mardi 29 mai 2012

BD - Pilote Tempête, quand la BD de science-fiction était publiée dans les quotidiens français


On l'a oublié aujourd'hui mais durant de longues décennies, la bande dessinée avait droit de cité dans les quotidiens français. De Varly Edition, dans sa collection BDTrésor, propose un éclairage savant signé François Membre sur une de ces séries, aujourd'hui tombée dans l'oubli, mais qui a passionné des milliers de lecteurs de 1955 au milieu des années 70.
Pilote Tempête, Storm Pilot dans sa version originale néerlandaise, est l'oeuvre de J. Henk Sprenger. Il livrait quotidiennement un strip de trois cases avec un long texte descriptif en dessous. Cette matière première, publiées dans des dizaines de journaux en France et en Belgique, a été remaniée pour en faire des histoire complètes et cohérentes, avec simplement des bulles pour les dialogues.
Pilote Tempête sera le héros de la revue Spoutnik, des éditions Artima, durant 34 numéros de 1950 à 1960. La parution cesse plus par manque de matière première que par désintérêt du public. Spoutnik (comme Météor, son prédécesseur) est aujourd'hui très recherché par les collectionneurs de comics des années 50.
Le dossier de François Membre retrace toute la carrière de ce fougueux pilote de chasse, transformé en astronaute après son enlèvement par des extra-terrestres. Il vivra des aventures dans la plus pure tradition du space-opéra, avec monstres hostiles, bébêtes envahissantes et risque de destruction de la race humaine. Si les premiers épisodes font un peu penser à Flash Gordon, les suivants se démarquent en introduisant des personnages secondaires plus consistants et des intrigues plus humaines.
Les 50 pages sont richement illustrées de dessins extraits des strips de Sprenger. Un dessin réaliste très correct, loin des bandes bâclées servant souvent à boucher des trous dans des quotidiens peu exigeants.

« Pilote Tempête » de François Membre, De Varly édition, 20 euros

lundi 28 mai 2012

Billet - Quand trop de kitch tue le kitch à l'Eurovision...


Samedi soir, je me faisais une joie de regarder le concours de l'Eurovision, un œil rivé sur les piques caustiques des twittos. Et j'ai été déçu... Le second degré est délicat à manier. Pour se moquer d'un programme, encore faut-il qu'il ait un minimum de substance. Hélas, voilà bien longtemps que cette gigantesque foire de la chanson formatée touche le fond... sans en avoir. Comment se gausser des mamies russes ? Ou de la coiffure de la chanteuse albanaise ? Certains candidats s'avèrent déjà tellement ridicules dans le kitch qu'ils annihilent d'entrée toute critique.

En lisant les tweets sur l'Eurovision, je n'ai pas plus souri qu'en la regardant tout court. Pour être honnête, quelques réflexions sur les gymnastes de la chanteuse française Anggun ont fait mouche. « C'est les pompiers gymnastes qui sautent partout là ? Planquez les bouteilles de champagne » ironise @Nophie alors que @Goethe59 estime que la 22e place de la France (sur 29) c'est parce que « Nos gymnastes étaient trop habillés... Je vois que ça ! ». Anggun n'a récolté quasiment que des éloges. Le choix était bon, la chanson assez entraînante.
Mais selon la majorité des commentateurs, la défaite était inéluctable, notamment car en Europe « la France n'est pas aimée » regrette @Aurelie_Mallow. A la fin du concours, certains comme @NaMy_24 ont demandé le recours suprême : « Hollande devrait retirer les troupes françaises de l'Eurovision. »

(Chronique "ça bruisse sur le net" parue en dernière page de l'Indépendant ce lundi 28 mai)

dimanche 27 mai 2012

BD - Voir Biribi et mourir au centre du premier titre de la nouvelle collection "La grande évasion"


Alors que la nomination d'une nouvelle garde des Sceaux suspectée « d'angélisme » par la droite crée la polémique, la lecture de « Biribi », premier tome de la nouvelle série La grande évasion devrait remettre les pendules à l'heure. Certes on est plus laxiste actuellement, mais n'est-ce pas mieux que le sort réservé aux prisonniers au 19e siècle ? L'album, écrit par Sylvain Ricard d'après une histoire vraie et dessiné par Olivier Thomas fait froid dans le dos. Ange, souteneur Corse et soldat allergique à l'autorité, est condamné à passer quelques années dans le bagne de Biribi au cœur du désert marocain. Il va devoir tenter de survivre entre les brimades des gardiens et les humiliations des autres détenus. Mais Ange n'a qu'une obsession : s'évader. Il va longuement préparer son coup et tenter la grande traversée, sans eau ni vivres, en compagnie de trois autres parias. Une BD d'une rare dureté. Le Chaourch (chef du bagne) impose la règle des trois D : Discipline, discipline et discipline. Avec brimades à la clé à chaque désobéissance.

