mise en scène. « Ce que j’ai pris pour une robe est une aube. Une couronne de feuillages piquée de cinq bougies LED lui barre la moitié du visage et souligne la partie défoncée de son crâne. […] Ce n’est pas une fille, allongée là, en habits de sainte Lucie, le crâne fracassé. C’est un garçon. » Sainte Lucie. Une fête religieuse fêtée en Suède par la jeunesse mi-décembre.
Un meurtre et deux suicides
Aleks se souvient. Il y a plus de 20 ans, jeune policier, il a participé à une enquête éclair. Le soir de la fête, la jeune fille qui avait endossé la robe de la sainte pour la traditionnelle procession, était retrouvée assassinée dans les bois. Son petit ami du moment, Gustav, a été condamné à une longue peine de prison. Mais il a toujours nié. Et s’est suicidé récemment, quelques mois avant sa sortie. Sa mère aussi, quelques jours plus tard. Dans la salle de classe.
Aleks va revivre l’affaire. Maia la découvre après que la mère de la suicidée et grand-mère du condamné lui demande de refaire l’enquête. Maia saute sur l’occasion. Si elle s’est retirée en Suède, c’est en raison de la mort accidentelle, il y a un peu plus d’un an, de sa fille.
L’autrice ne donne pas de détails. Mais la policière est très affectée, elle culpabilise. « Quand ma fille est morte, je prenais une douche en me réjouissant d’avoir la maison pour moi toute seule. La banalité de ce moment a longtemps rajouté un poids énorme à ma peine. Pendant que ma fille criait peut-être mon nom comme le font les soldats avant de mourir, moi, je n’ai entendu que mon propre désir de solitude. » Maia trouve dans cette enquête une petite occasion pour tenter de sortir de son marasme.
Des investigations officieuses avec l’appui d’Aleks, bourru mais compréhensif. À deux, ils vont tenter de faire le lien entre les victimes d’aujourd’hui (un autre adolescent est retrouvé quelques jours plus tard, toujours habillé d’une aube, toujours la tête fracassée), et le premier meurtre.
La mort d’un enfant n’est pas sans conséquence. L’assassinat de deux adolescents non plus. Aleks et Maia vont donc unir leurs compétences mais aussi leurs solitudes, douleurs et malheurs, pour plonger dans les entrailles du passé, tenter de démêler les mensonges de l’époque, amplifiés par ceux d’aujourd’hui. Briser cette loi du silence.
Le nouveau thriller de Johana Gustawsson, Française installée en Suède, est encore plus sombre que les précédents. Elle profite de cette histoire pour mettre en lumière les différences de gestion par la police des affaires de violences sexuelles. Et souligne que si la France a encore bien des progrès à faire, la Suède est exemplaire, mais depuis peu de temps. À méditer.
De 1996 (12 ans) à 2004 (20 ans), Jonathan Munoz a vécu ce qu'il nomme gentiment "L'âge bête". Il a transformé ces années d'apprentissage entre collège, lycée et glandouille en "âge bite", car Jonathan Munoz, illustre auteur de BD de Fluide Glacial, aime provoquer, se moquer et rire de tout, en priorité de soi. Il a déjà évoqué sa petite enfance dans un précédent album, mais cette fois cela devient sérieux.
Le petit Jonathan va devoir se coltiner le monde des grands (le collège...) avec ses racailles sa loi du plus fort et les mauvais exemples. Timide, vivant seul avec sa maman (son père meurt d'un coup d'un seul provoquant un séisme dans la vie de Jonathan, seul passage de la BD où l'émotion l'emporte sur le rire), sans véritablement d'amis si ce n'est d'autres losers.
Il va cependant faire quelques découvertes intéressantes, racontées avec facétie comme Internet, le vol à l'étalage, le mensonge, comment embrasser (avec la langue) ou la masturbation...
Quand il arrive au lycée, nouveau gros choc : les filles ! Dans sa classe il tombe immédiatement amoureux de quatre filles : Vanessa, Anaïs, Marion et Laurie, même si pour cette dernière ce sont surtout ses gros seins qui lui ont tapé dans l'œil.
Et puis il y a aussi le skate, les premières soirées entre potes, les jeux vidéos et sa première relation stable. En se dévoilant, Jonathan Munoz raconte la jeunesse de cette époque (d'il y a 20 ans), entre espoir et défaitisme. On rit souvent. Même si on peut aussi en tirer des enseignements philosophiques sur la vie en général, sauf le gag du sex-shop, vraiment dégoutant...
