jeudi 23 janvier 2014

Cinéma - Les belles rencontres de Lulu

Adaptée d'une Bande dessinée d'Étienne Davodeau, "Lulu femme nue" de Solveig Anspach offre un rôle puissant et lumineux à Karin Viard en femme perdue.


Un grain de sable, un minuscule grain de sable et parfois la vie bascule. Dans le cas de Lulu, interprétée par Karin Viard, c'est un entretien d'embauche raté qui va modifier le cours de sa vie. Mère au foyer, timide et transparente, elle tente de se faire croire que travailler va changer son horizon. Ce nouvel échec va comme la tétaniser. Sur le quai de la gare, elle regarde son train partir. Le grain de sable a grippé la machine. Lulu va faire un break, appuyer sur la touche « pause » pour figer ce temps. Pas facile pour cette femme qui n'aime plus son mari mais qui est essentielle à ses trois enfants, Morgane, une adolescente énervée comme on peut l'être à 15 ans et deux jumeaux, encore trop jeunes pour se rendre compte de l'absence de leur maman. Dans cette ville de bord de mer, Lulu prend une chambre d'hôtel, regarde la plage de la fenêtre, utilise les crèmes fournies avec le shampooing et le dentifrice. Seule dans la petite salle de bain, elle se regarde dans la glace. Une scène lumineuse, où l'actrice parvient à faire passer toute la détresse d'une femme face à son image. On se rêve belle, on se voit vieille.


Le barbu bourru
L'escapade de Lulu n'aurait du durer qu'une nuit. Juste le temps de se faire désirer. Mais une rencontre va tout changer. En bord de mer, elle se précipite au secours de Charles, un barbu bedonnant bourru qu'elle croit mort. En fait il fait semblant. « C'est important de savoir faire le mort » explique ce drôle de personnage joué par Bouli Lanners, acteur belge tout en retenue. Comme Lulu, Charles a une famille. Deux frères, parenthèse agitée du film de Solveig Anspach, sorte de gardes du corps à l'insu de son plein gré. Et si Lulu décidait d'être heureuse ? Durant quelques jours elle va se laisser porter par cette romance toute nouvelle pour elle. Certes elle n'oublie pas ses enfants, mais s'occuper d'elle lui semble plus vital sur le moment. Sur la route de la liberté, Lulu va faire d'autres rencontres. Une vieille dame (Claude Gensac) qui a peur de mourir seule et une jeune serveuse dans un bar manquant de confiance. Lulu semble se reconnaître en elles. Elle va les aider, montrer qu'elle aussi, même si elle n'a pas de travail, peut être utile.
Le film, fidèle à la bande dessinée d'Étienne Davodeau parue chez Futuropolis, montre la lente maturation d'une femme revenant à la vie. Étouffée par le quotidien, elle redécouvre son corps, ses sensations, ses envies. Karin Viard, impeccable de bout en bout, porte cette métamorphose. Empruntée au début, épanouie au final : Dieu que Lulu est belle.


mercredi 22 janvier 2014

DE CHOSES ET D'AUTRES - Ça l'affiche mal pour les municipales (1)

Dans quelques semaines, vous aurez la lourde tâche de désigner le maire de votre commune. Élection locale par excellence, on assiste à une multiplication des listes. Autant de slogans et d'affiches de campagne. Un site internet, Municiplol2014 recense les contributions les plus décalées, ratées voire extraterrestres.


A tout seigneur, tout honneur : Jean-Antoine Moins se présente à Aurillac. Il part à l'assaut de la préfecture du Cantal sous le slogan imparable : "Faire plus avec Moins".

Le duo Véronique Fenoll-Alain Tanton présente sa liste "Bourges à cœur" dans un clip très bisounours. Dans un long plan séquence, les deux candidats arrivent, s'embrassent, puis sont rejoints par les 40 colistiers qui s'embrassent ou se serrent les mains durant trois longues minutes. Une profusion de bisous avec la chanson de Grégoire "Toi plus moi" en fond. Et pour finir, ils forment tous le signe cœur avec leurs mains. Impossible de faire plus lol (et ridicule…).


A gauche aussi on ose "l'image imagée" : Clémentine Autain pour le Front de Gauche tente de conquérir Sevran. "Une clémentine pour Sevran… des vitamines pour les Sevranais !"
Si vous avez la chance d'avoir un de ces hurluberlus candidat dans votre commune, n'hésitez pas à voter pour lui : les assesseurs chargés du dépouillement n'ont que rarement l'occasion de rire les soirs d'élection.
(1) : Pour traiter de politique dans cette chronique, je m'impose désormais de titrer avec un jeu de mot éculé. Pas par goût (bien que…), simplement pour me mettre au niveau des belligérants.

