« Marra Sketch », Les Presses Littéraires, 108 pages, 18 €
Quelques chroniques de livres et BD qui méritent d'être lus et les critiques cinéma des dernières nouveautés. Par Michel et Fabienne Litout
mardi 5 mars 2024
Un livre voyage : Marra Sketch
lundi 4 mars 2024
Un livre jeunesse : Le prince tigre
C’est le cas de l’album Le prince tigre, récemment réédité. Les hommes ont tué les petits d’une tigresse. Désespérée, elle se venge tous les soirs en attaquant des villages. Pour arrêter le carnage, le roi doit lui donner son seul enfant, un fils, le prince.
Le petit homme va prendre la place des petits animaux, calmer la mère en souffrance et apprendre les secrets de la forêt. Un conte humaniste à lire aux enfants dès 6 ans.« Le prince tigre », L’École des loisirs, 44 pages, 7 €
dimanche 3 mars 2024
BD - Johann Ludwig Burckhardt et Pétra
La vie de certains explorateurs est édifiante. Celle de Johann Ludwig Burckhardt, Suisse, est tellement extraordinaire qu’elle a donné lieu à ce roman graphique écrit par Danièle Masse et dessinée par Alexis Vitrebert. Burckhardt quitte la Suisse pour tenter de trouver du travail en Angleterre. Mais le royaume est en pleine crise, affamé par le blocus imposé par Napoléon.
Ce fervent Chrétien décide de se mettre au service de l’Association africaine. Une entité qui veut découvrir de nouvelles routes dans le continent africain. Pour favoriser le commerce et contrer l’avancée des Français. Burckhardt se retrouve, de fait, espion au service des Anglais. Il veut aller en Égypte, explorer la Libye, traverser le Sahara. Il va devoir se travestir en Cheikh Ibrahim Ibn Abdallah, marchand indien. Il apprend l’arabe, étudie le Coran et commence son long travail d’infiltration. Le Liban, la Syrie, la Jordanie…Il explore la région, découvre des merveilles, renseigne les Anglais. C’est en 1812 qu’il retrouve la cité oubliée de Pétra. Il va finalement parvenir à rejoindre l’Égypte, tenter de retrouver la source du Niger. Un périple au cours duquel il fera une nouvelle découverture archéologique essentielle : le temple d’Abou Simbel.
Paradoxalement, cette partie de sa vie n’est pas la plus développée dans la BD. Les auteurs ont préféré se concentrer sur sa vie spirituelle. Au contact des musulmans, il va comprendre les pays traversés, jusqu’à aller faire le pèlerinage de la Mecque. Ce sera le premier Occidental. Des voyages éprouvants, au point qu’il mourra d’épuisement et repose depuis au Caire.
« L’Espion d’Orient », Delcourt, 160 pages, 19,99 €
samedi 2 mars 2024
BD - Parcours de migrant dans "Ce que je sais de Rokia"
Trop souvent la crise des migrants se résume à une litanie de chiffres. Combien meurent en traversant la Méditerranée, combien parviennent à rejoindre la France, combien sont renvoyés sans ménagement dans leur pays… Ce que je sais de Rokia, témoignage de Quitterie Simon dessiné par Francesca Vartuli aborde la problématique en ne parlant qu’un cas, celui de Rokia.
A La Rochelle, Marion veut s’engager pour aider les migrants mineurs en situation irrégulière. Avec son mari et ses enfants, elle veut accueillir un jeune isolé et sans abri. Ce sera Rokia. Elle serait originaire du Liberia, à 19 ans, est arrivée il y a un peu plus d’un an en Italie après une traversée de la Méditerranée au départ de la Libye. Elle va de famille d’accueil en famille d’accueil, apprenant le français, attendant une éclaircie côté papiers. Marion, autrice, va tenter de fendre la carapace de Rokia. Mais c’est compliqué. La jeune fille est très repliée sur elle-même, souvent mutique.Première victoire, Rokia décide de rester chez Marion. Et cette dernière va lui trouver un objectif : devenir chocolatière. Quelques mois de bonheur et tout s’écroule. Une convocation à la gendarmerie. L’expulsion, vers l’Italie, est de plus en plus probable.
