vendredi 12 septembre 2025

Thriller - Une vengeance vieille et implacable

A chaque cadavre son indice. Puzzle macabre pour le profileur suédois  Sebastian Bergman dans « Le fardeau du passé » de Hjorth et Rosenfeldt.

Débutées en 2011, les aventures de Sebastian Bergman comptent désormais 8 titres. Tous réédités ou édités par Actes Sud et Babel Noir. Le nouvel opus, « Le fardeau du passé », arrive dans les librairies pour cette rentrée littéraire. On peut tout à fait le lire sans avoir découvert les sept précédents, mais on y « divulgache » forcément les intrigues des précédents romans tant les deux auteurs, Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt, manient avec brio les ressorts du feuilleton. Pas étonnant quand on sait qu'ils ont débuté dans la production de séries télé policières en Suède, pays qui s'est imposé dans ce genre. 

On retrouve au centre du thriller le fameux psychologue et profileur Sebastian Bergman. Un peu plus de 60 ans, toujours aussi séducteur et amateur de jolies femmes. Il a cependant un peu levé le pied sur son « addiction au sexe » depuis qu'il est grand-père. Une petite fille qu'il va parfois chercher à la sortie de l'école maternelle, quand sa mère, Vanja Lithner, chef de la brigade criminelle de Stockholm, le lui demande. 

Sa relation avec Vanja s'apaise depuis qu'il a décidé de ne plus travailler pour son service. Pas pour longtemps cependant. La policière d'élite, dont le service est sur la sellette, récupère une affaire complexe. Une femme assassinée est découverte dans une ferme porcine. Sur les murs cette phrase inscrite en peinture rouge « Résous ça Sebastian Bergman ». Sebastian et Vanja vont donc de nouveau enquêter de concert. Rapidement, un second meurtre, avec une nouvelle énigme à la clé, les oblige à aller très vite. Quitte à s'affranchir de quelques règles légales. La tempête reprend de plus belle dans le service et ils ont fort à faire pour rester à leur poste tout en traquant un meurtrier vicieux et très retors, comme seuls les grands de la littérature nordique savent les imaginer. 

Enquête mouvementée sur laquelle se greffe plusieurs intrigues annexes, explications des romans précédents ou pierres posées pour les prochains épisodes. Il y est question de ce « maudit Billy », ancien collègue de Vanja mais aussi tueur en série attendant son procès, d'une jeune Australienne à l'identité incertaine ou de l'arrivée d'une nouvelle enquêtrice, belle et effrontée : tout pour plaire à Sebastian.   

« Le fardeau du passé » de  Hjorth et Rosenfeldt, Actes Sud, 400 pages, 23,50 €

jeudi 11 septembre 2025

Thriller – Le diamant de l'apocalypse

Alexandre Murat est un érudit. Sa parfaite connaissance de l'histoire napoléonienne lui a donné l'envie de partager son savoir. Mais au lieu de pondre des études savantes, il a utilisé ces faits parfois extraordinaires pour alimenter en rebondissements des thrillers haletants. Pour se plonger dans l'Histoire, deux héros : Alex et Mary. Un couple. Lui universitaire, elle femme d'action. Pour cette nouvelle enquête, le voyage dans le temps est plus profond. Alex et Mary se lancent à la recherche d'un diamant façonné en 1492 en pleine inquisition espagnole. Sur cette pierre unique, inestimable, est gravée la clé permettant de retrouver un parchemin révolutionnaire pour l’Église catholique. Une secte de fanatiques, espérant la fin du monde, l'Apocalypse, quitte à la provoquer, désire aussi posséder aussi ce diamant. Des USA à Anvers, en passant par Rome, Munich ou l'abbaye de Montserrat en Catalogne, un thriller passionnant par « le Dan Brown français » selon Philippe Labro.

« La prophétie du diamant », Alexandre Murat, Fleuve Noir, 336 pages, 20,95 €

samedi 6 septembre 2025

BD - Les dangers de la délinquance, du net vers l’“IRL”


On trouve à peu près de tout sur les nouvelles plateformes de vente du net genre Shein ou Temu. Le “à peu près” n’est plus de mise sur le dark web, ce net caché, souterrain, là où la loi n’existe plus. Un sujet souvent abordé dans les polars contemporains et qui est au centre de ce gros roman graphique écrit par Mark Eacersall et Henri Scala et dessiné par Jérôme Savoyen. 

