lundi 31 octobre 2022

BD - Epidémie et vie du futur

En science-fiction, le genre postapocalyptique a beaucoup connu de succès dans le passé. Quand une guerre nucléaire menaçait. Dans La Source de Runberg, Truc et Branchereau au scénario, ce type de récit revient à la mode. 

Quelques années après l’effondrement de la société occidentale, une petite communauté libertaire tente de survivre dans l’arrière-pays. Mais une épidémie décime la population. Et le dernier herboriste est assassiné avec toute sa famille. Qui en veut au groupe ? 

Une ancienne flic est chargée de trouver les coupables. Et les démons du passé (violence, autoritarisme, pouvoir) reviennent en force. 88 pages dessinées par Damour qui racontent un futur plus que probable.  

« La source » (tome 1), Philéas, 18,90 €

BD - Loin de la Tour

Seconde partie de l’ambitieuse série futuriste écrite par Jan Kounen et Omar Ladgham. Destinée au cinéma, cette histoire a finalement été réalisée en BD par Mr Fab. 

Un virus a décimé 99 % de la population. Ne survit qu’une petite communauté protégée dans une immense tour construite au centre de Bruxelles. 

Un bâtiment autonome, avec serres intégrées, production d’air et d’électricité. Des années après, deux communautés s’affrontent : ceux qui ont connu le monde libre d’avant et les jeunes, qui ont toujours été enfermés. 

Dans ce tome 2, Atami, jeune et intrépide, décide de tenter une sortie. Une série réaliste qui bascule dans le fantasmagorique dans les dernières pages. 

« La tour » (tome 2), Glénat Comix Buro, 15,50 €


dimanche 30 octobre 2022

Cinéma - “Simone”, de l’enfer des camps à l’Europe

Exemplaire vie que celle de Simone Veil. Femme politique courageuse, dévouée et pleine d’empathie, très jeune, elle a connu l’enfer des camps de concentration.


Deux visages pour interpréter Simone Veil à deux étapes de sa vie : Rebecca Marder et Elsa Zylberstein. Marvelous Productions - France 2 Cinéma - France 3 Cinéma

De la passion, du dévouement, de l’empathie. Mais aussi beaucoup de souffrance. La vie de Simone Veil, portée au grand écran, par Olivier Dahan, est exemplaire de ce XXe siècle européen, entre guerres fratricides et paix durable conquise par des visionnaires dont elle faisait clairement partie. 

Si les premières images du film montrent une Simone Veil enfant, heureuse dans la propriété de son père, en bord de Méditerranée, le film abandonne rapidement la chronologie simple pour faire des sauts dans le temps. Car si la femme politique est connue pour la loi légalisant l’avortement en France, elle a une vie avant. Mais il était compliqué de débuter par l’épisode des camps. Le film contourne la difficulté, présentant une femme publique forte qui perdait pied, parfois, dans le privé, quand les cauchemars récurrents la submergeait. Des petites touches qui préparent le spectateur à la vision de l’enfer. Le final est bouleversant. Reste que Simone Veil a aussi compté dans la vie politique française. Féministe avant l’heure, humaniste et à l’écoute des Français, elle a, contre vents et marées, toujours tenté de faire évoluer, de moderniser, la société française. 

Paradoxalement, elle a toujours été dans des gouvernements de droite, obligée de se battre contre ses propres forces politiques. Elle qui a souvent des positions plus progressistes, l’exemple de l’interruption volontaire de grossesse étant le plus parlant. Au Parlement, au moment du dépouillement des votes, elle sait qu’elle peut compter sur les 200 voix de l’opposition. Reste à convaincre quelques centristes et gaullistes qui ont souvent été odieux à la tribune (« Des histoires de bonnes femmes… »). Cette partie, la plus connue de son histoire, est présente, mais pas la plus importante. 

