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samedi 29 octobre 2022

Thriller - « La leçon du mal », matière principale d’un lycée japonais

Il faut parfois se méfier des professeurs trop gentils, efficaces et prévenants. Ils peuvent cacher de dangereux psychopathes capables de tout pour arriver à leurs fins, rarement enviables pour les jeunes lycéens. Au début du roman La leçon du mal du romancier japonais Yûsuke Kishi, comme ses élèves, on est sous le charme de Seiji Hasumi. Ce professeur d’anglais dans un lycée de la banlieue de Tokyo e tout pour plaire. 

Jeune, sportif, dévoué à ses classes, investi dans le fonctionnement de son lycée, il anime un atelier de conversation une fois les cours terminés. Prévenant auprès de ses collègues, il est toujours présent quand la direction le sollicite pour résoudre les problèmes. La première partie du roman ressemble à un documentaire sur la vie rêvée dans un lycée japonais. Mais on devine rapidement que Hasumi n’est qu’une façade. Que derrière cet homme prévenant se cache un être plus torturé. Une simple histoire de corbeau, oiseau très protégé, permet de remettre les choses à leur place. Hasumi peut tuer sans difficulté. Un oiseau. Des humains aussi. 

Au fil des chapitres, on découvre comment Hasumi, dès son plus jeune âge, a manipulé son entourage pour assouvir des pulsions criminelles. Et plus l’intrigue progresse, plus on découvre que ce petit monde lycéen est très sombre. Car en plus d’Hasumi on découvre des élèves violents, des enseignants imposteurs, d’autres qui utilisent leur statut pour séduire les jeunes et même une infirmière nymphomane. Le ton du roman bascule quand trois des élèves d’Hasumi découvrent sa véritable personnalité et tentent de l’empêcher de nuire. Un combat sans pitié pour un thriller d’une exceptionnelle noirceur. 

« La leçon du mal » de Yûsuke Kishi, Belfond Noir, 24 €

jeudi 2 juillet 2020

Polar - Nouvelles angoissantes



L’anthologie de nouvelles thématiques permet aux auteurs de s’offrir une petite récréation dans l’écriture de romans souvent au long cours. C’est sans doute la raison pour laquelle ce sont parmi les meilleurs spécialistes du roman policier ou du thriller qui participent à «Regarder le noir» (Belfond), concocté sous la direction d’Yvan Fauth qui avait déjà proposé en 2019 «». 

Ils sont 12 pour signer 11 nouvelles, Barbara Abel et Karine Giebel unissant leurs plumes pour signer le dernier texte, Darkness, le plus long mais certainement pas le moins original. On trouve également au générique, par ordre d’apparition: Olivier Norek, Julie Ewa, Fred Mars, Claire Favan, René Manzor, Amélie Antoine, Fabrice Papillon, Gaëlle Perrin-Guillet, R. J. Ellory et Johana Gustawsson. 

Dans la présentation de l’ouvrage, Yvan Fauth explique que « si chacun des romanciers a son mode opératoire, le mot d’ordre est le même pour tous : nous faire ouvrir grand les yeux au fil de récits qui jouent avec les différentes interprétations de la vision. Dans ces nouvelles, ils ont donné libre cours à leur noire imagination pour créer une atmosphère, des personnages inoubliables et une tension qui vous happeront dès les premiers mots… et jusqu’à la chute. » Impossible de présenter les thèmes des 11 textes originaux, mais sachez, pourles amateurs de fantastique, René Manzor dans « Demain » offre une variation dramatique à sa version de la prémonition. Folie et cécité sont au centre de « La tache » écrite par Gaëlle Perrin-Guillet. Enfin Olivier Norek signe un texte d’une noirceur absolue. Renforcée parle fait que ses deux personnages principaux sont des enfants.


lundi 3 septembre 2018

Rentrée littéraire - Secret paternel dans "Le fou de Hind"


A la mort de son père, Moshin, Lydia découvre une lettre posthume. Ce père, immigré algérien, qu’elle a tant aimé, respecté, se traite de « misérable et de fou » ayant une mort sur la conscience. Ce premier roman de Bertille Dutheil a parfois des airs de polar. La jeune femme mène l’enquête pour découvrir la réalité de cette infamie dont s’accuse Moshin. Au gré des témoignages composant ce texte fort, on recule dans le passé, jusque dans ces années 60 où Moshin, avec d’autres familles vivait dans une maison communautaire. Sur les photos retrouvées dans les affaires du mort, Lydia repère une fillette. Une certaine Hind. La première fille de Moshin ?

Entre introspection personnelle, plongée dans les banlieues ouvrières parisiennes d’antan et histoire de l’immigration, « Le fou de Hind » surprend et interpelle le lecteur.

➤ « Le fou de Hind » de Bertille Dutheil, Belfond, 18 €.

dimanche 1 janvier 2017

Thriller : les personnage de Barbara Abel sont-ils des anges ou des démons ?

La gaieté factice des fêtes vous insupporte ? Les deux derniers romans de Barbara Abel vous raviront.

