vendredi 30 août 2024

Cinéma - L’argent, « La belle affaire » à faire fructifier


Tous les nostalgiques des anciennes monnaies nationales (avant l’euro) comprendront pourquoi certains billets de banque ont plus de valeur sentimentale que d’autres. Dans La belle affaire, comédie allemande de Natja Brunckhorst, ce sont des deutsche marks qui jouent ce rôle de madeleine. Et plus précisément ceux qui circulaient en RDA, la partie soviétique de l’Allemagne vaincue et divisée.

L’action du film se déroule au cours de l’été 1990 dans un quartier populaire d’une petite ville de RDA. Alors que toute une société s’écroule, le chômage frappe ceux qui rêvaient de capitalisme et de la consommation à outrance qui va avec. La réalité est moins reluisante. C’est dans ce contexte que quelques amis apprennent que les billets de RDA sont stockés près de chez eux, dans de vastes galeries souterraines.

Au cours d’une expédition mouvementée, ils repartent avec plusieurs sacs à dos pleins de liasses. Il leur reste trois jours pour convertir la monnaie qui n’a plus cours en billets ouest-allemands. Mais ce sont des millions qu’ils ont dérobés. Comment augmenter le pactole ? De comédie de voleurs amateurs, le film prend des airs de douce utopie quand tout le quartier joue collectif pour récupérer ce que ses habitants considèrent comme « l’argent du peuple ».

Avec Sandra Huller (femme libre partagée entre deux amants) en tête de distribution de ces sympathiques arnaqueurs, on assiste à leur triomphe éphémère. Éphémère car la cupidité va semer le doute dans le groupe. Et les experts en placements financiers de l’Allemagne de l’Ouest ne comptent pas se laisser plumer aussi facilement.

Une comédie tendre sur la force d’un peuple qui ne savait pas où il allait, profitant juste au jour le jour de cette denrée dont il a trop longtemps été privé : la liberté.

 Comédie allemande de Natja Brunckhorst avec Sandra Hüller, Max Riemelt, Ronald Zehrfeld

jeudi 29 août 2024

En vidéo, “N’avoue jamais”


Si la vengeance est un plat qui se mange froid, l’adultère est la sauce pimentée qui rendra le repas encore plus compliqué à digérer. N’avoue jamais, film d’Ivan Calbérac qui sort en DVD chez Wild Side, marque la 12e collaboration entre Sabine Azéma et André Dussollier.

20 ans après Tanguy, ils sont toujours mariés. Mais à plus de 70 ans, le mari découvre que son épouse l’a trompé… 40 ans plus tôt. Ancien militaire, à cheval sur les principes, il décide d’aller corriger son rival joué par Thierry Lhermitte. Mais l’arthrose et les rhumatismes ne font pas toujours bon ménage avec la vengeance. Une comédie enlevée, sur un 3e âge tonitruant et plein de principes.

On rit. Jaune parfois, mais on rit de ces déboires conjugaux à rebours.

mercredi 28 août 2024

Rentrée littéraire - Amélie Japon


33 ! L’impossible retour est le 33e roman d’Amélie Nothomb. Un titre énigmatique et un peu contradictoire : comme chaque mois de septembre, le nouveau roman de la célèbre Belge sera de retour en tête des ventes. Mais si ce texte parle de sa vie, il n’est pas du tout question de la rentrée littéraire mais d’un voyage au Japon. Le pays qu’elle affectionne le plus.

Même si elle y a vécu des expériences traumatisantes (se souvenir de Stupeur et tremblements). Amélie Nothomb, en 2023, retourne à Kyoto et Tokyo pour y servir de guide à une amie photographe. Quelques jours pour retrouver des sensations, des plaisirs, des ivresses incomparables. Assez différent de ses autres romans, ce récit alterne visite de temples, rencontres symboliques et réflexions, souvent édifiantes, sur le pays et ses habitants. Si l’amie est assez détestable, Amélie retrouve calme et sérénité dans ce monde comme figé dans les conventions.

Reste quelques fulgurances, comme cette réflexion quand elle entame la relecture d’un roman de Huysmans : « Bien plus que lire, relire est un acte d’amour. Prendre le risque de réexpérimenter un coup de foudre, s’agissant d’un acte aussi intime que la possession littéraire, c’est insensé. » On rit aussi quand elle raconte son passage dans le café des lapins et comment un léporidé, « adorable petite bête, vient déposer des crottes sur mon pied. » Bienvenue au Japon !
« L’impossible retour » d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 164 pages, 18,90 €

mardi 27 août 2024

Rentrée littéraire - Trois génies se rencontrent à Londres en 1938


Le 19 juillet 1938, à Londres, Stefan Zweig, écrivain autrichien en exil, a organisé la rencontre entre Sigmund Freud et Salvador Dalí. Durant quelques heures, trois génies du XXe siècle ont discouru sur le devenir du monde, des arts ou de la politique.