La différence avec cet ouvrage, c’est la seconde signature du scénario. Henri Scala est commissaire de police depuis 20 ans. Il a travaillé dans tous les services, de la police du quotidien aux gros dossiers criminels. Sa connaissance de la délinquance numérique est particulièrement importante dans cette histoire de jeune fille un peu trop douée avec les codes et attirée par l’interdit. Roxane est en terminale. Elle passe beaucoup de temps sur son téléphone portable. 


Mais contrairement à ses collègues de classe (pas amies, Roxane est solitaire), ce ne sont pas les dernières idioties de TikTok ou Snap qui l’accaparent. Elle est un intermédiaire entre des vendeurs du dark web et des acheteurs. Elle a un pseudo, met en contact des gens qui ne se connaissent pas. Et n’auront jamais la moindre interaction l’un avec l’autre. Un rôle pivot stratégique dans cette nouvelle économie de l’ombre. 

Tout est sous contrôle, les rentrées d’argent conséquentes jusqu’au jour où un client, pour finaliser une transaction, réclame de la rencontrer IRL, in real life, dans la vraie vie… 

Cette descente aux enfers de la jeune fille, on la suit avec angoisse directement à ses côtés mais aussi avec la policière spécialisée dans ce genre de délits et qui piste sur le réseau l’avatar virtuel de Roxane depuis quelques mois, persuadée qu’elle va forcément faire une erreur. 

Un véritable polar rondement mené, dense, avec de multiples rebondissements, vrais méchants, faux gentils et des flics trop souvent impuissants (et trop peu nombreux), face à un mouvement d’ampleur. Édifiant.   

“IRL (In Real Life)”, Glénat, 208 pages, 23 €


vendredi 5 septembre 2025

Poche – Caryl Férey se souvient de "Magali"

Auteur de plusieurs romans policiers, Caryl Férey avoue pourtant ne pas s'intéresser plus que cela aux faits divers. Cependant quand il apprend la mort d'une certaine Magali Blandin, 42 ans, tuée par son mari, il tend l'oreille. Tout simplement car le crime s'est déroulé à Montfort-sur-Meu, le village de son enfance. Qui était Magali ? L'a-t-il connue ? Que sont devenus ses amis ? 

Il se pose des questions et décide d'y apporter des réponses dans ce texte à la fois enquête sociétale de terrain et grosses bouffées de souvenirs de l'auteur. On préférera d'ailleurs la partie plus personnelle du livre. Parfait pour les voyeurs-fans de ce romancier au prénom bizarre (vous aurez la réponse), assez secret et qui ose se dévoiler en partie. Un peu de son quotidien, beaucoup de son passé. 

Quant à Magali, elle revient en force dans les dernières pages. Pour que jamais on ne l'oublie. 

« Magali », Caryl Férey, Pocket, 160 pages, 7,70 €

jeudi 4 septembre 2025

Autobiographie - L'étonnante romance de Lydie Salvayre

En racontant son quotidien avec beaucoup d'humour, Lydie Salvayre parle aussi de ses parents, avec amour.

Il ne faut pas demander conseil à sa voisine quand on entreprend un travail d'écriture très personnel. Lydie Salvayre le constate dans les premières pages de cet « Autoportrait à l'encre noire », livre de commande dans lequel elle s'engage à satisfaire la curiosité de ses lecteurs. La romancière, prix Goncourt en 2014 avec « Pas pleurer » est devenue amie avec Albane, sa voisine de palier. Albane adore la lecture. Son genre préféré : la romance. Plus que préféré, exclusif. Donc quand Lydie Salvayre lui explique qu'elle est un peu bloquée dans la rédaction de son autoportrait, Albane, enthousiaste, lui conseille d'appliquer à ce texte les codes éprouvés de ces récits d'amour, toujours positifs, si beaux, si réconfortants... Si mièvres et mal écrits du point de vue de l'écrivain. Mais pourquoi pas ?

Sur la plage d'Argelès...

