lundi 20 janvier 2025

Roman - « Vous parler de mon fils », texte poignant sur le harcèlement scolaire

Vincent veut se souvenir de Hugo, ce fils qu’il vient de perdre. Il se sent coupable de ne pas avoir compris la situation. Le roman de Philippe Besson est un réquisitoire contre ce harcèlement scolaire sournois et trop souvent sous-estimé.


Alors que  des millions d’enfants viennent de reprendre le chemin de l’école, des collèges et lycées. Un lieu de savoir où malheureusement s’épanouit aussi une forme de terrorisme insidieux : le harcèlement scolaire. Car parmi les cohortes de jeunes, certains auront la boule au ventre, persuadés que leur cauchemar, mis sous l’éteignoir durant les vacances de fin d’année, va reprendre de plus belle. Combien parmi eux ne verront pas les beaux jours du printemps ? Le taux de suicide parmi les victimes de harcèlement est de plus en plus élevé.

Un sujet de société au centre du roman de Philippe Besson paru ce jeudi 2 janvier 2025 et intitulé « Vous parler de mon fils ». On suit le narrateur, Vincent, durant une journée particulière. Un mois après le drame, il va participer, avec sa femme et son autre enfant, à une marche blanche en hommage à Hugo, son aîné. Hugo n’est plus là. La mort « c’est très concret. C’est une chaise vide dans le petit matin tranquille, malgré le soleil qui éclabousse. » Hugo a fait le choix de partir, d’abandonner face au désastre de sa vie.

Un adolescent un peu renfermé, timide, pas très costaud, intelligent et bon élève. Le portrait idéal pour devenir le souffre-douleur de quelques idiots congénitaux, avides de méchanceté, de ce plaisir coupable de faire du mal, de terroriser. Les parents, notamment la mère, se doutent que quelque chose ne tourne plus rond. Mais Vincent temporise, refuse de s’inquiéter, persuadé qu’au contraire cela permettra à Hugo de fortifier sa personnalité. De se durcir De devenir un homme…

Au contraire, le mal-être de l’adolescent va s’ancrer profondément avec les coups, les SMS, les insultes. Et ce ne sont pas ces dernières les moins graves. Vincent l’a compris, mais trop tard : « Une insulte n’est pas une abstraction, c’est très concret. L’avilissement n’est pas théorique, on le ressent dans sa chair, il lacère le corps, comme le ferait une lame de couteau. » Dans ce texte d’une intensité stupéfiante, les parents se souviennent comment ils ont tenté de sauver leur fils. Quand ils ont compris qu’il était harcelé, ils alertent le proviseur. Mais ils se heurtent à un mur, celui érigé en vertu de la consigne « Pas de vague ».

La marche blanche, c’est aussi pour dénoncer cet état de fait, cet abandon de certains. Le père oscille entre colère, résignation et volonté de protéger son fils survivant. Il raconte comment ils ont vécu les jours après le drame : « En fait, on n’a pas dormi, ou très peu, on est juste restés étendus dans le noir, et cette immobilité sans sommeil nous a semblé être la métaphore parfaite de notre existence, on était des gisants, plongés dans l’obscurité, on le serait jusqu’à notre dernier souffle. »

Cette fiction, terrible de réalité, risque de devenir des faits divers dans quelques semaines. Car le harcèlement, on ne le répétera jamais assez, est un fléau de plus en plus fréquent. Alors si vous, parents, avez le moindre doute, parlez à votre « Hugo » avant qu’il ne soit trop tard. Car après, il ne vous restera que des larmes pour la marche blanche.

« Vous parler de mon fils » de Philippe Besson, Julliard, 208 pages, 20 € (« Un soir d’été » de Philippe Besson vient de paraître en poche chez Pocket, 176 pages, 8 €)

dimanche 19 janvier 2025

Pamphlet - La France déconstruite dans « Les lettres qataries »

Gilles Martin-Chauffier endosse les habits d’un diplomate qatari pour résumer, d’un point de vue radicalement différent du parisianisme, une année politique française assez folle.


L’exercice littéraire n’est pas nouveau mais a fait ses preuves. Rien de tel que le regard d’un étranger pour mieux analyser sa propre société. Depuis les Lettres persannes, plusieurs intellectuels ont tenté de confronter la civilisation française à certaines de ses contradictions en utilisant un regard différent.