C’est Clémence Boulouque qui a imaginé ce conclave de grands esprits si dissemblables. Freud est lui aussi en exil. Chassé de son pays par les nazis. Dalí, qui est accompagné de Gala, semble vénérer l’inventeur de la psychanalyse. Même si le peintre catalan, fidèle à son credo, est incapable d’apprécier autre chose que sa propre personne. La romancière joue parfaitement de l’incongruité du conclave.

Freud, vieillissant, malade, semble s’amuser des saillies de ce fou. Ce dernier, avant même de pénétrer dans le salon de Freud, a une révélation : « Voilà ma prophétie : le cerveau de Freud a la forme d’un escargot. Une sorte de spirale que l’on pourrait extraire avec une fourchette. » Escargots contre anguilles, c’est un des passages, succulents, de ce texte.

Reste les considérations de Zweig sur la situation de l’Europe, la persécution des Juifs, la montée du fascisme. Des passages graves, très éloignés des excentricités de Dalí, comme pour rappeler que rares sont ceux qui arrivent à deviner les catastrophes avant qu’elles ne soient inéluctables. Il suffit de savoir lire le langage des ombres.
« Le sentiment des crépuscules », Clémence Boulouque, Robert Laffont, 176 pages, 19 €

lundi 26 août 2024

BD - Dernières décisions de managers ridicules


Depuis le résultat des élections législatives anticipées, le président s’est fait discret sur le front des allocutions officielles. Alors ceux qui sont en manque (toutes les perversions existent dans ce triste monde…) doivent lire de toute urgence ce recueil de gags intitulé Dernière réunion avant l’apocalypse.

Dès la première page on voit le président, torse nu, un superbe tatouage maori sur l’épaule et le poitrail, expliquer aux citoyens que « l’apocalypse et la fin du monde auront lieu demain à 19 heures. » Sur cette nouvelle sensationnelle, Karibou (scénario) et Chavant (dessin), vont raconter, heure par heure, ce qu’il se passe dans la société, notamment au travail. Car sous couvert de message messianique, c’est une sévère critique du monde économique qui est proposée pour assouplir nos zygomatiques.

Les managers en prennent pour leur grade, eux qui veulent profiter de l’échéance pour pressuriser encore plus leurs subordonnés. Certains acceptent, oubliant que c’est leur dernière journée de boulot, d’autres se rebellent. Surtout pour tenter de prendre la place de leur N + 1 avant 19 h. Et les primes de fin d’année (qui n’arrivera jamais…) qui vont avec.

Le meilleur reste les gags avec le président. On sent le frustré décidé à utiliser au maximum ses prérogatives. Toute ressemblance avec…
« Dernière réunion avant l’apocalypse », Delcourt, 64 pages, 13,50 €

dimanche 25 août 2024

Rentrée littéraire – Le chantage ultime selon Philippe Vasset


Une confession. Un mode d’emploi. Un roman. Ce texte, signé Philippe Vasset, joue sur plusieurs tableaux. Dont celui de la vérité cachée, car l’auteur, en plus d’être écrivain, est aussi journaliste. Tout n’est donc pas inventé dans ce monologue.

Un ancien photographe de presse, la cinquantaine, après avoir vivoté en vendant ses clichés aux magazines à scandale, il a préféré monnayer ses négatifs directement auprès du sujet. Une star, un politique ou un capitaine d’industrie, souvent surpris en galante compagnie. Voilà comment on passe de la rubrique people à celle de maître-chanteur. C’est risqué, mais le jeu en vaut la chandelle. Le roman raconte tous les trucs et ficelles de cet expert. Comment il recrute ses rares complices.

Généralement d’anciennes victimes, dont il sait qu’elles ne le trahiront jamais au risque de voir ressortir des dossiers noirs. Son petit business bascule quand il croise la route d’une bande de jeunes femmes aussi effrontées qu’ambitieuses. Malgré des réticences, il va s’associer aux « filles » et monter en grade. Dans les rançons mais aussi les « cibles ». Toute la difficulté dans ce genre d’exercice littéraire est de proposer une fin crédible et pas trop décevante.

