dimanche 19 janvier 2014

Roman - Andréï Makine écrit sur un soldat oublié

La guerre de Jean-Claude Servan-Schreiber a duré 6 ans. De la débâcle à la Libération, parcours d'un Français d'exception sous la plume d'Andréï Makine.

Tout commence après la publication du livre « Cette France qu'on oublie d'aimer ». Dans cet essai, Andréï Makine, Russe écrivant en français, s'indigne de la perte de certains repères dans son pays d'adoption. Dans tout le courrier reçu, Andréï Makine remarque la lettre de Jean-Claude Servan-Schreiber, 88 ans, «
 médaille militaire à Dunkerque en 1940, débarqué le 16 août 1944 à La Nartelle à la tête de mon peloton de chars et terminé en Bavière à la frontière autrichienne en mai 1945. » Le lecteur invite l'écrivain à partager un whisky et termine sa missive par cette formule : « Je suis petit-fils de juifs allemands immigrés en 1877, et fier de m'être battu pour mon beau pays. » Cette rencontre a eu lieu. Le courant est passé entre les deux hommes. Ce livre en est la plus belle preuve. Le lieutenant Schreiber a tout du personnage de roman. A peine âgé de 20 ans, il est aux premières loges quand les Allemands foncent sur la France. Il se battra, risquera souvent sa vie pour tenter de faire passer les ordres d'unités en unités. Sur sa moto, il sillonne le front, passant parfois derrière les lignes ennemies. Il ne sera que blessé alors que nombre de ses compagnons d'armes perdront la vie.

Antisémitisme
Arrive alors l'événement qui va bouleverser sa vie. Converti au catholicisme mais d'origine juive, il est exclu de l'armée française. Une injustice qui le poussera à quitter le pays et rejoindre les forces libres en Afrique du Nord, après un long passage en prison en Espagne. Ensuite il libérera ce pays qu'il aime tant.
Entre le vieil homme et l'écrivain, une complicité s'instaure. Et le romancier de trouver trop injuste que cet homme, qui s'est battu durant 6 années, tombe dans l'oubli. Il lui glisse l'idée de raconter sa guerre, sa vie. Une bonne partie du livre raconte les difficultés quasi insurmontables qu'ils doivent affronter pour que le livre soit édité. Dans ces années 2000, la vie d'un soldat ne semble plus intéresser personne. D'un patriote encore moins. Et quand enfin l'autobiographie du Lieutenant Schreiber est disponible en librairie, c'est pour passer totalement inaperçue entre des romans estivaux et les considérations footballistiques de la coupe du Monde...
Paradoxalement, c'est Andréï Makine qui vit le plus mal cet échec. Il ne supporte pas cette indifférence. Et c'est certainement pour cela qu'il a décidé de le raconter dans ce livre. L'occasion de donner une nouvelle fois la parole au lieutenant Schreiber si clairvoyant quand il parle de la guerre : « La guerre est un sacré condensé du monde. La mort, l'instinct de survie, la haine, l'amour, la chair, l'esprit – le soldat a la chance de sonder tout cela jusqu'au fond et en très peu de temps. Et s'il n'est pas idiot, il apprend des choses essentielles ! » Encore une fois, merci à Andréï Makine de permettre à ce militaire français d'exception de sortir de l'oubli. Que ces leçons ne se perdent jamais dans les méandres de l'édition.
Michel Litout

« Le pays du lieutenant Schreiber », Andréï Makine, Grasset, 17 €

samedi 18 janvier 2014

DE CHOSES ET D'AUTRES - Cinéma, télé et politique de pire en pire

En début de semaine, tranche de rire assurée avec la cérémonie de remise des Gérard de la télévision. Les trublions du petit écran ont mis en exergue le pire du pire du PAF et de son irrésistible "mieux-disant culturel".
Parmi les triomphateurs de l'édition 2014 on retrouve les habituelles têtes de Turc comme Jean-Pierre Pernaut ou Jean-Marc Morandini, une nouvelle qui n'a pas fait long feu, Sophia Aram et la star du moment Nabilla. Le happening télévisuel intitulé "Allô Nabilla" a reçu le "Gérard du projet d'émission jeté aux chiottes par toutes les chaînes, mais apparemment les canalisations débouchent chez NRJ 12".
A noter qu'ils ne sont plus que deux à présider au dézingage en règle des daubes cathodiques. Le troisième larron, Arnaud Demanche, a pris son indépendance pour devenir... chroniqueur dans la nouvelle émission de Laurent Ruquier. Ses anciens collègues risquent de lui réserver une catégorie personnalisée pour la prochaine édition.
Hilarants, ces Gérard (qui se déclinent aussi pour le cinéma) ne sont que la transposition française des Razzie Awards américains remis la veille des Oscars. Les nominations viennent d'être rendues publiques et toute la finesse réside dans la présentation succincte des films retenus. "Copains pour toujours 2" est qualifié de "vacances d'été déguisées en film", alors que "A Medea Christmas" est le "37e film avec un homme déguisé en femme".
Vivement les Gérard de la politique et le triomphe de qui vous savez dans la catégorie "homme politique qui paraît tout mou mais qui sait être dur quand il faut."