Véritable exercice de style, introspection comique mais aussi profonde, ce texte, si différent des autres signés Lydie Salvayre, oscille toujours entre farce assumée et révélations intimes douloureuses. Et avant d'oser évoquer son propre cas, elle se penche sur l'idylle entre ses parents. Drôle de romance. Notamment à cause du cadre. Andrés et Montserrat, tous les deux espagnols se sont rencontré en 1939 dans un « cadre de rêve : le camp de concentration d'Argelès-sur-Mer où ma mère vient d'arriver rompue de fatigue et blanche de la poussière des routes après des jours et des jours de marche sous les bombes pour atteindre la frontière française. » Lydia naîtra en 1946, dans cette famille pauvre, marquée par la Retirada. Elle deviendra Lydie et prendra vite le nom, français, de son premier mari, comme pour se défaire de cette peau de réfugiés espagnols, ce cette famille de miséreux. Et entre les interventions désopilantes d'Albane, toujours persuadée que seul l'amour, le vrai, l'unique, l'exceptionnel, est intéressant, elle raconte la vie entre une mère qu'elle adore et un père redouté. Le père deviendra d'ailleurs « le grand méchant », étape incontournable de toute romance digne de ce nom. Car pour connaître une fin heureuse, une histoire doit être contrariée par un personnage hostile.

Ce père détesté, elle va le raconter en explorant ses souvenirs, relativiser et finalement comprendre pourquoi il a tout le temps été si dur pour sa femme et ses filles. Comme si en faisant ce travail d'écriture, des années après sa disparition, Lydie Salvayre parvenait enfin à nouer un vrai dialogue avec cette figure intimidante, implacable, terrifiante. On retrouve alors la profondeur des romans de cette grande signature des Lettres françaises. Tout en souriant aux saillies d'Albane et aux répliques acerbes et pleines de mauvaise foi assumée de sa voisine, contrariée de ne pas réussir à boucler cet autoportrait comme une véritable romance.

« Autoportrait à l'encre noire », Lydie Salvayre, Robert Laffont, 224 pages, 20 €

mercredi 3 septembre 2025

BD - La vie des brebis dans les Pyrénées racontée par leur berger, Maxim Cain


Cirque d’Anglade, Mont-Roch d’Espagne, lac de la Mariole, Bois de la Fourque, pic de l’Arrech… Tous ces lieux aux doux noms pyrénéens, servent de décor au roman graphique en noir et blanc de Maxim Cain, “Démontagner”. En 140 planches, il raconte l’été passé dans la solitude à surveiller les centaines de brebis en estive, avec l’aide de son fidèle compagnon, le chien Finet. 

Entre reportage, journal intime et fiction animalière, la première BD de cet auteur qui depuis dix ans passe ses étés dans la montagne ariégeoise est d’une extraordinaire force, un témoignage précis et circonstancié sur la vie de ces hommes et femmes qui sacrifient plusieurs mois de leur vie chaque année pour permettre à quelques propriétaires de la vallée de récupérer des animaux en bonne santé après leur bombance dans les prairies des hauteurs. Sacrifice car être berger reste un sacerdoce. Même en 2025, avec les nouvelles technologies. Là-haut, vous serez seul la plupart du temps, responsable d’un troupeau fait d’individualités contradictoires. 

D’une façon classique mais efficace, c'est-à-dire chronologiquement, le berger raconte cet été à rallonges qui débute mi-juin et prend fin à la mi-octobre. Une parenthèse, parfois enchantée, trop souvent dure et pénible. Car monter en estive, c’est abandonner tout le confort de notre société moderne de l’opulence. 

La cohue du premier jour

Le premier jour, tous les propriétaires amènent leur troupeau au lieu de rendez-vous. C’est la fameuse transhumance, le départ dans une formidable cohue vers les pâtures perchées dans les hauteurs des Pyrénées. Des centaines de brebis, guidées par les hommes et les chiens, par routes et sentiers. Et puis après une nuit où tous se racontent leurs souvenirs, Maxim se retrouve seul sur le chemin escarpé, avec Finet et des bêtes excitées car pressées de se goinfrer. 

Finet dessiné par Maxim Cain.

