lundi 15 mai 2023

BD - Deux futurs oppressants dans Demain


Si l’on retrouve toujours la signature de Léo et Rodolphe dans cette nouvelle série de SF, elle est cependant un peu différente. Plus pessimiste et oppressante.
Il y a bien de grands animaux (des vers géants qui colonisent la Méditerranée polluée), mais ce sont surtout les hommes et leur violence qui marquent dans le second tome de Demain, dessiné par Louis Alloing.


Dans un des deux futurs, Fleur est capturée par des pirates et revendue comme esclave sexuelle. Un soldat la sauvera au dernier moment. Dans l’autre futur, où Jo, jeune étudiant, rêve de Fleur, tout paraît trop beau pour être vrai. D’un côté l’anarchie et la mort, de l’autre l’enfermement et l’aliénation.

Deux futurs peu engageants pour une série qui fait réfléchir.

« Demain » (tome 2), Delcourt, 13,50 €

dimanche 14 mai 2023

BD - Hollywood, entre rêve et réalité

Ne jamais croire ce qui est montré dans les films américains. Cette usine à rêves dissimule une réalité souvent moins flatteuse. Zidrou la raconte dans des histoires courtes se déroulant dans le Hollywood des années 50. Maltaite se charge de la dessiner dans ce style à cheval entre un réalisme sans faille et des gueules caricaturales.

On croise dans ce premier recueil de récits parus dans Fluide Glacial une starlette un peu désespérée, persuadée que cette fois c’est la bonne elle va prendre son envol vers la gloire, un ancien cascadeur reconverti dans le hot dog et une jeune comédienne, d’origine asiatique, qui sera enfin filmée en gros plan.
De l’humour très noir qui frappe toujours là où ça fait le plus mal.

« Hollywoodland » (tome I), Fluide Glacial, 13,90 €

samedi 13 mai 2023

BD - La vie en France décortiquée par une dessinatrice coréenne


Étudiante coréenne passée par les universités françaises, Silki a décidé de rester en Europe et d’y faire sa vie. Privée, artistique et professionnelle. Son trait rond et expressif fait des merveilles tous les matins tous les jours à 7 h 07 quand est mise en ligne une petite BD digitale sur Instagram dans la zone de Mâtin, la revue numérique des éditions Dargaud. Des récits complets repris dans l »album Kimchi baguette.


C’est plus que de l’autofiction. Silki raconte comment elle perçoit la France, les Français, notre vision des Asiatiques, des femmes. C’est édifiant, parfois inquiétant tant nous sommes arriérés, mais aussi rassurant car Silki n’entend pas quitter notre pays même si parfois la Corée lui manque un peu.

Dans les thèmes abordés, très diversifiés, on apprend comment le nouvel an est fêté en Asie, pourquoi les tétons des femmes posent problème ou en quoi, les micro-agressions racistes de tous les jours sont aussi graves que les gros dérapages. Et puis il est question de gastronomie. De baguette (le pain français), de baguettes (les instruments pour manger) et de kimchi, ces condiments typiquement coréens qui sont aussi une bonne occasion de se retrouver entre amis à éplucher des légumes.
« Kimchi baguette », Mâtin Dargaud, 19 €

vendredi 12 mai 2023

BD - La dernière œuvre d’un animateur


Ce roman graphique de Juanungo est un hommage indirect à son père. Ce dessinateur d’origine argentine mais installé en France, raconte les derniers mois d’un animateur. Pas de ceux qui font le show dans les galeries commerciales mais ces artistes de cinéma qui transforment des images fixes en films remplis de vie et de poésie. Neno, spécialisé en stop motion (animation en prise directe où il faut des milliers d’images de marionnettes pour quelques secondes exploitables), est atteint d’un cancer.

La médecine n’a plus d’espoir. Il vit ses dernières semaines. Très affaibli. Sa famille décide d’embaucher un infirmier pour s’occuper de lui, notamment le soir et la nuit. Voilà comment un presque gamin plein d’empathie mais encore peu sûr de lui débarque chez le vieil artiste irascible.


Sur plus de 250 pages Juanungo raconte avec tendresse la connexion qui va se mettre en place entre Neno et l’infirmier. Ce dernier va aider le cinéaste à réaliser son dernier film, une publicité montrant une lingette nettoyer seule une cuisine du sol au plafond. En plus des scènes purement psychologiques ou médicales, on en apprend beaucoup sur la réalisation des films d’animation. On a même droit en fin d’album à un flipbook d’une centaine d’images de la danse finale de la lingette. Beau et émouvant.

