samedi 20 mai 2023

BD - Sarah, fille de Marseille


Sarah doit avoir une petite voix intérieure. Mais elle n’intervient pas dans cet album très moderne de Lili Sohn (scénario) et Elodie Lascar (dessin). Sarah a 35 ans, vit à Marseille, gagne sa vie en faisant des livraisons à vélo, passe ses nuits à faire la fête avec des amies, des filles célibataires comme elle ou des couples gays. 

Un peu ronde, croquant la vie par tous les bouts, elle semble pourtant aussi malheureuse que Fleur. Car Sarah rêve de trouver l’amour, le vrai, de dormir contre son corps, voire d’avoir des enfants comme l’espèrent ses parents.


Ce roman graphique, aux dessins modernes (gros traits noirs, aplats de couleur rose), raconte aussi la vie à Marseille. Entre délire dans les lieux nocturnes et lente cuisson au soleil sur les plages en bord de Méditerranée. Une dérive sans fin jusqu’à la rencontre qui va tout changer. 

Un récit où le hasard fait bien les choses. Surtout si, comme Sarah, on sait lâcher prise, oublier ses préjugés et oser le grand saut en avant.
«Sultana», Steinkis, 22 €

vendredi 19 mai 2023

BD - Une Fleur qui entend une voix

Fleur entend des voix. Exactement une voix, la sienne, qui lui conseille de reprendre sa vie en main. Fleur est une jeune femme de nos jours, la célibattante qui donne l’impression d’être bien dans ses baskets. Mais qui en réalité souffre de cette existence qu’elle ne semble pas avoir choisie.

Ce portrait de femme est criant de vérité. Sans doute car au scénario on trouve Manon, elle-même jeune et active. Le dessin est assuré par son compagnon, Greg Blondin, dans un style mêlant astucieusement joli trait franco-belge et composition des planches à la japonaise. Fleur est encore couvée par ses parents. Ils lui ont trouvé un travail. Travail insipide et dévalorisant, avec collègues méchants.


Bref, le lundi matin, c’est le début du calvaire. Après un week-end déprimant, seule dans son petit appartement avec son chat, grosse boule de poils qui ne fait que des bêtises. Il y a bien les copines. Mais certaines sont toxiques, d’autres moins présentes. Quant aux amours… Fleur est très hésitante. Elle a découvert que son petit ami la trompait. Elle a donc rompu. Mais semble depuis regretter.

Quand la petite voix se fait plus forte et finalement prend la forme d’une jeune femme éthérée qui flotte au-dessus du parquet et qui répond au nom de Line, Fleur croit devenir folle. Mais finalement elle va accepter la situation et à contrecœur mettre en pratique les petits conseils donnés par cette autre elle-même. Il y a beaucoup d’humour et de tendresse dans ce récit qui pourtant s’apparente parfois aux livres de développement personnel. Un premier tome copieux (136 pages) prometteur. On attend avec impatience la suite de l’évolution de Fleur et de son dialogue avec Line, sa petite voix intérieure.

 «(Dé)rangée», Bamboo, 17,90 €

jeudi 18 mai 2023

Thriller - « Roches de sang », la violence en Corse racontée par Olivier Bal

Olivier Bal quitte les USA de son héros récurrent Paul Green pour l’Europe. "Roches de sang", un thriller entre Londres, La Haye, la Suisse, Belgrade et la Corse en bouquet final.


Excellent pour raconter l’Amérique contemporaine, Olivier Bal se révèle encore meilleur pour décrire cette terrible histoire de vengeance à travers les décennies et l’Europe. Un auteur qui ne cesse d’étonner par sa capacité à se renouveler et à aborder tous les genres avec brio.

Roman gigogne, Roches de sang propose deux récits en parallèle. Un premier se déroule l’été 1993 en Corse et suit les retrouvailles des frères Biasini, le second est contemporain et va de Londres à Belgrade en passant par La Haye, siège d’Interpol où travaille Marie Jansen. En 1993, Ange Biasini, en rupture familiale, tente de se faire oublier sur le continent. Mais les démêlés de sa famille avec la pègre ruinent ses envies de discrétion. Pour aider Théo, son jeune frère aux prises avec un parrain local, Venturi, Ange revient donc en Corse. 

Pour un dernier coup tonitruant. Avec ses amis d’enfance, il va braquer des yachts de luxe. Cette partie du roman, la plus copieuse, plante le décor de ce qui va devenir une tragédie et entraîner cette vengeance sanglante des années plus tard. Entre les deux frères, traumatisés par les violences du père, assassiné par un inconnu quelques années plus tôt, c’est une histoire compliquée qui se noue. L’un veut protéger l’autre qui cherche de son côté à se valoriser. Des non-dits qui vont entraîner leur chute.

