dimanche 10 octobre 2010

Roman - Robert Goolrick raconte sa famille féroce

Roman extrême, « Féroces » de Richard Goolrick plonge le lecteur dans une famille américaine des années 50. Famille aux secrets sordides.

Il est des romans qui vous laissent des souvenirs profonds, comme des blessures qui mettront des semaines à cicatriser. Et des années plus tard, vous aurez toujours cette marque superficielle, réminiscence de l'histoire vous ayant touché. « Féroces » de Richard Goolrick est ce ces œuvres. On ne sort pas intact de ce récit, apparemment décousu, de son enfance et sa vie d'adulte, avant que l'écriture ne le libère de tous ses démons.

Pour se raconter, Robert Goolrick commence par présenter ses parents. Ce qu'ils sont devenus. Notamment les obsèques de son père. Un vieux monsieur, alcoolique, sale, dont la maison était infestée de rats. Sa femme était morte six années auparavant. Elle aussi « parce qu'elle buvait trop. »

Beaux et intelligents

L'auteur se souvient ce son enfance. Quand ses parents étaient littéralement adulés dans cette petite ville du sud profond des USA, dans les années 50. « Non seulement mon père et ma mère étaient doués pour l'organisation des fêtes, avec leur générosité et leur intelligence, mais ils étaient aussi doués pour aller aux fêtes. On les adorait pour leur sens de l'humour et leur charme, pour leur beauté et leur minceur. » Richard aurait donc tout eu pour vivre une enfance heureuse en compagnie de son frère et de sa sœur. Mais les membres de sa famille étaient « féroces ».

C'est un jeune adulte traumatisé, profondément dépressif, qui tente de s'émanciper. Sans détour, il explique comment la vie lui est devenue impossible. « Je vivais seul. Je m'étais toujours senti seul, isolé des gens réels, même lorsque j'étais impliqué dans l'une de mes histoires d'amour chaotiques, des histoires qui échouaient du fait de ma propre lassitude, des cruautés ineptes des hommes et femmes que j'avais choisi d'aimer. »

La lame du salut

Il passe son temps à faire semblant, cherchant un échappatoire. Il croit le trouver en faisant l'acquisition d'une lame de rasoir. Et de se faire mal pour faire baisser la pression : « La peau céda facilement, et le sang s'écoula le long de mon bras jusque dans ma main repliée, puis sur les draps. La douleur était atroce. » Il recommencera, jour après jour, jusqu'à l'obsession. « Mon bras gauche était saturé. Il n'était plus que de la viande hachée. J'attaquais le bras droit, avec le vertige de la chair neuve. Mes bras n'étaient qu'un entrelacs de blessures. Une toile d'araignée sanguinolente. »

Des passages difficiles qui ont pourtant le pouvoir de nous envoûter. Robert Goolrick, a froid, se met à nu et amène le lecteur vers ce qui a tout déclenché dans sa petite enfance. Un traumatisme donnant une dimension supplémentaire à ce roman déjà exceptionnel. Et d'y consacrer tout un chapitre intitulé « Comment j'ai pu continuer ? ». Finalement il a survécu. Et un écrivain majeur est né.

« Féroces », Richard Goolrick, Anne Carrière, 20,50 €

samedi 9 octobre 2010

BD - Etat tueur dans le tome 2 de Sisco


Avec Sisco, flic des services secrets de l'Elysée, ça ne plaisante pas. Après avoir éliminé un conseiller mettant en danger la réputation du président, il se lance à la poursuite d'une journaliste en possession d'une preuve de ce crime d'Etat. Le premier tome allait à 100 à l'heure, le second est encore plus frénétique. Sisco localise la journaliste, mais au moment où il va l'abattre, il est lui même la cible d'un collègue. 

Blessé, il parvient à s'enfuir et se transforme de chasseur en gibier. Benec, le scénariste, plonge le lecteur au cœur d'un service occulte où tous les coups sont permis. Lutte de pouvoir et secret d'Etat semblent donner tous les droits à ces officines totalement en marge de la légalité. 

