lundi 13 février 2023

BD - Religion décalée

Écrit par un Toulousain au drôle de pseudonyme, Ami Inintéressant, et dessiné par Rémi Lascault, le recueil de gags intitulé Genèse et Prozac entend, ni plus ni moins, relire la Bible et le Nouveau Testament, mais sous un angle moins sacré et plus comique. Se moquer de la religion, il faut oser en ces temps de fatwa et autre blasphème si faciles à lancer contre les mécréants rieurs. 

Il y a pourtant matière à se gondoler dans ces maximes si on les interprète à la manière des auteurs. Quand en Égypte, « toutes les eaux du fleuve furent changées en sang », les habitants découvrent que, finalement, c’est du vin. Et Jésus de s’excuser auprès de son père : « Désolé, l’habitude ».

Le même Jésus, bien embêté quand il veut prendre un bain. Comment se laver si l’on reste toujours au-dessus de l’eau ? Il y a même une version manga de la multiplication des pains par Jésus.

Enfin, dans Genèse et Prozac vous aurez la suite de « Prenez, ceci est mon corps (pain), prenez, ceci est mon sang (vin) » : « Ceci est mon pancréas (une aubergine), ma vésicule biliaire (un pilon de poulet) et mes muscles intercostaux (un chapelet de saucisses). »

« Genèse et Prozac », éditions Delcourt, 13,50 €

dimanche 12 février 2023

BD - Chevrotine et sa marmaille

Bien que publiées par Fluide Glacial, les aventures de Chevrotine et de ses enfants n’ont rien de comique. Décalées certes, absurdes souvent, mais pas de gros gags dans cet album imaginé par Pierrick Starsky et mis en images par Nicolas Gaignard.

Le monde de Chevrotine est totalement déjanté. Entre campagne bucolique, teintée de science-fiction avec des extraits de western, c’est un peu un remake de Blanche-Neige et les sept nains, version Massacre à la tronçonneuse. Car Chevrotine, pour nourrir sa marmaille constituée de six enfants, a besoin de viande fraîche. Alors elle va au bord de la rivière et pêche.

Régulièrement, elle sort de l’eau des plongeurs en combinaison. Elle les invite gentiment chez elle, profite d’une nuit d’amour puis les trucide et les découpe en morceaux. Voilà de quoi se régaler pour un bon mois… Dès le premier chapitre, le ton est donné : folie douce et magie cachée. On l’apprendra un peu plus tard, Chevrotine est une sorcière très peu appréciée de ses voisins. Un peu plus de Mouillette, le facteur livreur de colis.

On croise aussi dans ces pages dessinées par Gaignard dans un style semi-réaliste d’une grande délicatesse (avec parfois des réminiscences de Moebius) un cosmonaute en panne, des tueurs à gages et des poètes vagabonds. Un univers foisonnant qui fait aussi parfois penser aux mondes improbables de Fred, le créateur de Philémon, version sage et posée de la redoutable Chevrotine.

«Chevrotine», Fluide Glacial, 16,90 €


De choses et d’autres - Stratégies d’évitement

En décembre dernier, donc, la France se mesurait au Maroc en demi-finale de la coupe du monde de football au Qatar. A l’heure où j’ai écris ces lignes, je ne connais pas le résultat. Facile, car le match n’a pas commencé. Il fut un temps où le foot et certains sports (le rugby ou la Formule 1) m’intéressaient un peu. J’aimais l’incertitude, la surprise. Pour cela, rien ne vaut le direct.

Mais à cause de mon métier, souvent, les soirs de matches ou les dimanches après-midi, lors d’un grand prix, je travaillais. Au journal. Avec dépêches d’agences en direct et parfois télé allumée. Pour profiter de l’événement, comme en direct, je programmais le magnétoscope (on parle d’il y a une vingtaine d’années) et utilisait de nombreuses stratégies d’évitement pour ne pas connaître le score final, au moment du visionnage, quelques heures plus tard, de retour à la maison. Pas toujours facile. Mais faisable.

Par chance, je ne me passionne plus du tout pour le sport. Mieux vaut pour moi, car désormais il est plus compliqué de rester déconnecté. Samedi dernier, par exemple, pendant que près de 18 millions de personnes regardaient le match contre l’Angleterre, en direct, j’étais en train de profiter des derniers épisodes de Mercredi, la série géniale de Tim Burton, sur Netflix. Mais, à plusieurs reprises, mon téléphone a bipé. Pour donner le score à la mi-temps ou le nom des buteurs. Si j’y jette un œil, terminé le suspense.

