mardi 26 novembre 2024

BD - La mémoire du futur de Spirou et Fantasio


La mode semble à la mort des héros. Spirou, vénérable personnage qui a fait le succès des éditions Dupuis, semblait avoir tiré sa révérence lors que précédent album titré sobrement La mort de Spirou. Mais les repreneurs de la série popularisée par Franquin, (Benjamin Abitan et Sophie Guerrive au scénario, Olivier Schwartz au dessin), ont plus d’un tour dans leur sac et proposent un 57e album, La mémoire du futur.


La suite du précédent où Spirou est prisonnier d’une intelligence artificielle issue du robot Cyanure, jolie création de Tome et Janry dans les années 80. Un héros persuadé d’être retourné à Bruxelles en 1958. Il devra trouver la faille qui lui permettra de retrouver le présent.

Un album assez déconcertant. Un côté hommage au Spirou de Jijé, mais un final hyperviolent, avec hécatombe (virtuelle certes) des seconds rôles. L’ensemble est cependant de très bonne qualité, version modernisée et futuriste d’une série qui va vers ses 90 ans.
« Spirou et Fantasio » (tome 57), Dupuis, 64 pages, 12,50 €

BD - Questions sur la ligne de vie de Corto Maltese


Comme Tintin ou d’autres héros de papier, Corto Maltese est un grand voyageur. Ses aventures lui ont donné l’occasion de visiter tous les continents et dans ce 17e album, il accroche un nouveau pays à son tableau de chasse : le Mexique.

Dans La ligne de vie, récit écrit par Juan Diaz Canales et dessiné par Ruben Pellejero, Corto cherche des fonds pour finaliser la restauration de son bateau. La démoniaque Bouche Dorée lui propose un marché : se faire passer pour un amateur d’art et acheter des objets en jade à un pilleur de temples mayas.


Une mission simple qui va se compliquer car Corto se retrouve embarqué, malgré lui, dans la guerre civile qui déchire le pays durant ces années 20. Le gouvernement, républicain, tente de mater la révolte des catholiques. Le bel aventurier va devoir transporter des caisses de munitions pour les insurgés.

Une longue aventure, pleine de péripéties, avec le retour de quelques seconds rôles connus (Raspoutine, Banshee) et la mort qui plane sur le héros à la boucle d’oreille. Une diseuse de bonne aventure lui a annoncé le raccourcissement de sa ligne de vie. Finalement, Corto Maltese est-il mortel ?

« Corto Maltese » (tome 17), Casterman, 80 pages, 17 €

lundi 25 novembre 2024

BD - De l’or (et un nouveau scénariste) pour les Tuniques Bleues


Pas de retraite pour les Tuniques Bleues et encore moins pour leur dessinateur, Lambil. Il signe le 68e album de ce duo légendaire de soldats américains pris dans la tourmente de la guerre de Sécession.


Cette fois c’est Fred Neidhardt qui signe le scénario. Le Montpelliérain, après avoir écrit un Spirou, s’attaque à une seconde légende de la BD franco-belge. Avec bonheur. Il offre notamment un début d’aventure très grinçant avec reparties cinglantes de Blutch, éternel tire-au-flanc dont la permission va être gâchée par son complice de toujours, Chesterfield. Ils vont tenter de dérober un chargement d’or destiné à financer l’armement des Sudistes.

À noter que l’un des personnages secondaires est un soldat noir, permettant à cette BD de faire passer quelques messages contre le racisme. Comme une réponse anticipée à la polémique autour de l’album Spirou et la Gorgone Bleue.
« Les Tuniques Bleues » (tome 68), Dupuis, 48 pages, 12,50 €

BD - "Signé Olrik", le dernier album de Blake et Mortimer d'André Juillard


Ce n’est pas sans un peu d’émotion qu’on découvre le nouveau Blake et Mortimer, le dernier dessiné par Juillard, mort à la fin de l’été. Un scénario d’Yves Sente pour une aventure se déroulant exclusivement en Angleterre : Londres et les Cornouailles.

Olrik fait des cauchemars. Il vit par anticipation son exécution. Prisonnier et condamné à mort, il attend sa dernière heure. L’arrivée de deux nouveaux prisonniers dans sa cellule va lui permettre de mettre au point un téméraire plan d’évasion. Un Blake et Mortimer fidèle aux codes de la série imaginée par Jacobs. Les deux héros vont avoir fort à faire pour contrer les multiples menaces pesant sur la couronne britannique.

Le professeur y développe une de ses inventions, une « Taupe », sorte d’excavateur permettant de creuser des galeries souterraines pour faciliter l’exploitation des mines. Il y est aussi question de la légende d’Excalibur, dernière occasion pour Juillard de dessiner des planches historiques qui ont fait son succès.
« Signé Olrik », Blake et Mortimer, 64 pages, 17 €

dimanche 24 novembre 2024

Thriller - N’oubliez pas « Phase 3 »

Nombre de chercheurs tentent de trouver un médicament pour vaincre Alzheimer. Dans ce roman d’Asa Ericsdotter, la solution est en vue. Mais à quel prix ? 

