samedi 5 juin 2010

BD - Quand la police devient pur esprit


A quoi serviront les policiers dans le futur ? Un futur où les progrès de la médecine et de la technologie auront transformé chaque être humain en immortel. Qui aura l'étrange idée de tuer un immortel ? Sur ce canevas simple Fabien Vehlmann a imaginé une longue histoire de 150 pages, « Les derniers jours d'un immortel », dans laquelle le héros, Elijah, est le plus célèbre enquêteur de la police philosophique.

Les hommes sont devenus immortels car ils peuvent se dupliquer en autant « d'échos » qu'ils le désirent. Des doubles qui peuvent vivre des vies autonomes. Il suffit, à un moment, que l'écho fusionne son esprit avec le « corps premier » pour qu'ils aient des souvenirs en commun. Sur cette base très intellectuelle, le scénariste déroule plusieurs intrigues purement policières. Pourquoi un extraterrestre, en très bon terme avec son collègue humain, l'a-t-il écrasé de ses bras vigoureux ? Que reprochent les Aleph, de pures vibrations intelligentes vivant dans des cavernes, aux Ganédons, l'autre race de la planète ?

Face à des énigmes semblant insolubles, Elijah va trouver les solutions simplement en tentant de comprendre le fonctionnement de ces races extraterrestres totalement différentes. Un travail prenant, difficile, épuisant intellectuellement. Pas étonnant donc si ces immortels, à un moment, choisissent de lâcher prise et de mourir. Ce temps est-il venu pour Elijah ?

Ce récit de science-fiction semble au premier abord austère et tordu. Mais si on fait l'effort d'y plonger corps et âmes, il ouvre des perspectives étonnantes. Comme le dessin de Gwen de Bonneval, faussement simple, beaucoup plus élaboré qu'il n'y paraît. Un OVNI dans la production actuelle, preuve que si Vehlmann a accepté de reprendre les aventures de Spirou et Fantasio (avec Yoann au dessin), il garde toute latitude pour signer des récits plus personnels.

« Les derniers jours d'un immortel », Futuropolis, 20 € 

vendredi 4 juin 2010

BD - La grande régression de "La Zone" de Stalner


La thématique de science-fiction « Après la bombe » a été un des succès des années 60 et 70. En pleine guerre froide, les auteurs se faisaient peur à imaginer ce que serait notre futur après l'explosion de quelques bombes nucléaires.

De nos jours, c'est plutôt une épidémie ravageuse qui ferait que la civilisation moderne se mettrait à régresser. Un thème qu'aborde Eric Stalner dans sa nouvelle série, « La Zone », prévue en quatre tomes aux éditions Glénat. Dans le nord de l'Angleterre, une petite communauté survit après le grand cataclysme. Des hommes et des femmes repliés sur eux, interdisant à quiconque d'aller vers le Sud, là où la vie est impossible. Ce retour au Moyen âge a également marqué le regain d'influence des hommes d'église et le désintérêt pour quelque chose pourtant d'essentiel : la lecture. 

Lawrence est un des derniers à savoir lire. Dans sa maison, il conserve des milliers d'ouvrages et tente d'apprendre à lire à Keira, une adolescente. Mais si cette dernière est si assidue aux cours, c'est avant tout pour dérober à Lawrence les cartes du pays. Ainsi équipée, elle désire aller à Londres avec deux de ses amis. Lawrence, qui lui connaît l'enfer qu'est devenu la capitale, décide de retrouver Keira. Contraint et forcé, les villageois le considérant comme responsable ont voulu le tuer et ont incendié sa maison, transformant cette basse vengeance en immense autodafé.

Cette nouvelle série semble avoir du souffle et de l'esprit. Si on ne parvient pas encore à s'identifier aux personnages (il ne s'agit que du premier tome), cet album de 56 pages ne manque pas d'action et de rebondissements. Et surtout, on ne peut que saluer ce récit qui tente, à l'avance, de persuader les générations futures de l'intérêt du savoir, de la lecture et de la mémoire des anciens. A lire de toute urgence, en espérant que cette fiction de devienne jamais une réalité.

« La zone » (tome 1), Glénat, 13 € 

jeudi 3 juin 2010

BD - Questions autour d'une peinture


Clovis a tout du Français moyen. Lunettes, raie sur le côté, cravate sombre de représentant en commerce (métier qu'il exerce sans passion), marié, deux enfants, les traites d'une maison à payer dans une petite ville de province. Clovis aurait pu vivre tranquillement sans se poser de questions jusqu'à la fin de ses jours. Mais un jour, Clovis décide d'aller au musée. A Paris, à Orsay. Il découvre l'Angélus de Millet et sa vie bascule. 