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Sortis l’un chez Pocket, l ‘autre chez Belfond, « L’innocence des bourreaux » et « Je ne sais pas » ont ceci en commun de remarquable la prise de position affichée de Barbara Abel de dédaigner carrément le gentil héros sauvé in extremis par le flic futé. Au contraire, elle choisit de regarder l’intrigue par l’autre bout de la lorgnette et de transformer les méchants en gagnants.
Difficile d’imaginer plus glaçant que l’histoire d’Emma dans « Je sais pas ». Au cours d’une sortie scolaire la petite disparaît dans la forêt. Les instituteurs sont sur les dents, la gendarmerie avertie de même que Camille et Patrick Verdier, ses parents. Élément clé dont les enquêteurs devront prendre en compte, loin de correspondre à l’image angélique que sa beauté renvoie, Emma possède un sacré caractère et du haut de ses cinq ans mène parfois la vie dure à ses camarades d’école comme à son institutrice Mylène de même qu’à ses parents.
Culpabilité
Mylène justement se sent affreusement coupable de la disparition de sa petite élève et s’engage loin dans la forêt pour tenter de la retrouver. Jusqu’à atterrir dans un endroit où son portable ne trouve plus de ré- seau. Camille elle aussi se torture pour une toute autre raison. Quelques jours avant la sortie scolaire, la petite Emma l’a surprise dans le hall d’entrée et les bras de son amant... Les gendarmes aidés de chiens et tous les adultes présents poursuivent les recherches jusqu’à la nuit tombée et là le soulagement est indicible quand on retrouve finalement la gamine. Par contre, les enseignants finissent par se rendre compte que Mylène ne répond plus au téléphone depuis plus de deux heures.

abel,barbara,belfondBarbara Abel utilise un schéma récurrent au niveau de l’écriture et de la construction du scénario dans « L’innocence des bourreaux ». Un junkie en manque braque une supérette de quartier où des gens sans histoire font leurs courses. Le pauvre gars, qui pensait récupérer la caisse et s’enfuir, voit la situation lui échapper complètement. On finit par compter les morts et les gendarmes mis sur le coup ont la surprise de leur vie en cherchant les empreintes relevées dans le fichier des personnes recherchées.
Autant dire que si vous avez la chance de recevoir pour Noël ces deux petits bijoux de noirceur et d’idées tordues, croyez-moi vous passerez à coup sûr une nuit blanche sans paillettes mais frissons assurés !  
Fabienne Huart
➤ « Je sais pas », Belfond 19,90 euros et « L’innocence des bourreaux », Pocket, les deux de Barbara Abel.

dimanche 13 mars 2016

Thriller : Le faux coupable découvre le bonheur

Dominique, chômeur résigné et héros de ce roman d'Élodie Geffray, préfère la prison à l'indifférence.
silence, peine, geffray, belfondLe désespoir pousse certains à faire de leur vie un véritable cauchemar. Dominique est l'exemple de ces hommes ou femmes, timides et mal dans leur peau, broyés par un système où seuls les forts en gueule parviennent à émerger. Ce paisible Parisien a toujours vécu dans l'ombre. Sans faire de vague, discret, invisible. Un travail lui permettait un minimum de reconnaissance sociale. Quand il se retrouve au chômage, crise économique aidant, il tombe vite dans une spirale infernale. Sans ressources, il est de plus en plus exclu, ostracisé. Son grand défaut, dans la novlangue de Pôle Emploi : il n'est pas assez « proactif ». Encore faut-il qu'il comprenne ce que cela veut dire. Élodie Geffray, dont c'est le premier roman, décrit longuement dans les premiers chapitres la non-vie de ce quinquagénaire mis prématurément sur la touche. Il est au bord du suicide quand il est abordé par un certain Ivan, homme à tout faire d'un ministre de la République. Il lui propose un drôle de marché, un peu comme dans l'histoire de Faust. Si Dominique endosse la responsabilité d'un meurtre, il pourra faire durant trois mois ce qu'il a toujours rêvé de réaliser.
Le fils du ministre
Ensuite ce sera une dizaine d'années derrière les barreaux et un joli pactole à la sortie pour finir ses jours en toute tranquillité. Acculé, désespéré, Dominique accepte car « rien n'avait plus de sens pour lui et la prison était déjà son quotidien. Comment appeler autrement les barreaux que sont la solitude, la pauvreté et la timidité lorsque la société vous a mis au rebut ? » Son rêve : passer ces trois mois dans une ferme loin de tout. Découvrir la vie simple à la campagne. Avec Ivan pour escorte et chaperon, il prend ses quartiers dans une exploitation de province tenue par Martine. Il va découvrir le silence, le réveil matinal pour traire les brebis, la confection des fromages, le travail de la terre dans un potager, le plaisir de cuisiner ses propres légumes. Aussi la compréhension de Martine, gentille paysanne, elle aussi fracassée par la vie mais qui a envie de retenter sa chance.
Le roman, sous des airs de parenthèse bucolique, est un vrai thriller. Il y a bien un meurtre. Une jeune fille massacrée par Nicolas, le fils du ministre. Ivan a fait disparaître le corps. Le temps de mieux connaître Dominique, le faux coupable qui sera donné en pâture à la presse. Mais un commissaire enquête, soupçonne rapidement le jeune Nicolas. Ivan, à la manœuvre, va tenter de désamorcer le scandale. Il y parviendra. Seul problème, Dominique, de plus en plus heureux dans cette ferme auprès d'une Martine tombée sous le charme de sa simplicité, ne veut plus endosser le rôle du coupable. S'il s'est libéré de sa prison personnelle, ce n'est pas pour en rejoindre une autre. Mais peut-on reprendre sa signature après avoir signé un pacte avec le diable ? Élodie Geffray signe un polar malin et original dans lequel elle a soigné, en profondeur, toutes les personnalités des divers protagonistes.
« Et le silence sera ta peine » d'Élodie Geffray. Belfond. 18 euros

