jeudi 30 janvier 2025

Roman français - « Ta promesse » : d’un bel amour à une fin tragique

L’amour rend aveugle. Et un peu naïve dans le cas de la narratrice de ce roman de Camille Laurens. Jusqu’à ce que les grandes promesses du début volent en éclat avec pertes et fracas.


Claire Lancel, le personnage principal de ce roman signé Camille Laurens, est son double de fiction. D’autofiction exactement. Il y a un peu de sa vie. Et des gros morceaux totalement imaginaires. Cette romancière, a toujours tissé son œuvre littéraire autour de sa propre existence. On peut donc lire ce livre en essayant de démêler le vrai du faux. Mais le mieux est de s’y plonger en se persuadant que rien n’est vrai, que la vie ne peut pas être aussi forte, puissante et dévastatrice que cette histoire d’amour, de coup de foudre, qui finit mal.

Claire Lancel, romancière reconnue, vivant de sa plume, est triste. Seule, la cinquantaine. Quand elle accepte d’aller, sur l’insistance de sa meilleure amie à une soirée, un 31 décembre, elle ne se doute pas qu’elle va y retrouver le metteur en scène Gilles Fabian. Un bel homme, à l’écoute, intelligent. Elle va le séduire (ou l’inverse…) et débute alors une romance sans nuage. Le pire qui peut lui arriver car « on n’écrit pas sur le bonheur. La seule matière de la littérature, c’est le chagrin. Ou la passion, ce qui revient au même au bout d’un moment. »

Construit comme un thriller qui dévoile lentement l’horreur de la situation (gendarmes, avocats, prison, procès), Ta promesse va crescendo dans la tension entre ces deux que tout attire. Claire est amoureuse. Gilles est heureux avec elle. Mais que cache cette trop belle harmonie, cette dolce vita en bord de mer Méditerranée, à l’ombre d’un mimosa en fleurs ?

La romancière va finalement se découvrir dans le pire des rôles, celui de la femme manipulée, trompée, abusée. Jusqu’à l’apparition de la violence, du sang… Un paradoxe qu’elle tente de comprendre : « Quand elle détruit, elle désire encore. En se vengeant, elle continue d’aimer. » Un bel amour, une fin tragique, un roman fort et prenant.

« Ta promesse », Camille Laurens, Gallimard, 364 pages, 22,50 €

mercredi 29 janvier 2025

Un récit de voyage - Vers les îles Éparses


Dans le canal du Mozambique, il y a Mayotte mais aussi les îles Éparses. De minuscules bouts de terre, territoire français habité en permanence par quelques militaires.

Olivier Rolin, écrivain voyageur, a embarqué sur le Champlain, un navire de la Marine nationale, chargé de ravitailler ces bases. Un mois de navigation qu’il raconte (et dessine) dans ce récit dépaysant. Beaucoup de références littéraires, mais aussi de réflexion sur le temps qui passe : « Cette croisière marque vraiment pour moi un passage dans ma vie, ce n’est pas seulement vers les îles Éparses que je navigue, mais vers l’état déplorable, fragile et un peu ridicule, de vieux. » Il va vivre durant un mois en compagnie d’un équipage de jeunes militaires, débordant de vie et de projets.

Et c’est sans doute cet aspect de sa réflexion qui est le plus intéressant et édifiant.
« Vers les îles Éparses », Olivier Rolin, Verdier, 96 pages, 17,50 €

mardi 28 janvier 2025

Un premier roman - Carcoma


Plus qu’une maison hantée, c’est une maison maléfique qui est au centre de Carcoma, premier roman de la jeune autrice espagnole Layla Martinez.

Ce texte, paru en 2021 en Espagne, est enfin traduit en français par Isabelle Gugnon qui a osé se confronter à ce récit de femmes au bord de la folie. Carcoma, ce sont les vers à bois qui détruisent les charpentes des maisons. C’est aussi, dans la langue de Cervantès, une « préoccupation constante et grave qui vous consume, vous ronge peu à peu. » Les habitantes de la maison, de l’arrière-grand-mère à la dernière petite fille, sont toutes un peu dérangées. Comme possédées par cette maison qui regorge d’ombres. La grand-mère de la dernière narratrice, à moitié folle, implore « toutes les petites saintes mortes par la main d’hommes enragés ».

