samedi 26 août 2023

BD – Genèse d’un film de boules


L’amitié, l’amour du cinéma de série Z et la mort nous poussent parfois à faire de bien étranges choses. Anne et Fred par exemple, pour rendre hommage à leur meilleur ami Henri, récemment décédé, ont décidé de réaliser le scénario de film qu’il venait de finaliser.


C’est ce tournage qui sert de fil conducteur au roman graphique d’Antoine Bréda. Les boules (6 pieds sous terre, 96 pages, 16 €) fait toute la lumière sur « Les aventures d’Adrix le Destructeur, l’empereur des 9 galaxies ». Clairement un nanar, avec décors en carton-pâte, costumes bricolés, dialogues idiots et, pour couronner le tout, truffé de scènes pornographiques complètement gratuites. Un film de boules, quoi !
Si Anne endosse le statut de réalisatrice, Fred accepte de jouer le rôle d’Adrix. Problème, il doit régulièrement « honorer » la sorcière bleue dont l’urine est magique. Des scènes qui offusquent (pour être gentil) sa petite amie. On rit beaucoup de ce tournage foutraque et clandestin, perturbé par des chasseurs libidineux ou des policiers tatillons. 

Mais in fine, cette BD, en plus de renseigner sur la passion de certains cinéastes, nous apprend beaucoup sur l’amitié et les différentes façons de ne pas oublier les morts.

Roman français - Souvenirs amoureux de Chloé Delaume


Autofiction mon amour ! Chloé Delaume aurait aussi pu donner ce titre à son roman, sorti ce vendredi dans le cadre de la rentrée littéraire. Ella a préféré Pauvre folle (Seuil, 236 pages, 19,50 €), description assez convaincante de l’état d’esprit de son double de papier, Clotilde, écrivaine bipolaire, dite la Reine.

La narratrice égrène ses souvenirs. D’enfance ou amoureux. Elle se souvient pourquoi elle aime la poésie, comment son père a tué sa mère qui voulait simplement divorcer (le terme de féminicide n’était pas inventé), avant de se faire sauter le caisson avec le même fusil… Avec ses copines, elle découvre que les hommes sont tous des gros connards, détaillant les différentes catégories où messieurs vous pourrez tous vous reconnaître du « réactionnaire en sandales » au « verrat visibilisé ».

Mais elle change quand elle tombe amoureuse de Guillaume dit le Monstre et tente de le séduire. Problème, Guillaume est gay et en couple depuis des années. On rit parfois aux remarques de Clotilde, on s’énerve aussi avec elle quand elle fustige les modes comme la résilience : « Ça arrange bien tout le monde cette histoire de résilience, on peut broyer les êtres puisqu’ils s’en remettent toujours. »

vendredi 25 août 2023

En vidéo, “Dalva”, fille sous emprise


Petite sensation lors du dernier festival de Cannes, Dalva, premier film d’Emmanuelle Nicot sort en DVD (Diaphana) avec de nombreux bonus. Deux courts-métrages de la jeune réalisatrice belge ainsi que son portrait réalisé dans le cadre de la Fondation GAN pour le cinéma. Dalva a 12 ans. Kidnappé par son père, elle vit avec lui et les services sociaux suspectent un possible inceste. 

Le film débute par l’arrestation du père et les cris de désespoir de Dalva qui veut le défendre. Car l’adolescente est totalement sous emprise. Le film raconte avec une crudité extrême son placement en foyer et le long travail des éducateurs et encadrants dépendants de la Justice. 

La performance de Zelda Samson, jeune inconnue à la présence magnétique, a été saluée unanimement par la critique.

BD - Humour jaune rebondissant selon Panaccione

Se moquer du sport, et surtout des sportifs, reste la meilleure façon pour se déculpabiliser de ne pas s’adonner à la moindre activité physique. Les footballeurs sont des proies de choix. Pourtant il existe une race de sportifs tout aussi bien payée qui échappait jusqu’à présent aux sarcasmes : les tennismen. Erreur réparée par Grégory Panaccione avec son Encyclopédie du tennis (Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €) constituée d’histoires courtes parues précédemment dans le mensuel créé par Gotlib.

Pour nous donner les rudiments de ce sport, Panaccione a fait confiance à Marcel Costé, international qui rêve de devenir N° 1 et déjà croisé dans Match, autre album hilarant sur la raquette et les balles jaunes, comme un certain humour. Marcel, gros godillots, bedaine en expansion, cheveux blond filasse et barbe de trois jours ressemble à Bjorg croisé avec Chabal. Il excelle à la destruction de raquettes, fume une clope au changement de côté et préfère le gros rouge à la Vittel.

L’occasion pour l’auteur de bousculer les règles. On assiste à des parties de tennis-car (les joueurs sont dans une voiture) et après le simple ou le double, place au centuple : chaque équipe sur le court est composée de cent joueurs.

jeudi 24 août 2023

Cinéma - “Anatomie d’une chute” et doute assourdissant

La justice décortiquée, dans ses doutes et ses raccourcis, grâce au film de Justine Triet, Palme d’Or à Cannes.


