dimanche 11 novembre 2018

Roman - Ode à un porté disparu avec "Dans les bras de Verdun" de Nick Dybek


En ce jour de commémoration si funeste, on reparle des morts de la Grande guerre. Ceux qui sont tombés au front sous la mitraille, décorés post mortem, et dont les familles vont encore fleurir les tombes. En profitent pour raconter, encore et encore, la bravoure de l’arrière-grand-père, de ce cher oncle jamais connu.

Des milliers de «Poilus » néanmoins, reposent dans des cimetières dédiés aux disparus, où aucune inscription ne distingue les croix. Ils furent des milliers, juste après l’armistice, et encore des années après, à supplier la Grande Muette de leur fournir quelque information, le dernier lieu où leur époux, leur fils, avait combattu. La plupart du temps sans résultat. Comment identifier à cette époque les restes épars d’êtres humains déchiquetés par les obus ?

Tom, originaire de Chicago, est déjà bien marqué par la vie. Il a perdu sa mère et rejoint son père, médecin ambulancier sur le front à côté de Bar-le-Duc. Foudroyé lui aussi en 1915, par un stupide typhus.

Tom prend la relève, conduit les ambulances, brave mille dangers et côtoie la mort ad nauseam. «Une partie de mon travail consistait à servir ces soldats, dont les yeux vides et les bribes de conversation laissaient entrevoir la vie effroyable […]. Une fois, je portai des verres d’eau […]. L’un d’eux me fit signe d’approcher. Renifle ça, tu veux ? L’eau était fétide. Elle sentait la pourriture. Elle venait sans doute d’un tonneau contaminé par l’eau du sol ».

■ Enfant perdu 

En 1921, recueilli par l’abbé Perrin, il devient l’assistant de l’évêque de Verdun. Leur travail : fouiller les champs de bataille et collecter tous les os, qui constitueront par la suite l’ossuaire de Verdun.

Aussi, accueillir les familles des disparus, souvent désespérées après une épuisante recherche. Du ministère des Armées jusqu’aux petites annonces dans les journaux en passant par les soi-disant voyantes, qui les «mettent en relation» avec l’esprit de leur défunt. Un jour arrive Sarah, Américaine elle aussi. Elle cherche depuis 3 ans son mari, porté disparu à Verdun.

Tom tombe éperdument amoureux de cette femme dont le seul enjeu est de retrouver son époux.

Quelques mois plus tard, Tom et Sarah se retrouvent à Bologne, dans une Italie déjà fascisante. Ils y font la connaissance de Paul, journaliste autrichien. Tous trois visent le même but: découvrir l’identité de l’inconnu amnésique hospitalisé à l’hôpital de Bologne.


Au-delà de cette histoire racontée avec sensibilité et pudeur, dans un style magistral par Nick Dybek, transparaît la douloureuse incertitude de toutes ces familles. Porté disparu. Un simple télégramme. Porteur de ces deux petits mots insignifiants, si lourds d’incertitude et de chagrin.

Fabienne Huart 

➤ «Dans les bras de Verdun», Nick Dybek, Presses de la Cité, 21 €

samedi 10 novembre 2018

BD - Devoir de mémoire avec « La petite fille qui voulait voir la guerre »



Comment expliquer la guerre 14 - 18 aux jeunes générations. « La petite fille qui voulait voir la guerre » de l’historien Jean-Yves Le Naour et la dessinatrice Christelle Galland donnera sans doute des pistes aux éducateurs. 