Genre à part, le thriller médical et scientifique connaît un regain d’intérêt depuis la pandémie mondiale. Asa Ericsdotter, romancière suédoise, s’engouffre dans la brèche en signant Phase 3, un thriller d’une incroyable efficacité et d’un réalisme qui risque de vous glacer d’effroi si vous avez plus de 60 ans.

La molécule mise au point par deux équipes de chercheurs américains agit directement sur les cellules du cerveau. Comme une sorte de détergent, qui nettoie les terminaisons nerveuses facilitant la communication entre neurones. Conséquence immédiate : les patients atteints par la maladie d’Alzheimer retrouvent la mémoire et une parfaite perception de leur réalité. Des recherches qui débouchent sur la mise au point d’un médicament, baptisé Re-cognize. Après de longues études théoriques, un essai clinique est réalisé sur des souris de laboratoire. Puis des malades, volontaires.

Re-cognize en est à la phase 3, la dernière, celle qui devrait, dans la foulée, permettre d’obtenir l’autorisation de la mise sur le marché. Cela semble un miracle. Presque trop beau pour Celia, Adam ou David, les trois personnages principaux du roman. Première alerte, quand une souris guérie tue les autres cobayes de sa cage. Puis des tueries de masse dans une maison de retraite et dans un centre commercial alertent les chercheurs. Car les tueurs sont des personnes âgées, des volontaires pour tester Re-cognize.

Phase 3 raconte comment certains scientifiques jouent avec le feu. Alors que d’autres sont excessivement prudents. Difficile de trouver un juste milieu quand il faut combattre ce mal horrible : « La grand-mère de Celia était la plus forte, la plus avisée. Puis la maladie d’Alzheimer avait commencé à la vider de toute sa sagesse. […] Elle était devenue quelqu’un d’autre. Puis elle était devenue personne. C’était une maladie diabolique. » En alternant les points de vue (chercheur, malades, cobayes), la romancière parvient à faire monter la tension dans une intrigue aux multiples rebondissements. Une réflexion très lucide sur la recherche médicale, ses conséquences, ses errements et les espoirs qu’elle suscite souvent.

Mais cela ne reste que de la fiction et malheureusement, tous les jours, des centaines de mémoires et de vies disparaissent de la surface de la terre.

« Phase 3 », Asa Ericsdotter, Actes Sud, 480 pages, 24 €

samedi 23 novembre 2024

Cinéma - Quand l’amour chamboule la vie des “Trois amies”

Plus compliqué que le ménage à trois, les trois histoires d’amour partagées et concomitantes de trois amies inséparables. Une comédie romantique douce-amère signée Emmanuel Mouret.


Joan, Alice et Rebecca sont amies. Trois jeunes femmes, enseignantes vivant à Lyon, qui se disent tout. Ou presque. Joan (India Hair) est la plus franche. Elle ne peut s’empêcher d’avouer à Alice (Camille Cottin) qu’elle n’est plus amoureuse de Victor (Vincent Macaigne), son compagnon et père de sa fille. Alice relativise : elle n’a jamais été follement amoureuse d’Éric (Grégoire Ludig), mais ne peut pas vivre sans sa présence quotidienne.

Rebecca (Sara Forestier) quant à elle est toujours célibataire. La plus fofolle du trio, vient de craquer pour un certain Monsieur X. Un homme marié dont elle cache soigneusement l’identité à ses deux amies. Logique, c’est Éric.

Quand Thomas (Damien Bonnard) est nommé dans le même collège que Joan et Alice, ces petites romances évoluent, mutent, se fracturent surtout.

Emmanuel Mouret est le cinéaste des amours compliquées. Il vient de placer la barre encore plus haut dans ce film où les sentiments perturbent le quotidien des trois protagonistes. En racontant en parallèle (mais aussi en les entremêlant) ces différentes rencontres et perceptions de l’attirance pour l’autre, il démontre brillamment qu’il n’y a pas un type d’amour, de coup de foudre ou de façon d’aimer mais une multitude. Autant que de personnes, voire de couples potentiels.

Si Vincent Macaigne, dans un rôle fantomatique étonnamment serein, semble être au final la voix de la raison, les trois femmes sont différentes et complémentaires. Joan, rongée par la culpabilité, refuse de se laisser guider par ses sentiments. Comme si elle portait en elle une sorte de malédiction. Alice, aux rêves étranges et prémonitoires, semble enfin rencontrer un homme qui la fait chavirer. Mais cela en vaut-il vraiment la peine quand le quotidien avec son premier compagnon est si doux ?

Reste le cas de Rebecca. La plus excentrique, aux sentiments les plus exacerbés. Sara Forestier, trop longtemps absente des écrans, revient avec un rôle en or. Obligée de mentir à ses amies après avoir trahi l’une des deux, elle ne sera jamais que la maîtresse qu’on cache. Celle qui enchaîne les déceptions, manque d’assurance et fait les mauvais choix. Sauf que, parfois, l’amitié est plus forte que l’amour et que ce dernier, comme la chance, frappe sans la moindre logique. Au final, Trois amies est un film universel d’une très grande finesse.

