jeudi 20 septembre 2018

De choses et d'autres - Paris sans pipi


Petit précis sur la difficulté de manier l’humour au second degré. Parfois, on se croit très marrant. Bizarrement, non seulement les gens ne rient pas pour les bonnes raisons, mais en plus on se retrouve au centre d’une polémique inextricable. Un exemple la semaine dernière avec le clip, sponsorisé par la ville de Paris pour dé- noncer les incivilités dans la rue. 
Le message à transmettre : « Il ne faut pas faire pipi dans (les rues de) Paris ». Sujet délicat et peu ragoûtant. Une véritable plaie pourtant, pas seulement à Paris. Dans nos régions, la chaleur n’arrange pas les choses. On imagine les communicants en train de chercher des idées. Impossible de choisir l’hyperréalisme. Un clip en odorama aurait le mérite de bien situer le problème mais ferait fuir tout le monde. Alors autant tenter la dérision. La youtubeuse et comique (elle se produit dans divers cafés-théâ- tres parisiens) Swann Périssé relève le challenge. Elle écrit une chanson où elle remercie sincèrement ceux qui ne font « pas pipi dans Paris » (titre de la chanson). 
Dans le clip, les costumes sont jaunes, les lèvres couleur citron ou banane et parmi les accessoires, quantité de rouleaux de papier toilette et une immense brosse à WC. Si les iconoclastes de Groland avaient décidé de le parodier, ils n’auraient pas fait mieux. Tout le monde s’est insurgé. Car si le second degré se prête à diffuser certains messages, les institutions publiques y ont rarement recours. 
L’impression générale : la Mairie de Paris se moque de nous en rigolant d’un réel problème. Un bad buzz qui n’empêchera personne de se soulager contre un muret ou sous un pont. De quoi rire jaune. Ou «pisser de rire » selon l’expression favorite de Jean-Marie Bigard.



Chronique parue en dernière page de l'Indépendant le 21 septembre 2018

mercredi 19 septembre 2018

Cinéma - "Leave no trace", se couper du monde pour réussir à lui survivre

Il y a un peu de « Captain Fantastic » dans le nouveau film de Debra Granik. Après « Winter’s Bone » qui se déroulait en partie dans les forêts du Missouri, elle plante de nouveau sa caméra dans la forêt pour « Leave no trace ». Mais cette fois ce sont les zones froides et humides de l’Oregon et de l’État de Washington, sur la côte nord-ouest des USA, qui servent de décor à cette histoire de survivalisme.



Will (Ben Foster), vétéran, et sa fille adolescente, Tom (Thomasin Harcourt McKenzie), fuient la civilisation. Ils vivent sous une bâche dans le parc naturel proche de la banlieue de Portland, récupèrent l’eau de pluie, cueillent des champignons, font pousser quelques légumes et s’entraînent à se cacher. Car il est interdit de vivre dans ce parc national.


Quand le nécessaire manque, ils vont en ville se ravitailler. Will touche sa pension de vétéran et revend les médicaments que le service de santé lui délivre pour cause de traumatisme post-conflit. Pilules qu’il cède à des SDF.

La première partie du film se concentre sur cette survie précaire, entre paradis (les bons jours) et lutte contre le froid et l’humidité (tout le reste du temps). Repérés, capturés, le père et sa fille sont séparés. Quand ils arrivent à se retrouver ensemble, ils fuient de nouveau, plus au nord, dans des forêts encore moins hospitalières. 

Superbe symphonie naturelle, ce film d’une grande beauté, est avant tout la description du traumatisme d’un homme, persuadé que pour survivre au monde, il faut le fuir. Une réalité qu’il veut imposer à sa fille. 

➤ « Leave no trace » de Debra Granik (USA, 1 h 49) avec Thomasin McKenzie, Ben Foster.

De choses et d'autres - Nuits trop courtes

« Les Français dorment-ils assez pour être pleinement efficaces au travail ? » Judicieuse question. Je vous réponds après la sieste. Plus sérieusement, un sondage commandé par « Qapa.fr, l’agence d’intérim 100 % online et Tulo, le site dédié à la literie bed-in-a-box nouvelle génération » ont interrogé les 4,5 millions de personnes inscrites à l’agence sur leur sommeil.

