dimanche 21 février 2016

Roman : Le quatrième âge, ce condensé de méchanceté

Armand est méchant. Le héros de "Hospice &  Love", roman de Thiébault de Saint-Amand, à 85 ans passés, à plus d'une entourloupe dans sa besace.
Thiébault de Saint-Amand, hospice, love, hugoLa fin de vie est au centre de ce roman iconoclaste. Si l'on vit de plus en plus vieux en France, parfois les dernières années des membres du quatrième âge ne sont pas très gaies. L'action se déroule en 2024. Armand Bouzies, ancien commissaire de police, 85 ans et toujours bon pied bon œil, l'apprend à ses dépens. Placé dans une maison de retraite spécialisée par sa fille partie se relancer professionnellement à Singapour, il comprend vite que cet 'établissement collectif de séjour pour personnes dépendantes' de Nogent-le-Rotrou est un vulgaire mouroir. Terminées les sorties en goguette, les journées en pyjama et la belle vie. Sa chambre, double, a tout l'air d'une cellule. Il tombe de haut mais ce vieux monsieur foncièrement méchant ne se laisse pas abattre. La première partie du roman le montre à la manœuvre pour dégoûter ses colocataires. Trois en quelques semaines. Pour conserver sa tranquillité, il n'hésite pas à les pousser au suicide. Pas grave : ce n'est qu'avancer l'inéluctable de quelques jours ou semaines...
Se faire la belle
Avouons-le, difficile d'avoir la moindre once de sympathie pour cet octogénaire qui maltraite les alzheimers et se fait un petit pécule en trafiquant les médicaments, histoire d'avoir de quoi venir le jour où il s'enfuira. Car le but ultime de l'ancien flic est de se faire la belle. Une sacrée crapule décrite par Thiébault de Saint-Amand. Comment transformer cette charge contre les mouroirs inhumains en roman émouvant et sensible ? Il suffit de faire intervenir une nouvelle pensionnaire : Elizabeth. 83 ans, mais une distinction et une grâce intacte, malgré la perfusion qu'elle trimbale partout. Armand en tombe raide dingue amoureux. De l'amour fou, de celui qui frappe les adolescents acnéiques. Armand va-t-il changer ? Pour Elizabeth il va s'adoucir, mais n'abandonne pas ses envies de cavale. Au contraire il embringue Elizabeth dans l'affaire. Les voilà partis tous les deux vers la côte Normande pour une ultime lune de miel à Deauville. Même si parfois le tête à tête langoureux se transforme en séances de pleurs pour Elizabeth. "A un certain âge, on souffre d'un trop-plein de vie", avoue la vieille dame qui accepte enfin de se confier sur son passé professionnel. Armand n'en reviendra pas (le lecteur non plus) et cela amplifiera son amour. Entre rires grinçants et mélodie sentimentale, maladies dégénératives et personnel soignant déshumanisé, le roman est parfois un peu déstabilisant. Pourtant, l'auteur à force de coups de théâtre et de surprises, va au bout de sa démonstration avec un final très brillant.
"Hospice & Love" de Thiébault de Saint Amand, Hugo, 17 euros.

samedi 20 février 2016

Paradoxe parisien

A chacune de mes courtes escapades à Paris, je sacrifie au rituel du café en terrasse. Le plaisir de siroter un "petit noir" en observant cette faune incroyable de la capitale pour le provincial que je resterai toujours.
D'ordinaire, il faut jouer des coudes pour trouver une place. Le froid combiné au souvenir encore présent du 13 novembre semblent avoir rebattu les cartes. Par contre, ce qui n'a pas changé c'est le prix prohibitif de ces quelques centilitres de nectar odorant. Entre trois et quatre euros, le "kawa" devient un véritable luxe.
Comme de bien entendu, j'en profite pour en griller une sous les convecteurs à gaz tournant à plein régime. Je demande un cendrier à la serveuse. "Désolée, la mairie de Paris nous a interdit les cendriers. Il paraît qu'ils peuvent se transformer en projectile en cas de bagarre." Face à mon air interloqué elle continue "Jetez votre mégot par terre, je passerai le balai... »
Paris sera toujours aussi paradoxal. Si un cendrier peut se transformer en arme, alors pourquoi continuer à servir des bières pression dans des chopes encore plus "contondantes" qu'un petit cendrier si elles sont lancées avec détermination et dextérité. Cette décision ne serait-elle pas plutôt destinée à ostraciser encore plus les fumeurs ? Car la municipalité a également décidé de verbaliser les jets de mégots sur la voie publique. 68 euros le PV. Mais en l'absence de cendriers, que faire du reste de sa cigarette ? Suggestion : que chaque paquet "neutre" soit équipé d'un cendrier portatif.