Chronique "De choses et d'autres" parue ce samedi en dernière page de l'Indépendant

BD - Les manœuvres de Pinkerton


L'agence Pinkerton a beaucoup fait pour la sécurité des USA. Alors que l'Ouest sauvage était gangrené par les méfaits de bandes de voyous, voleurs de grands chemins et autres agités de la gâchette, les frères Pinkerton ont eu la lumineuse idée de proposer leurs services au gouvernement fédéral. Une sorte de police privée qui parfois avait des méthodes encore plus limites que les truands quelle mettait hors d'état de nuire. Mais au pays de l'efficacité maximum, seul le résultat compte. C'est un peu la face sombre de ces célèbres détectives que Guérin, le scénariste, met en lumière. 
Le second tome, après une ouverture nerveuse et musclée (classique attaque de train parfaitement dessinée par Damour), se concentre sur le dossier Abraham Lincoln. Récemment élu, le grand homme est déjà détesté par beaucoup. Quand Pinkerton apprend qu'un complot est en train de se tramer, il propose ses services au futur président des États-Unis. Une façon aussi de mettre un pied dans le cercle fermé du pouvoir et de faire de Lincoln son obligé. Une machination machiavélique, même si c'est pour la bonne cause...

« Pinkerton » (tome2), Glénat, 13,90 €

DE CHOSES ET D'AUTRES - Monseigneur se fait rare

Le pape François ravale la façade d'une église en pleine décrépitude. Il multiplie les petites révolutions. La dernière en date va faire grincer bien des dents dans la hiérarchie catholique. Non, il ne recommande pas l'utilisation du préservatif pour enrayer l'épidémie de sida en Afrique. Il ne revient pas encore sur le célibat des prêtres. Pas la moindre avancée dans le dossier de la pédophilie.
François, après avoir suscité de grands espoirs chez les progressistes, s'attaque à la marge. Une dépêche de l'Agence France Presse annonce que "le titre de "monseigneur" sera désormais moins couramment accordé au sein de l'Église catholique, conformément au désir du pape de lutter contre une Église mondaine et le carriérisme". Désormais il y aura moins de "Monseigneur" claironné par des ouailles dévotes sur le ton d'un Yves Montand flattant Louis De Funès atteint de "La folie des grandeurs" d'un "Monseigneur est le plus grand, monseigneur est beau".
L'AFP de préciser qu'il s'agit "d'un premier pas, de la part d'un pape qui entend réformer l'Église prudemment mais de manière déterminée." Je ne sais pas s'il a la détermination. Pour la prudence, pas de doute ! Dans le genre révolution de palais, on fait difficilement mieux.
La crise des vocations en Europe ne risque pas d'être résorbée de cette façon. Les ambitieux ne pourront même plus rêver de gravir les échelons quatre à quatre par manque de concurrents. Car l'église ressemble de plus en plus à une armée mexicaine : beaucoup de généraux (Monseigneur) et de moins en moins de soldats (curés)...

Chronique "De choses et d'autres" parue ce vendredi en dernière page de l'Indépendant. 

vendredi 17 janvier 2014

BD - Attractions monstrueuses à Zombillénium

Rien ne va plus dans le parc d'attractions Zombillénium. Cette zone de distraction est animée par des démons, vampires, sorcières, zombies et autres monstres sous la domination du puissant Béhémoth. Mais ce dernier, en bon capitaliste infernal, trouve que les résultats du parc ne sont pas assez rémunérateurs. Il demande au vampire Bohémond Jaggar de Rochambeau de redresser l'activité. Ce Bohémond est une caricature du jeune loup dynamique prêt à tout pour obtenir des résultats. Il a les dents longues. Dans tous les sens du terme... L'arrivée de ce tenant du libéralisme va faire quelques vagues dans le parc qui fonctionne surtout comme une petite famille. 
Première victime Francis, le créateur du parc, poussé sur la touche. Arthur de Pins, le créateur de la série, parvient à renouveler l'intérêt de cette histoire au long cours. Le changement d'orientation du parc n'occulte pas les déboires des autres personnages. Comme Gretchen, le plantureuse sorcière, toujours à la recherche d'un moyen pour entrer en contact avec sa mère bloquée aux Enfers. Ou Aurélien, le DRH, démoniaque quand il est en colère. Il ne supporte plus ce boulot et pète les plombs.

