mardi 18 avril 2017

Thriller : la cuisine de l'horreur de "Mör" de Johana Gustawsson


Le titre du second roman de Johana Gustawsson interpelle. « Mör » ? Explication en quatrième de couverture : « Mör : en suédois, signifie tendre. S’emploie pour parler de viande. » Les amateurs de cuisine scandinave pourraient être tentés d’acheter cette enquête de la profileuse Emily Roy. La mode est à aux références culinaires ces derniers temps. Parsemer une intrigue de quelques bons repas, avec recettes en annexe, donne une saveur supplémentaire aux thrillers. Mais si parfois un des détectives suédois mange avec grand appétit des « kanelbulles », des « petits pains à la cannelle », tout en détaillant les photos des victimes mutilées, quand il est question de viande tendre, ce n’est pas du tout appétissant. Car il s’agit bien d’une histoire de cannibalisme qui est développée dans cette histoire à cheval entre Londres et Falkenberg en Suède.

Première victime découverte au bord d’un lac. Une jeune femme, nue, fesses, cuisses et seins découpés. La mort est donnée par strangulation. Karla, une policière suédoise est chargée de l’enquête. Au même moment, une vedette du cinéma anglais est enlevée à Londres. Falkenberg et Londres, les terrains de chasse habituels d’Emily Roy, profileuse canadienne pour Scotland Yard et Alexis Castells, romancière française (avec des origines catalanes comme l’indique son nom). Elles ont formé un redoutable duo dans « Block 46 », premier roman de Johana Gustawsson, française vivant à Londres.
■ Atout Asperger
Rapidement, les deux jeunes héroïnes vont faire le rapprochement avec les meurtres commis dix ans plus tôt dans un quartier de Londres. Le coupable, Richard Hemfield, qui a été arrêté et jugé, est enfermé dans un hôpital psychiatrique. Il a toujours clamé son innocence. Mais lors de son arrestation, il a tué un policier français en stage à Londres. Le fiancé d’Alexis... Si d’autres crimes sont en cours en Suède, et même en Angleterre, Hemfield serait donc innocent. Alexis ne supporte pas cette éventualité. Et va tout faire pour tenter de dé- mêler cet écheveau compliqué bourré de fausses pistes et de personnages aux lourds secrets de famille. Surfant sur le succès de son premier roman, Johana Gustawsson se permet même de rajouter des personnages secondaires au rôle prépondérant, notamment une stagiaire du procureur, Alienor Lindgergh, encore plus brillante qu’Emily question déduction tout en soufrant d’une forme d’autisme qui la coupe du monde réel. Mais avoir une « Asperger » dans son équipe se révèle d’une incroyable efficacité pour voir les faits avec un regard différent.
 ➤ « Mör » de Johana Gustawsson, Bragelonne, 21,50 €

De choses et d'autres : Oh, de l'eau !

Grande découverte ce weekend : sur les conseils d’une amie venue déjeuner à la maison, j’ai appris l’existence d’une bouteille d’eau à chakras. « La bouteille, avec ses anneaux de couleur, purifie l’eau. Il y a même une puce électronique avec des prières à l’intérieur. » explique notre amie qui est du genre à faire, chaque année, une cure de sève de bouleau qu’elle va récolter elle-même sur les hauteurs de Prats-de-Mollo. Elle apprécie aussi, au solstice d’été, se rendre tôt sur la place pour dire bonjour au soleil levant. Presque végane, petit-déjeunant de jus frais (radis, céleri, carotte) elle nous a un jour vanté les mérites d’une machine pour préparer des pizzas « crues » déshydratées. La fameuse bouteille à chakras, elle l’a repérée sur un site internet. Mais n’a pas osé l’acheter.
Je trouve effectivement ce site vendant la « bouteille d’eau I9 ». D’une contenance de 650 ml, elle est ornée de bandes de caoutchouc de toutes les couleurs ou d’une seule teinte, en fonction du chakra que vous voulez actionner. Je ne détaillerai pas ici les domaines si ce n’est la couleur blanche qui « reflète les caractéristiques de la protection et apporte votre connexion divine dans votre corps. » Sans compter la puce de silicium, aux enregistrements presque magiques... A 50 € pièce, ces bouteilles doivent assurer de belles marges à leurs concepteurs.
En bon mécréant, je ris de ce charabia. Une note précise d’ailleurs : « Les produits ne sont pas destinés à diagnostiquer, guérir ou empêcher les maladies. » De l’eau reste de l’eau, avec ou sans couleur autour. Exceptée la bénite pour chasser les vampires. Mécréant mais superstitieux. 