« L’animateur », Delcourt, 19,99 €

jeudi 11 mai 2023

BD - Les dernières aventures de Yoko Tsuno


Avec Yoko Tsuno, pas de surprise. Roger Leloup maîtrise parfaitement les codes des mondes qu’il a patiemment imaginés au fil des ans. On retrouve la jeune électronicienne dans ses trois dernières aventures parues et réunies dans le 10
e tome de la collection intégrale classique de chez Dupuis.


Yoko et ses complices Pol et Vic, vont régulièrement sur Vinéa, la planète où vivent des humanoïdes à la peau bleue. Dotés d’une technologie très avancée, les Vinéens ont donné l’occasion à Roger Leloup d’exceller en invention d’engins spatiaux et autres robots performants.

Mais il y a aussi des Vinéens sur Terre, réfugiés dans les profondeurs de la planète. Ce sont eux qui sont au centre du premier récit de cette intégrale, Le temple des immortels. A plus de 80 ans, le dessinateur qui a débuté dans le studio d’Hergé, notamment en dessinant les plans de l’avion apparus dans Vol 714 pour Sydney, a mis un point final aux exploits de la toujours jeune Japonaise dans Les gémeaux de Saturne.

Cette intégrale offre, en plus des récits originaux, quantité d’esquisses et crayonnés de l’auteur, le tout commenté par l’héroïne en personne.

« Yoko Tsuno » (intégrale, tome 10), Dupuis, 27,95 €

mercredi 10 mai 2023

BD - Explorez les superbes paysages de Mortesève


Une imagination sans limites, riche visuellement et pleine de sens transforme le premier tome de la nouvelle série Mortesève signée Quentin Rigaud en petit chef-d'œuvre graphique.

La première partie de cette histoire de fantasy nous emmène sur un monde qui ressemble à la Terre mais c’est très trompeur. La nature y est encore préservée, prépondérante dans la vie des humains qui vivent en harmonie avec la faune et la flore.


Les deux personnages principaux en sont Avine et Kahl. Ils sont la fille et le fils d’un couple d’artisans verriers. Encore adolescents, ils vont rejoindre une ville moyenne pour y vendre leur production. C’est jour de fête car comme tous les dix ans Hang va faire une halte. Hang est une sorte de dinosaure géant (plus de 100 mètres de haut), appelé localement instrument, qui se déplace toujours selon le même chemin et qui apporte fertilité et prospérité. Hang, instrument plus qu’être vivant, est sous la surveillance et la protection de gardiens, sortes de prêtres chargés d’assurer sa sécurité. Avine et Kahl rêvent de devenir Gardiens.

On les retrouve 20 années plus tard. Avine travaille avec ses parents, Kahl est devenu Gardien. Alors que Hang est annoncé, Avine est contaminée par une étrange sève. Elle va devenir le témoin d’une véritable tragédie : toute la population de la ville meurt d’un coup et Hang quitte son chemin habituel. Est-ce la fin du monde ?

Cette BD, remarquable d’inventivité, devient rapidement passionnante. On cherche à comprendre ce qu’est Hang, comment Avine va survivre et que va devenir ce monde à l’équilibre finalement très fragile. Une des plus belles surprises de ce début d’année 2023.

« Mortesève », Casterman, 22 €

mardi 9 mai 2023

Cinéma - L’amitié est-elle soluble sous le soleil de “Hawaii” ? 

Un groupe d’amis français passe une semaine de vacances à Hawaii. Mais la belle entente va-t-elle survivre à l’arrivée massive de vérités cachées ?


Faut-il tout dire à ses amis ? Cette interrogation sert de fil rouge à Hawaii, film de Mélissa Drigeard. L’histoire d’une bande de potes qui, malgré les années continue à s’amuser et partager de bons moments. Notamment chaque été quand ils rejoignent tous, pour une semaine de vacances bien méritées, l’hôtel de Manu Payet à Hawaii.

Ce dernier est le plus fragile de tous. Il y a quelques années, après avoir rompu avec Bérénice Bejo, il a tenté de se suicider. Il a depuis remonté la pente. Mais pas abandonné l’affaire. Et cet été encore, il se dit que cette semaine va être celle de la reconquête du cœur de la belle.

Mais la comédienne est passée à autre chose. Sur l’île américaine il y a aussi Pierre Deladonchamps et Émilie Caen, un psy et son épouse psycho rigide, Élodie Bouchez et Thomas Scimeca, deux artistes conceptuels riches à millions, William Lebghil, frimeur et célibataire, Nicolas Duvauchelle, meilleur ami de Manu Payet et Eye Haïdara, une ex de Pierre Deladonchamps. Sans oublier les trois ados des deux couples.