Le récit, dessiné dans de superbes couleurs par une jeune artiste italienne, montre le côté implacable de l’administration française. Police et gendarmerie appliquent les lois à la lettre, sans se poser de question ni examiner le statut particulier de la jeune femme. Marion recevra par chance beaucoup de soutien dans son combat pour permettre à Rokia de rester en France dans un premier temps puis de bifurquer vers une autre solution.
De La Rochelle à Menton en passant par les vallées protégées du piémont pyrénéen, c’est à une belle épopée que le lecteur est convié, avec son lot de déceptions de rebondissements et aussi d’élan d’humanité.
« Ce que je sais de Rokia », Futuropolis, 176 pages, 23 €
vendredi 1 mars 2024
BD - Cuba, la révolution et la mafia
Comment Fidel Castro a pris le pouvoir à Cuba ? La réponse est dans ce très gros roman graphique (250 pages) des Québécois Michel Viau et Djibril Morissette-Phan. Havana Connection, pour raconter la révolution castriste, adopte la vision d’un Canadien qui était aux premières loges. Un Canadien célèbre : Lucien Rivard.
En 1956, alors que le dictateur Batista, appuyé par les USA, règne sur l’île, la mafia est persuadée que ce pays à quelques heures de la Floride peut devenir le nouveau Las Vegas. Lucien Rivard débarque à la Havane avec le titre de patron d’un cabaret. En réalité, c’est un sous-marin de la mafia, chargé d’ouvrir un casino pour blanchir l’argent sale et faire transiter la drogue en provenance de la French Connection. Il a également un petit business de trafiquant d’armes.
Le lecteur vit les soubresauts de l’insurrection par l’intermédiaire de Lucien et d’un de ses employés au bar. Lucien qui n’approuve pas les méthodes très violentes de Batista. Mais il est obligé de les tolérer pour ne pas se mettre la mafia américaine à dos. Il va rééquilibrer son karma en vendant des armes aux révolutionnaires menés par Castro. Un roman graphique historique qui se lit comme un polar. Même si on connaît la fin.Une copieuse partie documentaire en fin de volume raconte ce qu’ils sont devenus. Lucien Rivard, de retour à Montréal, a finalement été extradé aux USA et purgé quelques années de prison, Batista a terminé son existence en exil au Portugal puis en Espagne. Quant à Fidel Castro, il est toujours vénéré comme le libérateur par une grande majorité de Cubains.
« Havana Connection », Glénat, 248 pages, 27,50 €
jeudi 29 février 2024
En vidéo, “Second tour” d'Albert Dupontel chez Pathé
En s’attaquant à la politique, Albert Dupontel a déstabilisé les professionnels de la profession. Normal, il a une approche très humaine d’un domaine où le « faux-semblant » est roi. Cette histoire de candidat trop propre qui cache son jeu fera rêver les idéalistes.
Les autres se contenteront d’attendre le duel annoncé entre la droite extrême contre l’extrême droite au second tour de la prochaine présidentielle. Sans doute trop utopiste, le film a été critiqué. Mais n’oubliez jamais qu’un film de Dupontel ne peut jamais être mauvais, encore moins quand il y glisse un peu de Cioran, « Encore un immigré rom… »
Les purs cinéphiles apprécieront dans les bonus de cette version vidéo chez Pathé un bêtisier riche, le reportage de la première journée de tournage et des images sur la complicité entre le réalisateur et ses deux acteurs principaux, Cécile de France et Nicolas Marié.
mercredi 28 février 2024
Cinéma - “Black tea”, histoires de mélanges et de saveurs
Dans un quartier de Canton, Chinois et Africains cohabitent tout en découvrant les traditions des deux communautés.