mercredi 5 mars 2014

Polar - La vieille qui voulait tuer le Bon Dieu enfin en poche !

Adeptes du bon goût s'abstenir. Mémé Cornemuse, l'héroïne totalement déjantée imaginée par Nadine Monfils est de retour. Cette grand-mère indigne, fan de Jean-Claude Van Damme et d'Annie Cordy, imagine le casse du siècle. Une bijouterie regorgeant de breloques. Elle emménage donc dans un immeuble ou vit ce genre de locataire « qui avait un gros grain de beauté sur la joue gauche, garni d'un poil noir. Avec le double menton, on aurait dit une sorte de bonobo en jupe plissée. » Et si vous en voulez plus, jetez-vous sur « Mémé goes to Hollywood », la nouveauté 2014 qui vient de sortir chez Belfond. (Pocket, 6,10 €)

lundi 19 août 2013

Roman - Maternités douloureuses dans "Chambre 2" de Julie Bonnie


Chaque accouchement est une histoire différente. Béatrice travaille dans une maternité et raconte ces expériences cachées derrière les portes des chambres.


Premier roman entre réalisme et poésie, « Chambre 2 » de Julie Bonnie parle de maternité. De femmes surtout. Ces mères, heureuses, angoissées, désemparées, qui entrent dans leur chambre seules et en ressortent avec le « fruit de leurs entrailles ». La narratrice, Béatrice, est auxiliaire de puériculture. Un travail comme un autre. Un travail normal. Encore adolescente, Béatrice est devenue danseuse nue dans un spectacle de musiciens déjantés. La scène, la communion avec le public... Elle a tiré un trait dessus. «  Je ne danse plus, je n'explose plus. Je travaille en blouse. Comme tout le monde ici. Je suis interchangeable (…) Je suis un numéro. C'est ce que je suis venue chercher. Devenir tellement normale que personne ne connaîtra ma folie. » Est-elle véritablement folle ? Le lecteur ne cesse de se poser la question tout au long de ce roman cru et sensuel.

Bébé perdu
La femme normale commence sa tournée par la chambre 2. Un rituel, une obligation. Depuis des années une femme délire sur son bébé perdu. Maternité ou asile psychiatrique... Ces êtres à fleur de peau font obligatoirement penser à Béatrice à celle qu'elle a été, dans sa jeunesse. La découverte d'un univers musical et d'une liberté totale. Amoureuse de Gabor, le musicien, elle danse pour lui. Rien que pour lui. Le coup de foudre est réciproque. Béatrice part en tournée avec le groupe et monte sur scène. Elle danse, de plus en plus nue, améliorant au jour le jour son numéro. Des années de vagabondage, avec des enfants à la clé, malgré la vie sur les routes.

Expériences personnelles
Julie Bonnie a beaucoup puisé dans son expérience pour ce premier roman forcément un peu autobiographique. Elle aussi a connu la scène. En première partie de Louise Attaque, avec le groupe Cornu. Elle décrit parfaitement la communion régnant entre les différents membres du groupe, obligés de partager les bons comme les mauvais moments. Et comme son héroïne, un jour, elle a abandonné sa carrière artistique pour travailler dans une maternité. Elle y a croisé des centaines de mères, mais n'en a conservé qu'une petite dizaine dans ce récit très imagé. Le mélange entre le travail à la maternité et les souvenirs de tournée est distillé habilement. Jusqu'à la bascule, l'événement de trop qui ouvre les yeux à Béatrice. Elle trouve enfin sa place dans ce monde sans pitié.
Plus que le parcours d'une femme, « Chambre 2 » explore les multiples voies empruntées par une seule et même personne. Unique... et multiple. Femme et mère comme cette scène inoubliable du second accouchement de Béatrice.
Michel LITOUT

« Chambre 2 », Julie Bonnie, Belfond, 17,50 € (disponible au format poche chez Pocket)

vendredi 29 mars 2013

Polar - Mémé Cornemuse sur les traces de Béru

Mémé Cornemuse aurait tout à fait pu être un personnage de San-Antonio. Nadine Monfils, sa créatrice, lui donne l'occasion de s'émanciper.