Palme d’Or plus que méritée au dernier festival de Cannes, Anatomie d’une chute de Justine Triet est un thriller judiciaire captivant. On ne voit pas passer les 2 h 30 du film tant la tension et l’intrigue sont minutieusement distillées par la réalisatrice et ses interprètes. L’histoire d’une romance qui finit mal, dans le sang qui tache la neige. 

En hiver, dans la région de Grenoble, Sandra (Sandra Hüller), romancière allemande, vit dans un chalet isolé en compagnie de son mari, Samuel, originaire de la région, professeur d’université. C’est leur fils, Daniel (Milo Machado Graner) qui, au retour d’une balade avec son chien Snoop, découvre son père, mort devant la maison. Il était en train de faire des travaux dans les combles. 

Chute mortelle ? Les gendarmes doutent. La veille, Sandra et Samuel se sont violemment disputés. À l’issue d’une enquête compliquée, Sandra est accusée du meurtre et se retrouve aux assises. La première heure du film permet de contextualiser les rapports de la famille. Comprendre notamment que Daniel est aveugle après un accident dont Samuel serait responsable. 

Le doute omniprésent

Vient ensuite l’heure du procès. Le corps du film, filmé en plans resserrés, avec tous les effets de manche comme autant de trucs de comédiens de théâtre. L’avocat général (Antoine Reinartz) multiplie les questions piège pour acculer Sandra dans ses derniers retranchements. Car elle n’a pas tout dit aux enquêteurs. 

Elle pourra compter sur le calme et la rigueur méthodique de son avocat, Vincent (Swann Arlaud), qui a bien connu Sandra dans sa jeunesse. Cette partie est brillamment réalisée. Justine Triet y déploie sa science des cadrages, des dialogues et des silences parlants pour amener le spectateur à se poser les mêmes questions que les jurés : Sandra est-elle coupable ? A-t-elle tué son mari depuis la terrasse ? A moins que ce dernier ne se soit tout simplement suicidé en sautant dans le vide ? 

Malgré l’enquête, les avis des experts certifiés qui défilent à la barre, les déclarations de Daniel qui raconte ce qu’il croit avoir entendu, les arguments de la défense comme de l’accusation, le déroulement des faits reste une simple hypothèse. Pas de preuves formelles. 

On est alors pris d’un doute, incapable de savoir ce qu’il s’est véritablement passé. Pourtant tout procès doit, au final, délivrer son verdict. C’est aussi la grande leçon de ce film qui place la justice à son véritable niveau : une simple approximation.

Film français de Justine Triet avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner


Roman - Les transparents imaginés par Lilia Hassaine


Avez-vous déjà, profitant d’une fenêtre ouverte, observé subrepticement vos voisins ? Attitude répréhensible de nos jours. Pas dans le futur proche décrit par Lilia Hassaine dans Panorama (Gallimard, 240 pages, 20 €).

En 2050, la France a élevé la transparence au rang de dogme. Les maisons n’ont plus de murs mais d’immenses baies vitrées et l’obligation de tout laisser apparent. Résultat fin des violences intrafamiliales et des cambriolages… La police est presque au chômage comme le constate Hélène, « gardienne de protection. » Un monde aseptisé, qu’on peut déjà en partie deviner en regardant la jeunesse s’affichant sur des profils Instagram ou TikTok qui dévoilent tout.

Quand une famille disparaît, Hélène est chargée d’enquêter. « C’est à la nuit tombée qu’on voit le mieux, note la flic. On entre chez les gens comme par effraction, on fracture les serrures d’un simple coup d’œil. » Mais comment trois personnes, surveillées en permanence par une dizaine de voisins vigilants peuvent-elles s’évaporer dans cette société qui a tout du cauchemar éveillé ?

Charge au vitriol contre le voyeurisme et l’exhibitionnisme, Panorama interroge aussi sur le vivre ensemble, l’intimité et les secrets de famille.

mercredi 23 août 2023

En vidéo - “Les complices” maladroits du tueur à gages


Entièrement tourné dans l’Hérault, notamment dans les environs du lac du Salagou, Les complices de Cécilia Rouaud est une comédie trépidante dotée d’un trio d’une belle complémentarité. Max (François Damiens) est un tueur à gages au chômage : depuis peu, dès qu’il voit une goutte de sang, il tombe dans les pommes. Pourchassé par son organisation qui veut l’éliminer, il va recevoir l’aide de ses voisins, Karim (William Lebghil) et Stéphanie (Laura Felpin). 

Si lui est gentil, prévenant et cool, elle est dynamique, énervée et agressive. Employés (esclaves plus exactement), dans une société d’immobilier, ils vont permettre à Max de découvrir le monde du travail réel. Qui se révélera au final tout aussi violent que son organisation d’assassins. Le scénario, qui se cherche un peu par moments, hésitant entre les deux intrigues et les deux mondes, est finalement plus futé que décousu.