« Zombillénium » (tome 3), Dupuis, 14,50 €

jeudi 16 janvier 2014

Cinéma - Trop d'amour tue l'amour

Mathieu Amalric, est un don Juan dépassé par les événements dans « L'amour est un crime parfait », thriller lumineux et glacial des frères Larrieu.


Un homme, trois femmes. L'affiche du film de Jean-Marie et Arnaud Larrieu annonce la couleur. Le personnage principal, professeur de littérature dans une université, est tiraillé entre toutes ces femmes qu'il attire tel un aimant. Marc, interprété par Mathieu Amalric, tente de survivre entre sa sœur (Karin Viard), la belle-mère d'une de ses conquêtes (Maïwenn) et une étudiante idolâtre (Sara Forestier). Trois femmes omniprésentes tout au long du film et une quatrième, Barbara, entraperçue dans les premières minutes. Étudiante brillante, elle est aussi amoureuse de son prof. Marc accepte de la ramener chez lui, dans son chalet en altitude, isolé derrière des murs de neige. Quelques jours plus tard, le campus bruisse de rumeurs. Barbara a disparu.

Thriller machiavélique
Les frères Larrieu n'ont pas réalisé une comédie sur l'appétence sexuelle d'un homme dans la force de l'âge (pour ça, pas la peine de fiction, l'actualité suffit largement...) mais un thriller machiavélique dans lequel Marc passe de la victime au bourreau. Le récit, totalement subjectif, suit les errances de Marc. Dans son université ultra design, entre guerre de pouvoir avec son collègue et jeu de la séduction avec les étudiantes. Dans son chalet, avec la présence lancinante et pesante de sa sœur Marianne, célibataire désenchantée noyant ses échecs dans l'alcool.

Et puis arrive Anna. Interprétée par Maïwenn, excellente dans le registre mystérieuse et obstinée, Anna est la belle-mère de Barbara. Elle a décidé d'enquêter sur la disparition de la fille de son mari, un militaire en mission en Afrique. Elle demande à Marc de lui parler de Barbara qu'elle ne connaissait pas bien, elle l'avoue. Elle reviendra souvent à l'université. Au point que tout le monde est persuadé qu'elle entretient une relation avec Marc. Le prof de littérature est réputé pour ses multiples conquêtes. D'ordinaire, il pioche dans son « cheptel » d'étudiante. Mais avec Anna, c'est différent. Il repousse les avances de la belle-mère avant de céder. Une fois de plus. Une fois de trop...
Adapté du roman « Incidences » de Philippe Djian, « L'amour est un crime parfait » (titre dont la signification est dévoilée en fin de film, et cela vaut le coup) a pris quelques libertés avec le texte original. On regrette le rôle un peu effacé de Marianne la sœur, plus fort dans le roman. Karin Viard signe une composition honnête mais sans plus. Par contre toute la jeunesse et la fougue de Sara Forestier font merveille dans le rôle d'une fille à papa déterminée à accrocher un professeur d'université sur son tableau de chasse. Quant à Maïwenn, la troisième face féminine de ce triangle amoureux, elle a le rôle le plus compliqué, tout en retenue et interrogations. On retrouve aussi dans le film les ambiances caractéristiques des œuvres des frères Larrieu, amplifiées cette fois par les paysages déserts et enneigés des Alpes. Un blanc cru et aveuglant, comme l'amour.

DE CHOSES ET D'AUTRES - Quand Justin Bieber casse un œuf...


De la cocaïne chez Justin Bieber ! "Incroyable !" s'exclament en chœur ses millions de fans. Pourtant c'est bien la seule information à peu près crédible dans le compte-rendu de la perquisition de la police américaine dans son domicile de Calabasas, une banlieue aisée de Los Angeles. 
Les forces de l'ordre ne sont pas à la recherche d'un dangereux toxicomane ou d'un redoutable dealer. En fait, la patrouille se rend chez Justin Bieber pour mettre la main sur un chenapan qui a balancé des œufs chez les voisins. Il est comme ça Justin. Il a beau être majeur (19 ans) et multimillionnaire, il a gardé une âme d'enfant. Sa voisine l'a appris à ses dépens. On ne sait pour quel motif, il lui est pris d'une subite envie de jeter des œufs sur la façade de la maison d'à côté. La propriétaire dépose plainte et évalue les dégâts à 20 000 dollars, il n'y a pas de petits bénéfices. "Cela fait cher le shampoing" me glisse un 'bogoss' expert en soins capillaires. La police débarque donc chez Justin pour y trouver des preuves de la provenance des projectiles.
J'imagine la scène : pendant que certains explorent le réfrigérateur à la recherche de traces ADN, d'autres se concentrent sur les chambres. Ils découvrent quelques poules. Mais ce ne sont pas des pondeuses. Finalement c'est Kevin, apprenti policier, qui tire le gros lot. Il s'occupe d'une partie du salon. "Chef, j'ai pas trouvé d'œufs, mais y'a de la farine sur la table basse." Voilà comment quelques œufs risquent de faire capoter la carrière de l'idole mondiale des jeunes filles prépubères. Moralité : qui casse un œuf, ne fait plus de bœuf.