« La grande évasion » (Biribi), Delcourt, 14,95 €


Billet - Facebook a sa Camera au détriment de toute logique économique

Mark Zuckerberg avait un milliard de dollars à perdre. Il y a un peu plus d'un mois il annonçait avoir racheté Instagram, le logiciel de retouche et de partage de photos, pour cette somme astronomique. Hier, Facebook a officiellement dévoilé « son » propre logiciel, Facebook Camera. Il permet, à peu de choses près, de faire les mêmes opérations qu'avec Instagram. Donc, le réseau social qui vient d'être introduit en bourse a racheté très cher quelque chose qu'il avait déjà dans ses cartons... La logique sur internet est parfois déroutante.

Mais on ne manque jamais d'économistes en herbe sur le net. Et ce qui paraît une aberration financière à première vue peut être facilement expliqué. Première hypothèse, Facebook Camera n'a que peu de chance de s'imposer face à son prédécesseur. Autant anticiper l'échec et racheter la concurrence.

Autre version, Facebook Camera est un pur plagiat d'Instagram. Avant de perdre des plumes dans un procès, mieux vaut acquérir l'original pour éteindre tout risque de poursuites...

La dernière, la plus tordue : face à l'échec de l'introduction en bourse, faire diversion. Annoncer une nouveauté (même si cela n'en est pas vraiment une) permet de provoquer un contre-buzz. Au moins, tant qu'on parle de Facebook Camera sur les réseaux sociaux ou dans la presse, on ne parle pas du cours de l'action... A ce niveau, le tour d'entourloupe digne des pires politiciens est magistralement exécuté.

(Chronique ça bruisse sur le net" parue samedi 26 mai en dernière page de l'Indépendant) 

samedi 26 mai 2012

Billet - Le ridicule rend célèbre et peut rapporter gros

Depuis toujours, on peut devenir célèbre pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Un phénomène amplifié avec internet et ses milliers de possibilités de se faire remarquer. Régulièrement éclosent des « stars » éphémères. Juste le temps de nous faire sourire. Car ils sont ridicules et ils nous font rire. Ils sont anormaux face à notre normalité et cela suffit pour que, tels des moutons, on se précipite vers leurs pitoyables pitreries.

Joharno est très connu en Belgique. Joharno est un supporter du club phare d'Anderlecht. Il semble toujours à moitié ivre et annone ses réflexions brouillonnes et confuses, face caméra. Il pimente ses analyses footballistiques de quelques plaisanteries grivoises et sentences machos. Aujourd'hui, Joharno est le seul Belge à vivre du revenu de ses vidéos postées sur Youtube...

Dans le même style, en France, nous avons Jean-Pierre Herlant. Il a publié quantité de vidéos sur Youtube sur tout et n'importe quoi. Pas de mise en scène, juste un gros plan de lui avec à l'arrière l'entrée de son appartement encombré. Jean-Pierre est devenu célèbre quand un animateur radio s'est moqué de lui. Réponse immédiate de Jean-Pierre : « Arrêtez de triquiter mes vidéos. (Jean-Pierre, en plus de loucher et d'être myope, a un défaut de prononciation) Pourquoi que vous vous en faisez pas des vidéos au lieu de triquiter ? » Bilan, plus de 3 millions de vues. Tout le monde se moque de Jean-Pierre. Jean-Pierre s'en fout, il encaisse...


(Chronique "ça bruisse sur le net" parue le vendredi 25 mai en dernière page de L'Indépendant)

BD - « Sexe, désirs et petites contrariétés » c'est mieux que l'amour


Rien de tel que l'humour pour parler des choses de l'amour. Et pas le platonique, plutôt le trash, celui avec accessoires et secrétions. Pluttark explore toutes les déviances des pratiques sexuelles de ce siècle naissant. Des gags parus dans le magazine Fluide G, au dessin rond et coloré, en total décalage avec les situations parfois très extrêmes. Mais n'espérez pas vous rincer l'œil en feuilletant cet album. 

