dimanche 31 décembre 2023

BD - "Le monde oublié", avant Tarzan...

Contrairement à ce que croient nombre de lecteurs français, Edgar Rice Burroughs n’est pas le romancier d’un seul héros, Tarzan. Il a écrit quantité de romans qui ont tous connu le succès. Pour faire redécouvrir aux nouvelles générations ces histoires héroïques, souvent teintées de science-fiction, les éditions Glénat proposent une collection à son nom.

Deux premiers titres viennent de paraître, Un monde oublié et La princesse de Mars. Dans le premier, adapté par Corbeyran et dessiné par Gabor, le héros raconte comment, en voulant fuir les soldats allemands en pleine seconde guerre mondiale, il se retrouve dans un monde où les dinosaures sont encore omniprésents.

En plus de la survie au quotidien, les rescapés doivent aussi s’entendre car il y a autant d’Américains que d’Allemands. C’est sans doute cette partie de l’histoire (écrite en plein conflit mondial), qui a le plus vieilli.

Le second titre, La princesse de Mars, est un classique. Adaptées au cinéma, sans succès, les tribulations de John Carter sur Mars prennent une autre dimension grâce au découpage de Morvan et au dessin de l’Italien Biagini. John Carter, aventurier cherchant des pierres précieuses dans le désert, en fuyant les Indiens, se retrouve projeté à la surface de Mars.

Cela peut parfois sembler incohérent mais au final c’est toute l’inventivité sans limite d’Edgar Rice Burroughs qui transforme l’aventure en chef-d’œuvre de science-fiction. La suite de ces deux titres est annoncée début 2024 et deux autres titres rejoindront la collection : Tarzan et Au cœur de la Terre.

« Un monde oublié » et « La princesse de Mars », Glénat, 64 pages, 15,50 €

samedi 30 décembre 2023

Cinéma - “Past Lives” ou les regrets des amours manquées

Pour son premier film, Celine Song, dramaturge américaine d’origine coréenne, a puisé dans son passé et la culture de son pays natal. Past Lives, sous titré en français Nos vies d’avant, parle de destin, de déracinement, de choix de vie et d’amour. La première scène du film semble énigmatique. Une femme acoudée à un bar entre deux hommes. Une Asiatique entre un autre asiatique et un Européen. Qui est qui ? Quelles sont leurs relations ? On n’entend pas ce qu’ils disent. On constate simplement que la femme parle plus à l’Asiatique, que l’Européen semble comme mis à l’écart.

La suite se déroule en Corée du Sud, 24 ans plus tôt. Nora et Hae Sung sont amis. Ils se chamaillent souvent, s’apprécient aussi. Ils ont 12 ans. Mais Nora disparaît de la vie de Hae Sung car ses parents émigrent au Canada. Ce n’est que 12 ans plus tard que Hae Sung la retrouve. Elle est romancière, installée à New York. Malgré les années et la distance, ils vont se retrouver, parler comme s’ils s’étaient quittés la veille.

Les deux premières parties du film sont d’une justesse absolue. On devine l’attirance des deux enfants l’un pour l’autre. Et puis la vie décide autre chose. Une sorte de destin immuable, imperturbable. C’est Hae Sung qui recherche Nora. Elle est flattée mais comprend que cette relation la rapproche de son ancienne vie. Or, elle veut réussir et s’intégrer dans ces USA si exigeants. Alors, elle demande à son ami coréen de faire une pause dans les appels. Une pause de 12 ans. Nora va se marier avec un écrivain new yorkais, Arthur (John Magaro), Hae Sung aussi aura une compagne rencontrée lors de ses études en Chine.

La fin de Past Lives se déroule 12 ans plus tard. Hae Sung peut enfin venir à New York. Les retrouvailles, toutes en délicatesse et non-dits, donnent l’occasion aux deux comédiens d’exprimer toute la mesure de leur talent. On comprend alors que les membres du trio du début du film ce sont ces trois qui passent une dernière soirée avant le retour vers l’Asie de Hae Sung. Nora et Hae Sung se posent des questions sur leur parcours et choix, sur ces vies qui auraient pu être les leurs, ensemble. Si…

 Film de Celine Song avec Greta Lee, Yoo Teo, John Magaro


 

vendredi 29 décembre 2023

BD - Haut les flingues !


Nouvelle livraison d’histoires courtes peaufinées par Tiburce Oger et illustrées par de grands dessinateurs. Cette fois il raconte le destin de quelques gunmen, ces hors-la-loi qui ont fait parler la poudre.

Certains très connus comme Billy The Kid (illustré par Bertail), d’autres plus anonymes comme la redoutable Black Evil (dessins de Vatine) à l’improbable Mary, vedette d’un cirque, pendue en place publique pour meurtre bien qu’elle soit… un éléphant.

