lundi 28 mars 2022

BD - Flic rancunier et "Last detective"


Un comics chilien publié chez Drakoo. L’édition BD sait s’adapter pour donner une chance à un album de qualité. 

The last détective de Borges et Alvarez est une histoire complète se déroulant en New Amazonia dans un futur lointain. 

La police est renforcée par des humanoïdes. Et de nouvelles drogues font des ravages. C’est dans ce cadre que Joe Santos, ancien flic retiré dans la jungle, reprend du service pour tenter de coffrer, 20 ans après une vaine tentative, un dealer d’une extrême dangerosité.

« The last détective, Drakoo, 15,90 € 

BD - L’autre Quasimodo


Ambitieuse série historique écrite par Philippe Pelaez et dessinée par Eric Stalner. Le Bossu de Montfaucon imagine la suite des aventures de Quasimodo. Dans la France très divisée de Charles VIII, le « presque roi », un certain Pierre d’Armagnac, noble déchu, se rend au gibet de Montfaucon et sauve d’une mort certaine le bossu imaginé par Victor Hugo. 


Le duo, quelques années plus tard, se mettra au service de Louis d’Orléans pour tenter de récupérer le trône de France. La trouvaille de la série est de se faire croiser Quasimodo et Jeanne la Boiteuse, épouse de Louis d’Orléans. Le monstre et la paria. Tout pour une histoire d’amour peu ordinaire. 

« Le bossu de Montfaucon » (tome 1), Bamboo, 14,90 €

dimanche 27 mars 2022

Thriller - Cauchemar sur l'île d'Oléron

Les romans de Jérôme Camut et Nathalie Hug explorent depuis de nombreuses années les côtés les plus sombres de l’âme humaine. Dans leur dernière histoire, Nos âmes au diable, le couple va encore plus loin dans l’abomination. Une histoire de petite fille enlevée, mais vue par le prisme de la souffrance de la mère.

Sur l’île d’Oléron, en juillet, Sixtine se prépare à aller faire de la voile en compagnie de son ami Jérémy. Sixtine a dix ans et avant de rejoindre le club de voile, elle décide d’aller une nouvelle fois se faire peur, seule, en tentant d’explorer ces bunkers abandonnés près des plages de l’île charentaise. Quelques heures plus tard, Jeanne, la mère de Sixtine, en pleine réunion de travail à Paris (elle est rédactrice dans une agence de publicité), reçoit un appel de son mari : « Sixtine a disparu ». Fugue, accident ou enlèvement ? Les premières heures, racontées avec détail par les auteurs, plonge le lecteur dans ce cauchemar absolu pour une maman. Sans nouvelles de sa fille, elle imagine le pire. Puis reprend espoir. Et rechute. Le lecteur, lui, sait que Sixtine est vivante car entre les chapitres où Jeanne raconte à la première personne son calvaire, des textes très courts racontent le quotidien de la petite fille, enfermée dans une pièce obscure, affamée, terrorisée. Des passages où les deux romanciers ont poussé très loin le curseur de l’horreur. Qu’y a-t-il de pire que la détresse d’une fillette persuadée qu’elle ne reverra plus jamais ses parents et qu’un ogre va lui faire du mal ?   

Un mince espoir

Une première partie très déstabilisante, oppressante, captivante aussi. Et puis tout bascule. Le short ensanglanté de Sixtine est retrouvé près de la maison un ancien délinquant sexuel. Il avoue son crime, explique avoir jeté le corps de Sixtine à la mer… Désespérée, Jeanne tente de retrouver une vie normale. Retourne au travail, constate que ses collègues ont changé d’attitude : « J’en ai vu se précipiter aux toilettes pour éviter d’avoir à me croiser, d’autres répondre à des coups de fil imaginaires, ou s’enfermer dans leur bureau. C’est dur à affronter, le chagrin des autres. Face à lui, on est démuni, on est lâche. Souvent. Presque toujours. » La vie de Jeanne part à vau-l’eau. Elle démissionne, divorce, trouve un peu de réconfort auprès d’une association de famille de victimes. 