 L’humour est bombardé de tous côtés. François Damiens est parfait en être froid, calculateur et sans la moindre empathie, William Lebghil excelle dans son interprétation d’un gentil petit faon harcelé pas ses supérieurs hiérarchiques et Laura Felpin, pour son premier rôle au cinéma, imprime comme une urgence à toutes ses scènes. 

La sortie en vidéo du film (M6 Vidéo), offre un seul et unique bonus, mais très marrant. L’interview des trois comédiens et de la réalisatrice. Ce n’est plus de la promo mais un formidable concours de vannes et de potacheries hilarantes. 

BD - Invasion et extinction avec « Aurora »


Nouvelle version de la fin du monde. Christophe Bec, scénariste, délaisse les effets du réchauffement climatique pour s’intéresser aux effets d’une aurore boréale. Durant 24 heures, la terre est sous influence. 222 000 enfants naissent ce jour-là.


Une vingtaine d’années plus tard, les enfants de l’Aurore semblent se réveiller, se connecter et agissent tous de concert. Le second tome de Aurora (Soleil, 64 pages, 15,95 €) de cette trilogie dessinée par Stéfano Raffaele, poursuit la présentation des différents portraits d’enfants. Du fils d’un multimilliardaire à l’intelligence hyperdéveloppée à l’orphelin d’une favela, expert en foot et immunisé contre toutes les maladies en passant par le militaire, sniper d’élite.

Une seule semble différente, la dernière de la lignée, celle qui est née le plus au sud. Elle n’entend pas l’appel mais comprend ce qui se trame. Car ces enfants devenus adultes n’ont qu’une mission : exterminer la race humaine. C’est donc un album d’une rare violence (il y a plusieurs références au film American Nightmare) qui est proposé aux amateurs de science-fiction. Reste à découvrir qui manipule les 222 000 enfants de l’Aurore.

mardi 22 août 2023

Rentrée Littéraire - Peintres enquêteurs de la Renaissance


Passé le 15 août, arrive, telle une déferlante, les premiers titres de la rentrée littéraire. Découvrez dès aujourd’hui dans votre librairie préférée ce roman très brillant de Laurent Binet sur le milieu des peintres florentins au XVIe siècle.

Loin de l’encyclopédie barbante, Perspective(s) (Grasset, 288 pages, 20,90 €) se présente sous forme d’un roman policier épistolaire. Tout débute par une lettre de Giorgio Vasari, peintre, architecte et conseiller du Duc de Florence, à Michel-Ange, exilé à Rome. Il lui demande de revenir pour l’aider dans l’enquête sur l’assassinat de Jacopo da Pontormo, retrouvé mort devant sa fresque un poignard planté dans le cœur. Circonstance aggravante, un portrait de la fille du Duc, nue, le sexe offert, est découvert près du cadavre. Une toile qui va servir aux opposants du Duc.

Un vrai roman, avec rebondissements, fausses pistes, courses-poursuites et actes de bravoure. Sans oublier une réflexion sur l’art et son évolution : « La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l’infini » écrit Michel-Ange Déjà lauréat du Goncourt du premier roman en 2010, Laurent Binet, avec ses peintres enquêteurs, devrait faire partie des favoris pour le Goncourt 2023.

lundi 21 août 2023

Cinéma - “La voie royale” vers le pouvoir… ou le changement

"La voie royale", film de Frédéric Mermoud avec Suzanne Jouannet, Marie Colomb, Maud Wyler.


Film sur la fabrique de l’élite de la Nation, La voie royale de Frédéric Mermoud cache bien son jeu. On pense assister durant la première heure à un panégyrique de la culture de l’excellence, sélection naturelle qui permet aux plus brillants de suivre cette fameuse voie royale vers les grandes écoles, étape obligée pour toute personne qui rêve d’exercer le pouvoir.
D’autant que l’héroïne est une « campagnarde », une fille ayant un don pour les maths tout en aidant ses parents tôt le matin à donner à manger aux cochons et à charrier le fumier des vaches. Sophie (Suzanne Jouannet) est brillante. Son professeur de mathématiques voit en elle une pépite. Il fait tout pour qu’elle intègre une classe de prépa du lycée Descartes à Lyon pour tenter les concours.

Réticente au début, elle accepte finalement, avec le rêve a priori inaccessible d’intégrer Polytechnique, l’X. Ce chemin du combattant elle le partage avec Diane (Marie Colomb) et sous les encouragements (et brimades aussi) de sa prof Claire Fresnel (Maud Wyler). Travail intensif, intégration par les anciens, premières désillusions, amours impossibles : La voie royale est le portrait d’une jeunesse française qui oublie parfois de vivre. Sophie, avec son bon sens paysan, va tenter de s’intégrer. Mais elle découvre aussi qu’elle n’est qu’un quota. Une femme et boursière pour améliorer l’image du lycée.
Le film, dans sa seconde partie, prend le contre-pied et propose une autre vision de cette fabrique de l’élite. Élite plus humaine, responsable et au service de tous. Preuve que certains jeunes ambitionnent de prendre le pouvoir pour imposer un véritable changement en phagocytant l‘intérieur du système.