BD - Les vacanciers temporels passent par l'agence Quanta


Jean-Marc Krings, dessinateur belge passé par le studio de Dupa (Cubitus), repreneur de la Ribambelle (Roba) et de Violine, aime par dessus tout dessiner les jolies femmes. Ses productions, jusqu'à présent très enfantines, ne lui ont que peu donné l'occasion de montrer son talent. Il a donc décidé de lancer sa propre série, avec pour héroïne une superbe métisse de 20 ans, Iona, surnommée la Fée clochette. Il semble avoir privilégié les scènes où la belle, telle une Natacha exotique, affole les sens de ses prétendants. 
Et elle n'en manque pas (on apprécie au passage le clin d'œil à une affaire retentissante dans un hôtel new-yorkais). Mais Iona est en réalité une visiteuse du temps. Elle sert de taxi à de riches touristes désireux de vivre des vacances extraordinaires. Le premier album, centré sur l'Agence Quanta et Iona, n'offre que peu de sauts dans le passé. Ce sera pour le prochain volume intitulé « Krakatoa ».

« Agence Quanta » (tome 1), Vents d'Ouest, 11,50 €


mardi 21 janvier 2014

DE CHOSES ET D'AUTRES - Histoires de familles entre frères et sœurs

Il est des noms difficiles à porter. Ce week-end à la radio, Charles Beigbeder, candidat dissident à la mairie de Paris, a tenté de parler de son projet modestement appelé « Paris libéré ». Tenté car l'intervieweur a surtout parlé de ses relations avec son frère, Frédéric, l'autre célébrité de la famille. Ils ont à peine une année d'écart mais des parcours radicalement opposés.

Frédéric, saltimbanque exubérant, habitué des nuits agitées de la jet-set, écrivain talentueux, a mille fois plus de charisme que Charles. Ce brillant entrepreneur, créateur (et revendeur) d'entreprises, ponte du patronat, incarne une certaine droite libérale qui n'arrivera jamais à être séduisante malgré les séances d'UV pour garder le bronzage des Maldives.

Un tandem du même genre marque les années 1980. Alors que Philippe triomphe au cinéma, François devient ministre. Les Léotard connaissent leur heure de gloire. Philippe sombre dans l'alcool et la drogue. François abandonne définitivement la politique pour devenir... écrivain.
Paradoxe, Charles Beigbeder se porte candidat à Paris après une brouille avec Nathalie Kosciusko-Morizet, elle aussi en concurrence avec un frère sur le plan médiatique. Pierre Kosciusko-Morizet, comme Charles Beigbeder, est un patron en vue. Il a créé PriceMinister, le site de vente en ligne. Mais lui ne s'intéresse pas à la politique. Il la laisse à sa sœur, qui la tient de leur père, ancien maire de Sèvres.
« Fils de... », « frère de... » ou « femme de... » reste un maître atout en France.
édit : Oublié de parler des Soral. Des collègues m'ont rapporté le cri du coeur d'Agnès Soral ce week-end sur Canal+, désespérée des prises de position de son frère, Alain, "intellectuel" de la catégorie dieudonnesque : "Je suis contre le système donc je hais les Juifs !" 

BD - Braquage et conséquences dans "Succombe qui doit"

« Succombe qui doit », BD de Ozanam (scénario) et Rica (dessin) a des airs de thriller à la Tarantino. Quatre jeunes braquent une banque. Cela tourne mal. Ils trouvent refuge dans une casse auto. L'un d'entre eux est blessé. Sur place, il n'y a que José, le patron. Un ancien boxeur très désabusé. Ce huis-clos va aller crescendo dans la violence. Entre le blessé qui agonise, sa copine qui pique une crise de nerf et un des braqueurs qui se la joue de plus en plus « exterminateur », le sang coule, gicle même. 
Pour couronner le tout, José ne se laisse pas faire. Ses anciens réflexes de frappeur font des dégâts, mais cela ne suffit pas. Viendront pour compliquer encore les choses les sbires du commanditaire du braquage et un journaliste curieux, persuadé que raconter la déchéance de Laser Joe, roi de l'uppercut lui fera gagner des lecteurs. C'est violent. Surprenant aussi, Ozanam parvenant dans un rebondissement parfaitement amené à redistribuer les cartes entre « méchants », « très méchants » et « odieux »...