« Gunmen of the West », Bamboo Grand Angle, 112 pages, 19,90 €. Il existe une édition luxe en noir et blanc de 120 pages à 29,90 €

Cinéma - “Milady” ensorcelle les Trois Mousquetaires

Suite très attendue de l’adaptation au cinéma du roman d’Alexandre Dumas. Une seconde partie construite autour des errements de Milady. 


Enfin de retour ! Les Trois Mousquetaires repartent à l’assaut du box-office français. L’adaptation du roman a été scindée en deux parties. Après le succès du premier volet (3,3 millions d’entrées), place à la suite. Un long-métrage moins mouvementé et virevoltant.

Après la rencontre entre les quatre compagnons et la présentation des protagonistes, les adaptateurs se sont permis d’approfondir la personnalité de chacun. Avec la volonté de mettre en avant la belle et mystérieuse Milady interprétée par Eva Green. Du siège de La Rochelle aux bas-fonds de Paris en passant par le Louvre, les spectateurs seront entraînés dans des cavalcades, duels et combats épiques.

Les comédiens donnent tout dans cette grosse production française qui devrait faire rêver petits et grands. Le casting, qui a dérouté certains, trouve dans ce second opus toute sa justification. François Civil, jeune d’Artagnan fougueux et séducteur, devra écouter son cœur pour départager les deux belles du film : Milady et la charmante Constance (Lyna Khoudri). Les Mousquetaires, chacun dans leur style, sont attachants.

Vincent Cassel torturé et secret, Romain Duris enjôleur et Pio Marmaï bagarreur et bon vivant. Le roi est toujours interprété par le très étonnant Louis Garrel (presque le ressort comique du film…) et parmi les nombreux seconds rôles, notons la présence dans le premier volet de Raynaldo Houy Delattre, comédien d’origine audoise qui interprète Rochefort, un des sbires du cardinal Richelieu.

Et si vous voulez vous remettre le début de l’histoire en tête avant de rejoindre Milady, vous avez la possibilité de revoir la première partie sortie en vidéo chez Pathé dans des éditions riches de nombreux bonus.

Film de Martin Bourboulon avec François Civil, Eva Green, Pio Marmaï, Vincent Cassel, Romain Duris, Louis Garrel, Lyna Khoudri

jeudi 28 décembre 2023

BD - Undertaker retrouve Rose

Autre dessinateur de western qui vaut largement ses grands anciens : Ralph Meyer. Installé à Barcelone depuis quelques années, il poursuit les aventures graphiques de Jonas Crow, l’Undertaker ambulant, un croque-mort qui se déplace de ville en ville avec son corbillard et son animal de compagnie si symbolique : un vautour.


Jonas qui déprime sérieusement. Il a perdu la trace de la femme qu’il aime, Rose Prairie. Quand il reçoit une lettre de la petite d’Eaden City au Texas, signée de sa belle, il reprend espoir. Patatras, si Rose a disparu, c’est pour retrouver… son mari, Mister Prairie, médecin. Et si elle a besoin de Jonas, c’est pour une sépulture particulière : celle du bébé d’une femme qui veut avorter.

La première partie de ce nouveau cycle toujours écrit par Xavier Dorison plante le décor : Texans arriérés, folie religieuse, envie de lynchage. L’Ouest sauvage légendaire, celui où les armes font office de code civil.

« Undertaker » (tome 7), Dargaud, 64 pages, 16,95 €

Sur Netflix, très inquiétant “Le monde après nous”

Netflix lance une nouvelle mode. Après les films de Noël, la plateforme propose en fin d’année le film pessimiste. Il y a eu Don’t look up, voici Le monde après nous sur la fin du monde civilisé connu.

On retrouve au scénario et à la réalisation Sam Esmail (Mr Robot) et le couple Obama à la production. Côté distribution c’est du haut niveau aussi : Julia Roberts, Mahershala Ali, Ethan Hawke…

Tout commence par un week-end idyllique. Amanda et Clay louent une superbe villa près de New York, isolée dans des bois. Rapidement, internet est coupé. Que se passe-t-il ? Ils se posent encore plus de questions quand le propriétaire débarque en pleine nuit. Commence alors un long cauchemar sur l’effondrement de la civilisation américaine et ses conséquences.

Réaliste et très inquiétant.

mercredi 27 décembre 2023

Récit - Les Pyrénées, solitude et quiétude à retrouver dans « Journal d’une montagne » de Rémi Huot

Une année seul dans la montagne pyrénéenne vers le pic de Madres. Rémi Huot livre son « Journal d’une montagne », écrit dans un abri inconfortable, un simple orri en pierre sèche.


