vendredi 9 mai 2025

Thriller - Sharko, en vers et contre tous

Le nouveau roman de Franck Thilliez ne fait pas dans la poésie. Dans « A retardement », il est surtout question de folie et de bestioles visqueuses, de celles qui peuplent nos pires cauchemars.


A plus de 60 ans, Frank Sharko, le policier d’élite imaginé par Franck Thilliez souffre-t-il d’un petit coup de mou ? A Lucie, sa compagne, il dément énergiquement (malgré son souffle court, ses nuits agitées et ses genoux douloureux) : « Quand je serai à la retraite, j’aurai tout le temps de me poser, OK ? De faire des siestes comme les vieux ou d’arracher ces saloperies de mauvaises herbes. » Faut pas lui faire remarquer qu’il n’est plus un poulet de première jeunesse, ça a le don de l’énerver le Sharko. Alors il continue à chasser les méchants (qui eux semblent de plus en plus jeunes) même s’il laisse les courses et bagarres à son second, Nicolas Bellanger, de plus en plus au centre des intrigues imaginées par le maître du thriller français. 

Dans « A retardement », le groupe de Sharko est de garde pour la dernière semaine de l’année. Il est mobilisé après la disparition d’une Parisienne, envolée en traversant le parc des Buttes-Chaumont. Au même moment, un schizophrène est interné dans une unité de malades difficiles de banlieue. Il sera suivi par Eléonore Hourdel, psychiatre renommée. Deux débuts sans directs, permettant de suivre une enquête qui s’enlise et de découvrir le quotidien dans une UMD, endroit au coeur du roman. Quelques jours plus tard, les deux mondes se rencontrent. Sharko et Nicolas vont enquêter sur le meurtre sauvage d’un quinquagénaire. Mort de cinquante coups de tournevis au niveau de l’abdomen, la bouche remplie de soude. L’homme serait le père de la psychiatre. 

Le roman bascule dans l’horrible lors de l’autopsie. Une étrange découverte est faite dans l’intestin du mort : Les visages des deux policiers « se plissèrent de dégoût lorsque, du bout des doigts, le légiste tira de là un organisme blanchâtre, écrasé comme un haricot, présentant de nombreux replis de la forme de ceux de l’intestin où il était logé. » Un ténia plus connu sous le nom de ver solitaire. «Les coups de tournevis avaient atteint la bestiole à certains endroits, la tuant également. » Ce que ne savent pas encore les flics contrairement au lecteur, c’est que le mystérieux patient d’Eléonore Hourdel a tenté de s’éventrer, persuadé que des vers sont en train de le dévorer de l’intérieur. 

La folie est omniprésente dans ce gros roman noir. Dans l’entourage d’Eléonore, évidemment, mais aussi dans le passé de Sharko et le quotidien de Nicolas, homme blessé au bord de la rupture. Même si A retardement peut se lire indépendamment de autres titres, il est cependant fortement conseillé de plonger dans les autres titres de Sharko. Car c’est dans ce volet feuilleton (on dit plutôt série de nos jours), que réside le plus grand intérêt de l’oeuvre de Thilliez. 

« A retardement », Franck Thilliez, Fleuve Noir, 456 pages, 22,90 €

jeudi 8 mai 2025

Roman fantastique - « La Dissonance », invisible, passionnante

Il y a du Stephen King de la grande époque dans ce roman de Shaun Hamill. La destinée magique et fantastique de quatre adolescents délaissés.

Véritable tour de force que ce roman de Shaun Hamill. Seulement son second et déjà un texte qui devrait compter dans les décennies à venir. En imaginant et en édictant les règles de la Dissonance, l'auteur texan a tout simplement créé une nouvelle forme de magie, de fantastique urbain.

Avant de plonger dans ces mondes alternatifs où rares sont ceux qui voient et ont des pouvoirs, le lecteur fait connaissance des quatre amis, héros involontaires, voués à sauver le monde. Les mondes exactement.

Encore ados en cette année 1996. Hal est le prototype du « petit branleur », jamais sérieux, toujours trop arrogant. Pas de père, une mère volage et absente, il s'en tire toujours par une pirouette. Quitte à y laisser quelques plumes (ou des dents dans les bagarres). Erin, blonde, belle, rêve d'une vie normale. Mais ses parents vivent dans un mobil-home et sont sur le point de divorcer. Athena, jeune Noire très intelligente, sait que si elle veut réussir, elle devra batailler dix fois plus que les autres. Enfin Peter, orphelin, introverti, est élevé par son grand-père Elijah Mash, un professeur d'université toujours plongé dans ses vieux livres.