L’intérêt de Simone, le voyage du siècle réside avant tout dans cette plongée dans le passé d’une adolescente déportée avec toute sa famille. Son père et son frère seront rapidement exécutés. Avec sa mère et sa sœur, elles vont survivre de longs mois aux privations, à la marche de la mort, aux travaux forcés. La jeune Simone Jacob sera durablement marquée par la longue agonie de sa maman. Et mettra de nombreuses années à retrouver une vie normale. Et cela reste le message le plus fort du film : ne jamais oublier, toujours se souvenir de l’horreur, de l’ignominie d’une politique d’extrême droite toujours à l’affût. Elle en fera l’amère expérience lors de sa candidature aux élections européennes, l’autre grande réalisation de cette vie d’exception. 

Film d’Olivier Dahan avec Elsa Zylberstein, Rebecca Marder, Élodie Bouchez


BD - Secret préservé à "Jamais"

Bruno Duhamel, en racontant le combat de Madeleine, octogénaire aveugle qui veut sauver sa maison en bord de mer, a frappé un grand coup. Quelques années plus tard, il reprend le cadre et les personnages pour imaginer une suite tout aussi savoureuse. 

Le maire, qui voulait faire détruire la maison menacée par l’érosion de la falaise est en pleine déprime. Il est devenu le méchant. Madeleine, elle, symbole de la lutte contre l’administration sans cœur est adulée. 

C’est dans ce cadre qu’un nouvel éboulement va faire ressurgir des secrets profondément enfouis. Dialogues percutants, situations cocasses, personnages attachants : la magie de cette histoire simple mais universelle fonctionne une seconde fois.  

« Jamais » (tome 2), Bamboo Grand Angle, 16,90 €

samedi 29 octobre 2022

Cinéma - “Les Harkis” abandonnés

Le film historique de Philippe Faucon aborde, avec une précision glaciale et très réaliste, le sort des harkis, supplétifs de l’armée française durant la guerre d’Algérie.


Un film choral, car au lieu de s’attacher à donner la vision d’un « héros » ou personnage principal, Philippe Faucon raconte les trois dernières années d’une harka, ces brigades chargées de traquer les indépendantistes. Parmi la douzaine de combattants, l’un s’engage juste pour subvenir aux besoins de sa famille, un autre pour venger son frère, exécuté par le FLN, un troisième, car il a craqué sous la torture. Il a dénoncé ses camarades indépendantistes et n’a pas d’autre choix que de passer dans le camp de la France.

Ils sont sous la responsabilité de sous-officiers français, souvent très jeunes, parfois très près de leurs préoccupations. C’est le cas du lieutenant Pascal (Théo Cholbi). Il s’appuie sur ces hommes qui connaissent parfaitement le terrain. La harka sillonne les montagnes de l’arrière-pays, cherchant les unités du FLN, des « résistants », ne peut penser parfois le lieutenant Pascal, trop souvent conscient qu’il fait partie du mauvais camp. Notamment quand il doit couvrir des interrogatoires où la torture est la seule technique utilisée. 

Quand les premières rumeurs du départ de la France d’Algérie bruissent, les harkis sont inquiets. Cet abandon est l’objet du dernier tiers du film, sans doute le plus poignant, car il exprime ce sentiment de trahison. Toujours avec une précision chirurgicale, le réalisateur montre l’abandon des supplétifs par l’armée française, le dévouement de certains sous-officiers (dont le lieutenant Pascal), risquant leur carrière pour tenter de sauver leurs hommes. Il n’est pas montré l’exil de certains vers la métropole, mais c’est une autre histoire qui nous touche directement dans la région.

Film de Philippe Faucon avec Théo Cholbi, Mohamed El Amine Mouffok, Pierre Lottin


Thriller - « La leçon du mal », matière principale d’un lycée japonais

Il faut parfois se méfier des professeurs trop gentils, efficaces et prévenants. Ils peuvent cacher de dangereux psychopathes capables de tout pour arriver à leurs fins, rarement enviables pour les jeunes lycéens. Au début du roman La leçon du mal du romancier japonais Yûsuke Kishi, comme ses élèves, on est sous le charme de Seiji Hasumi. Ce professeur d’anglais dans un lycée de la banlieue de Tokyo e tout pour plaire. 