« Succombe qui doit », Casterman, 18 €

DE CHOSES ET D'AUTRES - Dakar, terminus

Avez-vous vu la fin du « Dakar » ce week-end ? Je pose la question car le rallye-raid a beaucoup perdu en visibilité depuis quelques années. La faute à cet exil sur des terres australes américaines. Impossible de s'identifier à des aventuriers si lointains. Avant, le départ se faisait de Paris dans la froidure de l'hiver. Les concurrents filaient vers le sud et le soleil, traversaient la France en n'écrasant que hérissons et chats errants. Les vaches (voire les gamins) c'était un peu plus loin, dans le désert. L'arrivée, sur une immense plage au bord de la mer, représentait la promesse de vacances bien méritées.
Cette déferlante d'engins pétaradants, tel un nuage de sauterelles sur un champ de mil, a éveillé bien des consciences à l'humanitaire. Daniel Balavoine en a profité pour alerter les Européens sur la misère des Africains. Un crash d'hélicoptère plus tard, la famine a laissé la place aux islamistes chez des villageois définitivement maudits. Le « Dakar » course était un endroit où il fallait être vu. Johnny Hallyday y a participé. Après coup, on se dit que peut-être il s'agissait simplement d'une belle occasion pour sortir de France quelques valises pleines de billets cachés sous des blousons de cuir soigneusement pliés.
Et puis la course comptait toujours un ou deux morts. Les journalistes faisaient, des trémolos dans la voix, la nécrologie « de ces amateurs sans qui le rallye ne serait jamais aussi beau ». Alors qu'en fait, se tuer sur de l'asphalte à 3 km du foyer familial ou sur une piste en terre à des milliers de kilomètres, c'est du pareil au même du point de vue de la veuve et des orphelins.

lundi 20 janvier 2014

BD - Les "Cobayes" doivent avaler la pilule

Avant d'être autorisé, tout médicament doit être longuement testé pour en déterminer la véritable efficacité et surtout ses possibles effets secondaires. Tonino Benacquista raconte dans ce roman graphique l'expérimentation d'un nouveau antidépresseur. Dans la dernière ligne droite, trois « cobayes » sont sélectionnés. Deux hommes et une femme. Ils semblent normaux mais cachent des blessures secrètes. L'un, à la limite de l'obsédé sexuel, est en fait minable au lit. L'autre, au chômage, a de graves troubles de la mémoire. 
La fille, une jeune étudiante indienne, fait croire à ses parents qu'elle suit des cours aux Beaux-Arts de Paris, école dont elle a raté trois fois le concours... Durant 21 jours ils vont rester enfermés, comme des animaux de laboratoire scrutés par les chercheurs. Si au niveau physique, tout se passe bien, les conséquences du médicament va bouleverser leurs personnalités. 
Dessinée par Barral, cette BD va très loin dans la dénonciation des recherches pharmaceutiques. Et elle pose avec intelligence la problématique des drogues, notamment celles qui sont légales.

« Les cobayes », Dargaud, 17,95 €

dimanche 19 janvier 2014

Roman - Andréï Makine écrit sur un soldat oublié

La guerre de Jean-Claude Servan-Schreiber a duré 6 ans. De la débâcle à la Libération, parcours d'un Français d'exception sous la plume d'Andréï Makine.

Tout commence après la publication du livre « Cette France qu'on oublie d'aimer ». Dans cet essai, Andréï Makine, Russe écrivant en français, s'indigne de la perte de certains repères dans son pays d'adoption. Dans tout le courrier reçu, Andréï Makine remarque la lettre de Jean-Claude Servan-Schreiber, 88 ans, «
 médaille militaire à Dunkerque en 1940, débarqué le 16 août 1944 à La Nartelle à la tête de mon peloton de chars et terminé en Bavière à la frontière autrichienne en mai 1945. » Le lecteur invite l'écrivain à partager un whisky et termine sa missive par cette formule : « Je suis petit-fils de juifs allemands immigrés en 1877, et fier de m'être battu pour mon beau pays. » Cette rencontre a eu lieu. Le courant est passé entre les deux hommes. Ce livre en est la plus belle preuve. Le lieutenant Schreiber a tout du personnage de roman. A peine âgé de 20 ans, il est aux premières loges quand les Allemands foncent sur la France. Il se battra, risquera souvent sa vie pour tenter de faire passer les ordres d'unités en unités. Sur sa moto, il sillonne le front, passant parfois derrière les lignes ennemies. Il ne sera que blessé alors que nombre de ses compagnons d'armes perdront la vie.