Quatre rejetés par les autres jeunes, qui se sont trouvés et vont passer leur première soirée pyjama. C'est là qu'un petit livre apparaît dans le couloir de la vieille demeure du professeur Marsh. Il est écrit en « dissonnant », langage magique qu'Athena maîtrise immédiatement comme Erin et Peter. Pour Hal c'est du chinois. Mais après avoir prononcé une formule, Athena envoie le quatuor dans les bois environnants. Il se retrouve aux prises avec des araignées géantes, cauchemardesques, agressives. C'est Hal, armé d'une épée magique, qui les sauvera.

Le début de la saga est précédé du quotidien des trois survivants, de nos jours. Malgré leurs pouvoirs, ils semblent faire toujours partie des ratés, des laissés pour compte. C'est dans ce contexte morose que l'auteur développe les psychologies compliquées, voire toxiques, de ces héros dont on rêve pourtant à s'identifier.

Un pavé qui se dévore, sans le moindre temps mort, avec rebondissements, trahisons, morts violentes, exploration de mondes inconnus et final à grand spectacle. Une fois ce roman refermé, La Dissonance fera partie de votre existence et ne la quittera plus jamais. Ici et maintenant. Demain et ailleurs.

« La dissonance » de Shaun Hamill, Albin Michel Imaginaire, 640 pages, 24,90 €

mercredi 7 mai 2025

Thriller - Dans les bois du Vallespir, l'ours menace Angèle

Clinique psychiatrique, meurtriers jugés déments, fête de l'ours et femme à la dérive : tel est le cocktail gagnant de ce thriller se déroulant dans le Vallespir et signé Alexandra Julhiet.


Plus un personnage est dans le doute, au bord de la dépression voire de la folie, plus le thriller est généralement réussi. Angèle, la narratrice de ce roman d'Alexandra Julhiet est au bord du gouffre. Pourtant c'est une femme forte. Installée à Paris depuis des années, elle est analyste pour une société renommée. Donnez-lui de tonnes de documents sur un sujet précis, elle lit l'ensemble et en tire des conclusions que son patron vend à prix d'or. Rationnelle, efficace sans la moindre faille. Jusqu'à la fin de son couple. Trompée par un mari qui l'abandonne dès qu'il est démasqué. Seule dans son grand appartement, elle déprime. Cauchemarde. C'est un suicide (un homme saute du dernier étage d'un immeuble devant ses yeux) qui l'achève. Et un message retrouvé écrit sur la glace de sa salle de bains, « Va crever !». 

Son boss l'oblige à prendre quelques jours de repos. Elle va chez son père, psychiatre à la retraite. Ce dernier, qui perd un peu la tête, décide de profiter de la présence d’Angèle pour aller dans le Vallespir, assister à la fête de l'ours à Saint-Martin-d'Inferm, village fictif, sorte de contraction des trois cités qui célèbrent le plantigrade à la fin de l'hiver. C'est dans ce village, où son père possède une vieille maison, que le drame se noue. 

L'autrice, connue comme scénariste à la télévision, signe son second roman et parvient rapidement à passionner ses lecteurs. Certes l'intrigue semble un peu cousue de fil blanc, mais on tremble quand même pour cette femme, prête à tout pour découvrir la vérité sur son passé, son enfance, ses origines. 

Et puis il y a la description de cette fête de l'ours, folklorique mais aussi triviale, excessive. Angèle ne cache pas son malaise dans la foule avinée : « L'atmosphère semblait joyeuse et bon enfant, moi je la trouvais lugubre, comme si un désastre était sur le point d'arriver. L'un des ours, une masse de plus de deux mètres, tanguait dans la foule à la recherche  d'une bagarre. Un autre profitait de son anonymat pour mettre des mains aux fesses des jeunes filles qui réagissaient en gloussant, inconscientes du danger. » Angèle va subir les assaut d'un ours dans les bois, pas loin d'une clinique psychiatrique. Dans cet établissement, des meurtriers, jugés non responsables de leurs crimes en raison de leur démence, vivent en semi liberté. Le père d'Angèle y a travaillé quand elle était enfant. Du moins c'est ce qu'elle croit se souvenir. Une histoire sur la mémoire, le mal, l'hérédité et la famille. Sans oublier Angèle, lumineuse héroïne qui va enfin sortir des limbes de l'oubli.  