Le destin des frères Biasini 

Mais avant de connaître le dénouement de 1993, le lecteur est régulièrement replacé dans notre époque contemporaine. Marie Jansen, policière à Interpol, cherche à faire tomber Horvat, un riche gangster serbe. Mais alors que le piège se referme sur ce monstre de cruauté, il est retrouvé mort dans son appartement luxueux. Douze coups de couteau et la gorge tranchée. Avec en plus un message sur les murs. Une phrase en corse qui dit : « Que ma blessure soit mortelle ». 

Quel rapport entre le Serbe et la Corse, qui est ce tueur invisible ? Marie, sans doute le personnage le plus torturé du roman (elle est jeune maman mais n’a aucune fibre maternelle et délaisse son mari au profit de son enquête), va suivre la piste de l’assassin en Suisse et en Serbie. Pour finalement se retrouver en Corse, là où des années auparavant les frères Biasini ont vu leur destin basculer.

Un thriller très réaliste, qui plonge le lecteur dans cette mafia corse si particulière, entre tradition à respecter, honneur à préserver et intransigeance mortelle. Le roman aborde aussi quelques thèmes typiques de notre époque comme la spéculation immobilière, la traite des êtres humains ou la corruption qui gangrène la société. Reste les doutes de Marie et surtout l’amitié fraternelle indestructible entre Théo et Ange, malgré les erreurs et mauvaises décisions de l’un comme de l’autre.

« Roches de sang » d’Olivier Bal, XO éditions, 21,90 €

mercredi 17 mai 2023

Cinéma - Toutes les horreurs, de l’Espagne au Japon, en DVD

Parfois plus convaincants que les grosses productions américaines, les films d’horreur espagnols et japonais sortent du lot. Faites-vous peur avec les versions vidéo de The communion girl et de Dark Water.


The communion girl.
Dans un petit village près de Tarragone en Catalogne, une légende prétend qu’une jeune communiante erre dans la campagne. Si vous la voyez, vous êtes maudit. C’est ce qui arrive à Sara (Carla Campra). Un film d’horreur signé Victor Garcia sur base de religion, de maltraitance et de rejet de l’étranger. Si le début du film est tout dans l’ambiance, avec image vintage (l’action se déroule à la fin des années 80), la suite se permet quelques effets spéciaux dont une communiante très effrayante. Une belle surprise, sortie directement en vidéo chez Wild Side.


Dark Water.
The Jokers ressort dans de superbes éditions collector les trois plus célèbres films d’horreur japonais contemporains : Audition (1999) de Takashi Miike, Ring (1998) et Dark Water (2002) de Hideo Nakata. Si les trois s’avèrent indispensables et n’ont rien perdu de leur capacité à filer une trouille terrible, on avoue une petite préférence pour le dernier cité. Cette histoire d’une mère en instance de divorce et sa fille qui échouent dans un immeuble qui va s’avérer bien pire que juste vétuste et humide, est non seulement un sommet absolu d’angoisse mais aussi un mélodrame remarquable !



 

Des lapins au centre de la Terre

Adapter le roman Voyage au centre de la Terre de Jules Verne en bande dessinée est une gageure. Encore plus quand on décide comme Rodolphe et Patrice Le Sourd que les personnages auront l'aspect de lapins. C'est pourtant ce que proposent les auteurs dans le premier tome de cette BD d'aventures. La tramer du roman est conservée. Une expédition, un savant, sa fille déguisée en garçon et une longue descente vers les entrailles de notre planète. Le premier tome semble un peu lent. 



En fait il ne se passe pas grand chose... Mais cela reste passionnant grâce aux dessins de Le Sourd. Il excelle dans ces compositions aux multiples hachures, telles des gravures d'époque. Et ses lapins sont adorables. Vivement la suite. Pour l'action. Les rencontres. 

"Voyage au centre de la Terre" (tome 1/2), Delcourt, 48 pages, 11,50 €

mardi 16 mai 2023

Essai - "Dans la peau d’un dinosaure" de Jean Le Loeuff, directeur du musée d’Espéraza


Créateur du musée des dinosaures à Espéraza dans l’Aude, Jean Le Loeuff est un paléontologue éclairé. Dans ce livre riche et divertissant, il met ses connaissances au service des lecteurs curieux.
On apprend des foules d’anecdotes sur le quotidien des dinosaures. On découvre ainsi que les ampelosaurus ou dinosaure du vignoble, qui vivaient dans l’Aude, ne savaient pas dire non. Exactement, ils étaient incapables de tourner la tête de droite à gauche.
Leur cerveau ne leur permettait que de l’incliner de haut en bas. Ce sont des centaines d’informations de ce style qui composent ce livre doté d’une version en réalité augmentée.