Jeune, sportif, dévoué à ses classes, investi dans le fonctionnement de son lycée, il anime un atelier de conversation une fois les cours terminés. Prévenant auprès de ses collègues, il est toujours présent quand la direction le sollicite pour résoudre les problèmes. La première partie du roman ressemble à un documentaire sur la vie rêvée dans un lycée japonais. Mais on devine rapidement que Hasumi n’est qu’une façade. Que derrière cet homme prévenant se cache un être plus torturé. Une simple histoire de corbeau, oiseau très protégé, permet de remettre les choses à leur place. Hasumi peut tuer sans difficulté. Un oiseau. Des humains aussi. 

Au fil des chapitres, on découvre comment Hasumi, dès son plus jeune âge, a manipulé son entourage pour assouvir des pulsions criminelles. Et plus l’intrigue progresse, plus on découvre que ce petit monde lycéen est très sombre. Car en plus d’Hasumi on découvre des élèves violents, des enseignants imposteurs, d’autres qui utilisent leur statut pour séduire les jeunes et même une infirmière nymphomane. Le ton du roman bascule quand trois des élèves d’Hasumi découvrent sa véritable personnalité et tentent de l’empêcher de nuire. Un combat sans pitié pour un thriller d’une exceptionnelle noirceur. 

« La leçon du mal » de Yûsuke Kishi, Belfond Noir, 24 €

vendredi 28 octobre 2022

Livre jeunesse - Train jaune en liberté


C’est l’histoire d’un train jaune, de sa conductrice et d’un bel hidalgo habitant à Bolquère. Cette histoire, comme un long poème, est aussi et surtout une belle histoire d’amour et de dépassement. Femke, aux Pays-Bas, est une jeune femme timide et souffrant de vertige. Tous les jours elle conduit un train jaune qui va de gare en gare, entre les canaux et les vertes prairies. Un parcours plat, très plat. Un train-train pour la conductrice du train, ce qui lui va très bien. 

Jusqu’au jour où elle découvre devant la porte de son appartement la carte d’identité d’un certain Julionito. Cet Espagnol habite à Bolquère. Il vient de passer quelques jours aux Pays-Bas. Alors Femke décide de changer sa routine et avec son train jaune de foncer vers les Pyrénées rendre la carte au si beau Julionito. 

Un texte de Guillaume Nail illustré par Qu Lan. On y trouve de nombreuses allusions au train jaune du Pays Catalan qui, contrairement au Néerlandais, va haut, très haut dans la montagne. Là où Femke risque l’apoplexie avec son vertige maladif. 

« La fin du train-train » de Guillaume Nail et Qu Lan, Glénat Jeunesse, 15,90 €

Cinéma - Des bières contre la guerre


Boire moins et réfléchir plus. Telle est la résolution prise par Chickie Donahue à la fin de son incroyable périple raconté dans le film The Greatest Beer Run Ever de Peter Farrelly mis en ligne sur la plateforme d’Apple + TV. 

Ce film ambitieux est basé sur une histoire vraie. En cette année 1967, la guerre du Vietnam fait rage. Et divise les USA. Chickie Donohue (Zac Efron) ne semble que peu concerné par ce débat. Mécanicien dans la marine marchande, entre deux embarquements, il vit chez ses parents et se contente de dépenser sa paye en tournées au bar tenu par un ancien militaire surnommé Le Colonel (Bill Murray). Un soir de beuverie, accusé de ne rien faire pour soutenir les gars du quartier qui tombent au combat, Chickie décide d’aller leur porter des bières du pays pour leur remonter le moral. Promesse d’ivrogne ? Et si pour une fois Chickie faisait ce qu’il promettait ? Contre toute attente, le jeune inconscient va partir, un sac rempli de canettes, pour tenter de les distribuer à ses amis. 

