mercredi 21 février 2018

Cinéma : "Moi, Tonya" ou le monde impitoyable de la glace

LE FILM DE LA SEMAINE. La vie tumultueuse de la patineuse artistique Tonya Harding sur grand écran



Elles sont sublimes, virevoltent sur la glace, sont l’incarnation de la beauté et de la grâce. Les patineuses artistiques, de tout temps, ont symbolisé la parfaite adéquation entre vitesse et virtuosité. Quand une certaine Tonya Harding a commencé à briller sur les patinoires des USA, le monde fermé et sélect de cette discipline olympique a frémi.


Tonya est puissante, rapide et d’une rare dextérité dans les figures les plus compliquées. De la graine de championne. Seul problème : c’est une fille du peuple, aux manières peu appréciées par les jurés, confits dans leurs certitudes d’une autre époque. Il faut qu’elle place la barre très haut (elle est la première Américaine à réaliser un triple axel), pour gagner sa place dans l’équipe olympique. Un conte de fée. Pas tout à fait car Tonya Harding a dû endosser le costume de sorcière, devenant une des femmes les plus détestées des USA.

■ Enfant brimée

Ce destin incroyable est devenu un film sous la baguette de Craig Gillespie. Et pour interpréter Tonya, il a trouvé l’actrice idéale avec Margot Robbie. Même si elle fait un peu plus que l’âge de la vé- ritable Tonya au moment des faits, elle a parfaitement retrouvé les attitudes et manières de cette fille rustre, issue d’un milieu modeste. Pas gâtée par la vie. Un père absent, une mère d’une rare méchanceté, qui a parfois levé la main sur cette fillette si gracile sur des patins.

Devenue adulte, Tonya a continué dans les brimades en se jetant dans les bras du premier venu, Jeff (Sebastian Stan) surnommé Moustache et lui aussi avec la main leste. Malgré cet environnement hautement hostile, Tonya arrive au sommet. Mais dans sa lutte contre l’autre vedette US de la discipline, Nancy Kerrigan, elle va recevoir l’aide de son mari et de ses amis bras cassés. Au début il fallait l’intimider par des lettres. Cela se transforme en agression avec cassage de genoux… La police fait rapidement le lien et Tonya est accusée d’avoir fomenté l’agression.

Entre interview post-agression et reconstitution de la vie de Tonya, le film oscille du tragique au comique. Un biopic, parfois hilarant donc, mais assez spécial car tous les protagonistes sont encore de ce monde. Dont Tonya Harding qui a validé le scénario et qui dé- sormais est retirée dans une petite ville, presque incognito, se consacrant à son fils.

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Deux bras cassés et une mère ignoble

Le film sur Tonya Harding est relativement indulgent envers la patineuse. Talentueuse. Personne ne le conteste. Colérique. Une évidence. Mais pas si méchante que cela au final. En retraçant son enfance, elle est décrite comme une enfant malheureuse, manquant d’amour, ne s’accomplissant que sur ses patins à glace.


La seule et grande faute de Tonya Harding aura été de mal s’entourer. D’abord de sa mère, méchante, carrément ignoble. Interprétée par une méconnaissable Allison Hanney, LaVona Harding est la mégère type. Elle a fait fuir le père de Tonya et ne cesse de rappeler à sa fille qu’elle est nulle et que sans son argent, jamais elle n’aurait pu arriver à ce niveau. Mauvaise pioche aussi quand Tonya tombe amoureuse de Moustache.


Ce dernier, entouré d’amis d’une bêtise crasse, sera condamné à de la prison ferme pour l’agression de Kerrigan. Une idée de Shawn, mythomane absolu, obèse et prétentieux, vivant chez ses parents et se prétendant expert en contre-espionnage. Un rôle en or pour Paul Walter Hauser, de loin le plus comique (et pourtant parfaitement réaliste) de cette histoire rocambolesque.