Ce tableau, représentant deux paysans en train de prier dans un champ alors que l'angélus résonne au loin semble lui dire plus que cette simple scène champêtre d'un autre âge. Clovis va donc se remettre en questions, accumuler la documentation sur ce tableau et découvrir qu'il n'est pas le premier à avoir été fasciné par cette toile. Durant deux années, Dali n'a peint que des interprétations de l'Angélus. Pourquoi, quel lien avec Clovis ? 

Ces questions sont au centre de la première partie de ce dyptique de la série Secrets écrite par Giroud. Au dessin, une nouvelle fois, c'est un Espagnol surdoué, Homs, qui donne vie et couleur à ces interrogations.

« L'Angélus » (tome 1), Dupuis, 13,50 € 

mercredi 2 juin 2010

BD - Vol dans un tombeau


Les séries concept ont toujours le vent en poupe. « Le casse » est une des dernières imaginée par David Chauvel pour les éditions Delcourt. Six albums, de six duos différents, racontent un vol célèbre ou exceptionnel. Le premier album, en Sibérie, avec des diamants, concordait parfaitement avec le concept. 

Mais un concept, cela peut également voler en éclat. Meunier et Guérineau, dans « Le troisième jour », sont à mille lieues du thriller classique. Nous sommes à Jérusalem le 6 avril de l'an 30. Le peuple et les responsables religieux ont choisi : entre Barrabas, le voleur, et Jésus, le prophète, c'est ce dernier qui sera crucifié. Marie-Madeleine, dans l'ombre, va imaginer une savante machination pour tenter de sauver la vie de celui qu'elle considère comme le fils de Dieu. 

Elle intrigue avec les Romains, cherche des complicités sur le chemin de croix. Avant un final époustouflant, devant le tombeau du Christ, le lieu du fameux « casse ». L'Histoire des débuts du Christianisme racontée par ces deux auteurs est iconoclaste, mais très crédible...

« Le Casse : le troisième jour », Delcourt, 14,95 € 

mardi 1 juin 2010

BD - Baptême du feu pour Alpha avec Jigounov


Comment l'agent Alpha, dont les aventures sont contées par Mythic et Jigounov depuis une décennie, a-t-il intégré la CIA ? C'est l'idée de départ de cette série dérivée du best-seller de la collection « Troisième vague ». Herzet (scénario) et Loutte (dessin) ont relevé le défi. Côté dessin, c'est le même classicisme rigoureux. Loutte, après des années de Biggles, n'a pas peur de la technologie ni des « pinailleurs » sur les armes ou les uniformes. 

Pour le scénario, Hervet, avant de faire entrer en scène le sergent Dwight Delano Tyler, a longuement expliqué la machination qui est sur le point de changer la face du monde. La société Thirdnail a mis au point un composant électronique, arme ultime de la surveillance planétaire. 

En multipliant ce composant dans tous les systèmes, elle tisse une toile où plus rien ne lui échappe. Mais quand un informaticien est sur le point de découvrir le pot au roses, Thirdnail choisit la méthode radicale. C'est dans ce cadre que Tyler fait ses premières armes.

« Alpha, premières armes » (tome 1), Le Lombard, 10,75 € 

lundi 31 mai 2010

Roman - Malheur au vaincu

Trois hommes au sommet d'une colline. Un officier surveillé par deux soldats insurgés. Huis clos en pleine nature signé Hubert Mingarelli


Verbe précis et soigneusement ciselé pour qu'il sonne juste : un texte d'Hubert Mingarelli se reconnaît rapidement. Il a la simplicité des très grands romanciers. Simplicité du style mais également des situations. Avec quelques constantes, des repères immuables. Dans ses romans, souvent, les personnages sont des soldats, ou du moins des hommes, entre solitude et camaraderie forcée. Et puis les pays sont toujours imaginaires. Cette fois il ressemble à une de ces dictatures de l'Est ayant reconquis leur liberté. Les romans signés Hubert Mingarelli sont de formidables armoires, remplies de tiroirs que le lecteur prend plaisir à ouvrir pour y découvrir scènes fortes ou belles réflexions.