Des chiffres significatifs qui laissent entrevoir le déroulement des nuits des Français. Exactement des Français et des Françaises car il existe une réelle différence en fonction du sexe. D’une façon générale, les femmes dorment une heure de moins que les hommes. Sans doute réveillées par les ronflements de leur compagnon. Pourtant elles ont la possibilité d’être tranquilles en début de nuit. Les hommes affichent une nette tendance à se coucher plus tard (sauf moi).

Nous sommes 49% à nous mettre au lit après 23 heures alors que vous mesdames, plus raisonnables, n’êtes que 44 % (ma femme n’y figure pas). Résultat, à la question de savoir si nous avons bien dormi, nous tombons presque d’accord : 51 % de femmes contre 58 chez les hommes. Fatigués au travail ? Logique si on se couche trop tard. Mais les hommes suggèrent une solution. Par un heureux hasard les sondeurs ont demandé leur avis sur la possibilité de faire une sieste au travail. La bonne idée que voilà. 66 % des hommes adhèrent au projet. À l’opposé, les femmes s’y opposent à 51%.

Par contre, et là on frise l’indécence, si on autorisait la sieste au travail, pas question pour 97 % des Français, hommes et femmes confondus, de terminer le travail plus tard. En résumé, nous voudrions être payés à dormir. Arrêtez de rêver, il y a encore du boulot.
Chronique parue le mercredi 19 septembre en dernière page de l'Indépendant

mardi 18 septembre 2018

De choses et d'autres - De la fiction à la réalité

Parmi les genres littéraires, les écrivains français (parisiens essentiellement) ont inventé l’autofiction. Le principe : on se met en scène et on raconte son quotidien, en respectant ou pas la vérité. Une Américaine vient de frapper beaucoup plus fort. Nancy Crampton-Brophy, petite mamie de 68 ans aux cheveux blancs, publie des romans sentimentaux depuis quelques années. L’histoire finit généralement bien même si parfois les titres sont trompeurs et dignes de thrillers comme « Le mauvais flic ». L’héroïne fantasme au cours de longues pages sur le meurtre de son mari, premier indice du côté obscur de cette romancière peut-être pas si gentille que cela.

Elle avait déjà abordé le thème dans le très explicite « Comment tuer son mari ». Dans ce roman paru en 2011, son héroïne échafaudait de multiples stratégies pour se débarrasser de son époux encombrant.

Le mari de Nancy aurait peut-être dû sentir l’oignon quand le couple a commencé à battre de l’aile. Car en juin dernier, Dan, enseignant dans une école hôtelière, a été retrouvé tué par balles dans les cuisines. Immense chagrin de Nancy qui partage son malheur avec ses fans sur Facebook. « Je n’ai plus goût à rien » expliquait-elle. On ne sait pas si c’est un policier amateur de mauvaise littérature féminine qui a découvert le pot aux roses, mais toujours est-il que la semaine dernière, la gentille Nancy a été arrêtée et inculpée du meurtre de son mari.

Voilà comment cette femme a basculé de la fiction à la réalité. Un genre plus compliqué que les questionnements de Christine Angot sur la réapparition d’un de ses compagnons après quelques années d’absence. Elle en a tiré 190 pages et franchement, on ne vous les conseille pas... Pas plus que les romans de Nancy Crampton-Brophy, mais pour d’autres raisons.

Chronique parue le 18 septembre 2018 en dernière page de L'Indépendant

Rentrée littéraire - Thomas B. Reverdy raconte l'Angleterre de Thatcher avec du rock et du Shakespeare

Les nostalgiques des années Thatcher en Angleterre ne doivent pas lire ce roman de Thomas B. Reverdy. Il raconte comment la dame de fer est arrivée au pouvoir, transformant un pays exsangue en laboratoire du libéralisme le plus débridé. Tout a commencé au cours de « L’hiver du mécontentement » qui a donné son titre au livre.



Entre fin 78 et début 79, la Grande-Bretagne est en pleine crise sociale. Grèves, manifestations, inflation… L’auteur aurait pu se contenter d’un pré- cis historique. Il préfère se coltiner avec le quotidien de deux personnages emblématiques de l’époque. Jones, employé de bureau viré comme un malpropre, par ailleurs musicien vivotant en donnant des concerts dans des pubs londoniens. Candice, apprentie comédienne et coursière à vélo, pour remplir le frigo et payer le loyer.

Candice est une battante. Elle veut son indépendance et pré- server sa solitude. Deux fois par semaines, au théâtre Warehouse, elle répète la pièce Richard III de Shakespeare. Dans sa troupe, que des femmes. Elle a écopé du rôle-titre. Celui qui manigance, tue, empoisonne pour accéder au pouvoir. Le bossu, boiteux qui termine son règne par cette célèbre réplique « Mon royaume pour un cheval ».