Première étape dans un casot en dur. Quelques rencontres avec des randonneurs, mais déjà la solitude, le manque de sociabilisation, la routine pour soigner les bêtes malades, retrouver les égarées, essayer de les compter. Et de longs moments à attendre, lire au début, se lasser, tourner en rond, regarder la vallée avec envie. Maxim Cain montre le quotidien d’un berger en estive. Entre contemplation obligée, tâches harassantes et répétitives, ennui. 

Ce sera plus dur quand il faudra aller encore plus haut pour trouver d’autres prairies. Là où l’ours ou les chiens errants sévissent, attaquent les bêtes affolées. Ce seront des nuits blanches, à craindre les raids. Ou des journées de frayeur, quand les éléments se déchaînent, que les orages frappent au hasard, foudroyant les bêtes. Parfois les hommes. 

Souvent, l’auteur admet qu’il est lassé de ces conditions extrêmes, qu’il songe à arrêter. Même s’il décide de prendre un jeune chiot pour le former, Finet commence à devenir vieux… On comprend aussi qu’il est subjugué par cette beauté brute, sans artifices. On la retrouve dans ses dessins, superbes interprétations de la splendeur des Pyrénées. Et puis il y a la complicité avec le chien, la douceur des brebis, le chagrin face aux pertes. Et tout se termine avec la redescente vers la civilisation, le bruit, la fureur. Le futile aussi. L’occasion pour comprendre la signification du titre : démontagner c’est la transhumance d’automne quand on “quitte la montagne”.    

“Démontagner”, Actes Sud BD, 140 pages, 28 €


mardi 2 septembre 2025

BD - Fred Fordham propose sa vision graphique du Sorcier de Terremer


Paru à la fin des années 60 aux USA, Le sorcier de Terremer a littéralement révolutionné le genre de l’héroic fantasy. Un livre devenu culte depuis, qui a inspiré des dizaines d’auteurs Histoire universelle d’initiation, elle bénéficie d’une adaptation graphique de haute volée par un maître du genre : Fred Fordham. Il a déjà proposé ses versions d’autres romans symboles de la littérature anglo-saxonne comme Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ou Le meilleur des mondes.


Cette fois il propose de donner vie visuellement au monde de Ged, le fils du forgeron de l’île de Gont. On le connaît aussi sous le nom d'Épervier. Ce jeune garçon, par hasard, a découvert qu’il savait manier la magie comme personne. Il parle aux animaux, se transforme en épervier à l’occasion, sculpte les vents, modifie la météo. Il sera repéré par les sorciers de l’île de Roke après avoir sauvé son village d’une attaque de pillards. Simplement en le plongeant dans un brouillard opaque, le faisant disparaître lors de l’assaut. 

A Roke, il va passer quelques années à apprendre. Connaître les mots magiques mais surtout s’apaiser. Car Ged ne sait pas toujours canaliser son pouvoir. Voilà comment un soir, par défi, il fait apparaître une ombre qui va le poursuivre sur tous les océans de Terremer. 


Validé par le fils d’Ursula K. Le Guin, ce roman graphique de toute beauté nous plonge dans un monde magique et fantastique. D’île en île, d’apparition en apparition de l'ombre, tout en combattant dragons et autres monstres, Ged va trouver sa voie et le roman devenir un puissant message de paix et de sagesse. A découvrir même si l’on a déjà lu la saga. Et pour ceux qui n’ont pas eu la chance de profiter de la prose de l’autrice américaine disparue en 2018, c’est un parfait avant-goût de la découverte du texte original, disponible en une belle intégrale, toujours au Livre de Poche. 

“Le sorcier de Terremer” d’Ursula K. Le Guin, adaptation graphique de Fred Fordham, Le Livre de Poche Graphics, inédit, 288 pages, 22,90 €


lundi 1 septembre 2025

BD - Emilie Schindler, une épouse parmi les Justes


Les épouses sont souvent les grandes oubliées de certains destins exceptionnels. Le cas d’Emilie Schindler est exemplaire. La femme d’Oskar, rendu célèbre après la publication d’un roman et la sortie du film sur son activisme pour sauver des centaines de Juifs en pleine seconde guerre mondiale, a toujours été près de son mari quand il jonglait avec les nazis pour permettre à ses ouvriers d’échapper à la solution finale. Ce n’est pas “La liste de Schindler” dont il faudrait parler mais de “La liste des Schindler”. Cet album écrit par Jean-Yves le Naour et dessiné par Christelle Galland replace Emilie Schindler dans ce récit ayant permis à Oskar de devenir Juste en 1963 alors qu’elle a dû attendre 1994. Emilie une femme doublement aigrie. En raison de l’oubli historique mais aussi des tromperies nombreuses du mari volage. 