Clémence, 10 ans, doit faire un exposé sur cette sombre époque de l’Histoire de France. En passant devant le monument aux morts de sa commune, Charnay-lès-Mâcon, elle découvre que son nom de famille y figure. Elle va aller à la recherche de cet ancêtre mort pour la patrie. Un album complété par un remarquable dossier sur le 134e régiment d’infanterie de Mâcon dans la Grande Guerre.
« La petite fille qui voulait voir la guerre », Bamboo, 14,50 €

vendredi 9 novembre 2018

BD - La fin des Godillots



Ecrite par Olier et dessinée par Marko, l’histoire des Godillots prend fin avec ce cinquième tome qui voit aussi l’arrivée de l’armistice. Cette bande de copains, venus d’un peu partout de la France rurale, doit ravitailler une unité de soldats dans un village isolé. 
Palette et Le Bourru (les deux héros principaux) découvrent alors qu’il s’agit de l’unité du capitaine Charton, spécialiste des arnaques en tous genres et spécialiste pour se faire de l’argent sur le dos des morts. 

Une série remarquable, donnant un éclairage différent de la vie des soldats de la Grande Guerre. Mais attention, la tonalité comique générale de la série bascule dans le tragique lors des dernières pages. Car la guerre, même quand elle est terminée, est tragique et reste une belle saloperie.
« Les Godillots » (tome 5), Bamboo, 14,50 €

jeudi 8 novembre 2018

BD - Guerre et folie avec "Les oubliés de Prémontré"



La guerre, quelle folie ! Mais que deviennent les fous durant les guerres ? Cette question est au centre de l’album « Les oubliés de Prémontré » de Stéphane Piatzszek et Jean-Denis Pendanx. Cet immense asile d’aliénés tout proche de Soisson dans l’Aisne abrite 1 300 malades au début de l’intrique. Nous sommes en août 1914. La guerre est imminente. Un jeune garçon de ferme vient chercher du travail dans l’hôpital. 200 francs par mois, nourri et logé, c’est mieux que dans la ferme des parents. 
Comme en plus il sait conduire une automobile, il se révèle très utile à l’économe. Mais quand les troupes prussiennes s’approchent, le personnel médical fuit. Il ne reste plus que quelques administratifs demandant sans cesse l’évacuation des malades. Sans succès. Durant trois ans Prémontré sera abandonné. Occupé par les Allemands qui pillent les réserves, les malades meurent de faim ou de froid. Au loin les bombardements font rage. Ce roman graphique de plus de 100 pages, tout en couleurs directes de Pendanx, raconte le quotidien de ces hommes et femmes à charge d’âmes, même si ces dernières sont égarées. Une intrigue vient renforcer la dramaturgie de l’ensemble, basé sur une histoire authentique
« Les oubliés de Prémontré », Futuropolis, 21 €

mercredi 7 novembre 2018

Cinéma - « Lazzaro », d’une Italie à l’autre


Trop gentil ce jeune Lazzaro. Il y a quelques siècles, il aurait été considéré comme un valet de ferme. Ces hommes corvéables à merci, toujours disponible pour les travaux les plus ingrats. Mais Lazzaro ne vit pas au Moyen Age. Le début du film d’Alice Rohrwacher semble se dérouler dans les années 80 ou 90 vu le portable antédiluvien utilisé par le fils de la marquise. L’Italie de la fin du XXe siècle mais où les familles de l’exploitation agricole de la marquise De Luna vivent encore comme des serfs.
Pas de salaires, juste quelques dédommagements en nature en échange de la production des terres. Cinquante pauvres malheureux s’entassent dans les masures insalubres du hameau de l’Inviolata, dormant à 10 par chambre, se partageant les ampoules pour y voir clair la nuit. Ils sont exploités par la patronne (surnommée la Vipère) et son homme à tout faire. L’été, la fameuse vipère vient dans sa belle maison isolée du monde moderne (un pont coupé après des inondations) en compagnie de son fils Tancredi.
Ce jeune adulte déteste la région. Il s’y ennuie. Quand il croise la route de Lazzaro, il revit. Tancredi est le seul à ne pas chercher à l’exploiter odieusement. Mais il l’utilise. Il lui fait croire qu’il est son demi-frère et qu’ils sont tous les deux des chevaliers. Lazzaro le croit. Car Lazzaro est gentil. Il est heureux quand il permet aux autres d’être heureux. Il ne décèle pas la moindre mesquinerie ou méchanceté dans les brimades quotidiennes. Lazzaro est surtout naïf, presque attardé.