Écrivain voyageur, Rémi Huot, installé dans les Aspres depuis quelques années, a voulu écrire un livre plus statique après sa quête de l’ours (Dans les forêts de l’ours) et son cheminement en Bretagne (À fleur d’eau). Il a donc décidé de raconter une année en montagne. 12 mois à réfléchir, seul, sur le monde et la nature, depuis un simple « orri » (abri de pierre sèche utilisé antan par les bergers en estive) près de Nohèdes dans les Pyrénées-Orientales mais avec vue sur les sommets d’Ariège et de l’Aude.

Un défi physique et intellectuel qu’il présente dans les premières pages : « Comptant les nuits et contemplant les jours, je souhaite rester ici des mois durant et témoigner de la valse des saisons ; pour sentir à plein corps les durs froids de l’hiver, les sévères radiations de l’été, les pluies d’automne et les vents printaniers. »

Quatre saisons, une montagne 

Pour raconter ces quatre saisons, Rémi Huot est régulièrement monté à « son » orri, pour grelotter les nuits hivernales sur « le sommier de glace », admirer les étoiles les nuits estivales, écouter les oiseaux revenus au printemps. Le texte est découpé en quatre parties, comme autant de saisons.

Avec ses particularismes, comme si au fil des mois le décor, la vie, changeait du tout au tout. Avec une constance, la solitude et la quiétude. États amplifiés par une volonté de dépouillement comme pour s’opposer à la société civilisée de surconsommation.

Un sentiment que l’auteur tente de partager avec son lecteur à travers des réflexions aussi simples que touchantes : « Je ne me sens pas coupable d’être heureux d’un rien. Je me sens responsable d’être malheureux avec beaucoup. Un reste de solitude et une moitié de couleur dans le ciel conviennent à la liberté. »

Dans sa montagne, Rémi Huot en profite pour admirer les animaux. Les oiseaux notamment, lui qui a une formation d’ornithologue. Il part à la recherche des nids d’aigles, admire les traquets motteux qui s’activent pour nourrir les petits « de chenilles vertes ou d’un bourdon aux jolies rayures jaunes », tente de comprendre une « phrase vieille comme le monde » qu’un troglodyte éructe derrière son oreille droite, constate le départ des premiers migrateurs, les martinets.

Observateur de la nature préservée des hommes, Rémi Huot est tel un Thoreau moderne qui lui a raconté sa vie dans les bois. Pourtant la présence humaine n’est pas rare dans cette montagne. En été il croise des chasseurs, des randonneurs et se désole de l’arrivée de « six cents personnes, réunies dans la forêt de Lapazeuil pour vivre en communauté, le temps d’une lunaison, et pour trouver une harmonie avec le monde naturel. » Un camp fait de yourte et de tipis qui perturbe le « domaine vital d’un couple de chouettes Tengmalm. » Un des participants est pourtant fier de la grandeur du campement. L’auteur a parlé avec lui. Sans plus. « Je n’ai pas osé lui répondre que la grandeur que je cherche dans les montagnes déteste la popularité, et qu’une forêt populaire est une forêt en danger. »

Alors pour préserver ces secteurs magiques, on ne peut que vous conseiller de n’y aller qu’avec parcimonie. Mieux vaut, au final, vivre la nature par procuration tant qu’il existe des plumes talentueuses comme celle de Rémi Huot.

« Journal d’une montagne » de Rémi Huot, Le mot et le reste, 232 pages, 21 €.

mardi 26 décembre 2023

BD - Bouncer à l’épreuve

À la fin du précédent album, le lecteur a laissé le Bouncer, ce manchot taciturne, presque heureux et apaisé. Il riche, a des amis, une femme qu’il aime et une affaire prospère à Barro City. Mais c’est mal connaître Jodorowski, le scénariste, qui va rapidement apporter du noir dans ce tableau enchanté. Cela arrange Boucq, le dessinateur, qui excelle quand la tension est au maximum.

Les problèmes arriveront par l’intermédiaire de l’or ramené du Mexique. L’armée américaine vient le récupérer. Un détachement commandé par le colonel Carter, héros de la guerre, reconnaissable grâce à son œil de verre. Ensuite tout s’enchaîne rapidement. La fièvre de l’or…

Bouncer va voir la mort frapper tout ce qu’il aime.

Le titre de ce 12e album, Hécatombe, est tout sauf mensonger. Une histoire au long cours, de 144 pages, planches d’une grande beauté et expressivité signée par un François Boucq qui est depuis quelque temps au niveau des plus grands, de Giraud à Hermann.

« Bouncer » (tome 12), Glénat, 144 pages, 24,95 €

Cinéma – “L’innocence” des enfants incompris

Un des meilleurs films de 2023 sort entre les fêtes. "L’Innocence" de Kore-eda est un drame sur l’enfance incomprise.