Cinéma : Faire son deuil avec lenteur dans « Ce sentiment de l’été »


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Un beau matin d'été. Un jeune couple se réveille. La femme se lève. L'homme se rendort. Sasha part travailler. Lawrence (Anders Danielsen Lie, photo) reste au lit. Ils vivent à Berlin. Elle traverse une partie de la ville, va à son atelier et une fois son labeur terminé, rentre chez elle. En chemin, au milieu d'une pelouse, elle s'écroule. Cinq jours plus tard, Sasha est morte. Lawrence débute son long travail de deuil.


Film sur la mort, le chagrin et la renaissance, « Ce sentiment de l'été » de Mikhaël Hers impose rapidement son rythme, ses silences, son image. Voyage introspectif dans l'âme des survivants, il décortique ce sentiment d'absence quand un être cher part. Car Sasha est morte à 30 ans. Sans avoir réalisé ce qu'elle rêvait, seule et avec l'homme qu'elle aimait. Un amour réciproque. Lawrence est comme perdu, absent, comme abandonné. Heureusement les parents de Sasha prennent la paperasse administrative en main. Aux obsèques, une simple soirée à discuter de la morte, il y a aussi Zoé (Judith Chemla), la jeune sœur de Sasha. Elle lui ressemble énormément. Trop pour Lawrence qui ne peut s'empêcher de la revoir sous ses traits. Une année plus tard, on retrouve Zoé à Paris. Elle vit désormais seule, élevant tant bien que vaille son fils. Lawrence vient passer quelques jours, il se rapproche de Zoé avec pour seul sujet de conversation Sasha. L'un comme l'autre vivent encore dans le souvenir de la morte. La troisième partie se déroule à New York. Lawrence, Américain, est revenu chez lui. Il aide sa soeur dans un magasin d'antiquités. Il commence à sortir la tête de l'eau. Toujours en plein été, Zoé arrive. Ils vont encore mieux apprendre à se connaître et s'entraider pour définitivement tourner la page. Ce film, d'une grande tendresse, loin d'être triste, est en réalité une ode à la vie. La mort a touché Lawrence et Zoé. Mais ne les a pas coulés. Il faut du temps pour colmater les brèches. Une fois les peines du cœur réparées, la navigation peut reprendre.

vendredi 19 février 2016

DE CHOSES ET D'AUTRES : Accident de personne

"Accident de personne". L'annonce claque comme un coup de feu dans le wagon du TGV à destination de Paris. À 20 minutes de mon arrivée gare de Lyon ce mercredi. Le train ralentit et s'immobilise dans un tunnel. Pas de chance pour les voyageurs qui doivent prendre une correspondance. Pas de chance non plus pour le pauvre bougre qui s'est jeté sous la locomotive à l'entrée de Maison-Alfort. Après cinq heures de cohabitation polie, les langues se délient, en même temps que les bouteilles d'eau distribuées par les contrôleurs. Les deux petites filles assises en face de moi, des jumelles de six ans (Selena et Cyann) ont été très sages mais cet arrêt intempestif les perturbe.
Leur mère tente d'expliquer. "Un monsieur s'est fait percuter par un train". "Ça veut dire quoi percuter, maman", interroge la plus curieuse. L'une des fillettes compatit pour le monsieur ("Il est mort alors ?") alors que l'autre ne comprend pas pourquoi on reste arrêté : "On le met à côté et le train repart !" Le monde des enfants est si simple... La maman s'oblige à préciser : "Il faut que les pompiers et la police viennent d'abord". Le TGV redémarre. Juste pour sortir du tunnel.
"On va repartir maman ?" demandent au moins trente fois les jumelles à tour de rôle durant les deux heures d'immobilisation. Dans vingt ans, elles ne se rappelleront plus de ces deux longues heures d'attente. Elles feront toujours Perpignan-Paris en train. Encore plus vite grâce à la nouvelle ligne à grande vitesse. Moi, je me souviendrai toujours de ce désespéré qui a préféré finir sa vie sur ces rails funestes.