De toute manière, à la fin, les explosions des feux d’artifices et quelques klaxons dans la rue m’ont clairement indiqué qui l’avait emporté. Alors hier, la France ou le Maroc ? Vous ne l’apprendrez pas en lisant ces lignes et en toute vraisemblance, vous le savez déjà.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 15 décembre 2022

Polar - La musique bretonne n’adoucit pas les mœurs

Après le Groenland, Mo Malø, écrivain français, signe une nouvelle série de polars ayant pour cadre la ville de Saint-Malo. Bienvenue chez les Corrigan !


Changement radical de latitude et de style pour Mo Malø, romancier français. Après avoir signé des thrillers assez durs se déroulant au Groënland (Nuuk, Summit, Éditions de la Martinière), il se lance dans la rédaction de romans policiers plus ludiques ayant pour cadre la ville de Saint-Malo.

Le lecteur amateur d’énigmes policières va pouvoir découvrir le trio de la Breizh Brigade, groupe informel d’enquêtrices. Maggie, Louise et Enora Corrigan sont de la même famille. Maggie, l’ancêtre, va fêter ses 70 ans. Louise est sa fille, institutrice et Enora la petite-fille, élève vétérinaire. Elles se retrouvent régulièrement au Manoir des Corrigan, une belle demeure transformée par Maggie en maison d’hôtes. Durant ce week-end de juillet, la ville est très animée car un festival de musique y est organisé.

Quand le joueur de cornemuse du Briac Breizh Bagad est découvert mort dans une chambre d’hôtel, la Breizh Brigade décide de tirer l’affaire au clair. D’autant que le musicien, une sommité dans sa branche, était l’ancien amant de Maggie. Et qu’elle lui a rendu visite quelques minutes avant l’heure supposée de l’assassinat.

Vous allez vite adorer ces trois femmes, aux tempéraments radicalement différents mais complémentaires dans leurs investigations. Maggie, d’origine irlandaise, autoritaire, bouffe la vie à pleines dents en collectionnant les amants. C’est elle qui mène la danse avec sa canne à pommeau d’argent. Louise, effacée, timide, toujours amoureuse de son mari malgré un divorce datant de 18 ans, apporte un peu de calme au trio. Enora enfin, à peine 20 ans, a la fougue de la jeunesse, osant dépasser bien des limites pour mettre en difficulté des suspects.

Un premier roman qui donne aussi l’occasion de découvrir le milieu de la musique bretonne, ses morceaux de bravoure, son enthousiasme et ses secrets parfois bien cachés.

Et si les Corrigan vous plaisent, rassurez-vous, un second titre est annoncé pour le 6 avril.

« La Breizh Brigade, bienvenue chez les Corrigan ! » de Mo Malø, Les Escales, 15 €

samedi 11 février 2023

BD - Les filles de Nocéan, engagées pour un meilleur avenir

Originaire de Sabadell, Efa fait partie de cette génération surdouée de dessinateurs catalans partis à la conquête de la BD franco-belge. Après avoir travaillé sur la série multiple et transverse Alter Ego, il décide de voler de ses propres ailes. Il signe scénario et dessins du premier tome de la série Nocéan.

Un univers de science-fiction, tendance catastrophe écologique. Dans un futur proche présenté en quelques pages en préambule, la pollution des mers a eu raison de toute vie dans les océans. C’est devenu le Nocéan, vaste désert où plus rien ne peut survivre. Un Nocéan en expansion, qui submerge les villes côtières.

Les États ont abdiqué, ce sont les grandes entreprises qui gèrent la crise. Avec la prime aux plus riches qui sont en hauteur, protégés par des digues et abreuvés d’eau potable en quantité. Les classes sociales défavorisées tentent de ne pas mourir de faim et de soif dans un univers dominé par la violence. Celle des gangs mais aussi des polices privées, véritables bras armés de la dictature commerciale.

Atari est une jeune fille de 16 ans. Elle vit chez sa mère adoptive. Quelques années auparavant, elle a vu sa mère se faire assassiner par la police. Juste car elle voulait fuir ce monde invivable. Atari, rebelle dans l’âme, voudrait prendre la relève. Elle va tenter de rejoindre l’opposition, menée par le groupe clandestin dit de La Goutte. Atari va au passage recevoir l’aide de Tika, plus jeune mais encore plus engagée pour changer la société. Un récit au long cours prometteur, permettant de remettre en perspective les actions des « éco-terroristes » actuels.