Mais l’espoir n’est plus là. Même si le corps de Sixtine n’a jamais été retrouvé. Jusqu’à ce jour de Noël où Jeanne reçoit un dessin de sa petite fille. En quelques lignes, les auteurs remettent toute l’affaire à plat, le lecteur tente de comprendre avec Jeanne qui s’accroche à cette piste. Le thriller devient polar. Jusqu’à un nouveau rebondissement qui éprouve un peu plus les nerfs de Jeanne. Un roman dur, sans rémission, multipliant les coups de théâtre pour une fin indicible.  

« Nos âmes au diable » de Jérôme Camut et Nathalie Hug, Fleuve Noir, 19,90 €


Roman - Jean-Noël Pancrazi de retour au pays redouté

Une plaie d’enfance met toujours plus de temps à se refermer. Pour Jean-Noël Pancrazi, il lui a fallu des décennies pour raconter ces quelques années passées dans les Pyrénées-Orientales. Il les a rebaptisées Les années manquantes, comme s’il avait en partie cessé d’exister durant cette période bouleversée. 

Dans ces années 60, les parents du petit Jean-Noël, après avoir quitté l’Algérie, décident d’y retourner. Mais par prudence décident de laisser leur fils en métropole. Pas dans la famille corse du père mais celle, catalane de la mère, « le côté catalan l’emportait déjà - ce côté rêche, plus sévère, plus dur, comme s’il fallait toujours lutter contre la tramontane, résister à ses rafales, avec les corps comme forgés pour dominer le vent, la sécheresse orgueilleuse des traits pareille à celle des ceps de vigne, dressés, nus, impeccables, l’hiver. » Jean-Noël découvre alors l’immense et silencieuse maison de sa grand-mère Joséphine. 

A Thuir, pas loin de cet asile des fous qui va marquer la famille. La première partie du roman est un long portrait de Joséphine, femme très pieuse, comme figée dans un passé, incapable d’aimer ce petit-fils venu d’Algérie et qu’elle découvre. Paradoxalement, ce portrait au vitriol d’une femme aux mains dévorées par l’eczéma, se révèle être un superbe hommage. Et une fois morte, le petit Jean-Noël la regrettera. Encore plus quand il devra vivre les cris et les pleurs du divorce de ses parents dans un appartement de Perpignan. Un second traumatisme associé à ce département, cette ville qui fait écrire au romancier : « Il me faudrait des années et des années avant de revenir à Perpignan. » Depuis, les relations se sont apaisées et ce livre, à l’écriture fulgurante, prouve que les pires épreuves peuvent se transformer en œuvre d’art.

« Les années manquantes » de Jean-Noël Pancrazi, Gallimard, 12,50 € 

samedi 26 mars 2022

Thriller - La secte danoise

Nombre d’horreurs sont commises au nom de Dieu. La preuve une nouvelle fois dans ce thriller nordique de Michael Katz Krefeld. L’auteur danois propose un 3e roman autour de son personnage récurant de flic déchu. Ravn a basculé dans la presque folie quand un cambriolage a mal tourné. Sa compagne a été tuée. Depuis il a quitté la police de Copenhague et vivote sur son bateau à mener de petites enquêtes pour un ami avocat. 

Quand un grand patron le contacte pour qu’il retrouve son fils, il voudrait décliner mais les problèmes financiers le poussent à accepter. Il va se retrouver plongé dans un monde abominable. Car le fils du millionnaire est devenu grand maître d’une secte particulièrement sordide.