Le premier homme « enragé », celui qui a construit le bâtiment pour y enfermer son épouse, est mort sur place. Dans d’atroces souffrances qui n’ont fait qu’amplifier les rumeurs au village. Un texte fort et violent, sur la peine des femmes et leur pouvoir de vengeance.
« Carcoma » de Layla Martinez, Seuil, 144 pages, 18,50 €

lundi 27 janvier 2025

Un roman jeunesse - Les Wouf


Ozzi, Pitt et Jimi sont des chiens. Exactement des « musichiens » puisqu’ils forment le groupe des Wouf. Régulièrement, ils donnent des concerts sur leur péniche.


Écrit par Élodie Chan, illustré par Anthony Martinez, ce roman jeunesse (à partir de 6 ans) débute mal pour Jimy. Après une chute, il se réveille amnésique. Et il a perdu son instrument, une flûte.

Par chance, ses deux amis vont l’aider à retrouver la mémoire. Mais le chemin sera long et périlleux (notamment face à une horde de rats déterminés à ne pas rendre la flûte) avant de pouvoir reformer le trio et entraîner tous les habitants de ce monde un peu magique dans un concert mémorable.
« Les Wouf ! », L’École des Loisirs, 88 pages, 9 €

dimanche 26 janvier 2025

Une romance new adult - West Well de Lena Kieffer


De la haine à l’amour… Deux familles ennemies et, par malheur, deux des rejetons tombent amoureux. Rien de bien nouveau et pourtant cela marche toujours. 

La preuve avec le succès de ce roman de l’Allemande Lena Kieffer. A New York, deux familles richissimes du secteur de l’immobilier se détestent. Encore plus depuis que les deux héritiers antagonistes ont été retrouvés morts d’overdose après une brève histoire d’amour torride.

Et l’histoire semble se répéter, Helena va craquer pour Jessiah. Et réciproquement. Les fans de luxe, d’amours compliquées, de vengeance tordue et de buildings seront aux anges. Les autres n’y verront que clichés et grosses ficelles.
« West Well » de Lena Kiefer, Nox - Albin Michel, 512 pages, 19,90 €

samedi 25 janvier 2025

BD - Drogue mortelle et arts interdits dans un futur pessimiste


Blade Runner à Lyon. C’est le résumé graphique du premier tome de cette nouvelle série de science-fiction dessinée par Jef sur un scénario de Kevan Stevens. Le nom exact de la ville où évoluent les protagonistes de cette utopie sombre et pessimiste est Mégalopolyon.


On suit les vies du maire, monstre obèse bourré de prothèses robotiques, sa fille, cheveux bleus et indépendance chevillée au corps, son fils, trisomique caché car normalement interdit de vie. Il y a aussi un homme qui vend son talent de musicien. En cachette car dans cette société futuriste totalitaire, musique et littérature sont interdits. Qui est surpris en possession d’un instrument ou d’un livre est immédiatement condamné à mort. Et exécuté sur place.

La mort guette tout le monde, encore plus quand de la drogue frelatée inonde la ville. Un premier tome qui pose les bases de la société. On ne sait pas exactement ce que cherchent les acteurs du récit. Mais on se dit que finalement on ne devrait pas se plaindre de notre présent si cet univers est le futur inéluctable de nos petits-enfants.
« La mécanique » (tome 1/3), Soleil, 84 pages, 17,50 € 

vendredi 24 janvier 2025

BD - La fin du Duce racontée en détail


La dernière photo de Mussolini, le Duce, est terrible. Le dictateur est exhibé, pendu par les pieds après son exécution. Il est accroché à côté de sa maîtresse, Clara Petacci, elle aussi fusillée quelques heures auparavant sur les bords du lac de Côme. Une ultime photo qui résume La dernière nuit de Mussolini racontée par Jean-Charles Chapuzet, scénariste et historien, et dessinée par Christophe Girard.