« Dans la peau d’un dinosaure » de Jean Le Loeuff, Humen Sciences, 19,90 €

lundi 15 mai 2023

BD - Deux futurs oppressants dans Demain


Si l’on retrouve toujours la signature de Léo et Rodolphe dans cette nouvelle série de SF, elle est cependant un peu différente. Plus pessimiste et oppressante.
Il y a bien de grands animaux (des vers géants qui colonisent la Méditerranée polluée), mais ce sont surtout les hommes et leur violence qui marquent dans le second tome de Demain, dessiné par Louis Alloing.


Dans un des deux futurs, Fleur est capturée par des pirates et revendue comme esclave sexuelle. Un soldat la sauvera au dernier moment. Dans l’autre futur, où Jo, jeune étudiant, rêve de Fleur, tout paraît trop beau pour être vrai. D’un côté l’anarchie et la mort, de l’autre l’enfermement et l’aliénation.

Deux futurs peu engageants pour une série qui fait réfléchir.

« Demain » (tome 2), Delcourt, 13,50 €

dimanche 14 mai 2023

BD - Hollywood, entre rêve et réalité

Ne jamais croire ce qui est montré dans les films américains. Cette usine à rêves dissimule une réalité souvent moins flatteuse. Zidrou la raconte dans des histoires courtes se déroulant dans le Hollywood des années 50. Maltaite se charge de la dessiner dans ce style à cheval entre un réalisme sans faille et des gueules caricaturales.

On croise dans ce premier recueil de récits parus dans Fluide Glacial une starlette un peu désespérée, persuadée que cette fois c’est la bonne elle va prendre son envol vers la gloire, un ancien cascadeur reconverti dans le hot dog et une jeune comédienne, d’origine asiatique, qui sera enfin filmée en gros plan.
De l’humour très noir qui frappe toujours là où ça fait le plus mal.

« Hollywoodland » (tome I), Fluide Glacial, 13,90 €

samedi 13 mai 2023

BD - La vie en France décortiquée par une dessinatrice coréenne


Étudiante coréenne passée par les universités françaises, Silki a décidé de rester en Europe et d’y faire sa vie. Privée, artistique et professionnelle. Son trait rond et expressif fait des merveilles tous les matins tous les jours à 7 h 07 quand est mise en ligne une petite BD digitale sur Instagram dans la zone de Mâtin, la revue numérique des éditions Dargaud. Des récits complets repris dans l »album Kimchi baguette.


C’est plus que de l’autofiction. Silki raconte comment elle perçoit la France, les Français, notre vision des Asiatiques, des femmes. C’est édifiant, parfois inquiétant tant nous sommes arriérés, mais aussi rassurant car Silki n’entend pas quitter notre pays même si parfois la Corée lui manque un peu.

Dans les thèmes abordés, très diversifiés, on apprend comment le nouvel an est fêté en Asie, pourquoi les tétons des femmes posent problème ou en quoi, les micro-agressions racistes de tous les jours sont aussi graves que les gros dérapages. Et puis il est question de gastronomie. De baguette (le pain français), de baguettes (les instruments pour manger) et de kimchi, ces condiments typiquement coréens qui sont aussi une bonne occasion de se retrouver entre amis à éplucher des légumes.
« Kimchi baguette », Mâtin Dargaud, 19 €

vendredi 12 mai 2023

BD - La dernière œuvre d’un animateur


Ce roman graphique de Juanungo est un hommage indirect à son père. Ce dessinateur d’origine argentine mais installé en France, raconte les derniers mois d’un animateur. Pas de ceux qui font le show dans les galeries commerciales mais ces artistes de cinéma qui transforment des images fixes en films remplis de vie et de poésie. Neno, spécialisé en stop motion (animation en prise directe où il faut des milliers d’images de marionnettes pour quelques secondes exploitables), est atteint d’un cancer.

La médecine n’a plus d’espoir. Il vit ses dernières semaines. Très affaibli. Sa famille décide d’embaucher un infirmier pour s’occuper de lui, notamment le soir et la nuit. Voilà comment un presque gamin plein d’empathie mais encore peu sûr de lui débarque chez le vieil artiste irascible.


Sur plus de 250 pages Juanungo raconte avec tendresse la connexion qui va se mettre en place entre Neno et l’infirmier. Ce dernier va aider le cinéaste à réaliser son dernier film, une publicité montrant une lingette nettoyer seule une cuisine du sol au plafond. En plus des scènes purement psychologiques ou médicales, on en apprend beaucoup sur la réalisation des films d’animation. On a même droit en fin d’album à un flipbook d’une centaine d’images de la danse finale de la lingette. Beau et émouvant.

« L’animateur », Delcourt, 19,99 €