Gilles Martin-Chauffier, sans renouveler le genre, propose une réflexion d’actualité sur l’année politique française écoulée. Pour tenter de décrypter ces soubresauts, il se glisse dans la peau de Hassan, diplomate qatari en poste à Paris, racontant chaque mois à son frère resté au pays, ses découvertes de la France profonde ou des mœurs parisiano-parisiennes.

Quand il se déplace en province (Landes, Savoie), c’est assez bien vu. La France des terroirs n’a que peu changé et les défauts d’hier sont toujours aussi présents. Par contre, quand il s’agit de politique, on s’étonne que cet Hassan ait tant de critiques contre le président Macron ou François Hollande, et très peu contre Marine Le Pen. Il est sans pitié pour le dernier président socialiste : « qui ne restera dans l’Histoire que pour ses cinq ans de sieste à l’Élysée ». Il a tendance à oublier un peu vite que durant ce quinquennat, le terrorisme islamiste a violemment frappé et endeuillé le pays (Charlie, Bataclan, Nice) et que la réaction de la présidence a été à la hauteur. Que le président Hollande a été le premier à couper les ponts avec Poutine (alors que Sarkozy…) ou tout fait pour faire tomber Assad alors que d’autres députés allaient au contraire se pavaner à Damas.

Il est facile de déconstruire la vieille gloire de la France, reste que si elles avaient été moins partisanes, ces Lettres qataries auraient pu rester dans les mémoires. Raté.

« Les lettres qataries » de Gilles Martin-Chauffier, Albin Michel, 224 pages, 19,90 € (parution le 22 janvier)

samedi 18 janvier 2025

BD - La Marne en 1918, première véritable bataille de chars

Nouvel opus de la collection lancée par Glénat retraçant « Les grandes batailles de chars ». C’est à l’origine de ce type de combat que Brugeas et Bianchini (scénario et dessin) convient le lecteur amateur de faits militaires et de mécanique. Alors que les poilus meurent par milliers dans les tranchées, les gradés tentent de trouver des solutions pour enfoncer les lignes ennemies.

Les blindés (avec l’aviation), font leur première apparition. Lourds, fragiles, peu maniables, ils ne pèsent pas sur les combats. Jusqu’à l’apparition, début 1918, du char Renault FT. Un conducteur, un mitrailleur, une tourelle qui pivote à 360 degrés, des chenilles capables de franchir des tranchées : ces engins vont peser sur les ultimes attaques allemandes.

Les chars vont participer à la défense des positions des alliés, puis servir de pointe acérée pour lancer des contre-attaques payantes. Pour raconter le parcours de cette machine révolutionnaire, qui a inspiré tous les autres blindés, les auteurs se penchent sur le parcours d’un officier français, mécanicien, concepteur dans les usines Renault du FT et ensuite courageux combattant de la bataille de la Marne.

C’est très patriotique, un peu fleur bleue mais cela illustre parfaitement le fonctionnement de ces équipages, véritables cobayes et indirectement inventeurs de la guerre moderne.
« Les grandes batailles de char : la Marne », Glénat, 64 pages, 15,50 €

vendredi 17 janvier 2025

BD - Mutation liberticide pour "Les Salamandres"

Graham Gomez a une vie quelconque. Dans ce futur proche, il ne lui reste pourtant plus beaucoup d’opportunités pour profiter de l’existence. Ancien journaliste, un peu trop critique de la société, il a dû rendre sa carte de presse. Il s’est reconverti en boucher. Pas longtemps. La viande est devenue interdite.

Il rêve d’avoir en enfant avec son épouse. Encore faut-il qu’il décroche l’agrément nécessaire. Frustré, il ne peut même plus se soûler, l’alcool, comme la viande, étant prohibé de cette société surveillée de partout.

Alors il se déchaîne sur les derniers exclus : les salamandres. Des humains qui ont muté. Graham se moque d’eux en les traitant de crapauds. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est qu’il va lui aussi se transformer. Cette fable futuriste, assez pessimiste, est écrite par Julien Frey. Au dessin, on retrouve Adrian Huelva déjà à la manœuvre sur la série U4. Une nouvelle version de la lutte d’un individu contre le totalitarisme de la société qui nous pend au bout du nez. Ce n’est pas spécialement optimiste, même si un embryon d’espoir subsiste.