■ Prix du scénario à Cannes

Le personnage principal de ce film est interprété par Adriano Tardiolo. Il devient au fil des scènes le prototype de l’homme bon. Presque un saint. Aussi quand le film bascule dans le merveilleux, Lazzaro sautant les époques après une rencontre avec un loup, il n’est plus le benêt de service mais le révélateur des outrances de notre société actuelle.
Dans la seconde partie du film, Lazzaro, innocent et bon, débarque dans l’Italie contemporaine, il va découvrir que finalement le servage n’a pas complètement disparu. Au cours d’une vente aux enchères inversée, il retrouve l’homme à tout faire de la marquise. Désormais, il propose du travail à des migrants. Celui qui propose le plus petit salaire horaire sera embauché. Dans la grande ville, Lazzaro tombe par hasard sur ceux de l’Inviolata. Devenus adultes ou vieux, ils survivent tout aussi péniblement dans des bidonvilles le long de voies ferrées.
Fable profondément humaine, «Heureux comme Lazzaro» a remporté le prix du scénario au dernier festival de Cannes. Un film qui peut changer votre façon de voir la vie, presque vous donner la foi. Pas en une quelconque religion. Juste foi en l’Humanité.

➤ « Heureux comme Lazzaro », drame d’Alice Rohrwacher (Italie, 2 h 07) avec Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Agnese Graziani, Sergi Lopez.

mardi 6 novembre 2018

DVD et Bluray - Espionnage et traîtrise au coeur du "Dossier Mona Lisa"


Le monde de l’espionnage n’a rien à voir avec les grosses voitures de James Bond et autres gadgets. Dans la réalité, l’atout essentiel de l’agent secret c’est la discrétion. Avec « Le dossier Mona Lisa » d’Eran Riklis on est au plus près de la réalité. Mona (Goldhifteh Farahani), Libanaise, trahi sa communauté pour informer Israël. Suspectée et menacée par le Hezbollah, elle est exfiltrée en catastrophe. Sa mission est terminée. Elle subit une opération de chirurgie esthétique et une fois rétablie pourra débuter une nouvelle vie au Canada. Durant 15 jours de convalescence en Allemagne, elle va être surveillée et protégée par Naomi (Neta Riskin), agent du Mossad. La cohabitation, quasiment en huis clos est au centre de ce film d’atmosphère, oppressant et virtuose. La confrontation entre les deux femmes, méfiantes puis presque amies, est le cœur de l’histoire. Mais on y apprend aussi beaucoup des pratiques souvent peu reluisantes des services secrets (occidentaux et d’Israël) et la folie terroriste du Hezbollah. Un making-of complète le DVD, racontant le tournage en Allemagne, la mé- thode de travail d’Eran Riklis et présentant mieux Neta Riskin, excellente actrice israélienne.

➤ « Le dossier Mona Lisa », Pyramide Vidéo, 19,99 €

lundi 5 novembre 2018

DVD et Bluray - Bagnards en compétition dans "Death Race 4"


Pas le moindre gilet jaune sur leur tableau de bord. Les prisonniers participant à la course de la mort dans cet ultime opus de la franchise ne semblent pas sensibilisés par le mouvement « populaire » contre la hausse des taxes sur le carburant. Pourtant, ils en consomment de l’essence dans cette compétition dominée depuis 7 éditions par Frankenstein, le bagnard masqué. Dans cette immense prison (reconstituée pour le film dans une ancienne aciérie bulgare), l’anarchie règne. Un nouveau venu, Connor (Zach McGowan, gros biscotos et expression bovine) va le défier. Réalisé par Don Michael Paul, le film vaut pour ses cascades. Par charité chrétienne, on ne dira rien sur les performances des acteurs.
➤ « Death Race 4 », Paramount, 14,99 € le DVD, 16,99 € le bluray