➤ « Moi, Tonya » biopic de Craig Gillespie (USA, 2 h 00) avec Margot Robbie, Allison Janney, Sebastian Stan

vendredi 16 février 2018

De choses et d'autres : Les ados passent au papier


Les ados ne lisent plus. Du moins, ils ne lisent plus de presse papier. Tout pour le net et les réseaux sociaux. Alors pourquoi lancer « Webuzz » un magazine (100 pages, 3,95 €) destiné à ces mêmes ados captivés par les nouvelles technologies, notamment les Youtubeurs ? Peut-être tout simplement pour accomplir une compilation historique avant la lettre.
Dans quelques siècles, quand tous les disques durs contenant les exploits des Norman, Andy et autres Cyprien seront effacés, obsolètes et démagnétisés, dans un placard au fond d’une maison de campagne qui n’a jamais été raccordée à la fibre, on retrouvera cette revue, aux pages un peu jaunies certes, mais qui resteront le dernier témoignage des stars du début des années 2000.
De nos jours, on s’esbaudit devant de vieux exemplaires de « L’illustration » avec gravures d’époques. Et les célébrités du siècle dernier ont sombré dans l’anonymat. Ce qui ne manquera pas d’arriver aux stars du web actuelles. D’autant que « Webuzz » donne des conseils pour « cartonner avec ta chaîne » (YouTube). À moins que la revue ne soit en réalité destinée uniquement aux parents. Enfin, ils vont comprendre le jargon de leur progéniture. Il y a même un quizz destiné aux vieux (toute personne majeure pour ce genre de public), histoire de les tester et surtout de « rire un bon coup à leurs dépens ! »
Non seulement on ne comprend rien à ce qu’ils racontent, mais in fine c’est pour se moquer de nous. Jeunes, connectés et méchants en plus ! 

mercredi 10 janvier 2018

Cinéma : Devenir petit pour voir plus grand dans "Downsizing"

Le nouveau film d’Alexander Payne est la première belle découverte cinématographique de cette année 2018. Refusant de s’intégrer dans une catégorie trop précise, il surfe entre science-fiction, brûlot écologiste, comédie et belle histoire d’amour. Au final, il reste une œuvre qui fait beaucoup réfléchir et l’histoire d’un homme trop souvent perdu dans ses choix et la répétition de ses erreurs.

Matt Damon est parfait en Américain moyen plein de doutes, le reste du casting donnant du corps et de l’intelligence à cette réussite indéniable. Tout débute en Norvège. Des chercheurs, pour trouver des solutions à l’épuisement des ressources naturelles de la Terre, se lancent sur plusieurs pistes. L’une d’elles prend le problème à l’envers. La population mondiale augmente trop. Il est hors de question de limiter les naissances. Alors, pourquoi ne pas la réduire non pas en nombre mais en taille ?

Tout petit et très seul

Le downsizing, un procédé est mis au point pour diminuer un être vivant. Dans les faits, un homme de 1 m 80 et 80 kg est transformé en un homoncule de 12 cm et de 12 grammes. Certes, il faut lui aménager un habitat spécial, mais une fois la réduction effectuée, il ne produit quasiment plus de déchets et mange très peu. Pour beaucoup, c’est effectivement la solution à la surpopulation. Mais cela a un coût. Et seuls les plus aisés peuvent se payer un « downsizing ». Même si tout devient relatif, puisqu’un cadre moyen, devient millionnaire dans son futur miniature. Une fois le principe énoncé, on entre dans le vif du sujet. Paul (Matt Dillon) arrive à persuader sa femme (Kristen Wiig) de faire le grand saut. Ils vendent tous leurs biens, disent au revoir à leurs amis du monde des grands et se rendent dans un centre médical se faire réduire.

Paul se réveille cinq heures plus tard. Seul. Au dernier moment, sa femme a changé d’avis. Un mauvais cinéaste aurait pu se contenter de rallonger ce passage. La culpabilité de la femme, la colère puis le désespoir du mari, devenu minuscule, à la merci de sa femme gigantesque. Mais Alexander Payne voit plus loin, et de fa- çon plus intelligente. Il plonge Paul dans ce monde de maisons de poupées où le luxe est omniprésent. L’ennui aussi. Comme si on vivait sous une cloche, sans la moindre liberté. Paul va mettre longtemps à reprendre goût à la vie. Surtout à admettre que cette opération irréversible, est la pire erreur de sa vie, lui qui en a déjà fait pas mal.

Américain moyen à l’esprit étriqué, Paul va s’ouvrir quand il rencontre Dusan (Christoph Waltz), Serbe magouilleur à la philosophie de vie très libérale et libertine. Ce n’est pas parce qu’on est petit qu’il ne faut pas voir grand...