« La nuit de l'ours » d'Alexandra Julhiet, Calmann-Lévy, 380 pages, 20,90 € 

mardi 6 mai 2025

Polar – Les mensonges de l'Hydre


Au royaume des fake news, l'Hydre est la reine. Une sorte de secte, aux disciples persuadés de détenir la vérité. En réalité ils ne font que mentir, maquiller la réalité, tenter de faire peur pour que la société s'écroule face à des vagues de paranoïas de plus en plus fortes. Simon Lacroix, étudiant parisien, est persuadé avoir infiltré l'organisation. Il compte en faire son sujet de thèse. Mais il n'aura pas le temps de la finaliser. Il est retrouvé mort au pied de son immeuble. Suicide par défenestration ? Son père est sceptique et va mobiliser la brigade criminelle. 

Une enquête hors norme pour le commandant Sénéchal, héros récurrent de Sébastien Le Jean. 

Un flic en pleine déprime. Après une grosse bourde (lire Le grand effondrement), on veut le priver de terrain. Alors il va s'accrocher à cette affaire pour sauver sa carrière. Un polar réaliste qui fait froid dans le dos car au final, on a l'impression que tout le monde manipule... tout le monde.

« La conspiration de l'Hydre », Sébastien Le Jean, Folio Policier, 336 pages, 9,50 €

mercredi 16 avril 2025

Littérature fantastique - Les Cartographes chassent les erreurs

Experts en cartes anciennes, les Cartographes découvrent un secret caché derrière une banale erreur : certains villages imaginaires peuvent parfois devenir réels.


Qui n'a pas rêvé en parcourant une simple carte routière ? Imaginer des vies en découvrant des noms de village dont on ne connaissait pas l'existence ? Une carte, c'est le début du voyage, vers de nouveaux paysages, l'inconnu, des aventures, des rencontres. Tout un monde contenu dans une feuille de papier plié et parfois oubliée depuis des années au fond de la boîte à gants d'une voiture.

Peng Shepherd, jeune romancière américaine, a passé de longues heures à sillonner des contrées inconnues à l'aide de cartes. Des pays réels, d'autres imaginaires. Et son roman Les Cartographes débute exactement à l'intersection des deux, quand un village fictif, ajouté dans une véritable carte de l'Etat de New York en 1930, devient réel pour les détenteurs de la carte erronée. Un postulat particulièrement troublant pour les professionnels. Car une carte doit reproduire, à la perfection, le monde mesuré, étalonné et répertorié par ces fameux cartographes.

Pour rajouter un peu de fantastique dans ce monde cartésien, l'autrice raconte la vie passionnée de la famille Young. D'abord Tamara et Daniel, deux étudiants, amoureux, mariés et parents de Nell. Le roman débute le jour où Nell, la trentaine, apprend la mort de son père. Retrouvé sans vie dans son bureau de la New York Public Library, immense bibliothèque, au milieu de son bureau sans dessus dessous. Nell était brouillée avec son père. Depuis plusieurs années. Elle raconte comment la découverte dans les dons à classer d'une simple carte de l'état de New York imprimée en 1930 a provoqué l'ire du paternel. Une carte qu'elle retrouve dans le tiroir secret du bureau de Daniel Young. Cachette qu'elle seule connait.

Avec son ancien petit ami, Felix, et quelques amis du père, Nell va étudier la carte et découvrir sa particularité : un village fictif, Agloe, a été ajouté. Et si Agloe, village chimère destiné à tromper les copieurs, existait réellement dans une autre dimension ? Le roman, de saga policière et familiale, devient variation fantastique permettant à tout le monde de rêver encore dix fois plus en parcourant une carte. A la recherche de son propre village d'Agloe.

« Les Cartographes », Peng Shepherd, Le Livre de Poche, 640 pages, 10,90 €

mercredi 9 avril 2025

Polar – Ladouce justicière

Si vous avez des difficultés à comprendre le concept de sororité, plongez dans ce roman d'Ingrid Desjours et vous n'aurez plus aucune excuse. L'héroïne imaginée par la romancière (essentiellement connue pour des romans noirs et durs), Capucine Ladouce, a un passé trouble. Elle met à profit sa froide colère contre la société patriarcale pour voler au secours des femmes maltraitées. 

Ainsi elle emménage dans un quartier résidentiel pour aider une femme craignant pour sa vie. Reste à savoir qui. Seul indice, son prénom débute par un C. Capucine va donc explorer le quotidien de Charlène, Cordélia, Clotilde et Camille. Et devenir leur amie. 