De la SF intelligente qui fait fonctionner les méninges du lecteur ouvert et pas trop dupe.
« Les salamandres », Bamboo Drakoo, 120 pages, 19,90 € (parution le 8 janvier)

jeudi 16 janvier 2025

BD - Aurel signe un manifeste pour le dessin de presse


Il y a dix ans, les frères Kouachi, terroristes islamistes, ont assassiné une partie de la rédaction de Charlie Hebdo. Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour la liberté d’expression à l’occasion de ce triste anniversaire, Aurel (Le Canard Enchaîné) signe un manifeste très personnel sur la situation de ces trublions que sont les dessinateurs de presse. Une profession en danger, paradoxalement. Car l’esprit Charlie n’a pas eu que du bon pour ces observateurs de la société, rarement tendres, empêcheurs de tourner en rond, poil à gratter de nos consciences.


Un album souple, de 32 pages percutantes, soulignant le paradoxe de ces dix ans : « Charlie quand ça leur chante ». Après un aperçu de la situation économique des journaux (fragile) et de la volonté des patrons de précariser les dessinateurs, Aurel s’attaque au fond du sujet. Il explique notamment comment les « néo-réacs », ces anciens gauchistes, souvent aux manettes des rédactions, grands manitous de l’opinion sur les plateaux télé, se sont autoproclamés gardiens de l’esprit Charlie.

Il leur oppose le nouveau public, plus jeune, plus critique, refusant les clichés et second degré trop facile et de plus en plus daté. Ceux que les néo-réacs mettent, en vrac, dans le mouvement « woke ». Aurel, à titre personnel, explique qu’il entend continuer à vouloir faire rire et réfléchir avec ses dessins. Tout en en prenant compte des remarques de la nouvelle génération, s’éloignant de ceux qui n’aiment Charlie que quand il faut dézinguer l’Islam ou les féministes.

Et de conclure en espérant pouvoir continuer à faire son travail, comme il l’entend, en s’améliorant, refusant toute leçon de ce ceux qui sont « Charlie quand ça leur chante ».
« Charlie quand ça leur chante », Futuropolis, 32 pages, 6,90 € (parution le 8 janvier)

mercredi 15 janvier 2025

Cinéma - « Quiet life », famille traumatisée et résignée

Syndrome de résignation. Le film d’Alexandros Avranas, sans être médical, apprend aux spectateurs que cette maladie, récemment détectée, notamment dans les pays nordiques, fait des ravages chez les jeunes. 

Pour comprendre comment on l’attrape, il raconte la vie de cette famille russe, réfugiée depuis peu en Suède. Le père, ancien proviseur, a trop milité ouvertement pour les droits de l’Homme. Harcelé par la police, il a failli mourir quand il a été agressé dans la rue. Un coup de couteau dans le ventre.

Une fois remis sur pied, face à de nouvelles menaces, il décide de rejoindre clandestinement la Suède avec sa famille et demande l’asile politique. Un long parcours compliqué. Il est hébergé par l’État, mais surveillé. Ses filles sont scolarisées, sa femme, enseignante, se morfond sans avoir le droit de travailler. Quand la demande d’asile est refusée par manque de témoignages, il se décide à solliciter sa plus jeune fille pour raconter l’agression. Car elle était présente. Mais l’angoisse, le stress, déclenche ce syndrome de résignation. Elle tombe dans un profond coma.

Le film va raconter deux combats en parallèle. Les parents vont tout faire pour sauver leur petite fille, mais aussi tenter le tout pour le tout pour ne pas retourner en Russie. En montrant une famille modèle, dans un pays civilisé, le réalisateur propose en réalité un horrible cauchemar ou l’administration écrase tout poussant d’honnêtes gens à mentir pour sauver leur vie.

Un film glaçant, porté par des interprètes en état de grâce, notamment les deux fillettes incroyablement crédibles dans ces rôles de déracinées doublement traumatisées.

Film d’Alexandros Avranas avec Chulpan Khamatova, Grigoriy Dobrygin, Naomi Lamp

mardi 14 janvier 2025

Polar - « Hildur », policière islandaise à l’épreuve du froid

S’il fait glacial en Islande, il fait extrêmement glacial dans la région des Fjords de l’Ouest., là où officie Hildur, policière imaginée par Satu Rämö.


Étrange parcours que celui de 
Satu Rämö, romancière finlandaise. Elle quitte son pays nordique très froid pour continuer ses études en… Islande, région encore plus glaciale. Passionnée de tricot, elle fonde une famille et vit depuis à Isafjördur, principale ville (mais 2700 habitants seulement) de la région isolée des Fjords de l’Ouest. Une Islande typique, tranquille, traditionnelle et rude. C’est là qu’elle a imaginé le personnage de Hildur. L’héroïne a une histoire familiale compliquée, passe par l’école de police, est affectée à Reykjavik dans l’unité chargée des enfants disparus avant un transfert comme enquêtrice (la seule en poste avec sa cheffe Beta) dans sa ville de naissance, Isafjördur.