Aussi subtil qu’un thé chinois savamment infusé, Black Tea d’Abderrahmane Sissako est le film dépaysant par excellence. On y découvre les vies et traditions de deux communautés très éloignées de nos habitudes occidentales. D’un côté la vie des Chinois à Canton, de l’autre des immigrés africains dans cet environnement asiatique où le racisme est parfois omniprésent.
Un film puzzle, où les pièces, souvent très dissemblables, s’emboîtent malgré tout dans un grand ensemble qui forme l’Humanité. Il y est question d’amour, de famille, de tolérance et aussi de condition féminine. Le film commence d’ailleurs par un coup d’éclat. En Côte d’Ivoire, Aya (Nina Melo) est prête pour le grand jour. Revêtue d’une superbe robe blanche, elle va se marier avec Toussaint. Sauf qu’au dernier moment elle quitte la cérémonie, fuit. On la retrouve à Canton. Célibataire, parlant le chinois, employée dans un petit magasin de thé dans le quartier dit de Chocolate City, mélange gai et vibrionnant de Chinois et d’Africains.
Le thé, trésor culturel
Son patron, Cai (Han Chang), lui enseigne toutes les finesses de la dégustation du thé. Un véritable art, avec rituel et tradition à respecter. Aya est sous le charme. Mais on ne sait pas si c’est des richesses de ces feuilles séchées aux goûts si nuancés en fonction des saisons ou des conditionnements ou de Cai, pédagogue idéal.
Les amateurs de thé découvriront quelques pratiques qui leur donneront envie d’aller encore plus loin dans leurs dégustations. Les autres se laisseront tenter par des goûts et des techniques plus authentiques que le sachet à infuser. Le thé et ses multiples variations, comme une métaphore sur les vies des habitants du quartier. Chacun à un parcours singulier. Cai a longtemps travaillé au Cap Vert. Il y a laissé des traces qu’il va tenter de retrouver. Aya, épouse récalcitrante, a découvert sa véritable voie en Chine.
Mais cette chronique, douce et tolérante, n’est pas hors sol. Quand arrivent dans l’équation les ex-beaux-parents de Cai, on prend conscience qu’en Chine, le racisme envers les Africains est encore plus odieux qu’en France. Black Tea est dans ce sens un témoignage précieux, réalisé par un Mauritanien qui ne se contente plus de dénoncer le colonialisme ou l’islamisme. Un film très humain aux saveurs douces-amères, comme ces thés chinois.
Film de Abderrahmane Sissako avec Nina Melo, Han Chang, Wu Ke-Xi
vendredi 23 février 2024
Tous dérangés les personnages des âmes fendues ?
Xavier Bétaucourt le scénariste et Jean-Luc Loyer le dessinateur de l’album Les âmes fendues ne sont pas malades. Par contre ils sont allés à la rencontre de ces hommes et femmes que l’on cache, les malades mentaux, notamment les milliers de personnes diagnostiquées schizophrènes. Une BD reportage où le duo a passé plusieurs journées au centre hospitalier Camille Claudel en Charente.
Là, ils ont discuté et partagé, en toute indépendance, avec les soignants et les malades. Des témoignages forts, des deux côtés. Une nouvelle foi on prend conscience combien le système de santé français est à bout de souffle. Suppression de postes, démotivation des anciens, manque d’envie chez les jeunes, bureaucratie triomphante…Les problèmes sont connus mais rien, depuis des années, n’est fait pour redresser la barre. L’album est aussi passionnant quand les auteurs donnent la parole aux schizophrènes. Ils racontent ces voix qu’ils entendent dans leur tête, leur paranoïa galopante, ces hallucinations horrifiques.