jeudi 18 février 2016

BD : Double dose de nostalgie



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En se lançant dans l'historique des éditions Dupuis et de son navire amiral le journal de Spirou, Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault ne se doutaient pas que ce travail serait titanesque. Passionnant aussi. C'est véritablement l'histoire de la BD franco-belge qui est retracée dans ce second volume de plus de 330 pages très richement illustré. Après la guerre et la clandestinité, Spirou retrouve son rythme de parution hebdomadaire. Le héros est toujours animé par Jijé, mais il a décidé de passer la main à un petit jeune plein d'avenir: André Franquin. Ces années d'apprentissage sont aussi le fondement de l'école de Marcinelle. Jijé, le « maître », héberge chez lui et forme trois petits apprentis : Will, Morris et le discret Franquin. Une entente tellement forte qu'ils partiront avec armes et bagages tenter leur chance aux USA. Un périple conté dans la BD de Yann et Schwartz « Gringos locos ». Grâce à ce volume, on connait la suite de l'aventure. Tout le monde s'ainstalle à Mexico pour quelques mois puis l'entente se fissure, Morris part à New York, Franquin revient en Belgique. A partir de 1950, ces dernier deviendra le pilier de la revue, multipliant les animations. Les brouilles avec les patrons aussi.
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Ce second volume se termine en 1955, année où Jidéhem devient assistant de Franquin. Jidéhem qui est aussi l'auteur de Sophie, série enfantine qui obtient enfin une réelle reconnaissance avec la parution de l'intégrale de ses histoires courtes ou longues. Le tome 4 regroupant la production des années 1972 à 1978 vient de paraître. On retrouve le trait précis et élégant d'un dessinateur trop souvent resté dans l'ombre.
« La véritable histoire de Spirou » (tome 2), Dupuis, 55 euros
« Sophie, l'intégrale » (tome 4), Dupuis, 32 euros

mercredi 17 février 2016

BD : Vengeance acérée


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L'histoire débute comme une aventure presque classique. En 1983, trois Européens se rendent sur un petit archipel indonésien pour y réaliser un documentaire sur la pêche traditionnelle. Léo, sa femme Isa et leur ami Bernard sont des militants écologiques avant l'heure. Ce film permettra de dénoncer l'exploitation excessive des ressources halieutiques. Les locaux pêchent à l'explosif, tuant toute vie dans le lagon, les coraux aussi. Léo est le plus engagé, le plus vindicatif. Sa femme Isa profite plus du cadre. Enceinte de sept mois, elle se baigne avec plaisir dans les eaux turquoises, filmant les tortues Luth. Mais alors qu'elle se baigne dans le lagon, un immense crocodile de plus de six mètres de long, n'en fait qu'une bouchée. Le roman graphique, de balade au soleil et plaidoyer écologique, se transforme en drame puis en vengeance redoutable. Léo va tenter de tuer le monstre. En vain. La suite de l'histoire se déroule de nos jours. Léo, est de retour sur l'île. Il vient solder ses comptes. La vengeance n'en sera que plus acérée. Stéphane Piatzszek écrit un scénario alternant beauté des lieux, analyse politique (montée de l'intégrisme islamique, indépendance larvée) et intrigue quasi policière. Le tout est dessiné par Jean-Denis Pendanx en couleurs directes. Les trois planches finales, après une incroyable montée de la tension, sont de véritables tableaux. A ne pas manquer.
« Le maître des crocodiles », Futuropolis, 20 euros

mardi 16 février 2016

DE CHOSES ET D'AUTRES : La beauté du sport

aurier, blanc, psg, foot, fiotteDepuis longtemps, les exploits des footballeurs me laissent indifférent. Exploits sportifs j'entends. Car pour le reste, j'avoue ma faiblesse face à leurs multiples écarts de conduite. De l'affaire Zahia à la fameuse sextape de Valbuena (doublée de la suspicion de chantage reprochée à Benzema), ces infatigables travailleurs du pire alimentent régulièrement la rubrique faits divers.
Et quand on croit avoir touché le fond, il se trouve toujours un petit rigolo pour en remettre une couche. Je n'avais jamais entendu parler de Serge Aurier, défenseur du Paris Saint-Germain, avant-hier matin. Mais il entre avec fracas dans le club des sportifs qui gagneraient à jouer à la baballe plutôt que de l'ouvrir. Le fameux Serge Aurier, sur une plateforme de vidéo en ligne très appréciée des jeunes, répond aux questions des internautes en direct. Inconscience ou provocation ? Au lieu de la tourner sept fois dans la bouche, il ignore la langue de bois. Laurent Blanc ? "une fiotte", Zlatan ? "Une gentille bête", le goal Sirigu ? "Il est guez" (comprendre nul.) En résumé, un coéquipier de rêve. Cependant, comme toujours sur internet, quelques vigies bienveillantes enregistrent la séquence et la rediffusent à tire-larigot.
Conséquence, Serge Aurier tente le coup du démenti, il se pose en victime d'un trucage vidéo et sonore. Malheureusement pour lui, si l'arbitrage vidéo n'a toujours pas droit de cité sur les terrains de foot, dans la vraie vie, il reste un moyen très prisé pour faire comprendre à un malotru qu'il est allé un peu trop loin.