C’est en 1999 que la trace d’Emilie Schindler est retrouvée par des journalistes allemands. La vieille dame vit seule dans une petite maison dans la banlieue de Buenos Aires en Argentine. Elle accepte de raconter son histoire, dévoilant au passage quelques vérités sur Oskar Schindler. Ce dernier n’a jamais été un mari parfait. Rapidement Emilie, pourtant follement amoureuse du début à la fin, comprend que cet homme, toujours en avance, bouillonnant de projets, aime les femmes, la fête et sait dépenser en une nuit tout l’argent gagné en un mois. Pour satisfaire ses besoins financiers, il accepte toutes les compromissions. Membre du parti nazi, espion pour les SS, il va reprendre une usine de fabrication d’ustensiles de vaisselle à des Juifs dépossédés de leurs biens. Et pour augmenter les bénéfices, vendra ses casseroles à l’armée du Reich et surtout n'emploie que des Juifs payés deux fois moins que le reste des travailleurs. Oskar, raciste, exploiteur, infidèle… Loin du héros. Pourtant Emilie expliquera qu’il a changé quand il apprend l’existence des camps de concentration et surtout de l’extermination de masse des prisonniers. Il fera alors tout pour sauver ses employés. Aidé par son épouse, il trompe les nazis, se rachète d’un passé peu glorieux. Mais une fois la guerre terminée et le couple installé en Argentine, Oskar retombe dans ses travers. Fêtes, maîtresses et finalement abandon d’Emilie pour refaire sa vie en Allemagne. 

Cette BD, en plus de raconter un pan de l’Histoire du XXe siècle, montre l’abnégation de cette femme, son courage, sa fidélité et son engagement malgré les dangers. Elle aussi méritait d’être parmi ces Justes qui ont désormais leur propre collection de BD. L'autre titre paru en cette rentrée 2025 concerne Carl Lutz et est dessiné par Brice Goepfert.  

“Les Justes - Emilie et Oskar Schindler”, Bamboo - Grand Angle, 64 pages, 15,90 €


dimanche 31 août 2025

BD - Les jeunes tribus d'un futur apocalyptique


Littérature, cinéma, séries télés et BD : l'imaginaire américain est particulièrement pessimiste quand il doit décrire la vie quotidienne d'ici quelques dizaines d'années. Nouvelle pierre à l'édifice avec les deux premiers tomes de la série écrite par Matthew Rosenberg et dessinée par Tyler Boss : "C'est où le plus loin d'ici ?" Première mise en orbite fin août pour la rentrée littéraire, tir de confirmation du second étage le 10 septembre. La suite (et fin a priori) pour plus tard. Si on est encore en vie... Car lire ces 272 pages (tome 1) puis 152 pages (tome 2) entraîne obligatoirement un peu de spleen. Les plus sensibles pourraient décider de se faire sauter le caisson. Surtout si l'on a plus de 25 ans... 

Dans ce futur aux décors urbains en ruines, les rares rescapés vivent en bande. En tribus. Les membres sont solidaires, comme issus d'une même famille. Et entre elles, la paix peut régner, mais souvent les affrontements viennent éclaircir les rangs. La particularité de ces tribus : il n'y a que des jeunes. Quand un membre devient adulte, il est éjecté, récupéré par de mystérieux "étrangers", les éléments les plus fantastiques de cette BD pourtant très réaliste. 

Pour comprendre ce nouveau monde, les auteurs racontent le quotidien de la bande du Collège. Ils tiennent leur nom du bâtiment dans lequel ils vivent. Ils ont des chefs et une religion. Chacun se choisit un Dieu. En l'occurrence un disque vinyle pioché dans la discothèque de l'établissement scolaire. 

La jeune Sid se pose beaucoup de questions. Depuis quelques semaines son ventre s'arrondit. Elle sent que cette transformation va bousculer son quotidien. Alors elle choisit de fuir, de tenter l'aventure. Elle a une carte dessinée à la main montrant le chemin pour rejoindre la ville, sorte d'Eden où l'on peut vivre sereinement, même adulte.