Ce sont exactement les trois derniers jours de fuite dans la région qui sont détaillés dans ce roman graphique historique. Et pour mieux comprendre, les auteurs proposent des retours en arrière, expliquant l’évolution politique du Duce (de socialiste à fasciste) et son arrivée au pouvoir après une alliance avec Hitler. Grand séducteur, il a multiplié les conquêtes et les enfants, souvent illégitimes.

Rien ne l’arrêtait. Du moins jusqu’à l’avancée des troupes alliées et la volonté de vengeance des compagnons de ces milliers d’opposants assassinés lors de son règne.

Le destin tragique d’un homme présenté comme profondément patriote, parfois un peu lâche, totalement dépassé par les événements à la fin de sa vie.
« La dernière nuit de Mussolini », Glénat, 128 pages, 21,50 €

jeudi 23 janvier 2025

BD - Jack Gilet, bourreau itinérant américain

Très beau et passionnant roman graphique signé par David Ratte, auteur prolixe installé depuis de nombreuses années dans les Pyrénées-Orientales. Jack Gilet, le héros, a hérité de la charge de son père : bourreau. Dans l’Amérique du début du XXe siècle, le travail ne manque pas. Mais Jack est un sensible. Tuer des hommes ou des femmes, il ne peut pas. Il s’est reconverti en bourreau d’animaux.

Il sillonne l’Amérique rurale, pour exécuter les sentences parfois étonnantes contre une vache belliqueuse, un chien agressif, voire un cochon affamé (il a mangé un nourrisson…). A Flagstone, petite ville peuplée de « péquenaud », dixit Jack Gilet, en plus d’une truie, il doit pendre une chèvre coupable d’avoir envoyé par-dessus le parapet d’un pont un homme qui s’en prenait à sa propriétaire, Winifred, jeune sauvageonne. Malgré les pleurs de la jeune fille lors du procès, l’animal est condamné. Jack officie et repart vers une nouvelle mission. Winifred, en rage, décide de le suivre et de se venger. Cette longue course-poursuite à travers les superbes paysages des USA encore sauvages, est une plongée dans les consciences de deux personnages.

Si Jack peut tuer des animaux sans s’émouvoir, au contraire, Winifred les trouve plus attachants que les hommes dont on peut se débarrasser sans problème.

Une belle histoire, pleine de rebondissements, portée par des planches d’une exceptionnelle beauté, en couleurs directes à l’aquarelle.
« À la poursuite de Jack Gilet », Bamboo Grand Angle, 128 pages, 19,90 €

mercredi 22 janvier 2025

Cinéma - Le secret du père de “La fille d’un grand amour”

Le premier film d’Agnès de Sacy, « La fille d’un grand amour », avec François Damiens et Isabelle Carré a été en grande partie tourné dans les Pyrénées-Orientales, au pied des Albères.

Retour aux sources pour Agnès de Sacy, scénariste de cinéma depuis une vingtaine d’années. Elle s’inspire de son histoire familiale pour réaliser son premier long-métrage, La fille d’un grand amour. Un film mélodramatique, avec François Damiens et Isabelle Carré en vedette, tourné en grande partie à Bages et Perpignan à l’automne dernier. Une histoire qui tourne autour du coup de foudre mais aussi des secrets de famille et des vies cachées, voire gâchées.

Le sujet est né au début des années 90, quand Agnès de Sacy, élève à la FEMIS, la prestigieuse école de cinéma parisienne, réalise un film dans le cadre de son cursus étudiant sur le thème « Filmer vos parents ». Elle interroge son père et sa mère sur leur première rencontre à la fin des années 50 dans une boutique parisienne. Ce documentaire, elle va en montrer, au début du film, la fabrication, avec deux comédiens dans le rôle des parents. François Damiens est Yves, le père, Isabelle Carré, Ana, la mère. Ils racontent ce coup de foudre, donnent deux versions assez différentes de cette première rencontre. Mais au moment du film, cela fait longtemps qu’ils sont divorcés.

Un mas au pied des Albères

Nous sommes au début des années 90, Yves travaille dans une banque à Paris, Ana est antiquaire dans la région de Perpignan dans un grand mas au pied des Albères. Ce film va être le bon motif pour permettre à Yves de passer un week-end en Catalogne, découvrant la nouvelle vie de son ancienne épouse. Retrouvailles qui vont rapidement virer à la dispute. La suite, racontée (subie plus exactement) par Cécile (Claire Duburcq), la fille, double fictionnel de la réalisatrice, est pleine de rebondissements, de drames, de lourds secrets (notamment de la part d’Yves) et de moments de joie.