"L'âge bête" de Jonathan Munoz, Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €
Paloma, 24 ans, travaille dans une agence de pub. Une lettrée de plus en plus à l’aise face à un univers impitoyable basé sur le paraître et la suspicion.
Une intellectuelle, passionnée par la philosophie et la littérature. Paloma Madar a pourtant accepté sans hésiter ce boulot de rédactrice free-lance dans une grosse agence de pub parisienne. Une sorte de reconnaissance pour cette fille de restaurateurs. La patronne, surnommée très sérieusement « La reine Margot », a confié Paloma à Benjamin, un quadra distingué, doux et gentil, heureux d’apprendre à la jeune Paloma comment survivre dans ce monde impitoyable de la publicité.
La narratrice de ce roman sociétal signé Carmen Bramly, apprend vite, résumant son métier par cette simple phrase : « enjoliver les choses, n’en montrer que la face désirable. » Elle passe ses journées à rédiger, pubs, dossiers de presse, slogans, scénarios de spots pour de grandes ou petites marques. « Ce que j’invente alimente une grande machine à rêves, produisant des récits sur mesure afin que chacun puisse se projeter, se sublimer. » Une conception romantique de la publicité.
Mais trop de pub tue la pub. Carmen le reconnaît : « Aujourd’hui, plus personne n’attend rien de la publicité. Pire, on cherche à l’éviter. Elle nous traque, s’infiltre partout, parasite les vidéos et mine nos réseaux sociaux. » S’il est beaucoup question du rôle de la publicité (et des publicitaires dépressifs comme Carmen) dans ce roman, c’est aussi le récit d’une chute.
Benjamin est accusé de harcèlement sexuel par une stagiaire. L’occasion rêvée pour la reine Margot pour se débarrasser de ce créatif un peu trop indépendant. Pour Carmen c’est un dilemme. Elle peut l’innocenter. Mais risque alors de mettre fin ainsi à sa collaboration avec l’agence. Une fausse affaire #MeToo noyée dans la marée des véritables scandales. À tous points de vue, le monde de la publicité est un véritable enfer.
« Tout est chaos » de Carmen Bramly, Presses de la Cité, 240 pages, 21 €
Mélange de Seuls (BD) avec un peu de Lost (série télé), la nouvelle série de Lylian (scénario) et Grébil (dessin) démarre de la plus belle des façons. Pas de long préambule pour présenter les personnages. On est immédiatement plongé au cœur de l'intrigue, du problème. Des problèmes.
Le premier à entrer en scène est Elijah. Il se réveille sur une plage tropicale. Amnésique. Il rencontre rapidement Elena, elle aussi dans le flou le plus complet. Le duo est complété par Maya, la plus téméraire et Victor, le plus jeune. Quatre enfants perdus dans cet environnement hostile (jungle, animaux féroces, soif et faim).
Ils trouvent refuge dans un ancien pensionnat désert et à l'abandon. Ils vont aussi rencontrer l'automate, celui qui se prétend dieu de l'île et qui donne des missions aux rescapés. Un jeu ? Une épreuve ? Le lecteur ne sait pas trop sur quel pied danser au début. Rapidement les risques augmentent et un des rescapés est kidnappé.
Destinée aux adolescents, cette série permet à tout le monde de se reconnaître dans les divers participants. Les pragmatiques et optimistes comme Elijah, les grosses têtes savantes (Elena), les sportives intrépides (Maya) ou les farceurs, toujours insouciants mais aussi très peureux (Victor). Le dessin, simple et efficace de Grébil est parfait pour faire le contrepoint. Décor de rêve mais enjeux mortels. Un premier tome prometteur qui a bénéficié d'une prépublication dans le journal de Spirou.
"L'île de Minuit" (tome 1), Dupuis, 72 pages, 12,95 €
Si la conquête spatiale continue de faire rêver quelques milliardaires, dans l’avenir, aller sur la Lune sera avant tout une façon de préserver l’Humanité. C’est en substance la trame du roman de Claire Garand, Paideia, mot issu du grec ancien signifiant l’éducation visant la perfection pour gérer la cité idéale.
Une tâche confiée à dix fillettes, propulsées vers la Lune pour sauver assurer un possible avenir à l’humanité, définitivement éteinte sur Terre. Dix filles et des tensions. Parmi les sélectionnées, la très jeune Quatre-virgule-deux fait figure de souffre-douleur.
C’est elle qui transforme ce texte de SF en « livre puissant sur les thématiques de l’affirmation de soi, du harcèlement ou de la construction de son identité » selon Paul-Etienne Garde, éditeur de la collection. « Paideia », Claire Garand, Le Livre de Poche, 384 pages, 9,20 €
Les dieux de Mars
Après La princesse de Mars en 2023, les éditions Hoëbeke proposent la réédition dans une très belle présentation sous couverture cartonnée de la seconde partie des aventures de John Carter sur la planète rouge. Un roman signé Edgar Rice Burroughs, paru une première fois en 1913 sous forme de feuilleton.