À ceux qui doutent que le cinéma puisse être considéré comme un art à part entière, on ne peut que conseiller d’aller voir un film de Hirokazu Kore-eda pour s’en persuader. On peut débuter par Une affaire de famille, palme d’or à Cannes en 2018. Mais le plus simple reste de profiter de la sortie en salles ce mercredi de L’innocence, sa dernière réalisation, pour pénétrer dans son monde, sa magie cinématographique, sa rigueur scénaristique et ses allégories.

Un film qui n’a remporté « que » le Prix du scénario à la dernière édition de la grand-messe du cinéma sur la Croisette. Récompense plus que justifiée tant la construction du long-métrage est parfaite, exemplaire, sorte de bréviaire que l’on devrait montrer dans toutes les écoles de cinéma.

Le film est découpé en trois parties autonomes, trois fois la même histoire, mais vue par différents protagonistes : la mère du jeune Minato, le professeur Hori puis enfin le regard conjugué de Minato et son ami écolier, Eri. Trois pièces d’un même puzzle qui joue sur les apparences, l’incompréhension, le secret et la honte.

Comme une fresque sur toutes les difficultés rencontrées par deux jeunes garçons dans une école japonaise gangrenée par le harcèlement et la volonté de sa direction pour conserver sa bonne réputation. Le spectateur qui ose se laisser emporter par le récit se trouve ballotté entre plusieurs hypothèses avant tout remettre en ordre… et se retrouver encore plus déstabilisé par une fin plus qu’ouverte. Du grand art dans la construction, mais jamais gratuit, toujours au service du propos.

Premier point de vue, celui de Saori (Sakura Andô), mère de Minato (Soya Kurokawa). Elle élève seule ce gamin de plus en plus renfermé. Le père est mort dans un accident. Quelques détails vont alerter la maman inquiète. Minato a perdu une chaussure, s’est coupé les cheveux, seul dans la salle de bains ou a mis de la boue dans son thermos d’eau. Quand il revient blessé, elle se persuade que c’est son professeur, Hori (Eita Nagayama), qui le malmènerait en classe. Elle va tout faire pour qu’il soit renvoyé.

Deuxième acte avec le ressenti du fameux professeur. Un homme solitaire et romantique. Amoureux d’une hôtesse de bar, il est très attentif aux enfants dont il a en charge l’éducation. À plusieurs reprises, il prend la défense du jeune Eri (Hinata Hiiragi), le souffre-douleur de la classe. Minato ne serait pas le dernier à profiter de sa faiblesse. Obligé d’avouer des violences fictives, Eri va sombrer avant de tout comprendre.

C’est la fameuse troisième partie du film, celle qui va scotcher le spectateur dans son fauteuil, incrédule face à cette vérité qu’il n’a jamais envisagée. Un film coup de poing sur l’amitié secrète et incomprise entre deux enfants différents, dont la fin va longtemps hanter notre imaginaire.

Film japonais de Hirokazu Kore-eda avec Sakura Andô, Soya Kurokawa, Hinata Hiiragi, Eita Nagayama

Thriller - Apprenties romancières piégées dans « La Reine du noir »

 Une romancière célèbre, un vieux manoir, cinq jeunes autrices ambitieuses : cocktail parfait pour un thriller littéraire d’exception signé Julia Bartz. 


À l’heure de la grande révolution woke, certaines romancières ne se posent plus la question. Un personnage masculin dans mon roman ? Totalement superfétatoire ! Ainsi pas l’ombre d’un homme dans les protagonistes essentiels de La Reine du noir, roman de Julia Bartz.

La narratrice, Alex est une jeune New-yorkaise rêvant de faire carrière dans l’édition. Elle survit avec un petit emploi, mais rêve de grand roman, de tirage faramineux et de célébrité mondiale. Comme son idole, Roza Vallo. Al, désespérées souffre du syndrome de la page blanche après une grosse brouille avec sa meilleure amie, Wren. Tout pourrait changer quand les deux apprenties romancières sont sélectionnées, avec trois autres filles, à une retraite d’un mois dans le manoir de Roza, pour écrire un roman tout en bénéficiant des conseils de la romancière. Mais quand elles se retrouvent isolées dans cette région montagneuse, coupées du monde par d’importantes chutes de neige, le rêve se transforme en cauchemar.

Ce thriller, teinté de fantastique, met les femmes en avant. mais il y a forcément dans le lot des « méchantes » pour amener la tension dans le récit. Des femmes qui selon l’autrice doivent trouver les ressources pour se libérer : « Quand on était une femme, on avait une tâche à accomplir, qui consistait à feindre d’apprécier tous ceux qui vous piétinaient en vous laissant des marques sur le visage. Mais ici, dans ce cachot souterrain… les règles habituelles ne s’appliquaient pas. Ici-bas, les femmes pouvaient être aussi franches qu’elles voulaient. »

Un premier roman très réussi, avec une variation de styles et d’ambiance prometteurs.

« La Reine du noir » de Julia Bartz, Sonatine, 448 pages, 24,50 €