Hildur est une force de la nature. Elle court tous les matins des kilomètres, même sous la neige, se muscle à la salle et fait du surf dans une mer déchaînée et glacée. On apprend que son prénom, dans l’imaginaire islandais, personnifie le « combat ». C’est une « Valkyrie au service d’Odinn. Fée de la guerre et esprit de la mort, dont la mission était, dans les batailles, de décider qui devait gagner et qui, mourir. » Habituée à travailler seule, elle doit faire équipe avec un stagiaire étranger dans le cadre d’un échange. Jakob, Finlandais fraîchement sorti de l’école de police, passionné de tricot, a choisi ce trou pour essayer d’oublier son divorce problématique.

La romancière, en plus de dresser le portrait de ces flics peu ordinaires, déroule une intrigue où les cadavres ne cessent d’augmenter. Un vieux pédophile, retrouvé égorgé dans son chalet submergé par une avalanche, un avocat d’affaires, volontairement écrasé…

Des meurtres inhabituels dans cette localité d’ordinaire si tranquille. Et qui pourraient avoir un lien avec la disparition, 25 ans auparavant, des deux petites sœurs d’Hildur. Plusieurs arcs de narration secondaires que l’on devrait retrouver dans la prochaine enquête de Hildur, la flic et surfeuse de l’extrême.

« Hildur » de Satu Rämö, Seuil, 448 pages, 22 €

lundi 13 janvier 2025

Cinéma – Le scénario commenté du film « Anatomie d’une chute »

Palme d’or à Cannes et surtout Oscar du meilleur scénario cette année, le film « Anatomie d’une chute » de Justine Triet est à redécouvrir dans sa version écrite. La publication du scénario original réjouira les cinéphiles.

D’autant qu’en plus du texte original, on peut découvrir des explications des deux auteurs ainsi que des passages non tournés ou non retenus dans le montage final.

Outre un riche cahier photo du tournage en fin d’ouvrage, vous pourrez découvrir le fac-similé du scénario d’Arthur Hariri orné de dessins réalisés durant les réunions de préparation. Une véritable leçon de cinéma.

« Anatomie d’une chute, scénario commenté », Gallimard, 320 pages, 25 €

dimanche 12 janvier 2025

Un beau livre - Les histoires vraies de plusieurs naufragés


Tiré d’une série de podcasts diffusés sur l’antenne de France Inter, Naufragés, histoires vraies, est un beau livre érudit et passionnant. Daniel Fiévet a fait de longues recherches pour raconter avec le plus de réalisme possible ces huit récits authentiques, du plus tragique, le naufrage du Batavia en 1629 près de l’Australie, au plus étrange, le naufrage volontaire d’Alain Bombard en 1952 à travers l’Atlantique sur un simple canot pneumatique.

On retrouve également le récit de « l’infernale dérive du radeau de la Méduse » ou le tragique destin des esclaves abandonnés de l’île Tromelin. Illustré de gravures ou documents d’époque, vous pourrez aussi admirer dans ce livre des illustrations de Nicolas Vial et Aleksi Cavaillez.
« Naufragés, histoires vraies », Julliard, 214 pages, 34,90 €

 

samedi 11 janvier 2025

BD - Alchimie et Atlantide

Deux signatures habituées au succès sont à l’origine de la série L’Alchimiste. Nicolas Beuglet, romancier a imaginé ce monde de fantasy alors que Barbucci en a créé l’univers graphique. Après deux albums, Nicolas Beuglet a confié à Maxime Fontaine, autre écrivain, la suite des aventures de Basile et Espér
anza.

Deux gamins qui, sous la protection d’un érudit et d’un aventurier, partent sur les traces du légendaire alchimiste appelé aussi le Fondateur. Dans ce 3e titre de la série, ils vont découvrir les vestiges de l’Atlantide près de l’archipel de Santorin en Méditerranée. Ils devront affronter le Masque d’Acier, méchant de service, épaulé par la belle et mystérieuse Salamandre, atout charme de la série.

Un excellent divertissement pour les adolescents, avec même des animaux de compagnie pour remplir la case « mignonerie », Margotin, un hamster dodu et Fouinax, une fouine curieuse.
« L’alchimiste » (tome 3), Jungle, 56 pages, 13,95 €