Très personnelle, cette histoire de famille compliquée, a été tournée en grande partie dans la maison même du père de la réalisatrice. Un superbe mas, avec vue sur les Albères, régulièrement montrées dans le film quand François Damiens et Isabelle Carré se promènent dans les vignes alentour. Une région qu’Isabelle de Sacy connaît bien, sa famille maternelle ayant toujours vécu là. Elle y a passé de nombreuses vacances, enfant. Elle y aime notamment la lumière, unique. Et effectivement, ce film est lumineux, de plus en plus éclairé par ce grand amour et la libération, par la parole et l’écrit, de la mère et du père d’Agnès de Sacy.

Film d’Agnès De Sacy avec Isabelle Carré, François Damiens, Claire Duburcq


Agnès de Sacy : “Un amour passionnel”


Venues présenter en avant-première, début décembre, le film au cinéma Castillet de Perpignan, Agnès de Sacy et son interprète, Isabelle Carré, sont longuement revenus sur ce film qui les touche professionnellement et personnellement.

Isabelle Carré : « Le film raconte le fait qu’on a droit aux secondes chances. Mon personnage y croit. Elle a une sorte de foi qu’elle s’est construite elle-même. Elle croit qu’en étant libre, dans la tolérance, c’est possible. »

Agnès de Sacy : « Ce sont deux personnes qui ont eu une histoire singulière, c’est leur histoire. Il y a des personnes séparées qui ne se retrouveront jamais, qui refont leur vie. Il se trouve qu’eux deux, sont deux personnes qui ont eu un amour tout à fait singulier et extrêmement passionnel. »

Isabelle Carré : « J’ai beaucoup évolué grâce à l’écriture de romans. Je n’ai aucune frustration à être au service des auteurs, mais il était temps pour moi de dire mes mots. Raconter mes propres histoires m’a aidé à trouver une autre voix, à changer, évoluer et acquérir de la confiance. »

Agnès de Sacy : « François Damiens est un grand émotif, un hypersensible et c’est un homme dans sa maladresse qui est bouleversant. Je voulais, sans aucun mot, qu’on comprenne pourquoi cette femme l‘aime. En face j’avais Isabelle Carré qui est une Rolls, une actrice d’une précision, d’une rapidité et d’une intelligence rares. Les réunir m’a paru évident. »

À propos de la maison du tournage : « C’est un personnage. Je l‘ai cherchée avec mon chef opérateur et ma décoratrice, se souvient Agnès de Sacy. On a visité plusieurs mas dans la région pour finir par tourner dans la maison où habitait mon père et qui était évidemment celle qui m’inspirait quand j’écrivais. On était en repérage et on dormait à la maison et à chaque fois qu’on revenait, mon père me demandait « Mais pourquoi vous ne tournez pas ici ? » Il revenait dessus en me taquinant. Et puis l’équipe m‘a convaincue. C’est un grand bonheur de tourner dans un espace qu’on connaît intimement. »

mardi 21 janvier 2025

En vidéo, “Le roman de Jim” des frères Larrieu

Cette histoire, d’un presque père ballotté par les sentiments et les événements, fait du bien. Adapté du livre de Pierric Bailly, Le roman de Jim des frères Larrieu dresse le portrait d’une génération sensible et à l’écoute. Un amant gentil, présent et dévoué interprété par Karim Leklou.

L’amour qu’il porte à sa compagne enceinte (Laetitia Dosch), va se communiquer à ce petit garçon qu’il va accompagner dans ses premières années de la vie. Un film d’une beauté absolue, parfois jubilatoire, parfois triste. Comme la vie. Juste la vie.

L’édition en vidéo chez Pyramide sortie cette semaine offre une profusion de bonus pour aller plus loin dont des entretiens avec Arnaud et Jean-Marie Larrieu (27 min), l’écrivain Pierric Bailly à propos des lieux du tournage (15 min) ou Karim Leklou (18 min)