Trois hommes dans la nuit

« L'année du soulèvement » raconte une nuit partagée entre trois hommes : un officier prisonnier et ses deux geôliers, simples soldats issus du peuple des insurgés. Avant d'être jugés, les officiers sont isolés. San-Vitto doit donc être conduit au sommet d'une colline par Daniel et Cletus. Le premier, jeune, désinvolte, pressé, renâcle à rejoindre cet endroit isolé où il a l'impression de ne servir à rien. Cletus, par contre, entend bien profiter de cette escapade. Cela fait déjà de longs mois qu'il est soldat au sein de cette troupe improvisée. De longs mois à se battre, à regretter d'avoir quitté sa région, ses racines. Cette mission, il l'accueille comme une parenthèse apaisante. Mais il n'oublie cependant pas qu'il est le chef. Il imposera une discipline de fer à Daniel et des conditions de détention assez dures pour San-Vitto.

La nostalgie de Cletus


Du trio, Cletus est le plus intrigant, le plus insaisissable. Mais par petites touches, Hubert Mingarelli va dévoiler des pans de son passé, de sa vie d'avant. Cletus est las de cette guerre, des combats, de son exil. Alors qu'il garde San-Vitto, il ne peut se projeter dans l'avenir, quand tout sera terminé. « Il se dit qu'un jour ou l'autre, quand il marcherait dans la neige, loin d'ici, chez lui, la distance aiderait à rendre les choses et les événements d'ici lointains et irréels. » Cletus plonge dans une rêverie salutaire « Alors il pensa aux forêts sous la neige et aux premières branches des sapins si lourdes qu'elles ploient jusqu'au sol. (...) Il pensa au soleil blanc et froid qui lui indiquait toujours l'heure, et au ciel lumineux et aux traces des bêtes dans la neige. » Mais à côté de ces passages poétiques, la situation de tension perdure. Cletus sait parfaitement quel sort attend San-Vitto. Et ce dernier n'arrive pas à profiter de ces derniers instants de relative tranquillité. « San-Vitto posa sa tête contre le mur, ferma les yeux puis les rouvrit aussitôt. Sa peur et sa solitude étaient trop grandes pour qu'il les garde fermés. » Avant la fin de la nuit, d'autres hommes en armes viendront chercher San-Vitto. Cette pensée obsède Cletus. Cletus, le solitaire emporté par la folie des hommes.

« L'année du soulèvement », Hubert Mingarelli, Seuil, 16 € (La photo de l'auteur est de Brice Toul) 

vendredi 28 mai 2010

Nouvelles - Camille de Casabianca raconte le cinéma, ses métiers, ses doutes


Actrice, scénariste, réalisatrice : Camille de Casabianca a toujours baigné dans le milieu du cinéma. Fille d'Alain Cavalier, elle s'est construit une carrière éclectique, du second rôle dans « PROFS » au scénario de « Thérèse » en passant par « C'est parti », le documentaire au long cours sur la naissance du NPA d'Olivier Besancenot. Mais Camille de Casabianca aime aussi écrire. Après un premier roman « Le lapin enchanté », elle propose cette fois huit nouvelles, exercices d'autofiction, où elle radiographie huit métiers ou situations propres au 7e art.

Sportifs de haut niveau

On la découvre actrice, dans une obscure production d'un Pays de l'Est, accompagnatrice de son fiancé, un cinéaste célèbre, en Pologne, ou tentant de persuader un monstre sacré du cinéma français de participer au casting de son prochain film. Elle se met en scène, se dévoile, raconte ses doutes, ses découragements ou joies. Loin des paillettes d'un milieu aimant le papier glacé, elle explique simplement la « tambouille » nécessaire à la naissance d'un film. 

Deux nouvelles plus longues sortent du lot. « Le héros dans l'ombre » raconte le tournage d'un documentaire sur l'équipe de France de judo. Exactement, les préparatifs pour les championnats du monde à Barcelone. La réalisatrice mettra des semaines pour se faire accepter par tous. Elle suit plus spécialement un champion mettant son titre en jeu. Elle espère qu'il sera une nouvelle fois sacré. Les vainqueurs ça marche toujours auprès du public. Catastrophe, il perd dès le premier tour. Le champion est désolé : « J'ai niqué le film ». Mais Camille de Casabianca écrira, plus tard, « Personne ne sait encore que le fim sera encore plus intéressant avec lui qui perd. Et que, ironie du sort, ce sont ces bobines de celluloïd qui rafleront des prix. »

Pénible promotion

Changement d'ambiance dans « Le jour j », « Récit d'une sortie ». En 1995, Camille de Casabianca écrit, produit et réalise « Le fabuleux destin de Mme Petlet ». Cette comédie a la particularité d'avoir en vedette Maïté, la célèbre cuisinière télévisuelle du Sud-Ouest pour son premier (et unique) rôle au cinéma. Après un tournage qui semble s'être passé sans trop de problèmes, elle va vivre un long cauchemar quand viendra l'heure de la promotion. Plus d'un mois à sillonner la France pour présenter un long-métrage qui plaît, mais sans plus. Et surtout, Maïté semble se désintéresser de cette pourtant nécessaire promotion, elle prend même tout le monde à contre-pied en expliquant sans cesse qu'elle se « trouve horrible ». 