lundi 17 avril 2017

De choses et d'autres : affichage électoral et messages subliminaux


De toutes les manières de promouvoir sa candidature à l’élection présidentielle, celle de l’affiche officielle placardée à l’entrée des bureaux de votes et aux endroits stratégiques des communes reste la plus ancienne. La plus désuète aussi. A l’heure des réseaux sociaux, elle garde pourtant son utilité pour les indécis. On peut en un coup d’œil se faire une idée sur le niveau de personnalisation des candidatures. Lequel par exemple, publie sa tête en très gros plan, écrit son nom plus gros que le slogan, affiche son parti politique. La palme de la discrétion photographique revient à Nathalie Arthaud. Son visage apparaît en tout petit pour détailler son programme. A l’opposé, Philippe Poutou est en gros plan, son nom cinq fois plus gros que le prénom, en précisant qu’il est « ouvrier – candidat anticapitaliste ». Hamon et Dupont-Aignan sourient. Le premier sans montrer ses dents, le second oui. Personne ne saura que Le Pen est candidate, car le patronyme a disparu au détriment d’un « Marine Présidente ». Aucune trace non plus du Front National, pour l’instant seul endroit où elle peut effectivement se prévaloir du titre de présidente. François Fillon remporte la palme de la discrétion. Le slogan en gros, son visage aussi, mais le nom a fondu, tout riquiqui, ramené en bas de l’affiche. Les sigles Les Républicains et UDI absents. Un affichage public parfois tagué. 

Dans mon village, hier matin, j’ai vu inscrit sur le front d’un candidat le mot « escrot ». Je crains qu’avec une telle faute, le message ne passe que moyennement.
(Chronique parue le 17  avril en dernière page de l'Indépendant)

Livres de poche : premiers romans et coups de maître



En pleine mer, au sud des Philippines, Marc Meneric disparaît. Du moins, c’est ce qu’indique sa montre GPS, qu’il portait comme tous les autres employés de la société de prospection minière. Son frère, Vincent, lobbyiste dans la même entreprise en Afrique, décide de retracer le parcours enregistré par la montre pour tenter de le retrouver. Un premier roman de Philippe Rouquier au rythme implacable.
➤ « Tant pis pour le sud », éditions du Masque, 8,50 €


Un soir de pluie à Bristol, un petit garçon est renversé par un chauffard qui prend la fuite. L’enquête du capitaine Ray Stevens ne donne rien. Après cette nuit tragique, Jenna a tout quitté et trouvé refuge dans un cottage battu par les vents. Mais plus d’un an après les faits, Kate, une inspectrice de la criminelle, rouvre le dossier du délit de fuite. Le premier livre de Clare Mackintosh a connu un immense succès en Angleterre.
➤ « Te laisser partir », Le Livre de Poche, 8,10 €



Le 26 avril 1986, dans la centrale de Tchernobyl, quelque chose vient de se passer. Le monde ne sera plus jamais le même pour ces hommes et femmes, personnages principaux de ce roman de Darragh McKeon. Salué par ses pairs, Colum McCann et Colm Tóibín en tête, et par la critique, ce texte révèle un immense talent littéraire. Il a été élu meilleur Premier roman étranger 2015 par le magazine Lire.
➤ « Tout ce qui est solide se dissout dans l’air », 10/18 