Antisémitisme
Arrive alors l'événement qui va bouleverser sa vie. Converti au catholicisme mais d'origine juive, il est exclu de l'armée française. Une injustice qui le poussera à quitter le pays et rejoindre les forces libres en Afrique du Nord, après un long passage en prison en Espagne. Ensuite il libérera ce pays qu'il aime tant.
Entre le vieil homme et l'écrivain, une complicité s'instaure. Et le romancier de trouver trop injuste que cet homme, qui s'est battu durant 6 années, tombe dans l'oubli. Il lui glisse l'idée de raconter sa guerre, sa vie. Une bonne partie du livre raconte les difficultés quasi insurmontables qu'ils doivent affronter pour que le livre soit édité. Dans ces années 2000, la vie d'un soldat ne semble plus intéresser personne. D'un patriote encore moins. Et quand enfin l'autobiographie du Lieutenant Schreiber est disponible en librairie, c'est pour passer totalement inaperçue entre des romans estivaux et les considérations footballistiques de la coupe du Monde...
Paradoxalement, c'est Andréï Makine qui vit le plus mal cet échec. Il ne supporte pas cette indifférence. Et c'est certainement pour cela qu'il a décidé de le raconter dans ce livre. L'occasion de donner une nouvelle fois la parole au lieutenant Schreiber si clairvoyant quand il parle de la guerre : « La guerre est un sacré condensé du monde. La mort, l'instinct de survie, la haine, l'amour, la chair, l'esprit – le soldat a la chance de sonder tout cela jusqu'au fond et en très peu de temps. Et s'il n'est pas idiot, il apprend des choses essentielles ! » Encore une fois, merci à Andréï Makine de permettre à ce militaire français d'exception de sortir de l'oubli. Que ces leçons ne se perdent jamais dans les méandres de l'édition.
Michel Litout

« Le pays du lieutenant Schreiber », Andréï Makine, Grasset, 17 €

samedi 18 janvier 2014

DE CHOSES ET D'AUTRES - Cinéma, télé et politique de pire en pire

En début de semaine, tranche de rire assurée avec la cérémonie de remise des Gérard de la télévision. Les trublions du petit écran ont mis en exergue le pire du pire du PAF et de son irrésistible "mieux-disant culturel".
Parmi les triomphateurs de l'édition 2014 on retrouve les habituelles têtes de Turc comme Jean-Pierre Pernaut ou Jean-Marc Morandini, une nouvelle qui n'a pas fait long feu, Sophia Aram et la star du moment Nabilla. Le happening télévisuel intitulé "Allô Nabilla" a reçu le "Gérard du projet d'émission jeté aux chiottes par toutes les chaînes, mais apparemment les canalisations débouchent chez NRJ 12".
A noter qu'ils ne sont plus que deux à présider au dézingage en règle des daubes cathodiques. Le troisième larron, Arnaud Demanche, a pris son indépendance pour devenir... chroniqueur dans la nouvelle émission de Laurent Ruquier. Ses anciens collègues risquent de lui réserver une catégorie personnalisée pour la prochaine édition.
Hilarants, ces Gérard (qui se déclinent aussi pour le cinéma) ne sont que la transposition française des Razzie Awards américains remis la veille des Oscars. Les nominations viennent d'être rendues publiques et toute la finesse réside dans la présentation succincte des films retenus. "Copains pour toujours 2" est qualifié de "vacances d'été déguisées en film", alors que "A Medea Christmas" est le "37e film avec un homme déguisé en femme".
Vivement les Gérard de la politique et le triomphe de qui vous savez dans la catégorie "homme politique qui paraît tout mou mais qui sait être dur quand il faut."

Chronique "De choses et d'autres" parue ce samedi en dernière page de l'Indépendant

BD - Les manœuvres de Pinkerton


L'agence Pinkerton a beaucoup fait pour la sécurité des USA. Alors que l'Ouest sauvage était gangrené par les méfaits de bandes de voyous, voleurs de grands chemins et autres agités de la gâchette, les frères Pinkerton ont eu la lumineuse idée de proposer leurs services au gouvernement fédéral. Une sorte de police privée qui parfois avait des méthodes encore plus limites que les truands quelle mettait hors d'état de nuire. Mais au pays de l'efficacité maximum, seul le résultat compte. C'est un peu la face sombre de ces célèbres détectives que Guérin, le scénariste, met en lumière. 
Le second tome, après une ouverture nerveuse et musclée (classique attaque de train parfaitement dessinée par Damour), se concentre sur le dossier Abraham Lincoln. Récemment élu, le grand homme est déjà détesté par beaucoup. Quand Pinkerton apprend qu'un complot est en train de se tramer, il propose ses services au futur président des États-Unis. Une façon aussi de mettre un pied dans le cercle fermé du pouvoir et de faire de Lincoln son obligé. Une machination machiavélique, même si c'est pour la bonne cause...

« Pinkerton » (tome2), Glénat, 13,90 €