Thomas Legrain, le dessinateur, au trait encore un peu trop photographique, est entièrement au service du récit. On devine pourtant un talent qui ne demande qu'à éclater, avec notamment quelques cases très réussies dignes d'un Gigi ou d'un Gillon de la meilleure époque.

« Sisco » (tome 2), Le Lombard, 10,95 € 

vendredi 8 octobre 2010

BD - Andrew Barrymore, shérif mentaliste


Andrew Barrymore a des petits airs de « Mentalist », la série policière qui cartonne actuellement sur les petits écrans. Avec une bonne dose d'humour en plus. Andrew est un jeune citadin (il sort d'une école de détective de San Francisco) débarquant à Old Creek Town, petite bourgade perdue au fin fond du far-west. Il sera l'adjoint de Jim Patherson qui n'a pas inventé la poudre mais sait se faire respecter. 

Andrew va rapidement pouvoir faire ses preuves car le lendemain de son arrivée l'épicier du village est retrouvé assassiné dans son magasin. Le crâne fracassé, le coffre-fort ouvert et vide. A force d'observations et de déductions Andrew va démasquer le coupable avant de se raviser et démontrer que la solution est plus complexe. 

Une nouvelle série écrite par Délestret très à l'aise dans cette histoire bourrée d'énigmes. Valambois, au dessin, apporte une touche très personnelle à une BD très classique sur le fond mais particulièrement originale sur la forme.

« Les enquêtes d'Andrew Barrymore » (tome 1), Dargaud, 11,50 € 

jeudi 7 octobre 2010

BD - Pastiche hilarant de la Guerre des étoiles


« La guerre des étoiles » est devenue en quelques décennies une référence absolue en matière de conte et de quête. Parfois imitée, souvent pastichée, la saga de Georges Lucas a bâti l'imaginaire de nombre de créateurs actuels. 

Bourhis et Spiessert y sont allé de leur parodie dans cet album intitulé « Naguère les étoiles ». En reprenant presque scène par scène, les auteurs transposent l'histoire dans un moyen âge de pacotille. Luke Skywalker devient Jean-Luc Haut-le-Cœur et il croise sur sa route le seigneur Salvador, la princesse Leica, Maître Yoga et Yann Kersolo. Les deux robots sont des druides et le vaisseau de Yann un véritable faucon, millénaire... 

Tout en étant une histoire à suivre, chaque séquence est formée d'un gag d'une demi-planche. A la fin de l'album, vous aurez rit ou sourit 92 fois, notamment grâce à des dialogues aux petits oignons. Le tome deux est annoncé pour novembre et comme l'original, il y aura trois épisodes.

« Naguère les étoiles » (tome 1), Delcourt, 10,50 € 

mercredi 6 octobre 2010

Roman - Rêver à bord du Léviathan


Avec « Leviathan », première partie de sa nouvelle trilogie, Scott Westerfeld fait encore plus fort que ses précédentes séries, « Uglies » et « Midnighters ». Il retrouve un genre qu'il apprécie particulièrement, la science-fiction tendance uchronie. L'action se déroule en 1914 en Europe. Le continent est toujours partagé en deux grands empires, Anglais Français et Russes d'un côté, Allemands, Autrichiens et Turcs de l'autre. La grande différence ce sont les technologies. Le premier bloc est darwiniste, le second clanker. Les savants darwinistes ont fait des croisements d'animaux pour les mettre au service des humains. Les clankers ont construit des machines. Deux conceptions totalement différentes de la vie, comme deux évolutions parallèles de notre société. 