dimanche 16 avril 2017

BD : Héritage et famille compliqués



 Le soap opéra, vu au second degré, est désopilant. Les psychologies des personnages sont tellement caricaturales qu’ils ne peuvent que faire rire les téléspectateurs un peu censés. Fabcaro l’a bien compris en écrivant cette série de gags sur une histoire d’héritage dans une famille de branquignols pas piquée des hannetons (selon une expression très datée mais adéquate dans le cas présent). Le patriarche est malade. Il va bientôt mourir. Au lieu de pleurer sur sa disparition prochaine, fils, filles, gendres et belles-filles s’écharpent sur un seul et unique point : qui va hériter de la CX diesel ? Parue dans Fluide Glacial, la série a fait l’objet de trois « saisons » entre 2011 et 2014. Retrouvez les 260 demi-planches dans cette intégrale à l’italienne complétée par le making of expliqué par James, le dessinateur, et les recherches graphiques sur les personnages et les couvertures.
➤ « Amour, passion et CX diesel » (intégrale), Fluide Glacial, 25 € 

samedi 15 avril 2017

BD : L’amour malgré la maladie



Comment faire rire avec la maladie ? Le cancer en plus. Le cancer des enfants... Mais pourquoi pas ? Quand Zidrou a écrit le premier tome de « Boule à zéro » il se doutait qu’il prenait des risques. Le sujet est sensible, difficile et grave. Mais en équilibrant à la perfection, rire, émotion et explications médicales, il a non seulement séduit le public, mais fait beaucoup pour ces enfants condamnés à rester dans une chambre d’hôpital, entre chimio et douleurs. Ernst, au dessin, a trouvé le trait épuré parfait pour rendre ces petits malades et le personnel hospitalier (celui qui fabrique de la dette !) aux petits soins, plus que sympathiques. Dans cet album intitulé « Le grand jour », il est question de sortie. Qui sera le premier guéri ? Zita a encore des chances. Mais n’est pas dans le peloton de tête. Par contre Pierrot semble en complète rémission. Mais cela ne fait pas spécialement plaisir à Zita, car c’est son amoureux. Et s’il part de l’hôpital, ne va-t-il pas complètement l’oublier ? Un vrai bonheur de lecture, pour petits et grands, valides et malades.
➤ « Boule à zéro » (tome 6), Bamboo, 10,90 €

De choses et d'autres : redécouvrir l'enfance


Heureux grand-père d’un petit garçon depuis presque deux ans, je me suis précipité sur ce livre entre humour et conseils pratiques. « Le guide de survie des mamans débordées »  de Rim et Liliaimelenougat peut tout à fait s’appliquer aux papys déboussolés de mon acabit. Dans son blog et sur sa chaîne YouTube, Rim s’insurge sur le fait que les « bébés ne soient pas livrés avec un mode d’emploi ». Alors elle l’a écrit, avec les dessins simples et expressifs d’une jeune illustratrice, elle aussi maman et on le ressent à chaque page.
L’avantage de ce bouquin rédigé par deux mères modernes, c’est qu’il n’y a pas de tabou. Ni de langue de bois. Un chapitre sur les gros mots, en plus de faire rire, me dédouane de mes quelques écarts de langage en présence des oreilles chastes et vierges de mon petit-fils. Pour une garde à plus long terme, appréciez également les conseils pour déterminer quand laver le doudou. Généralement, la décision se prend à l’odeur. Quand Lapinou sent la rose, pas de problème. Le moindre relent de « fromage qui pue » doit alerter avant le stade ultime du « caca caillé pourri de fennec ».
Sans oublier le meilleur chapitre, celui du «Bisou power», leur arme de destruction massive pour tout obtenir de nous... 
➤ « Le guide de survie des mamans débordées », Hugo Images, 12,95 euros