Adeptes du bon goût s'abstenir. Mémé Cornemuse, l'héroïne totalement déjantée imaginée par Nadine Monfils est de retour. Cette grand-mère indigne, fan de Jean-Claude Van Damme et d'Annie Cordy, imagine le casse du siècle. Une bijouterie regorgeant de breloques. Première opération, s'installer près de la place. Mémé endosse les habits de concierge. L'immeuble est stratégiquement collé aux coffres. Puis embaucher un arpette qui fera le sale boulot. Un ancien taulard va prendre ses quartiers dans la cave et creuser un tunnel. Problème, Mémé doit répondre aux sollicitations incessantes des locataires. L'occasion pour Nadine Monfils de décrire quelques cas sociaux d'exception. Ginette Plouf par exemple, une trentenaire avachie, cocue depuis des lustres. Elle est au centre de l'intrigue principale. En rentrant du boulot, elle craque pour des chaussures jaunes. « Elles ont appartenu à Lady Di ! » lui affirme plein d'assurance le commerçant escroc. Ginette, sur ses escarpins, voit la vie différemment. Elle reprend confiance en elle.

Garniture de camembert
A l'arrêt de bus, elle croit découvrir le prince charmant. Simplement un dragueur compulsif qui, une fois sa petite affaire conclue sur le capot d'une voiture dans un parking souterrain, prend ses jambes à son cou. De retour au domicile conjugal, l'infidèle est tentée d'avouer sa faute à Marcel, son mari. Mais ce dernier est mort. Assassiné exactement. Mains coupées et sexe planté dans un camembert au frigo...
Ginette paniquée, prévient la concierge. Et comme Mémé ne veut pas que la flicaille investisse son immeuble, elle se charge de faire disparaître le corps. Une mise en bouche totalement foutraque, et ce n'est que le début. En cherchant à découvrir qui a tué Marcel, Ginette et Mémé vont croiser nombre d'hurluberlus. Genre cette locataire « qui avait un gros grain de beauté sur la joue gauche, garni d'un poil noir. Avec le double menton, on aurait dit une sorte de bonobo en jupe plissée. »

Sexe à tous les étages
Autre rebondissement improbable, l'héroïne apprend qu'elle a un fils. Elle n'a aucun souvenir des 9 mois de grossesse, si ce n'est avoir laissé, dans sa jeunesse, un paquet sanguinolent devant un couvent. Elle se met à rêver à ce gamin maintenant adulte. Un regain d'amour maternel ? Pas vraiment : « Cornemuse aurait bien aimé avoir un fils pédé. Un qui lui aurait ramené des jeunes éphèbes bien membrés et musclés, histoire de passer ses soirées à s'envoyer en l'air. »

Le sexe, en long en large et en travers, c'est un des points communs des romans de Nadine Monfils avec l'univers de San-Antonio. Le commissaire imaginé par Frédéric Dard poursuit ses aventures, sous la plume de Patrice, le fils. Les éditions Fayard viennent de publier le nouvel opus (toujours deux nouveautés par an...) intitulé « San Antonio contre X ». Une reine du cinéma X vient d’être assassinée. Puis une autre hardeuse subit le même sort, en plus sauvage encore. San-Antonio se charge de l'enquête, flanqué du phénoménal Béru, devenu pornstar pour la circonstance. 
Selon l'auteur, jamais en mal de superlatifs, «c'est le plus mystérieux, le plus cocasse et le plus torride de tous les San-Antonio. »
Michel Litout
« La vieille qui voulait tuer le bon dieu », Nadine Monfils, Belfond, 19 €
« San Antonio contre X », Patrice Dard, Fayard, 6,90 €



mercredi 25 avril 2012

Polar - Règlements de contes, à la moulinette, par Nadine Monfils

Tous plus dingues les uns que les autres, les personnages du roman de Nadine Monfils séduisent malgré leur monstruosité.

Entre polar, thriller sanglant et délire surréaliste, ce nouveau roman de Nadine Monfils confirme l'incroyable talent de cet auteur belge vivant à Montmartre. La littérature francophone privilégie en général les gens « normaux » aux cas sociaux. Chez elle, on retrouve dans ses personnages une outrance rare. Son style a des airs de San-Antonio ou des dialogues d'Audiard. Mais c'est avant tout du Nadine Monfils, totalement barré, un peu poétique et franchement abracadabrantesque.

Les premières pages du roman, d'une façon tout à fait classique, nous permet de faire connaissance avec les différents protagonistes. Nake en premier lieu. Une jeune femme, droguée, capable de se prostituer pour se payer ses doses. Justement elle est en pleine transaction avec un client. Louche le client. Nake lui plante un couteau dans le ventre et déguerpit. Place ensuite à Mémé Cornemuse. Elle décroche haut la main le pompon dans la catégorie iconoclaste. Cette presque centenaire, « espèce de vieille guenon à casquette armée d'un flingue », surprend un couple en pleins ébats dans les dunes. Elle veut participer. Refus de la dame. Pan ! Une balle dans la tête pour la mégère pas partageuse. Mémé Cornemuse revient régulièrement dans le récit, toujours avec des réactions extrêmes et des attitudes libidineuses.

Michou ou Betty ?