La BD, assez sombre, montre un pays qui s'est effondré. On ne sait pas pourquoi, mais ce retour aux instincts primaires s'est effectué au détriment du confort. Les amis de Sid, en tentant de la retrouver pour l'aider, croisent d'autres bandes. Certaines vont coopérer, d'autres en profitent. La violence est quotidienne, la peur aussi. Chacun trouve une façon de survivre. 

Sid va intégrer une nouvelle tribu presque plus animale qu'humaine. Les autres vont échouer dans une fête foraine trash et gore. Lentement mais sûrement, le périple se transforme en succession de cauchemars. Cela pourrait être rebutant. C'est en fait passionnant et édifiant sur l'état d'esprit de cette nation, les USA, qui semble sans cesse chercher le meilleur moyen pour précipiter sa chute. 

"C'est où le plus loin d'ici ?" de Matthew Rosenberg et Tyler Boss, Casterman, volume 1, 272 pages, 23 €, volume 2, 152 pages, 18 €

samedi 30 août 2025

Roman noir - Au Sud, la résignation

Bienvenue dans le Snakefoot, région du sud des USA, zone sinistrée théâtre de « Nulle part où revenir », roman de Henry Wise.

Devenir l'adjoint du shérif d'une petite ville rurale de Virginie semblait la meilleure solution pour Will Seems. Il connaît la région pour y avoir passé toute son enfance. Il l'a quittée, comme la majorité des jeunes, pour la grande ville en plein essor de Richmond. Pourquoi alors revenir à Euphoria, près du sinistre marécage de Snakefoot, dans la maison presque en ruines abandonnée par son père devenu avocat ?  Premier roman de Henry Wise, « Nulle part où revenir » est une plongée angoissante et perturbée dans l'esprit de Will. Il n'est pas le narrateur, mais le principal protagoniste de ce roman noir entre ségrégation raciale, violence au quotidien et misère sociale. 

Alors qu'il vient de passer la nuit dans sa voiture au bord de la rivière, Will voit de la fumée au loin. Il se précipite et découvre la maison de Tom Janders en flammes. Il parvient de sortir son ami d'enfance du brasier, mais trop tard. Le shérif Mills arrive sur place pour tenter de réconforter la compagne de Tom, Day Pace : « Elle hurlait, semant son chagrin derrière elle comme une traînée de sang ou de mort. (…) Il la ceintura et elle continua à se débattre, si bien que, pendant un moment, ils semblèrent danser un pas de deux hébété. » Avec une science de la narration étonnante pour un premier roman, Henry Wise distille les indices, présente les protagonistes, intrigue le lecteur. 

Le traumatisme de l'enfance

Will semble perdu dans cette ville qu'il a violemment rejeté à une époque. C'est pourtant son univers, sa base, ses racines. Là qu'il a vécu heureux quelques années, quand sa mère était toujours en vie, avant que son meilleur ami, Sam, ne se fasse littéralement lyncher après avoir tenté de le défendre face à une bande de voyous. Le suicide de sa mère, la fuite de son père, la bienveillance des voisins, les parents de Sam... Will rumine sa culpabilité. Qui va augmenter d'un cran quand il surprend le père de Sam fuyant l'incendie et qu'il comprend que Tom a été tué de plusieurs coups de couteau avant l'embrasement de sa maison. 

Un meurtre, un innocent à sauver, des secrets à garder : le récit devient aussi touffu que la végétation luxuriante de ce Sud infesté de redoutables serpents (mocassins à tête cuivrée) et de marécages entre les immenses champs de tabac. Aidé d'une ancienne policière devenue détective privée, Will va pister le véritable meurtrier, comme pour tenter de trouver une nouvelle raison pour continuer son chemin dans cette région ravagée par des décennies de racisme et d'exploitation des esclaves noirs par les planteurs blancs. L'histoire de Will, Day, Sam et tous les autres, tragique et désespérée, semble le résumé parfait de cette Amérique toujours déchirée par des siècles d'injustice.

« Nulle part où revenir », Henry Wise, Sonatine, 432 pages, 23 €