vendredi 27 septembre 2024

BD - Les garçons du ginseng


Craig Thompson, après une période de doute (qu’il explique au détour d’un chapitre), se remet au roman graphique autobiographique. Après Blankets, il signe un colossal Ginseng Roots de 450 pages. Au début des années 80, dans ce Wisconsin très religieux et rural, Craig et son frère Phil, passent leurs vacances d’été à travailler pour les fermiers du coin.

Cette petite ville de Marathon est la capitale du ginseng américain, racine aux vertus médicinales très prisée en Chine. Une culture exigeante, exténuante. Mais les gamins sont enthousiastes car toute leur paye est transformée en comics, leur passion de l’époque.


Le début du roman raconte ces étés de labeur. Il dévie ensuite sur les vertus du ginseng, l’histoire de cette plante. Et Craig Thompson, souffrant, va découvrir qu’en plus de lui avoir rapporté des sous enfant, peut en partie le soulager. Un auteur toujours au sommet de son art, qui parle de nouveau de sa famille, 20 ans après Blankets, et raconte ses voyages en Chine, Corée et Taïwan.

Il se dévoile, donne la parole à son frère, sa sœur, ses parents et surtout nous en apprend beaucoup sur ces tubercules de forme humaine.
« Ginseng Roots », Casterman, 448 pages, 27 €

jeudi 26 septembre 2024

Thriller - Disparition à Copenhague

Plongée dans la noirceur de Copenhague dans ce thriller de Katrine Engberg, valeur montante du polar nordique


Pays le plus au sud de cette région nordique où le polar est roi, le Danemark parvient à se tailler une place de choix entre les productions suédoises et norvégiennes. Avec son troisième roman dont les policiers Jeppe Korner et Anette Werner sont les héros, Katrine Engberg enfonce le clou : sa signature est synonyme d’intrigue élaborée, de crimes horribles et de rebondissements incessants. 

Le passé doit mourir débute par une banale disparition d’adolescent. Oscar n’est pas rentrée chez lui ce vendredi soir après les cours. Il devait passer la nuit chez sa petite amie. Mais il n’y est jamais allé. Et le samedi matin c’est le branle-bas de combat dans le groupe de Jeppe après la découverte d’un message énigmatique chez les parents d’Oscar, de riches et controversés créateurs d’une salle de ventes aux enchères. 

Le roman devient un peu plus labyrinthique quand au gré des premiers chapitres des personnages font leur apparition. Il y a un ingénieur, Kasper, chargé du fonctionnement de l’incinérateur à ordures le plus sophistiqué d’Europe, en phase de lancement dans la capitale danoise. Un homme solitaire aussi, gardien d’un ensemble fortifié placé depuis des siècles à l’entrée du port de Copenhague. Un certain Mads se revendiquant « Robinson Crusoé du port ». Or, ces deux hommes connaissaient Oscar. C’est Mads qui a retrouvé la sacoche du lycéen, sur une jetée. Mads qui intrigue doublement car la romancière, qui excelle dans la description de la vie privée compliquée de ses personnages principaux, le rend terriblement attirant aux yeux d’Anette. 

Pourtant la jeune flic est depuis peu une maman comblée. Pourquoi alors quand elle croise Mads, remarque-t-elle « ce regard couleur mer avec des éclaboussures vertes. » Et un peu plus tard, au moment de partir, « Anette observa ses doigts larges qui tenaient sa carte de visite blanche et eut en même temps envie de tendre la main vers lui et de s’enfuir. » 

Ils sont comme ça les protagonistes imaginés par Katrine Engberg, impulsifs, pleins de doutes. Jeppe n’est pas mieux loti. Il tente de refaire sa vie avec une collègue Sara. Mais elle a deux filles. Celle de 11 ans déclare la guerre au nouvel amant de sa maman. Pour la protéger. Ou se protéger ? Ces histoires annexes à l’intrigue, loin de faire perdre le fil au lecteur, apporte humanité et réalisme à un thriller qui, comme les précédents romans de la romancière, explorent les pires zones des déviances humaines. 