Candice et Jones vont se rencontrer. S’apprécier. S’aimer. Presque. Les conditions de vie sont difficiles au cours de cet hiver. Le pays se recroqueville, « La peur. Voilà bien une preuve de la faiblesse de l’Angleterre. (...) L’Angleterre est une petite vieille qui n’a plus la force de rien. L’Angleterre est sur le déclin. » Au cours de cet hiver, les Travaillistes au pouvoir vont multiplier les erreurs. Jusqu’à l’arrivée de Thatcher. Comme Trump il y a peu, elle a fait campagne sur ce slogan basique : « I want Britain to be great again ».

Clash et Buzzcocks   
On suit les difficultés au quotidien de nos deux tourtereaux en même temps que la prise de pouvoir par « Maggie ». Cette dernière croisera même le chemin de Candice. Un matin la répétition est annulée, le théâtre a été loué par les Conservateurs pour donner des cours de diction à leur chef.

Un roman aussi désenchanté que les musiques de l’époque. Car si les artistes punk hurlent leur refus de toute autorité, au final toutes ces chansons n’auront pas servi à grand-chose. Les titres des chapitres forment une play list parfaite de la période. Trente morceaux rock, des Clash à Pink Floyd en passant par les Sex Pistols ou les Buzzcocks. Le son d’un hiver de sinistre mémoire pour le petit peuple anglais.

➤ « L’hiver du mécontentement » de Thomas B. Reverdy, Flammarion, 18 €

lundi 17 septembre 2018

De choses et d'autres - Produits dérivés

L’Élysée peut-il être une marque commerciale comme Panzani ou Nike ? La question se pose depuis le lancement la semaine dernière des objets signés présidence de la République. Si l’on se demandait à quel moment Emmanuel Macron se démarquerait carrément de ses prédécesseurs, on a la réponse. Il est devenu un président à part dès qu’on a mis en vente un mug à son effigie ou ce T-shirt blanc à 55 € avec la simple mention «Croquignolesque ». Il existe aussi des sacs « Première dame » et des albums à colorier avec le couple présidentiel en train de promener son chien.

Le plus étonnant reste le modèle « Champion du monde » censé célébrer la victoire des footballeurs tricolores. Le dessin ne représente pas la coupe ou les joueurs mais la silhouette de Macron, exultant, le point levé, attitude tirée de sa réaction en direct au premier but français.

Passons sur les procès de culte de la personnalité. N’oublions pas que le plus jeune président élu n’avait pas de parti derrière lui. Juste sa personne, son programme et quelques ralliements disparates de droite comme de gauche. S’il a gagné, c’est uniquement sur sa propre image. Logique donc de continuer le quinquennat sur la lancée.

Le véritable scandale a été révélé la semaine dernière dans l’émission « Quotidien ». D’après des fuites d’un dossier d’instruction, le responsable de la boutique en ligne de vente des produits dérivés de l’Élysée n’était autre qu’un certain Alexandre Benalla. Le faux policier et vrai nervi énervé avait aussi des envies de commerce. Il ne lui reste plus qu’à faire imprimer « Petit marquis » (petit nom qu’il a donné à Philippe Bas, président de la commission d’enquête sénatoriale) sur son gilet pare-balles et l’enfiler pour se rendre à son audition ce mercredi.

Chronique parue le 17 septembre 2018 en dernière page de l'Indépendant

Premier roman - Gendarmette stone


Difficile de faire plus trash. Le premier roman de Mathilde-Marie de Malfilâtre ne fait pas dans la dentelle. Même si l’héroïne de «Babylone Express », Luna, en porte parfois de la dentelle. Mais bien cachée sous son uniforme de gendarme. Et de toute manière, la dentelle elle ne la garde pas longtemps quand elle se défonce dans des soirées libertines avec Marco, son mec, dealer. Luna, la narratrice, parle comme elle existe : en pointillé et par onomatopées. Pas du français châtié, mais très imagé quand même.

Pour se payer de la meilleure dope, la belle et son junky décident de monter un gros trafic de cannabis en provenance du Maroc. Une fois passé le choc de l’écriture, le roman se lit comme une longue litanie d’un esprit perdu entre rigueur militaire et folie des excès de toutes sortes. Une schizophrénie qui ne peut laisser personne intact, la narratrice comme le lecteur.