« La secte » de Michael Katz Krefeld, Actes Sud, 23 €

Cinéma - Portrait de la jeune fille en vol qui n’en a “Rien à foutre”


Elle plane. Très haut. Toute la journée. La vie de Cassandre (Adèle Exarchopoulos) a tout du rêve. Hôtesse de l’air, elle peut voir dans la même journée, trois pays, la neige et la plage ensoleillée. Mais ce qu’elle retient de ces longues journées harassantes ce sont surtout les tarmacs des aéroports et les mauvaises humeurs des clients de la compagnie low-cost qui exige prioritairement qu’elle vende le plus possible durant le vol. Cassandre, jeune fille un peu paumée, toujours en vol, au centre de ce portrait entre réalité sociale et tristesse intime écrit et réalisé par Emmanuel Marre et Julie Lecoustre. 

Redescente

Lèvres rouge écarlate, yeux maquillés avec application, Cassandre sait aussi sourire quand il faut. Mais de plus en plus difficilement. Car ce qui au début s’apparentait au rêve éveillé (elle est basée à Lanzarotte aux Canaries et passe ses journées de repos à bronzer au bord d’une piscine et à faire la fête dans les boites de nuit) vire au cauchemar existentiel. La première partie du film, quasi un documentaire, raconte la vie des ces hommes et femmes exploitées par des sociétés qui grappillent partout pour offrir de confortables dividendes à leurs actionnaires. 

La seconde, montre Cassandre à terre, de retour chez son père, tentant de faire le deuil de sa mère, morte dans un accident. Exit l’uniforme et le maquillage, place au jogging et au naturel. Le film devient profond, émouvant et Adèle Exarchopoulos y prend un autre envol, artistiquement exceptionnel.

Film franco-belge d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre avec Adèle Exarchopoulos


vendredi 25 mars 2022

Roman - Cyril Massarotto : double rattrapage pas cher

Pour donner une seconde vie à ses titres, les éditions XO ont lancé une collection reprenant dans une version pratique et pas chère, quelques titres emblématiques. C’est ainsi que deux des romans de Cyril Massarotto, l’écrivain originaire des Pyrénées-Orientales, viennent d’être réédités chez Cléa en un seul volume. 

Retrouvez son premier roman, « Dieu est un pote à moi » datant de 2008 suivi du roman « Le petit mensonge de Dieu », suite indirecte parue en 2014. Une histoire truculente et romanesque dans laquelle le héros, âgé de 30 ans, amoureux d’Alice, a un copain peu commun : Dieu en personne.

« Dieu est un pote à moi »  de Cyril Massarotto, Cléa, 15,90 €  

Cinéma - “Viens je t’emmène”... loin


Certains réalisateurs français ont la particularité de former une école à eux seuls. Un style inimitable, un ton unique : Alain Guiraudie en une dizaine de films a trouvé sa voie. Mais la force de ces créateurs qui illustrent à merveille la fameuse « exception culturelle française », fait qu’ils parviennent en plus à se renouveler dans leur originalité. Viens je t’emmène est donc bien un film de Guiraudie, mais avec quelques nuances qui en font en plus une étrange comédie, entre réécriture du vaudeville et chronique de la vie provinciale en temps de guerre contre le terrorisme. 

Attentat et Vercingétorix

Un patchwork étonnant où l’on croise des hommes ou femmes souvent guidés par une seule idée ou leurs désirs les plus profonds. Médéric (Jean-Charles Clichet), personnage principal de cette histoire ayant pour cadre la ville très conventionnelle de Clermont-Ferrand, n’a d’yeux que pour Isadora (Noémie Nvovsky). Le premier est informaticien, la seconde prostituée. Ils ont 20 ans d’écart. Mais le jeune geek ne veut pas payer. Car il est amoureux d’Isadora. Il tente e la draguer et contre toute attente, cela marche. Mais une fois dans la chambre d’hôtel, le mari et proxénète débarque. Les bases d’un premier vaudeville déjà assez étrange sont posées. 