Fausse alerte, vraies révélations 

Mais dès le premier jour, une fausse alerte à l’attaque de missiles nucléaires nord-coréens va semer la panique. Et délier les langues alors que tous croient leur dernier moment venu. Les amis de toujours vont donc se lâcher, dire leurs quatre vérités aux uns et aux autres. Une véritable boucherie. Hawaii débute comme une comédie survoltée, avec bons mots, scènes épiques et répliques sanglantes. Le vernis des vacances au soleil s’écaille sous les assauts des sirènes d’alerte.


Un début tonitruant, permettant de bien comprendre les mentalités véritables, mais la suite est beaucoup plus profonde. L’angoisse évacuée, il faudrait profiter des vacances comme si de rien n’était. Il va falloir tenter de se rabibocher, de se pardonner. De retrouver la belle entente d’antan. Pas évident. D’autant qu’un dernier secret à propos de Manu Payet et de son copain Nicolas Duvauchelle, à peine esquissé, reste en latence. Une ultime révélation qui pourrait avoir des conséquences pires qu’un missile nucléaire sur le groupe d’amis.

Un très bon film sur l’amitié, ses limites, sa force. Un plaidoyer aussi pour la vérité, même si parfois, mieux vaut cacher certaines évidences. Mélissa Drigeard, pour sa 3e réalisation, trouve le parfait équilibre entre rire et émotion.

Film de Melissa Drigeard avec Bérénice Bejo, Élodie Bouchez, Émilie Caen, Nicolas Duvauchelle, Manu Payet, Pierre Deladonchamps

 

lundi 8 mai 2023

Une biographie - Le cinéma de Tarantino


Immense cinéaste américain, Quentin Tarantino se livre avec beaucoup de franchise dans cette très grosse biographie intitulée Cinéma Spéculation. Il ne raconte pas sa vie, mais explique comment il est devenu passionné de 7e art et pourquoi il a décidé de révolutionner le genre. Il parle indirectement de son œuvre en commentant ses propres chocs comme Taxi Driver, La taverne de l’enfer ou Délivrance. 

Mais il se met à nu aussi quand il affirme à propos des décideurs dans l’industrie cinématographique : « Je n’ai jamais laissé ces gens m’empêcher de faire quoi que ce soit. Les spectateurs peuvent accepter mon travail ou le rejeter. Mais j’ai toujours approché mon cinéma avec intrépidité, sans me soucier de l’accueil qui lui serait réservé. »

« Cinéma spéculations » de Quentin Tarantino, Flammarion, 25 €

dimanche 7 mai 2023

Un poche - Vie « Consumée »


Une fille, issue d’une petite ville de Californie, commence des études de littérature. Elle est avide de fric facile et de speed. Quoi de plus simple quand on n’est pas trop mal fichue, que devenir strip-teaseuse. Problème, 20 ans après, elle n’a toujours pas son diplôme. Un récit dérangeant. Assez dégueulasse. Mais surtout, jamais elle ne remet en question l’addiction des hommes au sexe. 

Elle ne parle que de son point de vue, même si tout à la fin, elle remet en cause la manière dont on traite « les spécialistes du sexe ». « J’ai quarante ans et je continue de me désaper ou de faire des branlettes pour payer mon loyer. Je n’ai aucune idée de la manière dont on quitte l’industrie du sexe pour entrer dans le monde du travail. C’est ça, mon monde du travail ». 

À l’arrivée, on n’arrive même plus à la plaindre.

« Consumée », Antonia Crane, 10/18, 8,60 €


samedi 6 mai 2023

Un essai - Le parti de l’anarchie

Le parti communiste a eu son manifeste, pourquoi pas le parti anarchiste ? Cette interrogation est à la base de la rédaction de ce petit livre édifiant signé Léo Scheer. L’éditeur explique immédiatement qu’il n’y a pas de parti anarchiste. Car « l’anarchisme, c’est d’abord une chose vécue par un individu depuis l’intériorité de sa propre histoire. » 

Léo Scheer a compris l’anarchisme en 1968. Tout en explorant le prisme politique, il retrace dans ce texte les grandes étapes de la vie de sa famille et de ses engagements multiples et variés. 

Ce n’est le manifeste d’un parti mais le parcours de vie d’un homme dans son siècle.

« Le manifeste du parti anarchiste » de Léo Scheer, éditions Léo Scheer, 17 €