Avouons que Philippe Vasset, en retournant complètement le sens de la confession, a une idée géniale. Qui donne l’envie de reprendre tout le livre et y découvrir une autre vérité.
« Journal intime d’un maître-chanteur », Philippe Vasset, Flammarion, 224 pages, 20 €

samedi 24 août 2024

BD - Une toile à rendre par la Brigade des Souvenirs


Nouveau projet pour les trois membres de la Brigade des souvenirs, série imaginée par Carbone et Cee Cee Mia, confiée aux pinceaux de Marko. Si la première est de Perpignan, la seconde réside à Carcassonne. La préfecture audoise se retrouve au centre de cette enquête.

Plus exactement le musée des Beaux-Arts. C’est là que Cee Cee Mia a découvert le tableau Enfant et Triton de Nicolas Maes. Cette toile fait partie des œuvres d’art spoliées par les nazis et dont on n’a pas encore retrouvé les héritiers. Une mission pour Tania, Alban et Théo, trois ados de la Brigade. Pour les besoins de l’histoire, la toile est cachée depuis des années dans une pièce secrète dans le grenier de la nouvelle maison des parents de Tania et Alban.

C’est en voyant une croix gammée à l’arrière du tableau que les trois amis se doutent que l’histoire de cet Enfant et Triton est complexe. Aidés par la conservatrice du musée, ils vont tenter d’exhumer son histoire. Et remonter jusqu’en Allemagne, dans le salon de Mme Göring.


Une enquête édifiante, menée de main de maître et complétée par un dossier très complet sur ces milliers d’œuvres d’art, conservées dans des musées en France car leurs propriétaires n’ont pas encore été formellement identifiés.

« La brigade des souvenirs » (tome 5), Dupuis, 64 pages, 13,50 €

vendredi 23 août 2024

Rentrée littéraire - Trio d’écrivains en devenir


Une vie consacrée à l’écriture est-elle équivalente aux autres ? Les trois personnages principaux de La vie ou presque, roman de la rentrée littéraire signé Xabi Molia ne se posent jamais la question. Pour eux, écrire est la seule action valable de leur vie. Cette vaste fresque chronologique raconte les échecs, succès ou résignations de Paul, Simon et Idoya.

Trois jeunes qui se sont rencontrés sur la côte basque dans les années 90. Paul et Simon sont frères. Idoya, va tenter de trouver son équilibre entre les deux. Pas du tout évident car ils ont des caractères opposés. Simon, l’aîné, est brillant en tout, du foot à la musique en passant par les études, évidemment. Paul, le cadet, admire ce frère parfait, l’envie. Ne lui arrive pas à la cheville. Il en développe un complexe qui s’extériorise par des accès de violence. Ils seront souvent fâchés. D’autant que Simon, promis à un avenir radieux, va finalement connaître l’échec dans ce qui lui tient le plus à cœur : l’écriture.

À l’opposé, Paul, en jetant une histoire sur le papier, devient célèbre et obtient le Goncourt dès son deuxième roman. Idoya aussi a des ambitions littéraires. Jamais concrétisées.

Xabi Molia a sans doute mis un peu de son parcours dans ces trois vies. Il raconte aussi ce milieu si particulier des lettres françaises. Hier, aujourd’hui et demain.
« La vie ou presque » de Xabi Molia, Seuil, 236 pages, 20 €

jeudi 22 août 2024

Cinéma - « Emilia Perez » change de genre et de vie

Le chef de cartel se transforme en femme justicière. "Emilia Perez" est une brillante comédie musicale de Jacques Audiard dans un Mexique violent, avec trois comédiennes sensationnelles.

Prix du jury au dernier festival de Cannes, Emilia Perez de Jacques Audiard aurait largement mérité de remporter la palme d’or. Par son propos, sa forme et son originalité. Sans oublier les trois comédiennes portant cette histoire de rédemption : Zoé Saldaña, Karla Sofía Gascón et Selena Gomez.

Dans le Mexique contemporain, Rita (Zoe Saldaña), avocate qui a le gros handicap d’être afro caribéenne, gâche son talent au service d’un patron, imbu de sa personne, blanc et peu regardant sur le pedigree de ses clients. À l’issue d’un nouveau procès où Rita a permis l’acquittement d’un mari violent meurtrier de sa femme (un suicide !), elle est contactée par le puissant chef d’un cartel de narcotrafiquant. Manitas lui promet des millions si elle se met à son service pour finaliser son rêve de toujours. Rita craint le pire, mais c’est encore plus incroyable : le chef de gang, dents d’acier, voix rauque, des dizaines de morts sur la conscience et tatoué de partout veut devenir… une femme.