Le côté policier du récit est fourni par l'inspecteur Cooper et son coéquipier Jean-Michel. Un vieux flic bourru et un jeune diplômé. Le premier est de la vieille école, le second plus en adéquation avec l'univers de Nadine Monfils. Jean-Michel préfère qu'on l'appelle Michou, a les airs efféminés de l'homosexuel qui s'assume et devient carrément Betty en dehors de ses heures de service. Betty, danseuse dans une boîte de strip tease, qui elle aussi vend son corps pour arrondir les fins de mois. Elle joue aussi à dealer un peu. Notamment à Nake. La boucle est bouclée, les nez bien remplis.

Tous ces fous en liberté évoluent dans la ville imaginaire de Pandore, cité inspirée d'un tableau de Magritte. Pandore a peur. Un tueur en série sévit depuis quelques jours. Il assassine des fillettes ou des jeunes femmes, transforme les scènes de meurtres en reconstitution de contes de Perrault. Après le petit chaperon rouge les fesses à l'air et une patte de chat dans la bouche, c'est le Petit Poucet qui est retrouvé égorgé puis Blanche Neige pas en meilleur état...

Ces crimes mystérieux donnent du fil à retordre à Cooper. Heureusement il reçoit l'aide de Mémé Cornemuse venue renforcer son équipe. Car cette fan d'Annie Cordy – son truc c'est de tchatcher avec un Jean-Claude Van Damme imaginaire - s'impose de force au commissariat et se fait plein d'amis dans la fonction publique en échange de quelques gâteries savamment distillées...

Alors qui est le tueur ? Pourquoi Perrault ? Quel rapport avec Nake qui n'a jamais connu son père ? Mémé Cornemuse parviendra-t-elle à faire changer les orientations sexuelles de Jean-Michel ? Cooper peut-il tomber dans les bras de Betty ? Et qui sont ces hommes à chapeau melon ne sortant que la nuit ? Ce n'est qu'un petit échantillon des nombreuses questions rythmant ce roman gigogne, sans morale mais bardé d'humour. Ubuesque.

« La Petite Fêlée aux allumettes », Nadine Monfils, Belfond, 19 € 

lundi 8 août 2011

Thriller - La mort fait tomber les barrières

Un homme condamné par la maladie va perdre les pédales en voulant vivre pleinement ses dernières semaines. Un roman très noir de Neil Cross.

Kenny va mourir. Une tumeur récemment détectée. À l'évolution foudroyante. Il ne lui reste plus que quelques semaines à vivre. Moins de deux mois. Une fois le choc de l'annonce passé, Kenny va se remettre en question. Ce peintre, vivant seul dans un cottage perdu au fond des bois en Angleterre, dresse une liste de quatre noms. Quatre personnes importantes à un moment de sa vie. Quatre personnes à qui il voudrait dire merci.

Ce livre de Neil Cross débute comme un roman psychologique légèrement déprimant. Parmi les noms il y a un marchand qui est intervenu dans une affaire d'enlèvement d'enfant par un pédophile. L'enfant également, que Kenny n'a pas réussi à aider. Il a croisé le pédophile mais n'a jamais été capable de se souvenir de son visage. Il y a également Mary, l'amour de sa vie. Et enfin Callie Barton. C'est la recherche de cette dernière qui va totalement changer le cours du récit.

Disparue sans laisser de traces

Callie est la seule petite fille qui a accepté d'être amie avec Kenny en primaire. Il en a été follement amoureux. Une année scolaire. Et puis à la rentrée, elle n'était plus là. Depuis, il pense souvent à Callie, se demande ce qu'elle est devenue et qu'auraient été leurs vies s'ils étaient resté en relation. Tout en se battant contre les premières défaillances physiques (nausées, vertiges, pertes de connaissance), il va remonter le temps, pour finalement tomber sur un avis de recherche au nom de Caroline Reese, le nouveau nom de Callie. « Le mari d'une femme disparue, Caroline Reese, 34 ans, domiciliée à Bath, a lancé aujourd'hui un appel plein d'émotion invitant son épouse à prendre contact avec sa famille afin qu'il puisse « commencer à ramasser les morceaux de sa vie ». L'appel du mari, Jonathan Reese, survient six semaines après le non-retour de Callie chez elle à la fin d'une soirée passée avec des amies. » Kenny apprend également que Jonathan a été soupçonné un temps d'avoir fait disparaître sa femme.

Face-à-face violent

Le condamné se sent alors comme investit d'une mission : faire avouer à Jonathan le meurtre de sa femme. N'ayant plus rien à perdre, il enlève le mari, l'attache et l'enferme dans une pièce sombre de son cottage-atelier. Un long face-à-face s'engage entre les deux hommes. Kenny va se durcir, atteindre des sommets de violence car son temps est compté pour obtenir ces aveux : « Il était certain que cela ne prendrai pas longtemps; il avait déjà surpris Jonathan en train de marmonner et de sangloter, tourmenté par la faim et la peur. Il ne pourrait pas supporter ce traitement bien longtemps encore. Personne ne l'aurait pu. » La moitié du roman de Neil Cross est composé de ce duel entre Kenny et Jonathan. Une situation allant crescendo dans la souffrance, la torture et la violence entre deux hommes agonisant chacun de leur côté.

On est happé par ce huis clos ténébreux, à la recherche d'une vérité qui finalement arrivera en fin de volume, mais aux conséquences totalement différentes de ce qu'avait imaginé Kenny dans son délire de condamné.