Un roman subtil, futé et surtout humoristique dans ses premiers chapitres. Car la romancière n'est pas tendre pour ces habitants de la banlieue, entre train-train, espionnage des voisins et ragots. La seconde partie est plus dramatique. Le méchant est identifié et Capucine va tout faire pour l'empêcher de nuire. Les mâles en prennent pour leur grade. 

« Capucine Ladouce », Ingrid Desjours, Hauteville, 384 pages, 8,95 €

mardi 8 avril 2025

Romans français - A chacun ses problèmes familiaux

Si Laurent Bazin règle ses comptes avec son père au moment de ses obsèques, Antoine Laurain est plus indulgent pour sa famille face à l'épreuve de la... dictée de Mérimée.

Deux romans français sur la famille en général, deux ambiances totalement différentes. Antoine Laurain propose un texte léger sur les affrontements entre générations autour de l'amour de la langue française alors que Laurent Bazin, célèbre journaliste télé installé dans l'Aude, transforme l'annonce de la mort de son père en psychanalyse qui vire au règlement de comptes sans concession. Si vous avez l'humeur joyeuse et riante, profitez du premier texte. Si la tristesse ou la rancoeur minent votre quotidien, découvrez qu'il y a pire ailleurs concernant la mésentente dans une famille. 

Nous avons tous un souvenir de dictée qui ne s'est pas bien passée. Benjamin, écolier, ramène une très mauvaise note. Ses parents, un peu catastrophés, décident de lui prouver qu'ils étaient bien meilleur que lui à son âge. Et se trompent un peu. Un mini psychodrame qui va déboucher sur l'organisation d'une dictée en plein air, sous la supervision d'un membre de l'Académie française. Et pas n'importe quelle dictée puisqu'il faudra éviter les pièges de Prosper Mérimée. Outre quelques mots incongrus, c'est le fond de ce petit texte qui va devenir célèbre. Dans cette dictée, « les notables y étaient ridiculisés, les bourgeois passaient pour des crétins, les militaires pour des ivrognes, la religion tournait à la farce. Un bijou d'insolence. Un chef-d'oeuvre de provocation. » Rien que pour l'exhumation de ce texte, le roman mérite le détour.

Moins d'humour dans le récit de Laurent Bazin. C'est le parfait exemple que l'on peut réussir sans népotisme. Car très vite son père s'est désintéressé de sa carrière de journaliste. Ce médecin, volage, criblé de dettes, a vécu ses dernières années dans une grande solitude. Laurent Bazin, en une semaine, va devoir faire un gros travail sur lui pour accepter d'organiser les obsèques, le dernier adieu. Avec l'impossibilité de se réconcilier. Juste une sorte de piqûre de rappel sur son rôle de père qu'il veut, au contraire du mort, exemplaire, attentif et aimant. L'étrange confession sèche et parfois caustique d'un homme public à l'image chaleureuse et bienveillante.  

« La dictée », Antoine Laurain, Flammarion, 160 pages, 20 €

« L'homme qui ne voulait pas être mon père », Laurent Bazin, Robert Laffont, 320 pages, 21,50 €

lundi 7 avril 2025

BD - Une femme trop parfaite pour être réelle ?


Ce beau et gros roman graphique oscille entre réflexion psychologique, psychanalyse et science-fiction. Avec au centre, une femme d'une exceptionnelle beauté. La femme parfaite pour Alan, ancien militaire remontant doucement la pente après un traumatisme. 

Alan, après des années en Afrique où il attrape le paludisme, une version très agressive qui provoque des hallucinations, est muté au Moyen Orient. Il est chargé de décrypter les messages des groupes terroristes. C'est en se trompant dans un code qu'il envoie une compagnie dans un véritable guet-apens. Une erreur qui pousse sa hiérarchie à demander sa démission. De retour en France, dans sa maison de campagne en banlieue, il espère enfin trouver la paix auprès de Catherine, la femme qu'il aime, "sa femme parfaite". Problème, cette jolie blonde, médecin, refuse son amour. Elle sait qu'il va dépérir et rapidement mourir. Elle préfère l'oublier en rejoignant une association humanitaire en Afrique. 