Une demande d’autant plus étonnante qu’elle est faite en chantant. Car Emilia Perez est ouvertement et clairement une comédie musicale. Même si le mot comédie est certainement mal adapté à cette ambiance de secrets et de peur.

Rita, lassée de vivoter, prend le risque et fait le tour du monde pour trouver le meilleur chirurgien. Le plus discret aussi. Elle doit aussi s’occuper de toute l’intendance, dont la mise en sécurité en Suisse de la famille de Manitas, sa feme Jessi (Selena Gomez) et leurs deux enfants. Le début du film, tel le premier acte d’un opéra, est rapide, trépidant. Jusqu’à la présumée mort du gangster.

La suite, quatre années plus tard, nous permet de découvrir la nouvelle vie de Manitas, alias Emilia Perez (Karla Sofía Gascón). Une femme riche à millions, vivant toujours au Mexique, mais qui ne supporte plus d’être éloignée de ses enfants. Elle va retrouver Rita et lui demander de convaincre Jessi et ses enfants de rentrer au pays pour vivre chez la « cousine » de Manitas, une certaine Emilia.

Rythmé par les nombreuses chansons, souvent très courtes, composées et écrites par Clément Ducol et Camille, le film est une jolie parabole sur le bien et le mal, la rédemption et la difficulté de vivre tel qu’on se voit. Manitas a été violent, a semé la mort, Emilia veut réparer les dégâts, distribuer du bonheur. Mais c’est la même personne. L’image suffit-elle pour rendre bon ou bonne ? Au spectateur de trouver sa propre réponse.

Film de Jacques Audiard avec Zoe Saldana, Karla Sofía Gascón, Selena Gomez, Adriana Paz

Cinéma - Émotion garantie avec “Le roman de Jim”

Une maman et deux papas. Le film des frères Larrieu questionne sur la famille en dressant le portrait d’un père de substitution parfaitement interprété par Karim Leklou.

Le père parfait existe-t-il ? C’est en creux la question qui jalonne Le roman de Jim, nouveau film des frères Larrieu, adapté d’un roman de Pierric Bailly publié aux éditions P.O.L. Jim, c’est le prénom de ce gamin, élevé par un père de substitution, obligé de céder sa place au bout de quelques années. Un récit d’autant plus bouleversant que l’interprétation de Karim Leklou file des frissons tant il parvient à faire passer sentiments, frustration et résignation par un jeu d’une grande subtilité.

Si le film s’appuie sur le prénom de Jim, c’est avant tout le parcours chaotique d’Aymeric qui est raconté. Élève très moyen, rapidement habitué aux petits boulots de manutentionnaire, ce passionné de photo aime la musique et s’amuser. Mais c’est un grand timide, peu volubile, un suiveur.

L’amour et un presque fils 

C’est ainsi qu’il participe à quelques petits cambriolages à Saint-Claude, ville moyenne du Jura. Il tombe et, après quelques mois de prison, fait plus que profil bas. Il oublie de vivre presque. Comme recroquevillé dans une coquille, à l’abri du monde, des sentiments, de l’émotion. Il faut qu’il rencontre Florence (Laetitia Dosh) pour retrouver un but. Il l’aime. Même si elle est enceinte de 8 mois. D’un autre. Un collègue, marié, simple coup d’un soir de cette femme libre et audacieuse. A la naissance de Jim, ils vivent ensemble et l’enfant sera élevé par une vraie maman et un faux papa. Dans une narration parfaitement maîtrisée, comme souvent chez les frères Larrieu, on est le témoin de cette vie de province, simple et heureuse.

Mais tout lasse, tout passe et quand Jim a un peu plus de 10 ans, Christophe, le véritable père, réapparaît. Assez dépressif. Florence décide de l’héberger temporairement. Mais comment faire et que dire au gamin ? Pendant un temps Jim a trois parents, mais cela ne dure pas.Certaines vérités sont trop lourdes de conséquences.

La suite, inéluctable, fait partie de ces drames malheureusement plus fréquents qu’on ne le croit. Un déchirement pour Aymeric, un crève-cœur pour Jim, de mauvaises solutions pour Florence. Toute la réussite du film réside dans l’absence de pathos, de crises, de larmes. Hormis celles que vous verserez en regardant ce grand film, beau, réaliste et finalement plus optimiste qu’il n’y parait.

Film d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Karim Leklou, Laetitia Dosh, Eol Personne, Bertrand Belin, Sara Giraudeau