Chronique "De choses et d'autres" parue ce jeudi en dernière page de l'Indépendant. 

mercredi 15 janvier 2014

BD - Épreuves d'adultes avec Jim et Tefenkgi


Jim, dessinateur prolifique de BD comiques dans l'air du temps, change de casquette dans ce roman graphique. Il se contente d'écrire le scénario, l'illustration des interrogations existentielles de cette bande de trentenaires est confiée à Alex Tefenkgi. Hugo a une compagne et une petite fille. Il est en plein doute. Au niveau professionnel il stagne. Et surtout il vient de perdre son meilleur copain, Fred. Ce dernier a joué un très mauvais sketch à ses potes. Une lettre d'adieu et une boite de médocs... Quelques mois plus tard, Hugo n'a toujours pas réussi à effacer le numéro de Fred dans le répertoire de son téléphone portable. Et parfois, la nuit, il compose le numéro. Pour avoir des réponses. Pourquoi il est parti ? Pourquoi plus rien ne tourne rond ? Le dessin réaliste et épuré de Tefenkgi sert cette histoire de grands gamins incapables de passer à l'âge adulte. Car la vie de Hugo est plus compliquée qu'il n'y paraît, comme s'il jouait à plusieurs jeux vidéos en même temps sur différentes consoles...

« Où sont passés les grands jours ? », (tome 1), Bamboo Grand Angle, 13,90 €

mardi 14 janvier 2014

DE CHOSES ET D'AUTRES - Foot, cinéma, ils sont "accros" aux récompenses

Ils ont tout et même plus. Cela ne leur suffit pas... Obtenir une récompense semble parfois plus important que la satisfaction du travail bien fait ou la reconnaissance du public. Personne n'est épargné, des laudateurs de la paix avec le Nobel aux artistes (Goncourt, Oscars) en passant par les sportifs avec l'attribution hier du Ballon d'or.
Dans ce dernier cas, la « compétition » opposait Messi, Ronaldo et Ribéry. Trois footballeurs qui n'ont pourtant pas besoin d'une ligne supplémentaire sur leur palmarès déjà bien rempli. Encore moins de ce titre honorifique pour gonfler leurs émoluments. De toute manière si l'on rajoute un zéro de plus à leurs salaires, il faudra créer des chèques spéciaux beaucoup plus larges que la version classique (à l'opposé, un simple post-it® suffit pour le salarié de base...).
De plus, pour recevoir le trophée, le gagnant devra porter un costume et dire quelques mots, deux conditions qui ne mettront pas le vainqueur à son avantage. Surtout si c'est Ribéry. Ronaldo a une certaine prestance en smoking. Mais l'immense majorité de ses fans féminines le préfère en boxer.
Le milieu du cinéma n'est pas en reste. Dimanche soir, les Golden Globes ont fait office de galop d'essai pour les Oscars. Et toujours des étoiles dans les yeux des gagnants. Même pour Jennifer Lawrence, meilleur second rôle féminin dans la comédie « American Bluff » (photo ci-dessus). Un petit prix, mieux que les dizaines de millions de spectateurs de la saga « Hunger Games » dont elle tient le rôle principal...

Chronique "De choses et d'autres" parue ce mardi en dernière page de l'Indépendant

BD - New York, jouet de Robert Moses


Derrière chaque ville se cache un mentor, un penseur. Si Paris ne serait pas Paris sans les grands travaux de Haussmann, New York doit beaucoup à Robert Moses. Moins connu car beaucoup plus discret, il a pourtant régné sur la ville durant des décennies, construisant plus de 150 000 logements, des ponts et quasiment toutes les autoroutes. 
Il toujours su profiter de l'argent public pour aménager l'habitat urbain de façon progressiste. Les plages publiques, les piscines et les centaines d'aires de jeu font également partie de ses réalisations. Le parcours étonnant de ce riche juif foncièrement Américain est raconté par Pierre Christin. Le scénariste de Valérian est aussi un grand spécialiste des USA. Il ne romance pas l'existence de R. Moses, mais sa science de la mise en scène rend cette BD aussi passionnante qu'instructive. 
Au dessin, Olivier Balez, délaisse pour une fois la bio d'artiste (Le chanteur sans nom, Dominique A) pour celle d'un industriel visionnaire. Il y montre toute sa technique a reproduire des ambiances urbaines, des années 20 à nos jours.

« Robert Moses, Le maître caché de New York », Glénat, 22 euros