La réalisatrice (qui fut également actrice, cela aide) parvient à faire bonne figure face aux public, partenaires et diffuseurs. Mais le soir, dans les hôtels miteux, c'est désespoir et crise de larmes. Cette nouvelle est la plus personnelle, la plus touchante, celle où l'auteur se dévoile le plus. Le film n'a pas été un grand succès, mais n'a pas été le dernier de Camille de Casabianca. Elle a su rebondir, retourner derrière la caméra, se mettre à nouveau en danger. Tout en continuant à écrire.

« Nouvelles du cinéma », Camille de Casabianca, Editions Leo Scheer, 17 € 

jeudi 27 mai 2010

Humour - Une « vie de merde », ça n'arrive pas qu'aux autres !


Vous trouvez votre existence terne, sans saveur, triste ? Avant de plonger dans une grave dépression, lisez ce livre et dites-vous que finalement, cela aurait pu être pire. « Vie de merde » est apparue sur internet il y une paire d'années. Rapidement, ce site de témoignages a regorgé d'anecdotes croustillantes, visitées chaque jour par des milliers de personnes. Le principe est simple. En quelques lignes, vous racontez une mésaventure vécue dans la journée. Une situation honteuse qui vous permet, au final, d'affirmer que vous avez une « vie de merde ».

Succès oblige, ces VDM se sont déclinées sur papier (pour tous les Français qui n'ont pas internet, imaginez quel type de VDM ils sont obligés de subir...) et le premier volume vient d'être repris au Livre de Poche. Pour quelques euros (5,50 exactement) vous pourrez vous délecter des malheurs des autres. Avec en prime quelques commentaires d'internautes, parfois aussi bidonnants.

En trois grandes catégories, Maxime Valette et Guillaume Passaglia ont sélectionnne la crème du pire, Pénélope Bagieu se chargeant d'en illustrer une vingtaine. Pour vous donner un petit avant-goût, ce témoignage dans la partie « Grands moments de solitude » : « Aujourd'hui, je voulais faire peur à ma petite femme en me cachant derrière une porte, puis surgir tel un zombie. Elle m'a dit : « Arrête, il y a ton ventre qui dépasse. » VDM »

Pour les grands drogués (on devient rapidement accro), le site viedemerde.fr est toujours actif. Chaque jour des dizaines de nouvelles VDM sont validées par des experts de la chose. Pour débuter la journée, c'est le meilleur antidépresseur qui soit...

« Vie de Merde », Le Livre de Poche, 5,50 €  

mercredi 26 mai 2010

BD - Folie maternelle


Décidemment, les éditions Dargaud ont l'art de dénicher des auteurs espagnols talentueux. Après Blacksad (Guarnido et Canales) et Jazz Maynard (Roger et Raule), voici une nouvelle signature qui devrait refaire parler d'elle : Jordi Lafebre. 

Ce Barcelonais illustre un récit complet de Zidrou qui fera pleurer dans les chaumières. Une petite ville du Nord de la France, les années 30 ; Camille, une jeune femme un peu simplette est sur le point d'accoucher. On ne connait pas le père. Et l'enfant ne survit pas. Lydie est morte à la naissance. Mais Deux mois plus tard, Camille se persuade que son bébé est revenue. Et elle va élever cette enfant imaginaire, avec la complicité de tout le quartier. 

On se fait happer par cette tendre et folle histoire d'amour maternel et on se surprend à vouloir prendre dans ses bras cette petite fille virtuelle...

« Lydie », Dargaud, 14,50 € 

mardi 25 mai 2010

BD - Fascinante Majipoor


Majipoor, saga foisonnante de Robert Silverberg, est du pain béni pour David Ratte, le dessinateur chargé de l'adaptation de ce monument de la science-fiction. Le premier tome était enthousiasmant, cette suite est décoiffante. 

Toujours sur un scénario de Jouvray, Ratte donne sa vision des dragons des mers, d'une ville portuaire grouillante d'activité et surtout de l'île du sommeil, cette contrée de pèlerinage où chaque évolution de sa conscience correspond à un secteur géographique. 

Le lecteur suit les pas de Lord Valentin, le Coronal de Majipoor, lancé dans une folle quête pour reprendre possession de son château et faire cesser l'oppression de son peuple. Le réalisme de ce monde imaginaire est à couper le souffle.

« Majipoor » (tome 2), Soleil, 12,90 €