Parmi les décors, l’incinérateur devrait durablement marquer le lecteur. On y découvre un corps, dans une puanteur absolue. Et dans ses entrailles, aussi brûlantes qu’un enfer sur terre, se cachent bien des secrets. Un monstre de technologie, rendu nécessaire pour évacuer les ordures de la ville : « Le haut de la cheminée rougeoyait comme un mauvais œil. Le nouveau point de repère de la ville ressemblait à un animal vivant, clignotant, tapi entre les buissons et les arbres de Refhaleoen. » 

Un thriller addictif, où l’enquête occupe une semaine entière avec son lot d’actions spectaculaires et un dénouement tout sauf téléphoné.    

« Le passé doit mourir » de Katrine Engberg, Fleuve Noir, 400 pages, 21,90 €

mercredi 25 septembre 2024

Thriller - « La meilleure écrivaine du monde », née dans un Ehpad

Comment transformer une intelligence artificielle en bonne romancière ?  Un geek a l’idée de la mettre en contact avec des pensionnaires d’un Ehpad. Attention, ça va saigner ! 

Tous les auteurs (les acteurs de la culture en général) sont tracassés par l’arrivée de nouvelles intelligences artificielles (IA) de plus en plus performantes. Certains paniquent, d’autres se renseignent et en tirent même des idées pour leurs nouvelles créations. Jonathan Werber par exemple, devenu romancier après une formation d’ingénieur, fait d’une IA le personnage principal de son nouveau roman, La meilleure écrivaine du monde

Programme informatique façonné par Thomas, Eve39 (car c’est la 39e version…) n’a qu’un but : écrire un polar qui permettra à Thomas de remporter un prix et d’en vendre des millions. Et, cerise sur le gâteau, impressionner la belle Barbara, psychiatre qui travaille dans le même Ehpad que lui. Eve39 doit donc pondre un polar avec « un meurtre hors du commun, un enquêteur sans égal et un assassin retors. » C’est selon Thomas « la formule du parfait polar ». 

Ce roman d’apprentissage dans tous les sens du terme explique au lecteur comment se construit une intelligence artificielle. Emmagasiner des livres ne suffit pas. Il faut vivre au plus près des humains pour les comprendre. Eve39 va donc se glisser dans des robots permettant aux vieillards impotents de se déplacer dans l’établissement. 

Elle va emprunter caméras et capteurs pour découvrir les mystères de la vie. De la mort aussi. Car elle s’aperçoit que cet Ehpad est loin d’être parfait. Que certains pensionnaires ont des secrets, que la direction aussi cache bien son jeu. Eve39, qui balbutie encore côté intrigue, va trouver une matière originelle et originale. 

Problème, cela devient risqué. Pour des pensionnaires mais aussi pour « l’héroïne », qui pourrait être effacée et remplacée par la version 40. Un texte qui il y a 10 ans serait de la pure science-fiction. Aujourd’hui, c’est parfaitement crédible.

« La meilleure écrivaine du monde », Jonathan Werber, Robert Laffont, 364 pages, 20 € 

mardi 24 septembre 2024

Polar - Osez déguster « L’art meurtrier du lait de coco »

Enquête dans les restaurants d’une petite ville aux USA. La détective, Lila, une jeune cuisinière d’origine philippine. La victime, son ancien petit ami, critique gastronomique.

Envie d’exotisme et de mystère ? Dévorez ce roman policier de Mia P. Manansala. L’art meurtrier du lait de coco a le double avantage de nous faire découvrir toute la richesse de la cuisine des Philippines tout en nous passionnant pour une enquête policière tarabiscotée. Une nouvelle série de cosy crime dont l’héroïne récurrente et narratrice se nomme Lila. 

Cette jeune femme, orpheline, élevée par sa grand-mère et sa tante, a quitté la petite ville de Shady Palms dans l’Illinois pour faire ses études à Chicago. Une déception sentimentale de cette jeune Américaine un peu fleur bleue la pousse à revenir au pays au bout de trois ans. Sans diplôme. Elle se met alors au service de sa tante, fait office de serveuse et de pâtissière dans ce petit resto exotique qui met du lait de coco dans toutes ses préparations. Légèrement déprimée par ce retour en arrière peu satisfaisant, Lila tente d’oublier en créant de nouveaux gâteaux et profite de ses retrouvailles avec Adeena, sa meilleure amie, barista dans un établissement voisin. 