« Captif » de Neil Cross, Belfond, 18 euros 

vendredi 22 octobre 2010

Roman noir - Les secrets d'un mort

Dans ce roman de Colin Harrison, un avocat pour une compagnie d'assurances enquête sur les dernières heures d'un héritier tué dans un accident de la circulation.


Héros atypique, intrigue à tiroirs, cadre unique (New York) et absence de violence : « L'heure d'avant », roman noir de Colin Harrison, est tout sauf un stéréotype du genre. Pourtant on est rapidement passionné par ce récit, tout en longueurs, où le héros semble parfois trop humain pour affronter ce monde de secrets et de magouilles.

George Young, héros et narrateur, raconte cette histoire avec un air bonhomme et tranquille. Comme s'il voulait ne pas être plus affecté que cela par cette histoire de mère désirant tout savoir sur les dernières heures de son fils mort écrasé dans la rue. Pourtant il ne sortira pas intact de cette éprouvante recherche dans le passé.

Cet avocat pour une compagnie d'assurances mène une vie relativement tranquille entre ses dossiers techniques, sa femme, travaillant elle aussi dans un bureau (mais pour une banque) et sa fille, étudiante. Mais il vit à New York et cette ville n'est pas comme les autres. Multitude des origines, possibilité de passer inaperçu, chance de refaire sa vie : souvent on ne sait pas exactement à qui on a affaire.

Tué par un camion-benne

La veuve de son ancien patron va lui demander un service personnel. Fâchée avec son fils Roger, elle veut savoir pourquoi, une heure avant sa mort, il s'est rendu dans un bar bien particulier. George Young hésite à s'investir dans cette étrange lubie. Il se lance finalement et découvre un DVD sur lequel se trouve un enregistrement d'une caméra de surveillance. On y voit Roger Corbett, la cinquantaine, un peu ivre, sortant du bar. « Il glissa la main gauche dans la poche de son manteau pour en extraire un petit bout de papier qu'il tenait manifestement à examiner – l'approchant de son visage, comme pour relire un message dont il venait de prendre connaissance -, quand le camion-benne d'une société privée qui arrivait sur sa droite le percuta de plein fouet. » En se rendant dans le bar, George apprend que Roger venait de donner un coup de fil avec son portable. 

Peu de temps avant, il était en compagnie d'une superbe femme portant des gants. Retrouver le bout de papier, le dernier correspondant et la jeune femme lui permettrait de progresser. Rapidement il localise la femme aux gants, « une très grande brune, mince, dans les vingt-cinq ans, portant des lunettes de soleil, un manteau rouge, et... des gants. »

Jolies mains

Eliska, Tchèque, est mannequin. Du moins ses mains, utilisées pour présenter des montres et autres bijoux. Elle expliquera que son amant était très perturbé par le passé de son père, l'ancien patron de George.

Colin Harrison mène son roman comme une promenade dans le temps et l'espace. Différents quartiers de New York servent de cadre à cette intrigue qui s'étale également dans le temps. Au fil des chapitres le lecteur en apprendra un peu plus sur le base-ball, le rhodium, « un métal précieux d'une grande rareté, utilisé dans l'industrie et en joaillerie », le travail des traders, les divorces coûteux et la diaspora russe. George, lui, se retrouve beaucoup plus impliqué qu'il ne croyait au début, dans cette histoire de fils s'interrogeant sur la jeunesse de son père.

« L'heure d'avant », Colin Harrison, Belfond, 17 € 

jeudi 15 avril 2010

Roman - Chronique d'une haine ordinaire

Dans le Vieux Sud américain, les passions et les brutalités déchirent une population tiraillée par les sentiments ambivalents que ressentent Blancs et Noirs des années 40. "Mississippi", un roman de Hillary Jordan.


Une ferme et de la boue. Des champs de coton et de la boue. Une petite, toute petite ville du Vieux Sud et de la boue. « Quand je pense à la ferme, je pense à la boue. (...) Avec elle, impossible d'avoir le dessus. Elle recouvrait tout. Je rêvais en marron. » A 31 ans, Laura, professeur d'anglais dans une école privée de garçons à Memphis, vit encore chez ses parents et s'est déjà résignée à son statut de « vieille fille ». C'est pourquoi elle n'ose pas croire à sa chance quand, au printemps 1939, elle rencontre Henry McAllan, invité à partager le repas dominical par son frère Teddy, de qui il est le nouveau patron.

La mère de Laura, flairant l'aubaine, réitère son invitation pour le dimanche suivant. « C'était une créature rare et merveilleuse : un célibataire de quarante et un an. » Arriva ce qui devait arriver, après quelques mois d'une cour assidue, Henry demande à Laura de l'épouser. Folle de bonheur, comment la pauvre jeune femme, éprise de littérature, de musique et de tout l'attrait culturel qu'offre une grande ville, aurait-elle pu deviner que son époux tout neuf, fils de fermier et amoureux dans l'âme de la terre qui a fait vivre ses ancêtres, achèterait quelques années après leur mariage, une ferme perdue au milieu de nulle part ?

