En racontant son quotidien avec beaucoup d'humour, Lydie Salvayre parle aussi de ses parents, avec amour.
Il ne faut pas demander conseil à sa voisine quand on entreprend un travail d'écriture très personnel. Lydie Salvayre le constate dans les premières pages de cet « Autoportrait à l'encre noire », livre de commande dans lequel elle s'engage à satisfaire la curiosité de ses lecteurs. La romancière, prix Goncourt en 2014 avec « Pas pleurer » est devenue amie avec Albane, sa voisine de palier. Albane adore la lecture. Son genre préféré : la romance. Plus que préféré, exclusif. Donc quand Lydie Salvayre lui explique qu'elle est un peu bloquée dans la rédaction de son autoportrait, Albane, enthousiaste, lui conseille d'appliquer à ce texte les codes éprouvés de ces récits d'amour, toujours positifs, si beaux, si réconfortants... Si mièvres et mal écrits du point de vue de l'écrivain. Mais pourquoi pas ?
Sur la plage d'Argelès...
Véritable exercice de style, introspection comique mais aussi profonde, ce texte, si différent des autres signés Lydie Salvayre, oscille toujours entre farce assumée et révélations intimes douloureuses. Et avant d'oser évoquer son propre cas, elle se penche sur l'idylle entre ses parents. Drôle de romance. Notamment à cause du cadre. Andrés et Montserrat, tous les deux espagnols se sont rencontré en 1939 dans un « cadre de rêve : le camp de concentration d'Argelès-sur-Mer où ma mère vient d'arriver rompue de fatigue et blanche de la poussière des routes après des jours et des jours de marche sous les bombes pour atteindre la frontière française. » Lydia naîtra en 1946, dans cette famille pauvre, marquée par la Retirada. Elle deviendra Lydie et prendra vite le nom, français, de son premier mari, comme pour se défaire de cette peau de réfugiés espagnols, ce cette famille de miséreux. Et entre les interventions désopilantes d'Albane, toujours persuadée que seul l'amour, le vrai, l'unique, l'exceptionnel, est intéressant, elle raconte la vie entre une mère qu'elle adore et un père redouté. Le père deviendra d'ailleurs « le grand méchant », étape incontournable de toute romance digne de ce nom. Car pour connaître une fin heureuse, une histoire doit être contrariée par un personnage hostile.
Ce père détesté, elle va le raconter en explorant ses souvenirs, relativiser et finalement comprendre pourquoi il a tout le temps été si dur pour sa femme et ses filles. Comme si en faisant ce travail d'écriture, des années après sa disparition, Lydie Salvayre parvenait enfin à nouer un vrai dialogue avec cette figure intimidante, implacable, terrifiante. On retrouve alors la profondeur des romans de cette grande signature des Lettres françaises. Tout en souriant aux saillies d'Albane et aux répliques acerbes et pleines de mauvaise foi assumée de sa voisine, contrariée de ne pas réussir à boucler cet autoportrait comme une véritable romance.
« Autoportrait à l'encre noire », Lydie Salvayre, Robert Laffont, 224 pages, 20 €

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