Les images sont très sages. Tout est dans les dialogues. Techniques de drague, comparatif de position, pratiques peu orthodoxes : l'auteur satisfait toutes les couches de la population, de la mamie (à la recherche d'un sextoy lui rappelant Jean Gabin), aux jeunes cadres dynamiques, pressés d'en finir avec leur compagnes pour mieux prendre leur pied en surveillant l'érection de la courbe de leurs dividendes... C'est moderne, souvent bien vu et tout le temps hilarant.

« Sexe, désirs et petites contrariétés », Fluide G. 13 € 

vendredi 25 mai 2012

BD - Tous azimutés dans le monde imaginé par Lupano et Andréae


Jean-Baptiste Andréae est un formidable dessinateur à l'imaginaire foisonnant. Si vous en doutez, plongez dans le premier tome de cet « Azimut », une série poético-merveilleuse écrite par Wilfrid Lupano. « Les aventuriers du temps perdu » se déroule dans un royaume où les lapins font de l'avion-stop, les oiseaux pondent des œufs métalliques et le roi est sous le charme de Manie, une ravissante jeune femme très attirée, elle, par l'argent. 

Un peintre, qui a croisé la route de Manie, va tout faire pour la retrouver. Il arrivera au bon moment, quand les juges suprêmes décident de condamner l'intrigante suspectée d'avoir dérobé le pôle Nord. Elle s'éclipsera en ôtant sa vaste robe (strip-tease gratuit où Andréae démontre sa parfaite maîtrise de l'anatomie féminine) pour la transformer en montgolfière. 

Avec une trouvaille par case, cette BD fait furieusement penser au monde de Lewis Caroll, avec une pointe de Moëbius dans le graphisme. A lire en se détachant de toute contingence matérielle et loin des réalités de la vraie vie, triste et grise.

« Azimut » (tome 1), Vents d'Ouest, 13,90 €


jeudi 24 mai 2012

BD - Fureur verte pour une jeune Allemande perdue en Amazonie


Tout est possible dans les confins de l'Amazonie. Par exemple croiser un sous-marin allemand rescapé de la seconde guerre mondiale. Il vogue sur un bras de l'Orénoque. A ses commandes, un ancien soldat et sa fille, Eva. 

On est dans les années 60, les Indiens sont de plus en plus chassés de leurs terres, les nouveaux propriétaires règnent par la terreur. Eva, malgré ses cheveux blonds et sa beau blanche, est plus à l'aise avec les sauvages que seule et désœuvrée dans les cales du navire aux lourdes odeurs de diesel. Mais elle rêve quand même de jolies robes et de rencontres avec des hommes distingués, ceux qu'elle admire dans les vieux Paris Match volés par son père. 

Dans ce cadre atypique et avec ces personnages hors normes, Jean-Louis Fonteneau déroule un récit qui de social et d'historique va dévier vers un fantastique pur et dur. Matteo Simonacci, au dessin, donne la pleine mesure à son art quand le surnaturel prend le pouvoir.

« Furya » (tome 1), Glénat, 13,90 € 

mercredi 23 mai 2012

SF - Des combats d'enfer dans "Butcher Bird" de Richard Kadrey

Une princesse aveugle, devenue tueuse, part au combat, en Enfer, avec le renfort d'un tatoueur qui n'en croit pas ses yeux.

A San Francisco, la normalité n'a pas la même valeur qu'ailleurs. Bouillon de culture sans cesse en ébullition, si vous allez dans un bar bien précis, vous pourrez peut-être y croiser Spyder. C'est le personnage principal de « Butcher Bird », roman fantastique déjanté de Richard Kadrey. Spyder est tatoueur. Il a une petit échoppe qu'il partage avec une amie, lesbienne et spécialisée dans les piercings.

Spyder ne va pas trop bien en ce moment. Il vient de se faire larguer par sa copine et pour oublier a un peu trop bu. Titubant, il va faire un tour derrière le bar. C'est là que tout va basculer. Un gros balèze agresse Spyder. Ce dernier tente de lui décocher un direct mais « son poing s'enfonça dans la face de l'inconnu, comme si sa tête avait été désossée. » La suite est encore plus incroyable. « Les traits de son agresseur se modifièrent. La peau sembla se plisser. Les yeux désormais globuleux finirent par exploser dans leurs orbites pour devenir noirs et miroitants de facettes. Ses lèvres parurent fondre pour s'étirer en un long tube agité de contractions. Des cornes incurvées et craquelées jaillirent des tempes et, pour couronner le tout, l'assaillant avait une haleine fétide. » Spyder n'en croit pas ses yeux. Une hallucination ?