Entre ses deux filles, la prunelle de ses yeux, son mari et le père de celui-ci, vieux bonhomme acariâtre et membre du Ku Klux Klan, Laura tente bon gré mal gré, d'être une épouse et une mère exemplaire et se résigne à la situation. « Que les choses étaient simples pour Henry ! Que je regrettais parfois de ne pouvoir le rejoindre dans cet univers austère et carré où tout était soit bien soit mal et où il n'y avait aucun doute sur ce qui était quoi. Quel luxe inimaginable que de ne jamais avoir à batailler avec des peut-être et des pourquoi, de ne jamais passer des nuits blanches à s'interroger sur des si. »

Un racisme récurrent

Dans l'après-guerre de ce coin du sud des États-Unis, les Blancs sont bien décidés à défendre la supériorité de leur race face à un peuple noir dépendant économiquement du travail que veulent bien leur donner ces mêmes Blancs. Mais la guerre a changé la donne... Et quand Ronsel Jackson, le fils des métayers noirs des McAllan rentre au pays, couvert de gloire et de médailles, il refuse de se plier à ces lois iniques, lui qui s'est battu pour son pays et a connu la considération des Européens, faisant fi de la couleur de peau de leurs libérateurs.

Dans le même temps, Jamie, le jeune frère d'Henry, ancien pilote de bombardier, revient lui aussi au bercail et s'installe à la ferme familiale.

Entre ces deux-là, qui ont partagé les mêmes angoisses pendant toutes ces années de guerre, se noue une amitié improbable. Une amitié qui va attiser la haine des Blancs de la petite ville...

Faisant parler tour à tour chacun des protagonistes du roman, Hillary Jordan réussit le pari risqué de dresser des portraits tout en nuances et en contradictions, mettant en lumière les sentiments complexes qui habitent les Blancs comme les Noirs de cette époque incertaine. « Henry se moquerait de moi pour ce que je vais dire, mais je crois que les Noirs ont la faculté innée, qui nous manque à nous autres Blancs, de pressentir les choses, une sorte de prémonition. Elle se différencie de la raison, dont nous sommes plus pourvus qu'eux, et provient d'une contrée plus ancienne, plus sombre. » pense un Jamie déchiré entre son amitié pour Ronsel, le Noir, et son éducation pétrie de racisme.

Ronsel qui s'attire les foudres de la population blanche parce qu'il refuse par exemple d'emprunter la porte de derrière de la seule épicerie du village, celle de devant étant réservée à « l'élite blanche ».

L'écriture de la romancière est puissante, bouleversante, ciselée. Elle emmène le lecteur dans les tréfonds d'une intrigue en partie inspirée par les récits dont Hillary Jordan a été bercée dans sa jeunesse passée entre le Texas et l'Oklahoma. Sans nul doute une première œuvre menée de main de maître, qui ne sera, espérons-le, que le début de sa carrière d'écrivain.

Fabienne HUART

« Mississippi » de Hillary Jordan, éditions Belfond, 19 euros.

lundi 23 novembre 2009

Roman historique - Dante, le poète profileur

Ambassadeur de Florence envoyé remplir une mission secrète à Rome, Dante Alighieri va enquêter sur de mystérieux assassinats de femmes.


Dante, poète, écrivain, fierté de l'Italie, est également depuis quelques années héros de roman policier. Dante en profileur, c'est une idée de Giulio Leoni et si cela peut paraître incongru au premier abord, le résultat est très plaisant. Dans « La croisade des ténèbres », Dante va devoir se rendre à Rome en tant qu'ambassadeur de Florence. La ville attend beaucoup du poète et de sa force de persuasion. Alors qu'il est en pleine rédaction de son œuvre majeure, Dante rechigne à quitter son confort et mettre à mal son inspiration. Mais ses commanditaires savent comment manœuvrer le lettré. Il recevra en échange de ses services un manuscrit de Virgile. Le choix est vite fait.

Cadavre dans le fleuve

Flanqué de deux autres ambassadeurs (qu'il s'empressera d'abandonner Dante n'aimant pas le travail d'équipe), il se rend à Rome. L'occasion donnée à l'auteur pour décrire minutieusement les environs de la ville et toutes les petites gens qui y vivent. Le héros s'y rend en barque. Un voyage de nuit, éprouvant et inquiétant. Arrivé sur la terre ferme, il est le témoin d'une première scène peu banale. Des pêcheurs ramènent le corps d'une jeune femme. Tout le monde pense qu'elle s'est noyée, mais l'œil expert et aiguisé de Dante se doute qu'elle a été assassinée. Il découpe sa tunique et découvre un spectacle d'horreur : « La cavité thoracique était vide : on ne distinguait que les blanches saillies des côtes, noyées dans la chair grise. Le ventre, également vidé, fourmillait de petits poissons. L'assassin ne s'était pas contenté de tuer, il s'était acharné avec perversité sur la malheureuse, la découpant comme un animal de boucherie. »

Cherchant un logis pour son séjour, il se rend dans une maison dans un quartier excentré. Et là il retrouve le cadavre de la jeune femme, veillé par sa mère, la logeuse. Dante, bouleversé par le chagrin de la famille et constatant que la police ne fera rien pour démasquer le coupable affirme à la mère éplorée « Bien, la vieille. Ta fille sera vengée. »