Ce roman pour la jeunesse (plutôt les adolescents) a pour héros deux fortes personnalités. Alek, héritier de l'empire austro-hongrois, en fuite après l'assassinat de ses parents par des rebelles serbes et Deryn, jeune fille se faisant passer pour un garçon pour réaliser son rêve, devenir pilote dans l'air service britannique. La fuite d'Alek se fera à bord d'un mécanopode, « l'appareil dépassait le toit des écuries, ses deux pieds métalliques plantés dans la terre meuble du paddock. Il ne s'agissait pas d'une machine d'entraînement mais d'un véritable engin de guerre. Avec un canon ventral, et les museaux épais de deux mitrailleuses Spandau de part et d'autre de son énorme tête. »

Deryn, de son côté, sera affectée sur le Leviathan, « le premier des grands souffleurs d'hydrogène » conçu à partir d'une baleine dont les gaz remplissent des poches lui permettant de voler. « La créature était colossale. De forme cylindrique, elle ressemblait à un zeppelin, mais ses flancs hérissés de cils palpitaient doucement, et une nuée de chauve-souris et d'oiseaux symbiotiques l'environnait. » Une histoire palpitante, des personnages attachants, des inventions qui font rêver : ces 440 pages se dévorent comme un roman de Jules Verne.

« Léviathan », Scott Westerfeld, Pocket Jeunesse, 19 € 

mardi 5 octobre 2010

Roman - Soldats, bouffons !

Amélie Nothomb parvient encore à nous surprendre avec son sujet de prédilection : les problèmes de compulsions alimentaires.


A chaque rentrée littéraire, Amélie Nothomb sort une nouveauté et se retrouve en tête des ventes. Même si cette année elle doit partager les premières places avec Michel Houellebecq et Virginie Despentes, l'excentrique romancière a toujours son lot de fidèles. Et les habitués ne seront pas dépaysés puisqu'elle centre une nouvelle fois son histoire sur les rapports de l'homme avec la nourriture. Elle s'essaye également à l'autofiction puisqu'elle se met directement en scène.

Amélie Nothomb met un point d'honneur à répondre à toutes les lettres qu'elle reçoit. Et ce matin-là, dans son courrier, elle est interpellée par un pli en provenance d'Irak. C'est un soldat américain, Melvin Mapple, basé à Bagdad, qui « souffre comme un chien » et a « besoin d'un peu de compréhension. » Intriguée, Amélie lui répond et une véritable correspondance va se mettre en place entre la romancière et le militaire.

La graisse contre les armes

Ce dernier lui explique qu'il s'est mis à grossir pour ne plus aller au combat. Pesant 180 kilos, il est quasi immobile, devenu inutile dans cette armée d'occupation. Dans des lettres de plus en plus longues, il explique ses motivations à la romancière qui se passionne de plus en plus pour ce cas extraordinaire. Melvin prétend que « de toutes les drogues, la bouffe est la plus nocive et la plus addictive. Il faut manger pour vivre paraît-il. Nous, nous mangeons pour mourir. C'est le seul suicide à notre disposition. Nous semblons à peine humains tant nous sommes énormes, pourtant ce sont les plus humains d'entre nous qui ont sombré dans la boulimie. » Melvin va tout raconter à Amélie. Allant jusqu'à lui envoyer une photo de lui, nu.

Les lettres mettant du temps pour franchir la distance entre Bagdad et Paris, Amélie Nothomb « meuble » en détaillant sa vie d'auteur de best-sellers. Relatant sa rencontre avec « une jeune romancière de talent », elle constate qu'elle « était tellement chargée en Xanax que la communication fut brouillée ». Et de revenir sur sa passion épistolaire : « Malgré la sympathie qu'elle m'inspirait, je me rendais compte que j'aurais préféré une lettre d'elle à sa présence. Est-ce une pathologie due à l'hégémonie du courrier dans ma vie ? Rares sont les êtres dont la compagnie m'est plus agréable que ne le serait une missive d'eux – à supposer, bien sûr, qu'ils possèdent un minimum de talent épistolaire. »

Ce roman, aérien malgré la lourdeur du personnage principal, va cependant changer totalement de direction dans le dernier tiers. Une pirouette comme seule Amélie Nothomb sait les fabriquer, rendant crédibles l'ultime rebondissement et la chute finale.