Baston en Enfer

Il n'a pas réellement le temps de se poser des questions. Il est en mauvaise posture et sent sa dernière heure venir. Le cauchemar prend fin quand la tête de l'abomination se détacha du reste du corps... Pie-grièche et son sabre viennent d'apparaître dans le récit.

Cette tueuse vêtue de cuir est aveugle. Jeune et jolie, elle explique à Spyder qu'un Bitru (le démon à tête d'insecte) a tenté de l'assassiner. Spyder, bien qu'encore chancelant, lui rétorque avec pas mal de morgue qu'il ne croit pas aux démons. Il devra réviser son jugement dès le lendemain.

Son contact avec le Bitru lui a ouvert l'esprit. Le tatoueur peut désormais voir ce que le commun des mortels ignore. Nous ne sommes pas seuls. Tout un monde de monstres, démons, fantômes et autres bestioles bizarres cohabite avec les humains. La première partie du roman, délassante, presque comique, montre la descente aux enfers de Spyder. Il croit devenir fou, puis croise à nouveau la route de Pie-grièche. Cette dernière lui donnera les clés pour comprendre ce qui lui arrive. Elle, par exemple, est une princesse déchue. Elle est devenue tueuse de démons pour survivre. Elle vient d'ailleurs de recevoir une grosse proposition de travail de la part d'une certaine Madame Cendres. Séduite par cet humain déboussolé, Pie-grièche va l'emmener dans ses bagages. Spyder, expert en démonologie dans le cadre de son travail de tatoueur spécialisé en gothique, sera peut-être utile une fois à pied d'œuvre. Elle a pour mission de dérober un livre sacré détenu par un démon au plus profond des entrailles de... l'Enfer.

Ce roman est d'une richesse incroyable. Richard Kadrey parvient à un subtil équilibre entre action, romance et magie. Action quand il faut se battre avec les plus redoutables monstres, romance dans la relation entre Spyder et Pie-grièche et magie avec l'apparition de pouvoirs transformant le petit humain perdu en redoutable Homme Rune, respecté et surtout redouté de tous. Pour couronner le tout, un humour désespéré transperce dans chaque dialogue. Comme pour mieux faire accepter au lecteur l'incroyable. Une solution à ne pas négliger dans la vraie vie.

« Butcher Bird», Richard Kadrey, Denoël, 23 € 

Billet - Un inventaire à la Prévert dans ma boîte mail

Dans ma boîte mail, catégorie messages publicitaires, on trouve tout et n'importe quoi. Surtout n'importe quoi...

Que penser de ce message de Tim Godwin, de la police londonienne, m'annonçant que j'ai gagné un million de livres sterling ? Pour les toucher, il doit vérifier mon identité. Ben voyons... C'est sans doute car je le vaux bien qu'on m'offre un « rituel beauté » comprenant une trousse et trois produits « best-sellers ». D'accord, mais le flacon de « lift-minceur » pour dire « adieu à la cellulite », 30 ml ça ne va pas suffire.

« Michel, découvrez gratuitement votre avenir en un clic » m'annonce « Victoria, médium extralucide ». Chère Victoria, si vous étiez vraiment extralucide, vous sauriez qu'il n'y a aucune chance pour que je tombe dans votre panneau ! « Budget allégé pour cet été » me promet une compagnie de croisière : « le second passager à 1 euro ». J'ai une meilleure solution : 0 passager à 0 euro.

« Envie de devenir votre propre patron ? » me demande un certain nakou.fr. Sa solution : la création d'entreprise en franchise, « malgré les aléas de la conjoncture. » Effectivement, mieux vaut jouer la sécurité de l'emploi. Je cherche donc des opportunités pour entrer dans la fonction publique et ne trouve qu'un voyage aux Maldives, des réductions de 70 %, des alarmes pour « mettre ma famille en sécurité » et les dernières offres de... monsexshop.fr

Du contenu de ma boîte mail, Prévert en aurait fait un joli poème...

(Chronique "ça bruisse sur le net" parue ce mardi 22 mai 2012 en dernière page de l'Indépendant)