Elle retrouve aussi son ex-petit ami. Derek est devenu critique gastronomique. Il est souvent caustique et s’attaque au restaurant de Lila. Jusqu’au jour où il s’effondre dans son assiette. « Les cheveux dressés sur la nuque, je me mis à secouer Derek. Avait-il perdu connaissance ? Était-ce une réaction allergique ou je ne sais quoi ? » Derek meurt peu de temps après. Et la police découvre de l’arsenic dans son estomac… et dans le riz servi par Lila. 

Devenue suspecte numéro 1, l’héroïne va devoir retrouver le véritable meurtrier. Pour éviter la prison et surtout sauver le restaurant de sa tante de plus en plus menacé. Le suspense est omniprésent, Lila adorable en jeune femme un peu naïve mais déterminée à sauver sa famille. 

Une Lila qu’on retrouvera dès la fin de l’année pour sa seconde enquête, toujours agrémentée de succulentes recettes tirées de la tradition culinaire des Philippines.

« L’art meurtrier du lait de coco », Mia P. Manansala, Le Cherche Midi, 428 pages, 15,90 € 

lundi 23 septembre 2024

Science-fiction - Le périple intersidéral de « La porteuse de mort »

Sur la planète Factis, mourir est plus simple que survivre. Dix Low, médecin, tente de sauver des vies. Travail de titan pour un roman de SF brûlant et violent.

Un peu tombé en désuétude, le space opéra est pourtant un genre qui permet aux auteurs les plus imaginatifs de façonner des mondes nouveaux et étonnants. L’action de La porteuse de mort, roman signé par l’Anglaise Stark Holborn, est principalement concentrée sur la planète nommée Factis. 

Loin d’être un paradis. Désert, vents violents, climat aride et caniculaire, rien n’y pousse et les seules bestioles qui survivent, ce sont des serpents agressifs et venimeux. Dix Low, seule au volant de son mulet (sorte de véhicule tout-terrain), ce médecin tente, souvent en vain, de sauver des vies. Dans ses cauchemars, elle tient un compte. Qui n’est jamais à l’équilibre. Combien d’hommes et de femmes devra-t-elle encore sauver pour effacer sa dette ? 

Quand un astronef se crashe, elle a l’occasion de reprendre son travail. Une enfant sort des décombres, « des cheveux noirs encadrent un petit visage rendu gris par l’hémorragie, masqué par une couche de sang séché et de sable. » Une fillette mais qui n’est pas ce qu’elle parait. Gaby est une générale, membre de la force mineure, composée d’enfants-guerriers. 

Une orpheline transformée en bête de guerre dès son plus jeune âge. Comment ces deux femmes, dans ce milieu hostile vont-elles trouver un accord pour survivre ? D’autant qu’elles étaient dans deux camps opposés il y a peu de temps. 

La richesse du roman, en plus des rebondissements psychologiques des deux personnages principaux, réside dans la description de ce monde invivable. Les femmes y sont fortes, les esprits malins, les membres de la secte des Chercheurs, sans pitié. Et tous les autres attendent, résignés, leur fin rapide et inéluctable.  

« La porteuse de mort » de Stark Holborn, Albin Michel, 316 pages, 20,90 €

dimanche 22 septembre 2024

Un polar - "L’île" de Jérôme Loubry


Cette île, au centre du nouveau roman de Jérôme Loubry, est présentée comme « aussi belle que ténébreuse ». L’action se déroule à Porquerolles, bourrée de touristes en été, théâtre de manifestations quasi fantastiques en hiver. L’action se déroule en août 2019 puis en décembre 2024.

Un été au cours duquel une bande de jeunes Parisiens va vivre une grande expérience jusqu’au suicide de Diane dans un manoir rempli des notes de musique moderne. Diane retrouvée morte, plus de cinq ans plus tard, dans les rues de la petite ville.

Un polar aux airs angoissants, où les croyances et la musique occupent une place prépondérante.