vendredi 14 avril 2017

BD : Le rugby raconté par Bouzard, un fan de foot



Guillaume Bouzard est un fou de foot. Humoriste reconnu, il a également signé des gags sur ce sport se jouant uniquement avec les pieds. Quand une maison d’édition lui demande d’aller assister à un match au Camp Nou, il jubile. Seule condition : ne pas se renseigner à l’avance sur la rencontre qu’il aura la joie de voir. Il endosse son plus beau maillot du Barça et se rend à Barcelone. Surprise, le stade est plein... de Français. Et les cages de foot ont disparu... En ce 24 juin 2016, c’est la finale du Top 14 de rugby à XV qui est délocalisée pour cause d’Euro de foot en France. Passé cette introduction, teintée de déception, Bouzard se met au service de la collection et raconte toute l’histoire de ce sport réputé violent. Et ce n’était pas une image aux débuts, quand il n’y avait pas de règles et qu’un participant a pénétré sur l’ère de jeu armé d’une hache. Depuis le rugby s’est civilisé, discipliné, professionnalisé. Mais cela n’empêche pas le bon esprit, la 3e mi-temps et l’excellente ambiance dans les tribunes. Bouzard n’en ressort pas forcément convaincu, mais il aura au moins fait passer le message dans cette jolie collection de vulgarisation toute en BD.
➤ « Le rugby » (collection La petite bédéthèque des savoirs, n° 15), Le Lombard, 10 €

De choses et d'autres : Cannes en séries

Le cinéma a-t-il pris du plomb dans l’aile ? Hier, lors de la présentation de la sélection officielle du prochain festival de Cannes (du 17 au 28 mai), en plus des films d’habitués comme Michael Haneke ou Doillon, Ozon et Coppola (Sofia), les organisateurs ont annoncé la projection en exclusivité de deux séries télé. Loin des « Sous le soleil » ou « Riviera », abominations tournées dans les parages, les deux œuvres n’ont rien à envier en qualité aux films primés ces dernières années. Première à entrer en scène : Jane Campion. La saison 2 de « Top of the Lake » y sera présentée en intégralité. Cette histoire policière très sombre, tournée dans la Nouvelle-Zélande profonde, a remporté quantité de prix et un beau succès d’audience lors de sa diffusion sur Arte, co-productrice. En présence de son créateur David Lynch, la projection aux festivaliers chanceux des deux premiers épisodes de la saison trois de « Twin Peaks » représentera l’autre événement « télévisuel ». Considérée comme la première série qui casse les codes, « Twin Peaks » perd l’effet de surprise, mais le gé- nie de Lynch devrait toujours accomplir des merveilles. C’est dans la longueur, par définition, que les séries peuvent dépasser les films. Longueur pour développer la psychologie des personnages, pour mieux exploiter les décors ou les seconds rôles. Une série entre les mains d’un bon cinéaste c’est simplement plus de rêve, d’émotion, de surprises ou de rires.

jeudi 13 avril 2017

De choses et d'autres : futur logement vacant


Dans un mois, un logement va se libérer. Le président de la République française a pris pour habitude d’emménager dans le Palais de l’Élysée. La ou le vainqueur du second tour aura donc la possibilité de louer son actuelle demeure.
Cela a donné l’idée au site Likibu.com, « le 1er comparateur de location de vacances » d’estimer « les prix à la location auxquels pourraient être affichés les biens des candidats à l’élection présidentielle. » En s’alignant sur la moyenne des locations constatées pour les surfaces et lieux déclarés, on s’aperçoit que là aussi les écarts sont grands. Le jackpot et de très loin est remporté par François Fillon. Sa simple maison, présentée par le site comme un manoir, pourrait être louée 510 euros par nuit. Plus de 3 000 m2 habitables et un nombre considérable de chambres. Si le candidat de la droite l’emporte et fait le plein à la location durant les cinq années de son mandat, il pourrait empocher plus de 930 000 euros. De quoi, enfin, mettre un peu de sous de côté. Ou accepter, comme lui demandent des milliers d’internautes, de « rendre l’argent » des salaires des emplois présumés fictif de sa famille.
François Asselineau, propriétaire d’un 200 m2 en plein Paris, pourrait quant à lui récolter 410 euros par jour. Dormir chez Emmanuel Macron au Touquet coûtera au touriste « en marche » 146 € la nuit. Encore faudra-t-il qu’Emmanuel persuade son épouse Brigitte, propriétaire en son nom propre du bien immobilier.
Enfin pour Philippe Poutou la question ne se pose même pas : seul ouvrier candidat, c’est aussi le seul qui ne soit pas propriétaire et loue son logement... 

(Chronique parue le 13 avril en dernière page de l'Indépendant).