De retour chez lui, Médéric a pitié de Sélim (Iliès Kadri), un jeune SDF frigorifié devant sa porte. Il lui ouvre la porte, bien qu’il soit d’origine Maghrébine et que toutes les polices de la ville recherchent le dernier membre d’un commando qui a tué quatre personnes au pied de la statue de Vercingérotix. Sélim très attiré par Médéric et qui va tout faire pour lui plaire. Ce second arc amoureux dans le film va venir perturber le premier, déjà assez compliqué. Ensuite, tout va s’enchaîner entre violence cocardière, paranoïa et révélation sexuelle. Du pur Guiraudie qui sait si bien nous interroger sur notre société et ses apparences. 

Film français d’Alain Guiraudie avec Jean-Charles Clichet, Noémie Lvovsky, Iliès Kadri


jeudi 24 mars 2022

Cinéma - “Le temps des secrets”, fin d’enfance pour Pagnol

Léo Campion.  Photo Jean-Claude-Lother

La Provence de Marcel Pagnol a fait rêver tous les petits garçons de France. Il a raconté ses étés dans cette garrigue qui semble si proche de celle de nos régions méditerranéennes. Après l’adaptation des deux premiers volumes par Yves Robert dans les années 90, c’est Christophe Barratier (Les Choristes), qui s’attaque à la troisième partie, celle du Temps des secrets. La liaison avec les précédents films se fait avec la maison, exactement la même, conservée en état. On retrouve Marcel (Léo Campion), mais moins enthousiaste car son ami Lily doit travailler et son innocence d’enfant est en train de disparaître. Il va croiser la route de la belle Isabelle et découvrir avec de nouveaux yeux la vie des grands, son père (Guillaume de Tonquédec) ou l’Oncle Jules (François-Xavier Demaison). Une partie de l’intrigue se déroule aussi à Marseille, avec des quartiers entiers de la grande ville portuaire reconstitués en effets spéciaux. 

Un film qui devrait rappeler des souvenirs aux très nombreux lecteurs des romans d’origine. Une autobiographie qui a également été adaptée en bande dessinée aux éditions Bamboo supervisée par Nicolas Pagnol, petit-fils de l’écrivain et qui est également à la manœuvre pour le film. 

Film français de Christophe Barratier avec Léo Campion, Guillaume De Tonquédec, Mélanie Doutey, François-Xavier Demaison



De choses et d’autres - Feu la grande démission

Si tout ce qui se passe aux USA arrive, avec un peu de décalage, en France, je commencerais à me faire du souci, si j’étais patron d’une entreprise. Durant le confinement, beaucoup d’employés ont découvert les vertus de la vie en famille, d’autres ont compris combien leur travail est inintéressant.

Résultat, une fois ces mesures restrictives levées et que l’économie a repris, les entreprises US ont été frappées par ce qu’on a appelé le « Big Quit », autrement dit la « Grande démission ». Des millions de départs, soit pour simplement profiter de la vie, soit pour trouver un boulot plus valorisant, car une des critiques récurrente aura été de « ne pas avoir été bien traités par leur employeur pendant la crise sanitaire. »

Normalement, si les délais étaient respectés, la grande démission à la française devrait débuter en ce moment. Problème, entre-temps un certain Poutine a décidé de donner un sacré coup de main aux patrons français. Vu la conjoncture issue de la guerre en Ukraine, je sens que les futurs démissionnaires vont revoir leur copie et passer à la broyeuse la lettre où ils disaient leurs quatre vérités à leur « manager ».

Et si la situation économique continue à se détériorer, avec inflation galopante et pénuries récurrentes, la grande démission va se transformer en grande purge dans les effectifs. Peu de démissionnaires, mais beaucoup de « démissionnés ». Pour une fois, on ne va pas copier, bêtement, une mode venue d’Amérique. Même si, finalement, on aurait vraiment préféré suivre le mouvement initié de l’autre côté de l’Atlantique.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le mercredi 23 mars 2022