«Nocéan», Dupuis, 14,95 €


BD - Au boulot, Boulard !

En imaginant la communauté des Profs, Erroc ne se doutait sans doute pas qu’il allait créer un des personnages de BD les plus populaires chez les jeunes lecteurs. Si Boulard, le cancre absolu (pire que Ducobu, c’est dire) a tant de succès, c’est sans doute car on a tendance à beaucoup se reconnaître dans cette figure d’ado attardé, fainéant, profiteur et.. si cool.

Boulard qui s’est émancipé, a sa propre série, d’abord dessinée par Mauricet et reprise par Stédo. Boulard toujours lycéen, mais quasiment adulte. Dans le précédent recueil de gags, il tentait d’emménager avec sa copine Chloé. Un nouvel échec et au grand désespoir de sa famille, Boulard retourne vivre chez ses parents, mais sans quitter Chloé.

Ce thème de la cohabitation entre générations occupe une bonne partie de l’album, mais le cœur de ces 44 planches porte aussi, et surtout, sur les vaines tentatives de Boulard de décrocher un petit boulot pour subvenir aux besoins de sa petite famille et enfin retrouver son autonomie. D’homme sandwich à promeneur d’animaux en passant par livreur, veilleur de nuit ou boosteur de ventes, il fait montre d’un brio à toute épreuve pour être viré au bout d’une journée, voire quelques heures ou minutes dans les cas les plus dramatiques.

Humour simple, allant droit au but, sans vulgarité, compréhensible par tout le monde : Erroc est un excellent gagman sachant exploiter un sujet tout en restant original. Et la dernière planche, savoureuse, nous donne le thème du prochain album. Boulard n’est pas prêt d’arrêter de nous faire rire.

«Boulard» (tome 9), Bamboo, 11,90 €

BD - Marsupilami, un sacré animal à redécouvrir

Auteur allemand ayant déjà proposé sa vision des aventures de Spirou (Spirou à Berlin, éditions Dupuis), Flix fait un nouveau détour dans l’univers imaginé en grande partie par Franquin en dessinant une aventure du marsupilami. L’animal aux pouvoirs incroyables et à la queue encore plus extraordinaire, aurait été découvert au début du XIXe siècle par Alexander von Humboldt lors d’une expédition dans la jungle de Palombie.

Un savant loufoque, qui est souvent à côté de la plaque mais qui va finalement parvenir à ramener un spécimen vivant en Allemagne. Plongé dans une longue léthargie, le marsupilami se réveille en 1931 à Berlin et va découvrir ce pays froid (on est en hiver, il neige), de plus en plus sous la coupe d’un pouvoir autoritaire et répressif. Par chance il va recevoir de l’aide de la part de la petite Mimi, une fillette de 7 ans. Elle vit seule avec sa maman, dans la misère et aimerait tant avoir un animal de compagnie.

Avec le marsupilami elle est gâtée et Flix va lui permettre de tester toutes les possibilités de l’animal dans des scènes bourrées d’action et de malice. Un animal exotique rapidement malheureux, sa jungle lui manque. Mais comment une fillette de 7 ans peut-elle permettre à son petit ami de retrouver son nid ?

Une jolie histoire, avec un bon fond historique, sur la montée du nazisme en Allemagne et les découvertes d’Alexander von Humboldt, visionnaire encore trop méconnu aujourd’hui.

« L’animal de Humboldt », Dupuis, 14,95 €

vendredi 10 février 2023

BD - Entendez-vous la meute dans les bois ?

Un loup dans les bois du Limousin ? Un danger pour la population ? Ou un danger pour le loup ? La meute, remarquable roman graphique écrit par Cyril Herry et illustré par Aude Samama se garde bien de donner une réponse claire et nette. Les auteurs se contentent de raconter les faits.

150 pages en couleurs directes où différents points de vue s’expriment. Certains sont effectivement au cœur de l’intrigue. D’autres ne savent rien mais amplifient la machine à rumeurs.