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Hong Chau crève l’écran


Absente de la première partie du film, Hong Chau crève l’écran dès qu’elle entre dans l’histoire et la vie de Paul. Dissidente vietnamienne, à la tête d’un mouvement populaire contre l’expropriation de villages entiers, Ngoc Lan Tran a été emprisonnée durant deux ans dans les geôles asiatiques. Et le gouvernement, pour la faire définitivement taire, la réduit sous la contrainte. Dans l’affaire elle perd une jambe. Comment continuer la lutte politique quand on ne mesure plus que 12 cm ? Une solution expéditive qui prouve au monde que le downsizing, présenté comme une solution pour sauver la planète, peut aussi se révéler une redoutable arme politique pour les dictatures.

Recueillie par des familles d’accueil de « petits » dans les mini villes américaines, Ngoc Lan Tran sera finalement oubliée. Rejetée, elle termine dans un quartier populaire, obligée de faire des ménages pour survivre. C’est la prothèse, mal réglée qui va interpeller Paul. Ce petit bout de femme, autoritaire et en permanence en action, en plus de son travail quotidien, se transforme à la fin de ses journées en bienfaitrice des plus pauvres des «petits». Son travail dans les maisons de riches lui permet de récupérer nourriture et médicaments pour les plus nécessiteux. Humanitaire un jour, humanitaire toujours. Cette touche de tendresse, de don de soi, dans ce monde aseptisé transforme le film en véritable bombe émotive. Hong Chau, fille de boat people, est née dans un camp de réfugiés en Thaïlande. Arrivée aux USA elle a fait des études de cinéma et a été remarquée dans quelques séries télé. Mais c’est avec Downsizing qu’elle obtient son premier grand rôle.

 ➤ Comédie d’Alexander Payne (USA, 2 h 16) avec Matt Damon, Hong Chau, Kristen Wiig, Christoph Waltz.

lundi 8 janvier 2018

Roman : "Le vol du gerfaut" ou les affres d’un romancier sur la pente descendante


Les écrivains sont-ils d’éternels insatisfaits ? On peut se poser la question en découvrant le thème et la trame du dernier roman de Jean Contrucci. Cet ancien journaliste provençal, a connu la reconnaissance littéraire en signant des romans historiques palpitants repris sous le titre générique « Les nouveaux mystères de Marseille ». Mais... Jean Contrucci, qui baigne ans le milieu de l’édition depuis des décennies (critique puis auteur), avait visiblement quelques comptes à régler avec des figures imaginaires mais dans lesquelles beaucoup pourraient se reconnaître.

■ Le retour du gerfaut

Lauréat d’un prix Goncourt, Jean-Gabriel Lesparres a depuis surfé sur ce coup d’éclat de début de carrière. Auréolé par cette récompense prestigieuse, ses autres romans se sont bien vendus. Mais sur une pente descendante. Inéluctable. A 70 ans passés, il bute sur la fin de son petit dernier. Il n’a plus la flamme et en relisant son manuscrit, il prend conscience que ce texte, non seulement est prétentieux (il y raconte ses conquêtes féminines du temps de sa splendeur), mais aussi médiocre. «Je n’avais rien de nouveau à dire. Je n’étais plus capable de progrès. Pire, j’étais conscient de ma régression» constate le vieil auteur. Pourtant «à l’âge où on baisse les bras, je sentais monter en moi des envies de révolte. La seule à ma portée était le refus de publier le livre de trop». Mais c’est sans compter avec les exigences de son éditeur qui a payé de confortables avances à valoir sur le futur roman de la «star» de la maison d’édition.

Alors Jean-Gabriel, sans rien dire à sa jeune femme ni à personne de son entourage, va organiser le vol de son manuscrit. Avec pour consigne au voleur de détruire ce manuscrit qui ne sera jamais achevé. Tout se passe à merveille jusqu’au jour où le roman, achevé et même amélioré, refait surface sous la signature d’une totale inconnue qui aurait posté le texte de New York.

Cette critique acerbe du milieu littéraire, avec ses coups de poker, ses fausses amitiés ou ses petites magouilles reste en toile de fond de ce «Vol du gerfaut». Car en excellent conteur, Jean Contrucci se concentre surtout sur l’intrigue, l’enquête du romancier et l’incroyable machination à double voire triple détente. 