Seul, dépressif, Alan sombre malgré l'aide de son médecin, par ailleurs meilleur ami. Tout bascule quand un matin il découvre dans un champ de blé devant chez lui, une femme nue, enveloppée dans une grande toile rose. Il reconnait immédiatement Catherine. Erreur. Ce serait la copie de ce que son esprit estime être "la femme parfaite", forme choisie par une entité extraterrestre à la recherche d'un géniteur pour assurer l'avenir de l'espèce. De très intellectuelle, l'histoire bascule dans la pure SF, un peu tirée par les cheveux parfois. Reste les questionnements d'Alan. Cette femme parfaite venue d'ailleurs peut-elle remplacer la véritable Catherine ? Et si c'était l'occasion de changer son avenir, de guérir ?

Makyo, au scénario, propose un condensé des thèmes qu'il aime aborder dans ses romans ou séries, de Grimion gant de cuir à la Balade au bout du monde en passant par ADN. C'est plus intellectuel que les films à effets spéciaux... Tout se passe essentiellement dans des dialogues écrits au cordeau. Les décors, de la maison d'Alan aux plages où ils vont se baigner, nus et heureux, n'ont rien d'exceptionnels. C'est donc une véritable prouesse que réalise Bruno Cannucciari, le dessinateur italien de cet album : il parvient à insuffler mystère et ambiance extraordinaire dans des scènes d'une simplicité a priori banales.    

"Le chant de la femme parfaite", Delcourt, 104 pages, 22,50 €

dimanche 6 avril 2025

BD – Chez Smitch, le travail c'est une vaste rigolade

Personnellement à la retraite depuis quelques mois, lire cette BD d'Erik Tartrais sur le monde du travail c'est pour moi la possibilité de retrouver avec une certaine nostalgie les douces odeurs de la machine à café, le matin, avant de commencer à bosser (ou de faire semblant pour pas mal de mes collègues). Dire que je regrette serait mentir. Oui, on est mieux en télétravail. Voire au chômage que dans ces entreprises où personne ne sait exactement quelle est sa fonction. L'auteur a visiblement passé pas mal de temps dans cet entourage toxique. Et comme il n'est pas dénué d'humour (en plus d'un bon coup de crayon), il transforme  ce qui semble furieusement à de véritables anecdotes en scénettes au comique irrésistible. 

On suit notamment le PDG de l'entreprise Lambertin & Fils, société française, première dans son secteur (mais on ne saura jamais lequel...). Laurent, le fils du grand patron, bête comme ses pieds, arrogant et hors sol, traite ses employés comme des enfants de maternelle. Ils ne sont pas dupes. Mais préfèrent en profiter tant qu'il est temps. Car la boite est en passe d'être rachetée par les Américains de chez Mitch. Une révolution que le pauvre Lambertin aura bien des difficultés à comprendre. 

Rions donc avec les dactylos (devenues assistantes de direction...), les délégués syndicaux et autres staffs de l'informatique ou des « forces commerciales ». C'est impitoyable, d'une rare méchanceté, notamment quand Erik Tartrais s'attaque à quelques figures du management, du Codir en passant par le fameux bâton de parole. 

Une BD qui va vous faire rire. Mais aussi envie de démissionner si vous avez le malheur de bosser pour une société du style Lambertin & Fils.     

« Bienvenue chez Smitch » d'Erik Tartrais, Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €

samedi 5 avril 2025

BD - Franck Pé partage sa passion pour le dessin


Dessinateur à la production rare, Frank Pé fait partie des meilleurs de sa génération. Dans cet essai, richement illustré de dessins de ses collègues et amis, il explique pourquoi c'est en dessinant que "tu connaîtras l'univers et les dieux." Des textes écrits avec les tripes. Car il se dévoile en grande partie dans ces chapitres consacrés au plaisir de dessiner, aux trucs acquis au fil des années, à la recherche perpétuelle de l'image juste, le bon trait qui vibre, exprime beauté, sensualité et message. 

Le créateur de Broussaille ose mettre en avant ses "trucs de magicien". Même si au final, il s'agit avant tout d'être doué, d'avoir l'oeil et ne pas hésiter à recommencer sans cesse un dessin qui ne vous convient pas à 100 %. 

On a droit aussi à une galerie de ses idoles. Des signatures très connues comme Giraud, Hermann ou Franquin, d'autres moins célèbres mais qui ont compté dans la carrière de Frank, de Claire Wendling (les animaux) à R. M. Guéra (pour sa gestion des noirs). Un essai à conseiller pour tous les passionnés, notamment ceux qui gribouillent dans leur coin.

"Dessine !" de Frank Pé, Glénat, 200 pages, 25 €