 ➤ « Babylone Express » de Mathilde-Marie de Malfilâtre, Le Dilettante, 18 €.

BD - Les Profs rempilent


Quand une série patine un peu, rien de tel qu’un peu de sang neuf pour relancer la machine. Erroc, scénariste des Profs a parfaitement conscience de ce fait. Après 20 tomes des aventures de ses victimes préférées (dont une histoire complète), il a jugé bon de demander un peu d’aide. C’est Sti, gagman confirmé qui a relevé le défi. Il a donc rejoint Simon Léturgie (au dessin depuis trois albums après la défection pour cause de maladie et de lassitude de Pica), et la greffe semble bien prise. Tous les profs habituels sont présents, de Gladys à Antoine en passant par Amina (toujours aussi belle) et Serge (toujours aussi fainéant). 

D’autres prennent un peu plus de place comme la savoureuse Mme Berthot. Elle enseigne la comptabilité. Surtout le matin. Car après le repas, son penchant pour l’alcool l’empêche de compter juste. Des gags qui font toujours autant de bien au lecteur. Lecteur ou lectrice qui a forcément été élève à un moment de sa vie et se délecte donc des malheurs de ces profs qui parfois les ont tyrannisés. 
« Les profs » (tome 21), Bamboo, 10,95 €

dimanche 16 septembre 2018

BD - Samantha, traumatisée et hantée


Tous ceux qui ont apprécié Echo ou Strangers in Paradise de Terry Moore se délecteront de l’intégrale de Motor Girl publiée en noir et blanc. Parue en 2016, cette série entre réalisme, humour et science-fiction, confirme le ton unique de cet auteur complet chantre de l’auto-édition. L’héroïne, Samantha, est une ancienne marine. Elle tient une casse perdue en plein désert d’Arizona. Moins elle voit d’humains, mieux elle se porte. Ses journées, en plus de farfouiller dans les moteurs des épaves, elle les passe à dialoguer avec Mike. Mike est un gorille de plus de 2 mètres. Un vrai gorille. Il fume le cigare et aime rouler en Harley. 



Un premier élément fantastique dans un récit qui part vite dans tous les sens. Car Samantha voit arriver une soucoupe volante dans sa casse et recueille un petit extraterrestre répondant au nom de Bik. Ce long récit de 250 pages déroute le lecteur, l’interpelle. Vérité, fantasme, imagination ? Impossible d’avoir un avis tranché. Seule certitude, Samantha a beaucoup souffert quand elle était sous des drapeaux. Blessée dans des explosions, capturée, torturée durant de longs mois, les cicatrices sur son dos et son crâne sont indubitablement réelles. 
« Motor Girl », Delcourt, 19,99 €

BD - Du poulpe au menu d’Ekho



Plus la peine d’expliquer que Christophe Arleston scénariste de « Ekho Monde miroir » (mais aussi de Lanfeust, Trolls ou Ythaq), est un grand connaisseur en vin. Il profite une nouvelle fois d’un de ses albums pour faire étalage de son expertise. Dans le New York inversé de la série, la ravissante Fourmille est invitée dans un restaurant gastronomique par Yuri, son collègue de l’agence Gratule et amoureux secret. Mais au moment du choix des vins, le sommelier est introuvable. Il est descendu dans la cave sans réapparaître. Pile au moment où Fourmille se retrouve possédée par l’esprit d’un mort. Celui du sommelier justement qui vient d’être trucidé. 

L’enquête du couple va les conduire dans une réception où quantité de grands crus seront servis aux invités dont un « La grange des Pères » 99 décrit par Arleston de cette façon : « Un nez typique de soleil, de garrigue, de fruits mûrs, olive noire, un peu de sous-bois apparaît, puis de la truffe... C’est un assemblage mouvèdre et syrah, une pointe de cabernet sauvignon... On est dans les hauteurs de Montpellier ». La dégustation va vite tourner à la tragédie pour cause de poulpe récalcitrant. Une histoire légère, comme certains des vins proposés dans le récit, dessinée avec brio par Alessandro Barbucci. Et si aimez New York et le vin, vous pourrez participer à un concours pour remporter un séjour pour deux personnes de 5 jours dans Big Apple avec dégustation de vins dans le quartier de Hell’s Kitchen. 
« Ekho, monde miroir » (tome), Soleil, 14,50 €