Ce périple débute comme une comédie. Tout sourit à Chickie. Il parvient même à rejoindre le nord en se faisant passer pour un agent de la CIA venu incognito. Mais une fois sur le front, la réalité va le rattraper. Et il va comprendre que son idée, en plus d’être idiote, est très dangereuse. En changeant de registre, le film de Peter Farrelly, en pensum pro américain du début, se transforme en documentaire implacable contre la guerre, l’impérialisme, la manipulation de l’opinion. Et Chickie deviendra adulte, s’en titrera par miracle et tiendra sa nouvelle promesse : moins boire, plus réfléchir. 

jeudi 27 octobre 2022

Roman - Extinction silencieuse

Chaque année, des dizaines d’espèces d’animaux disparaissent de la surface de la Terre. Par la faute de l’homme. Dans Le dernier des siens, Sibylle Grimbert touche du doigt cette réalité en racontant l’histoire d’amitié entre Gus et Prosp. Le premier, chercheur français, est envoyé en Islande pour capturer, mort ou vivant, le second un grand pingouin pour le musée d’Histoire naturelle de Lille. 

Sur un rocher, après que les chasseurs ont massacré la trentaine de membres d’une colonie, Gus capture le dernier, une aile abîmée, mais vivant. « La bête, dont un moignon d’aile cassée pendait sur son ventre, hurla. Elle essaya de mordre Gus, son aile valide tendue le plus possible à la verticale. Mais comme toute son espèce, hors de l’eau, il était impotent. » Une fois de retour à la civilisation, Gus soigne le pingouin, le baptise Prosp et se prend d’affection pour cet être étrange. 

Le scientifique abandonne sa mission, conserve l’oiseau, le protège durant des années, sans savoir au début qu’il s’agit du dernier de cette espèce totalement éradiquée par les humains. Un superbe texte sur l’inconscience de certains hommes, leur cruauté, mais aussi la possibilité toujours présente de l’empathie entre certains d’entre nous et les animaux, quelle que soit leur apparence.  

« Le dernier des siens » de Sibylle Grimbert, Anne Carrière, 18,90 € 

DVD - L’Algérie des “frères blessés”


La guerre d’Algérie et ses horreurs. Un conflit atroce encore dans bien des mémoires, même si certains épisodes ont été plus oubliés que d’autres. Le parcours de Fernand Iveton est au centre de ce film militant de Hélier Cisterne. De nos frères blessés, adapté du roman de Joseph Andras (Actes Sud), raconte la détermination d’un jeune militant communiste, d’origine européenne, mais né à Alger et solidaire de la lutte pour l’indépendance. 

Pour atténuer la dureté du récit, le réalisateur l’humanise avec la rencontre et le coup de foudre pour Hélène (Vicky Krieps), mère célibataire polonaise réfugiée en France pour fuir le régime communiste. Des moments de joie, de bonheur, d’équilibre, qui ne durent pas. Une fois de retour à Alger, avec sa femme et son fils adoptif, Fernand Iveton, tout en travaillant comme ouvrier dans une usine, milite au parti communiste algérien et, rapidement, décide d’aider les insurgés. Malgré les craintes de son épouse, il décide de passer à l’action. Il place dans un local désaffecté de son entreprise une bombe qui doit exploser une fois le personnel parti. Mais l’engin est découvert et Fernand arrêté. 

Torture et justice expéditive

Le film se transforme, alors, en réquisitoire contre les mesures d’exception décrétées par l’État français à l’époque et appliquées avec zèle par la police, l’armée et la justice. Torturé, Fernand avoue. Traduit devant un tribunal militaire, il est condamné à mort après un simulacre de procès. Il a encore l’espoir d’être gracié, car il n’a pas de sang sur les mains. Mais le garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand, émet un avis négatif. Fernand sera guillotiné moins de trois mois plus tard. D’une rare efficacité dans sa construction, De nos frères blessés, plus que la dénonciation des exactions de l’État français de l’époque, est un vibrant plaidoyer contre la peine de mort.

Film franco-algérien de Hélier Cisterne avec Vincent Lacoste, Vicky Krieps, Jules Langlade