➤ « Le vol du gerfaut » de Jean Contrucci, HC Éditions, 19 € (en vente le 11 janvier)

dimanche 7 janvier 2018

Roman : Routine conservatrice de "La méthode Sisik"

Entre roman philosophique et saga de science-fiction, « La méthode Sisik » de Laurent Graff fait partie de ces petits romans qui, l’air de rien, pourraient avoir beaucoup de conséquence sur notre quotidien. La fameuse méthode est mise au point par le dénommé Sisik, retraité des archives, casanier et solitaire. Pour lui, chaque jour doit être identique au précédent. Comme s’il figeait sa vie. Le temps. Et en répétant minutieusement cette journée-vie, il se découvre presque immortel. Une méthode analysée, décortiquée, répétée pour envoyer un équipage d’astronautes vers une planète éloignée de plusieurs années lumière de la terre. Le récit, de routinier, se transforme en exploration des espaces infinis, avec un grain de sable qui remet tout en cause. Un roman qui comme dans la vie se révèle trop long dans le normal et trop court dans l’exceptionnel.

➤ « La méthode Sisik » de Laurent Graff, Le Dilettante, 15 € (en vente le 10 janvier)

dimanche 31 décembre 2017

BD : Hommage à un génial dessinateur


La littérature française utilise souvent l’autofiction pour masquer son manque d’imagination. Edika fait un peu pareil. À la différence que de l’imagination, lui, il en a à revendre à la pelle. Ce n’est pas de l’autofiction qu’il utilise dans ces histoires courtes publiées depuis quelques décennies dans Fluide Glacial, mais de l’autodélire. En cette fin d’année, on peut retrouver quelques-unes de ses histoires dans un recueil dont le contenu a été sélectionné par ses collègues et amis (Bouzard, Riad Sattouf, Goossens...). Il y a les premiers récits, en noir et blanc, avec une précision dans le trait qui lui donnait un petit air de Moëbius. Puis des grands délires avec utilisation de la photo et la mise en abîme de l’auteur en train de réaliser ses dessins. Une bonne façon de se replonger dans une œuvre gigantesque toujours en pleine évolution.
➤ « Edika », Fluide Glacial, 19,90 € 

samedi 30 décembre 2017

De choses et d'autres : les mots de votre génération

Trouvé sur Internet un tableau reprenant les mots emblématiques apparus chaque année dans la langue française depuis la fin des années 40 selon les nouveautés affichées par le Petit Robert.


Cela permet de se dresser une sorte de portrait chinois en fonction de sa date de naissance. Parfois on se reconnaît idéalement comme ce membre de Facebook, né en 1976 et qui conserve un attrait certain pour la musique rasta et les couleurs fluos. Un autre, de 2000, n’a pas trop le choix entre bobo et zénitude. Plus compliqué pour le natif de 1997 face au dilemme entre les redoutés spams et les délicieuses panna cotta... Je plains par contre les natifs de 1980. Ils sont la génération perdue ayant vu la naissance de deux symboles de modernités n’ayant pas dépassé la décennie : le minitel et le walkman...
Perso, né en 1961, si j’ai beaucoup utilisé le magnétoscope pour rattraper mes retards en films, je n’ai par contre jamais mis le pied sur la moindre planche de surf. Rire en regardant une vieille VHS de « Jaws », d’accord, risquer de me faire boulotter un mollet voire de me noyer en vrai, pas question.
Plus on se rapproche des dernières années, plus on s’aperçoit que tout ce qui tourne autour d’internet prend le dessus. Comme si les nouveaux terrains d’exploration de l’humanité étaient devenus irrémédiablement virtuels. 1984 : hacker. 1993 ADSL. 1994 : email. 1995 : Gif. 2001 : Wifi. 2009 : hashtag. 2013 : selfie... Pour cette année 2017, le net affirme encore sa supré- matie avec spoiler et emoji.
Et 2018 ? Dans deux jours, quel mot va faire la course en tête ? Quelle mode va envahir nos vies ? Rares sont ceux qui en ont la moindre idée. Et cela reste tout l’attrait de la nouveauté. 