Les aventures, très viriles, d’un homme sans peur, courageux et brave, propulsé dans un conflit qui déchire la planète Mars. Les débuts du space opéra et de la fantasy selon certains spécialistes. « Les dieux de Mars », Edgar Rice Burroughs, Hoëbeke, 384 pages, 28 €
Premier album graphique et véritable coup de maître pour ELK, mystérieux auteur né en Suisse et résidant à Lyon. Il a longtemps travaillé dans la conception de jeux de société. Pour ses débuts en BD, il a reçu l’aide d’Hubert, crédité du titre de directeur d’écriture.
Le scénariste, récemment disparu, n’est plus là pour admirer le résultat, mais il aurait été fier de ce superbe objet graphique, unique et envoûtant. Dans un monde médiéval de fantasy, un mal s’abat sur un petit royaume. Pour éviter la contagion, des hauts murs sont construits autour de la zone. Quelques habitants tentent de survivre, coupés du monde depuis des années, aux prises avec les « errants », des monstres assoiffés de sang et de chair humaine. La communauté, en vase clos, souffre en plus d’infertilité.
Quand un étranger, Sovir, parvient à franchir les murailles et semble imposer sa volonté aux errants, toutes les croyances sont remises en question. Ivan, le jeune prince, le déteste immédiatement. Même s’il peut être le sauveur des reclus.
Le graphisme, étonnamment sensuel et gracieux, tranche avec l’action, parfois violente et sanglante. Des planches de toute beauté, la naissance d’un grand dessinateur. « Les chants du chaos », (tome 1), Rue de Sèvres, 112 pages, 22,90 €
Le scénariste Jean-David Morvan, longtemps cantonné à la science-fiction, a élargi sa palette en explorant le passé, notamment la période de la seconde guerre mondiale. Il a raconté la vie de résistante de Madeleine Richaud, celle d’Irena face à Klaus Barbie et aborde désormais la Résistance aux Nazis en Belgique.
Il a confié à David Evrard le dessin de l’histoire romancée des amis de Spirou, un club de lecteurs de l’hebdomadaire BD de Marcinelle, près de Charleroi en Belgique, créé par Jean Doisy. Les membres du club vont participer à la lutte contre l’occupation allemande. Comme Jean Doisy, le créateur de la rubrique du Fureteur, grand résistant belge devant l’éternel.
Dans cet album, basé sur de véritables personnages mais avec de jeunes héros imaginaires, la petite bande de lecteurs des aventures du groom de Valhardi ou de Tif et Tondu, va affronter un officier nazi spécialisé dans les animaux.
L’occasion pour Morvan d’utiliser un personnage emblématique des éditions Dupuis. Un superbe hommage, à la jeunesse qui ne se résigne pas, qui a des valeurs et prend tous les risques pour la liberté. « Les amis de Spirou » (tome 2), Dupuis, 72 pages, 15,95 €
Pourquoi raconter des histoires simples quand votre imaginaire vous pousse à inventer des situations totalement anormales et exceptionnelles ? Jim Bishop, auteur complet de BD, ne se pose pas longtemps la question. Il propose avec L’enfantôme, le troisième volet du cycle qu’il nomme « La trilogie de l’enfant ». Après Lettres perdues et Mon ami Pierrot, il propose un véritable cauchemar visuel où le pire des années collège du début des années 2000 est passé à la moulinette.
Le personnage principal est surnommé le Boutonneux. Normal, son visage est couvert de pustules. Compliqué de s’intégrer dans ces conditions. Il partage ce privilège avec La Bizarre, une fille gothique. Si le Boutonneux semble assez idiot (ou du moins peu conscient des réalités de ce monde sans pitié de l’adolescence), la Bizarre au contraire est intelligente et éveillée. Ils seront tous les deux menacés par le conseiller d’orientation, un énorme bonhomme libidineux : leurs parents devront les assassiner s’ils ratent leur année. Un vrai cauchemar on vous dit.
Sur cette simple idée, Jim Bishop propose une plongée dans l’inconscient de l’adolescence. Rêves, espoirs, tristesse, dépression… Pas très gai et même mortel, au point que les héros se retrouvent transformés en fantômes, errants à la recherche de leur corps.
Un roman graphique étonnant, effrayant et paradoxalement plein de poésie. « L’enfantôme », Glénat, 224 pages, 22,50 €