lundi 15 février 2016

BD : Contes des indiens Jivaros



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Les Jivaros, tribus d'Indiens d'Amazonie, ont longtemps été associés à leur pratique de réduction des têtes. Vous ne trouverez pas une seule allusion à cette pratique dans « Anent », reportage dessiné d'Alessandro Pignocchi. Ce jeune chercheur en sciences cognitives, a fait de fréquents séjours en Amazonie au cœur de la forêt. Il aime particulièrement dessiner la faune locale. Sa vision de la région change quand il découvre « Les lances du crépuscule », livre témoignage de Philippe Descola paru à la fin des années 70. Cet ethnologue, élève de Lévi-Strauss, a passé trois années en immersion dans une tribu Achuar. Alessandro a dans un premier temps de réaliser un documentaire sur ces Indiens et leur évolution par rapport à la description de Descola. Ce sera finalement un album de BD, entièrement réalisé à l'aquarelle. Pignocchi se met en scène, quand il est jeune et ne connait pas l'existence des Achuar, puis ses séjours à la recherche des descendants des héros des « Lances ». L'occasion aussi de tenter de recueillir d'autres « Anent », ces chants sous forme de contes que les chasseurs interprètent avant de tuer leur gibier. Un peu ardu au début, le roman graphique devient passionnant au fur et à mesure que l'auteur se rapproche des ces Indiens, menacés mais encore très conscients de leurs traditions. Ces 160 pages donnent envie d'aller sur place. Chance, l'auteur donne en fin de volume tous les contacts pour passer quelques jours à Numbaïme ou Napurak.
« Anent », Steinkis, 20 euros


dimanche 14 février 2016

BD : L'éternel retour de Clifton


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Ce cher colonel Clifton est de retour. Imaginé par Raymond Macherot dans une de ses rares incursions dans la BD classique, lui qui brillait tant dans le style animalier, ce vieux garçons britannique, membre des services secrets, était l'antithèse de James Bond. Une sorte d'Hercule Poirot (pour les moustaches), doublé d'un John Steed (pour la classe et les parapluies). Une première apparition avant le succès du au talent de Turk et De Groot. Les créateurs de Robin Dubois et de Léonard, ont fait leurs armes avec une dizaines d'albums de Clifton. La série relancée a ensuite été reprise par Bédu puis Rodrigue. Un héros fatigué, disparu depuis près d dix ans. Mais il en fut plus pour faire la peau à ce pilier du catalogue du Lombard. Une nouvelle fois c'est Zidrou qui s'est chargé de refaire vivre cet univers si spécifique. Et pour assurer un lien avec le passé, Turk revient au dessin. « Clifton et les gauchers contrariés » se déroule entièrement en Angleterre. Le héros est contacté par la Lala (Ligue des assureurs londoniens et anglais) pour enquêter sur une inquiétante épidémie. Des conducteurs de sa gracieuse majesté, british pur jus, décident sans aucune raison, de conduire à droite. Résultat une multiplication des accidents et donc des bénéficies en baisse pour des assureurs présentés comme de sacrés grippe-sous. La conduite à droite, invention de Napoléon selon le scénariste, peut-elle mettre en péril toute la Grande-Bretagne ? Avec force de références aux clichés les plus comiques de l'art de vivre anglais, l'album alterne avec bonheur gags et scènes de cascades. Un retour particulièrement réussi, dans l'esprit des précédents albums ce qui est assez rares en ces temps de chamboulement complet (remember Bob Morane ou Ric Hochet...)
« Clifton » (tome 22), Le Lombard, 10,60 euros



DE CHOSES ET D'AUTRES : Vertus de la solitude

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Pour la Saint-Valentin, si par malheur vous êtes seul, plongez-vous dans ce petit livre de Maïa Mazaurette. En écrivant un guide subversif sur 'L'art du célibat', elle devrait donner un peu de baume au cœur aux délaissés de la fête des amoureux.
En 150 pages denses et joliment illustrées, elle énumère toutes les bonnes raisons de vivre seul, un jour, une semaine voire une vie. Pour vous donner une idée du ton du livre, voilà les quelques-uns des avantages qu'elle trouve à être seul chez soi : "Avoir la pizza de la veille à portée de main quand on passe son week-end dans son canapé. Découvrir plus d'activités nouvelles. Notamment, passer encore plus de temps sur Facebook."
Tous les aspects pour accéder au statut de célibataire sont passés à la moulinette, de comment se rendre invivable à une liste de phrases de rupture. Sans oublier l'essentiel : "Comment se faire passer pour une victime et garder tous ses amis ?"
Bref un guide du savoir-vivre dans son coin sans rien devoir à l'autre. Et encore une fois : Bonne Saint-Valentin !
'L'art du célibat', Jungle, 9 €