vendredi 29 décembre 2017

BD : Hommage à un animal génial


Depuis la jungle de Palombie, des dessinateurs venus de tous les horizons ont rêvé au Marsupilami. Plusieurs jeunes générations ont imaginé, un jour, s’attaquer à la représentation graphique de la création de Franquin. Son pelage et surtout sa queue permettant une infinité de variations. De son vivant, le créateur du Marsu l’a confié à Batem, mais les éditions Dupuis ont donné leur chance à plusieurs auteurs de se frotter à l’animal génial. Des histoires courtes vues dans le journal Spirou et reprises dans ce gros volume de 100 pages. Du très décalé au fantastique sombre en passant par l’humour simple ou l’hommage aux films de guerre, il y en a pour tous les goûts. Mais à chaque fois il n’y a qu’un seul et unique vainqueur : le Marsupilami.
➤ « Marsupilami », Dupuis, 19€

jeudi 28 décembre 2017

Livres de poche : mots voraces

Bernard Pivot raconte l’histoire d’un homme qui, malgré ses succès de romancier – invitation à Apostrophes, consécration au Goncourt –, a toujours eu l’impression d’être mangé par les mots. D’être leur jouet plutôt que leur maître. Un hommage malicieux, inventif et drôle aux hôtes du dictionnaire, une déclaration d’amour fou à notre langue !
➤ « Au secours ! Les mots m’ont mangé », Points, 5,60 €

Trois correcteurs (dont une correctrice) décortiquent plaisamment règles casse-tête et étrangetés de notre langue, puisant leurs exemples en grande partie dans la presse. L’orthographe et ses peaux de banane, le mystère des termes grammaticaux, la langue de bois des médias, des questions de lecteurs, l’évolution du français, la typographie, voilà quelques-uns des chemins sur lesquels ils vous invitent à les suivre.
➤ « Retour sur l’accord du participe passé », Points, 7,40 €

dimanche 24 décembre 2017

Roman : Quand la gazelle se transforme en lionne




Les lions ont tendance à somnoler, sauf quand il s’agit de se repaître de la proie que les femelles ont chassée pour eux. Paru à la rentrée littéraire de septembre, il nous a semblé judicieux de « Réveiller les lions » à la manière d’Ayelet Gundar-Goshen, qui nous fait connaître là des voix dont nous, les Occidentaux, n’entendons parler que de très loin. Tout en abordant des thèmes récurrents et universels tels que l’amour, le courage, l’amitié mais aussi le racisme quotidien, l’humiliation, les trafics mafieux d’une société israélienne hyper réglementée et catégorisée, elle nous raconte une histoire haletante, bouleversante, dans laquelle chacun de nous pourrait se reconnaître.
■ Où l’honnêteté ne paie pas
Chouchou du chef de service de neuro-chirurgie du plus grand hôpital de Tel Aviv, le Dr Ethan Green se voit contraint d’accepter une « mutation » à l’hôpital Soroka de Beer-Sheva, petite ville au milieu du désert. Plein d’illusions et d’intégrité, Ethan, lorsqu’il s’aperçoit que son patron touche de grosses enveloppes pour opérer prioritairement tel ou tel patient, le dénonce au directeur de l’hôpital... lequel lui fait bien comprendre que le procédé est non seulement connu mais apprécié. Sa propre épouse, Liath, pourtant inspecteur de police, l’encourage elle-aussi à ne pas faire de vagues. Après tout, ils ont deux petits garçons et un emprunt immobilier. Mais Ethan a l’impression d’étouffer dans la poussière de cette petite ville, dans l’étroitesse de son propre esprit. Une nuit de fin de garde, il prend son 4X4, fait hurler à fond le moteur et Janis Joplin, et se lance sur les pistes du dé- sert.
Quatre heures du mat, la plus belle lune de sa vie, la sensation de liberté et d’ivresse qu’il recherche depuis si longtemps atteint son paroxysme. Jusqu’au choc. Terrible.
Quatre heures du mat. Une piste dans le désert. Personne. Pourtant, il vient de percuter un homme. Paniqué, il constate très vite que la tête de l’Erythréen n’a aucune chance face au solide pare-choc – indestructible, disait le vendeur. Sa décision est vite prise, finalement.
Quatre heures du mat. Une piste dans le désert. Personne. Il repart, laissant agoniser l’homme dans la nuit. Et là, pour Ethan, commence le pire des cauchemars. 
Fabienne Huart 
➤ "Réveiller les lions", Ayelet Gundar-Goshen, Les Presses de la Cité, 22,50 €