Film d’Emmanuel Mouret avec Camille Cottin, Sara Forestier, India Hair, Damien Bonnard, Vincent Macaigne, Grégoire Ludig.

En vidéo, “Le comte de Monte Cristo”


Énorme succès de cet été (presque 10 millions d’entrées), Le comte de Monte Cristo arrive en DVD et Blu-ray chez Pathé quelques semaines avant les fêtes de fin d’année. Un cadeau qui s’impose pour tout amateur de cinéma français de qualité.

On retrouve avec plaisir Pierre Niney dans le rôle-titre de cette adaptation virevoltante du roman d’Alexandre Dumas par Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patelière. Une histoire de vengeance universelle qui prouve le côté indémodable du classique de la littérature française.

L’édition en vidéo de ce succès au box-office est très soignée avec une multitude de bonus comme un long making of et de multiples entretiens avec les membres de l’équipe. Un futur classique.

vendredi 22 novembre 2024

BD - Jeremiah dans le brouillard


Nouvelle aventure cauchemardesque pour Jeremiah, survivant de plus en plus impitoyable dans un monde postapocalyptique hyperviolent. Malgré les réticences de Kurdy, Jeremiah a accepté une mission douteuse. Convoyer un mystérieux objet très dangereux.

Dans des ruines grises, plongées dans la fumée et le brouillard, le duo va devoir affronter deux frères qui se font la guerre. Pris entre deux feux, ils ne devront pas hésiter à tuer pour survivre. Un long cauchemar pour les héros, peuplé d’hommes et de femmes aux visages déformés par leurs vies crasseuses.

Hermann, plus de 80 ans, a perdu un peu de précision dans son trait, mais conserve une étonnante faculté à retranscrire ces ambiances crépusculaires et morbides.
« Jeremiah » (tome 41), Dupuis, 48 pages, 13,50 €

jeudi 21 novembre 2024

BD - XIII à Moscou


Toujours en délicatesse avec sa mémoire, Jason Mac Lane, alias XIII, navigue entre passé et présent. Désormais animé par Yves Sente (scénario) et Iouri Jigounov (dessin), le héros tatoué quitte Cuba pour la Russie. Dans un jet privé, il vole vers la capitale russe, à la recherche d’une microcassette qu’il aurait cachée, en 1984, dans l’ambassade américaine, la fameuse Spaso House.

En plus de quelques scènes du passé, la BD propose une longue et passionnante course-poursuite dans les rues de Moscou. Car XIII, toujours dans les coups compliqués, se retrouve au centre d’une guerre d’influence en deux services russes, le GRU et le FSB. Le premier, le renseignement militaire, veut prendre le dessus sur la sécurité intérieure.

Un terrain d’action idéal pour Jigounov, successeur de Vance, à l’aise pour dessiner la ville qui l’a vu naître il y a 50 ans. Un album charnière, sur le passé du héros mais qui permet aussi de préciser le prochain thème, très lié à l’actualité, des albums à venir.
« XIII » (tome 29), Dargaud, 48 pages, 13,50 €

mercredi 20 novembre 2024

Thriller - « L’ours qui dort » réveille la guerre froide

 Alaska, terre sauvage. Les risques sont multiples pour les aventuriers. Des ours affamés aux savants fous en mal de cobayes.


La fascination des Américains pour leur armée est une réalité indéniable. Toute une littérature sur les exploits des GI’s et autres SEALS alimente la fierté de cette frange nationaliste du pays pour des héros ayant l’amour de la patrie chevillée au corps. Dans le genre, L’ours qui dort, premier roman de Connor Sullivan, en est un exemple parfait. L’auteur raconte les aventures de la famille Gale.

Le père, Jim, vit dans un ranch dans le Montana avec ses deux grandes filles, Cassie et Emily. Le moral de la première est au plus bas. Elle vient de perdre son mari. Cette ancienne ranger part se ressourcer en Alaska. En compagnie de son chien, elle va camper au bord d’une rivière, loin de toute civilisation. C’est là qu’elle est enlevée par des inconnus. Jim se rend immédiatement sur place à sa recherche. Mais comment retrouver une femme dans cette nature immense et sauvage ?

D’autant que les dangers sont multiples, comme cette rencontre périlleuse : « L’ours chargea. Une masse de six cents kilos de sauvagerie se précipitait sur lui avec la puissance d’une locomotive lancée à pleine vitesse. Le vieux cowboy abandonna la recherche de son revolver et se roula en position fœtale, les mains autour de son cou. »

Débutant comme un roman de survie en milieu hostile, le roman prend ensuite la trajectoire d’une histoire de vengeance sur fond d’espionnage du temps de la guerre froide et d’expériences scientifiques pratiquées par de véritables savants fous sur des prisonniers politiques. Un suspense haletant, des forêts du grand Nord au goulag russe en passant par la salle de crise de la Maison Blanche et le palais secret de Poutine.

Écrit avant l’invasion russe de l’Ukraine, ce texte alerte aussi sur les vues impérialistes d’un pouvoir de plus en plus totalitaire. Cela manque parfois de nuances, mais c’est malheureusement criant de vérité.

« L’ours qui dort », Connor Sullivan, H & O Thriller, 480 pages, 22,90 €