Dépouille dans un sarcophage

Il se met à fureter dans les bas-fonds de la ville découvrant que ce n'est pas la première femme découverte assassinée et atrocement mutilée. Mais son enquête ne lui fait pas oublier sa mission. Il se rend à la curie pour rencontrer le pape Boniface, entouré du collège des cardinaux, « pareil à une couronne, inondant la salle d'écarlate. » A la curie où il va croiser une autre femme : Jeanne la Papesse. Cette femme qui avait réussit à se grimer en homme et à se faire élire pape, est enterrée dans une crypte secrète. Dante assiste à l'ouverture de son sarcophage. « Un corps vêtu d'une robe blanche qui reflétait la lumière des torches apparut. La tête était surmontée d'une tiare de la même couleur, et les petites mains fines qui reposaient sur la poitrine semblaient être croisées depuis peu, tant la peau paraissant élastique et les muscles des doigts relâchés. »

Ce roman offre plusieurs niveaux de lecture. Les passionnés d'histoire seront fascinés par la richesse des descriptions de Rome et de ses habitants, alors que les amateurs de polar apprécieront un suspense palpitant et la progression de l'enquête de Dante. Une belle réussite qui permet également aux lecteurs de mieux apprécier l'œuvre de ce poète, monument européen encore trop méconnu

« La croisade des ténèbres », Giulio Leoni (traduction de Nathalie Bauer), Belfond, 20 € 

dimanche 7 décembre 2008

Polar - Secrets bien enfouis

La meurtrière de la jeune Abigail vient de se suicider en prison Mais elle serait finalement innocente. Un imbroglio pour la perspicace Vera Stanhope.

Dix ans de prison pour rien. Jeanie Long vient de faire dix ans de prison après sa condamnation pour le meurtre d'une jeune fille, Abigail Mantel. Elle n'a cessé de clamer son innocence. Alors qu'un témoin réapparaît et que l'enquête va être rouverte, Jeanie, à bout, se suicide dans sa cellule. Une raison supplémentaire pour Vera Stanhope, inspectrice de police pugnace, de démasquer le véritable meurtrier.

Ce polar noir d'Ann Cleeves fait un peu penser, par moment, à un bon Simenon. La policière est bourrue (comme le commissaire Maigret) et les différents protagonistes de l'affaire, sous des airs lisses et polis, ont de nombreux secrets à cacher. La petite bourgeoisie anglaise n'a rien à envier à celle de la province hexagonale. Avant que Vera n'intervienne, c'est par l'intermédiaire d'Emma que le lecteur découvre les événements, anciens et actuels. Emma, jeune mère au foyer, légèrement dépressive. Elle attend son mari James, marin, en fantasmant sur son voisin.

Une coupable trop idéale

Mais ce soir-là est différent. James lui apprend que le dossier du meurtre d'Abigail Mantel vient d'être rouvert. Jeanie Long, déclarée coupable, ne serait finalement pas la meurtrière. Une révélation qui fait remonter un flot de souvenirs dans la mémoire d'Emma. A l'époque, adolescente rebelle, elle était la meilleur amie d'Abigail. Abigail la fille de Mantel, riche promoteur immobilier. Emma de son côté rejetait sa famille : son père, pasteur rigoureux, sa mère, bibliothécaire effacée, docile, toujours dans l'ombre. Un dimanche soir, après une nouvelle dispute, elle sort dans la lande pluvieuse et balayée par le vent. C'est là quelle a découvert le corps d'Abigail, dans un fossé, étranglée. Les policiers ont rapidement trouvé une coupable idéale : la concubine du père d'Abigail. Jeanie affirme avoir passé la journée à Londres. Un alibi sans preuve.

Une preuve de sa présence à Londres qui réapparaît 10 ans plus tard. Mais trop tard... Vera Stanhope est chargée de l'enquête. La policière fait sa première apparition dans la petite paroisse d'Elvet au cours de la messe. Emma découvre une « femme corpulente et formidablement laide ». Elle était « vêtue d'une robe de crêpe informe constellée de petites fleurs violettes, et d'un gilet mauve pelucheux. Malgré le froid, ses pieds étaient chaussés de sandales de cuir plates ». Ann Cleeves force un peu le trait, mais il faut avouer que le personnage de Vera, teigneuse, buveuse, coléreuse, s'impose dans ce roman. Face aux atermoiements des différents protagonistes de l'affaire, elle élève la voix, les bouscule, pour faire enfin jaillir la vérité. Son face-à-face avec Emma fait des étincelles : « Pour la première fois, Emma se rendit compte que Vera était en colère, une colère volcanique, terrifiante. » La policière qui secouera tellement la fourmilière qu'un second meurtre sera commis, nouvelle preuve irréfutable de l'innocence de Jeanie.

Ce roman policier, parfois oppressant tant certains personnages sont tristes et résignés, fouille dans les tréfonds de l'âme humaine. Vera, heureusement, est là pour remettre tout en place. Quelles qu'en soient les conséquences...

« Morts sur la lande », Ann Cleeves, Belfond, 20 €