« Une forme de vie », Amélie Nothomb, Albin Michel, 15,90 €

lundi 4 octobre 2010

BD - Jeunes du passé entre insouciance et grandes causes


1936. Le Front Populaire bouleverse la France. Fernand, jeune paysan provençal, monte à Paris pour y suivre des études de médecine. Il sera hébergé par la famille d'un riche industriel. Il s'est lié d'amitié avec André, le fils passant ses vacances dans le Sud. Dans la capitale, Fernand va découvrir les luttes politiques, les femmes et les bonnes manières. Ce sont surtout les femmes qui vont le changer, de la chanteuse de cabaret à la voisine, bourgeoise mariée, mais si belle. 

Côté politique, il va s'engager à gauche, avec André, militant pour l'intervention en Espagne où les Républicains sont en danger. Cette première œuvre de Jean-Sébastien Bordas, décrit une jeunesse française entre insouciance et grandes causes.

« Le recul du fusil » (tome 1), Soleil Quadrants, 11,50 €

dimanche 3 octobre 2010

BD - Un coiffeur rêveur prend le train

Chronique sociale de notre époque, « Les gens honnêtes » est l'exemple type de ces BD sans prétention qui vous laissent longtemps rêveur et ragaillardi une fois terminée. Philippe, au chômage, abandonné par sa femme, se laisse vivre au gré des rencontres. Un libraire amateur de bon vin, une serveuse au bar du TGV... il va tenter de se relancer dans la vie active. Pourquoi ne pas utiliser le temps du trajet en train entre Paris et Bordeaux pour coiffer les passagers. Il ouvre son salon nomade et après des débuts difficiles, remporte un beau succès. 

Cette BD, entre Paris et Bordeaux avec des escales à Sauternes, est écrite par Gibrat. Durieux, au trait réaliste élégant et sans effet, donne encore plus de vie à ces gens honnêtes et surtout attachants.

« Les gens honnêtes » (tome 2), Dupuis, 14,50 €

samedi 2 octobre 2010

BD - Sombres souvenirs tracés sur une "Page noire"


Deux scénaristes (et pas des moindres) se sont associés pour cette histoire de vengeance et de culpabilité. Frank Giroud et Denis Lapière, sur plusieurs années, ont écrit de concert ce long thriller magnifié graphiquement par Ralph Meyer. 

Kerry, jeune journaliste américaine, tente d'obtenir l'interview de Carson McNeal, l'écrivain à succès dont on ne connait ni le visage si son lieu de résidence. La rusée blondinette va le localiser et le séduire. Elle découvrira les premiers chapitres de son nouveau roman, l'histoire d'Afia, une rescapée libanaise recherchant les assassins de sa famille. 

Un double récit (avec deux techniques de dessins radicalement différentes) qui finira par s'imbriquer et se confondre. Si vous avez décidé de n'acheter qu'un seul album pour cette rentrée, « Page noire » est celui-ci.

« Page noire », Futuropolis, 18 € 

vendredi 1 octobre 2010

BD - Feu les souvenirs dans "Phoenix" de Gaudin et Peynet


Parmi les très (trop ?) nombreuses nouveautés de la rentrée, ne manquez par cette ambitieuse série mêlant science et fantastique. « Phoenix », en plus d'une intrigue prenante et palpitante de Jean-Charles Gaudin, bénéficie du dessin exceptionnel de Frédéric Peynet. Après avoir fait l'étalage de toute son imagination dans le Feul, histoire d'Heroic-fantasy, ce dessinateur montre sa dextérité dans une histoire contemporaine criante de vérité. Tout débute sur une petite île du Pacifique. 

Cinq enfants ont bravé le couvre-feu et se retrouvent au centre d'une expérience qui va modifier leur vie. 20 ans plus tard, un de ces enfants, Jonathan Caldwell, souffre de maux de tête se transformant parfois en hallucinations. Entre les USA et Paris où il se rend pour son travail de traducteur, il va lentement mais sûrement entrer de plain-pied dans un cauchemar sans fin.

 Il y a un petit côté « Lost » dans cette série jouant à fond le feuilleton avec révélations et rebondissements aux moments clés de l'histoire.

« Phoenix » (tome 1), Soleil, 13,50 €