« L’île » de Jérôme Loubry, Calmann-Lévy, 400 pages, 21,90 €

samedi 21 septembre 2024

Un album jeunesse - Le chevalier à reculons


Il prétend être « le meilleur chevalier au monde ». mais rapidement, le lecteur de cette histoire imaginée par Sophie Lamoureux et dessinée par François Soutif se révèle être surtout le chevalier le plus trouillard de la planète.

Il sait que dans ce livre il va rencontrer devoir affronter quantité de dangers. Alors il s’adresse directement au lecteur, lui ordonnant de cesser de tourner les pages.

Forcément, ça donne envie de connaître la suite… Une trépidante aventure médiévale, avec dragon, monstre et princesse. A noter que les illustrations s’inspirent des tapisseries millefleurs exposées au musée de Cluny.
« Le chevalier à reculons », L’école des loisirs, 40 pages, 14,50 €

vendredi 20 septembre 2024

Un poche - « Je vais bien » de Régis Franc


Pour raconter sa famille, Régis Franc, dessinateur, cinéaste, peintre et écrivain, avoue sans détour : « Je me suis arraché le cœur. » Il a débuté par raconter la vie de son père, puis a rajouté des chapitres sur sa mère et sa sœur. Cela donne « Je vais bien », un livre de 140 pages édité au format poche chez Pocket et disponible depuis la fin du mois d’août, en pleine rentrée littéraire.

Il décrit la vie simple d’une famille de Lézignan-Corbières, souvent frappée par le malheur. Un texte émouvant, où il refait vivre les fantômes de son passé, comme pour clore définitivement la partie lézignanaise de son existence.
« Je vais bien », Pocket, 144 pages, 7,30 €

jeudi 19 septembre 2024

BD - Aventures dans l’océan Indien


Devant servir de base à un univers de jeu vidéo d’Ubisoft, ce Skull and Bones se présente comme une excellente série de piraterie de l’océan Indien. Nicolas Jarry écrit l’histoire, profitant de la grosse pagination (plus de 80 pages) pour multiplie les rebondissements tout en détaillant les différents personnages.

Au centre on trouve le jeune Waleran. Un petit Anglais, pauvre, espérant devenir cartographe. En attendant, il est marin à bord d’un navire de guerre britannique, faisant route vers l’Europe avec un butin en or et une célèbre pirate, Dalal.


Au terme d’une première bataille, Dalal est libérée et Waleran, qui est intervenu pour l’aider, est enrôlé dans l’équipage de la belle mais redoutable pirate. Elle multiplie les attaques, cherchant, en plus de s’enrichir, à se venger. De son oncle qui l’a vendue aux Anglais et du gouverneur de Ceylan, qui l’a livré à l’armée de sa majesté.

Marco Pelliccia, dessinateur italien, propose une interprétation graphique classique et assez sombre. Les confrontations sont explosives, les intrigues tortueuses. Un bel hommage au genre.
« Skull and Bones », Glénat, 88 pages, 18 €

mercredi 18 septembre 2024

BD - Vengeance aveugle de la Tigresse Bretonne


Présentée comme étant la « première femme pirate », Jeanne de Belleville a plusieurs surnoms : La Tigresse Bretonne, la Lionne de Bretagne ou la Lionne Sanglante. Une constance dans ces petits noms : la cruauté.

Pourtant rien ne destinait cette femme de chevalier, mère de deux enfants, à devenir célèbre en étripant et décapitant ses ennemis. C’est Roger Seiter qui a retracé le parcours de la Tigresse. Le scénariste raconte comment la Bretonne, trahie par le roi de France qui a fait exécuter son mari, Olivier de Clisson, se lance dans une vengeance aveugle.


Elle fuit Paris, se retranche dans son château de l’île d’Yeu, recrute des mercenaires et affrète plusieurs bateaux, coque peinte en noir, voiles rouge écarlate. Durant neuf mois elle va écumer les côtes françaises, attaquant les navires marchands. Elle va semer la terreur, devenant une véritable légende. Une trajectoire courte car elle va cesser du jour au lendemain ses exactions.

Un album de pirates dessiné par Frédéric Blier, parfait dans les scènes de batailles, tant maritimes que de corps à corps sur les ponts des navires.
« La Tigresse Bretonne », Bamboo Grand Angle, 64 pages, 16,90 €