Et ceux qui s’en sortent, après des années de traitement. Preuve que l’engagement de quelques-uns, notamment les bénévoles de l’association Profamille, continue de sauver des existences.
jeudi 22 février 2024
Teresa Drahonovska la chauve qui assume
Autre maladie mais un peu plus connue depuis quelques mois : l’alopécie. Maladie popularisée par Édouard Philippe, ancien Premier ministre, homme politique ambitieux dont l’image a totalement changé en quelques mois. L’alopécie c’est le fait de perdre ses cheveux. Mais aussi tous les poils recouvrant le corps, sourcils notamment.
Pour un homme, ce n’est pas facile à vivre, mais les chauves sont légion. Par contre, quand on est une femme, souffrir d’alopécie, à moins de trente ans, c’est voir sa « beauté » disparaître. Tereza Drahonovska, autrice, a toujours été fière de ses cheveux. Drus, longs. Aussi quand elle découvre qu’elle commence à les perdre par poignée, c’est la panique.
Quelques semaines plus tard, elle ne sort plus sans un chapeau ou un foulard pour cacher le désastre. Tereza, aujourd’hui, assume sa nouvelle apparence. Elle raconte le chemin parcouru, personnellement et en société dans cette BD dessinée par une dessinatrice tchèque, Stepanska Jislova. Des illustrations très stylisées, comme pour mieux faire ressortir le lisse de ce crâne qui lentement mais sûrement est devenu un atout pour Tereza.Sans cheveux est un récit universel puisque la BD bénéficie dans sa version française d’une préface signée de la présidente de La Tresse, une association qui soutient toutes les personnes atteintes d’alopécie.
« Sans cheveux », Glénat, 128 pages, 19,95 €
mercredi 21 février 2024
Cinéma - “L’Empire”, le Star Wars du Nord par Bruno Dumont
La Terre est sur le point d’être envahie par des armadas de vaisseaux spatiaux. Bruno Dumont donne sa version du space opéra dans L’Empire, étonnant mélange de science-fiction et de comédie ch’ti.
Bruno Dumont, cinéaste inclassable, primé à Cannes avec L’Humanité, ambassadeur du Nord avec sa série désopilante P’tit Quinquin, s’attaque à un genre peu pratiqué en France : le space opéra. Il y un peu de La Guerre des étoiles dans ce film sobrement titré L’Empire.
Deux civilisations s’affrontent dans l’infini de l’espace. Une veut faire triompher le Bien. L’autre, le Mal. Mais la bataille finale, gigantesque combat entre deux armadas de vaisseaux spatiaux, se déroulera aux abords de la Terre.
Une planète déjà en partie colonisée. Le Messie du Mal est en place. Un gros bébé joufflu, fils de Jony (Brandon Vlieghe), insoupçonnable général des armées de Belzébuth (Fabrice Luchini) sous sa couverture de marin-pêcheur du Nord. Il enrôle une cagole chti (Lyna Khoudri) et affronte une guerrière du Bien, experte en sabre-laser, Jane, (Anamaria Vartolomei), déguisée en simple touriste profitant de l’air pur et des plages de la région.
Cathédrales volantes
Accent du Nord, mélange entre comédiens pros et amateurs, vaisseaux spatiaux en forme de cathédrales ou de châteaux de la Loire, dialogues manichéens voire binaires qui semblent parfois directement tirés de la Bible...
L’Empire est un Ovni cinématographique qui peut être apprécié très différemment. Mauvaise série Z qui radote avec effets spéciaux ratés pour certains, le film peut aussi se révéler comme une future œuvre culte osant ce mélange de genre totalement improbable.
Mais rien que pour la présence au générique des deux gendarmes de la série P’tit Quinquin, toujours aussi largués et incompétents, rois du burlesque involontaire, les fans de Dumont apprécieront cette nouvelle variation de ses expérimentations sur grand écran.
Film de Bruno Dumont avec Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Camille Cottin, Fabrice Luchini, Brandon Vlieghe
