Et puis il y a les innocents comme Amandine. Une petite fille malheureuse. Elle vit seule avec sa mère depuis que son papa est parti avec une autre maman. Elle aimerait avoir une nouvelle poupée, mais elle est trop chère. Elle pleure et se fait gronder par la maîtresse car sa mère est en retard. Elle voudrait partir. Loin. Et quand la fillette entend les grands parler de la mort, elle se demande si ce n’est pas la solution : « Amandine songe à mourir. Ce serait sûrement moins compliqué que de s’en aller toute seule, elle ne sait où. Elle se demande malgré tout si ça fait mal. Il faudrait essayer. Il n’y a que de cette façon qu’Amandine saurait. »

Au centre de l’intrigue, il y a la fugue de deux adolescents. Un garçon et une fille, qui ont d’excellentes raisons de quitter le foyer familial pour trouver refuge au cœur de la forêt. Dans ces bois où des loups seraient à l’affût. Des moutons sont retrouvés morts. Les deux jeunes vont-ils eux aussi périr sous les crocs. À moins qu’ils ne soient finalement plus en sécurité près de la meute animale que de celle formée par les humains.

Un livre et une histoire qui ne laissent personne indifférent. Car en plus d’Amandine et des fugueurs, les auteurs mettent en scène quantité d’hommes et de femmes tout ce qu’il y a de plus banals, de l’infirmière au tenancier de café en passant par l’agriculteur ou la retraitée acariâtre. Une galerie de personnages dans laquelle on ne peut qu’un peu se reconnaître en partie.

«La meute», Futuropolis, 22 €


BD - Les destins contrariés de « Monsieur Apothéoz » et de ses connaissances


Théo est persuadé qu’il est victime d’une malédiction. Son nom lui porte malheur. Théo Apothéoz, comme son père et son grand-père, ne parvient pas à trouver sa place dans notre société. Des destins brisés. Ce roman graphique écrit par Julien Frey et dessiné par Dawid est foisonnant et plein de surprises. Tout débute par l’enfance de Théo. Dans cette petite ville de province, son père, installé comme boulanger, parvient à survivre malgré un alcoolisme destructeur.

Théo, lui, est amoureux de Camille. Une jeune fille qui joue du violon. Mais après un coup du sort (la malédiction des Apothéoz…), Théo et son père déménagent vers la grande ville. C’est là qu’il vivote de petits boulots dans un appartement hérité d’une tante. Se morfondant après la perte de son amour de jeunesse.

La rencontre avec un auteur de livres en développement personnel va lui donner l’occasion de reprendre sa vie en main. Même si le destin, souvent est cruel et la malédiction contagieuse. Une histoire entraînante, des rebondissements en pagaille, des amitiés fortes, une amour puissant : Monsieur Apothéoz est le prototype du scénario très élaboré et cependant coulant de source.

Le dessin de Dawid est tout en délicatesse. Pinceau léger et couleurs délavées donnent un ton primesautier à cette BD pourtant assez sinistre par bien des sujets abordés.

«Monsieur Apothéoz», Vents d’Ouest, 19 €


BD - Une fin du monde coincée entre « Les murailles invisibles »

Si les scénarios pour la fin de notre monde moderne ne manquent pas, certains auteurs de BD continuent à réfléchir pour en imaginer de nouveaux. La palme pour cette année 2023 revient à Alex Chauvel, scénariste de la série Les murailles invisibles dessinée par Ludovic Rio. Pas d’invasion zombie ni de catastrophe climatique. Encore moins d’apocalypse nucléaire.

Tout débute du jour au lendemain quand des murailles invisibles fractionnent le monde en millions de petites zones géographiques autonomes. Ce moment clé, on le vit avec Lino. Un jeune homme moderne. 

Il est à l’aéroport, travaille dans les nouvelles technologies. Son téléphone se coupe d’un coup d’un seul et il voit dans la foulée un avion gros-porteur s’écraser contre une de ces murailles invisibles. On le retrouve trois mois plus tard, en train de fuir dans la ville devenue jungle urbaine, tentant de préserver son butin du jour, une boîte de pêches au sirop.

C’est là qu’il va croiser l’expédition menée par Asphanie. Elle vient d’une autre zone, sait franchir les barrières. Cela fait des années qu’elle a connu le grand bouleversement, car le temps ne s’écoule pas de la même façon dans les différentes enclaves.

Récit survivaliste humaniste, Les murailles invisibles s’offrent de plus le luxe d’une pagination ample, le premier volume s’étendant sur 90 pages. Le dessin, réaliste sans être trop versé sur l’anatomie, est d’une remarquable efficacité. Et le suspense du récit fonctionne lui aussi à merveille.
«Les murailles invisibles» (tome 1), Dargaud, 17 €