dimanche 4 novembre 2018

BD - Le roi de la bouffe et de l’embrouille



Archie est un des plus anciens personnages de comics américains. Ces histoires comiques et sentimentales se déroulent dans un lycée. Celui de Riverdale. Relancées par une série télé, les aventures de ces jeunes étudiants partent à la conquête de la France dans la nouvelle collection « Log-in » de Glénat destinée aux jeunes adultes. Après des albums consacrés à Archie, Betty et Veronica, c’est Jughead qui a droit à ses propres histoires. Le personnage est le plus délirant. 
Ce fainéant de première, n’appréciant qu’une chose dans la vie : manger (quand il ne dort pas ou joue aux jeux vidéo). Dans ce recueil de six histoires complètes signées Zdarsky (scénario) et Henderson (dessin), il voit son monde s’écrouler quand un nouveau proviseur décide, au lieu des lasagnes et autres hamburgers au menu du lycée, de faire servir aux élèves une sorte de brouet insipide pour faire des économies. 

L’affrontement entre Jughead et le proviseur passe par des rêves prétextes à des parodies de classiques de l’imaginaire américain, de Game of Thrones à James Bond en passant par les superhéros. C’est parfois un peu lourd mais très juste dans la constatation que les jeunes Américains vivent souvent par procuration à travers leurs héros.
« Riverdale présente : Jughead », Glénat, 12,50 €

samedi 3 novembre 2018

BD - La musique (en prison) adoucit les mœurs



Fresnes. Une ville en région parisienne qui n’est plus connue en France que pour sa prison. Une ville dans la ville où vivent des milliers de détenus, de gardiens, où il y a un hôpital et même une salle de spectacle pouvant accueillir des concerts. Des concerts en prison ? Oui, et parfois des « pointures » invitées par l’association chargée d’organiser des activités culturelles pour les prisonniers. Romain Dutter est le responsable de ces concerts et il raconte dans un roman graphique illustré par Bouqué comment l’administration pénitentiaire, longtemps hostile à ces concerts, a changé sa politique au cours des années 80. 

Après une présentation de son parcours (Romain Dutter a beaucoup bourlingué en Amérique du Sud, son premier contact avec le milieu carcéral se déroulant au Honduras), l’animateur raconte les concerts des deux côtés. Réactions des artistes, mais aussi des détenus ou des gardiens. Presque un reportage, sans le moindre parti pris, qui n’oppose personne au contraire. Preuve qu’effectivement, depuis toujours, la musique adoucit les mœurs. Même en prison…
« Symphonie carcérale », Steinkis, 20 €

vendredi 2 novembre 2018

BD - Lucky Luke voyage bien

 



Enfin une femme entre dans la vie de Lucky Luke. Le cow-boy imaginé par Morris, longtemps animé par Goscinny et repris depuis quelques années par Jul (scénario) et Achdé (dessin) va devoir protéger cette compagne française pour le moins encombrante. Pour cause, elle mesure 93 mètres de haut… Tout commence dans les plaines de l’Ouest quand le héros qui tire plus vite que son ombre rencontre un certain Bartholdi. Contrairement à ce que pense le ventre affamé d’Averell Dalton, ce n’est pas un glacier italien mais un sculpteur français. Ce que le repris de justice a pris pour une glace géante est la flamme de la liberté. De la future statue de la Liberté. 

L’histoire de Jul, truffée de gags et de clins d’œil savoureux, explique comment Bartholdi a collecté l’argent de la souscription en sillonnant le pays avec juste la réplique de la main. Ensuite, il s’agit de convoyer la statue monumentale. Mais des ennemis de la liberté veulent détruire le monument. Lucky Luke sera chargé de le protéger. Le voilà donc à Paris pour jouer les gardes du corps de cette femme si symbolique. Une excellente suite à une série qui après quelques atermoiements semble être de nouveau sur d’excellents rails.
« Lucky Luke - Un cow-boy à Paris », Lucky Comics, 10,95 €