samedi 20 septembre 2008

Thriller - Ce cher cadavre

Elle vient de tuer son amant. Le cadavre dans le coffre de sa voiture, elle va tenter de traverser les USA d'Est en Ouest.

C'était au moment de l'arrivée de la fameuse tempête tropicale sur la Nouvelle Orléans. La narratrice, belle et jeune, elle l'expliquera quelques chapitres plus loin, fuit au volant de la voiture de son amant, Jack. Il n'est pas à ses côtés. Il est dans le coffre, mort depuis quelques heures. Ce n'est pas dit explicitement, mais on s'en doute : il a été tué par la belle qui n'a plus qu'une idée en tête : retrouver George à Seattle. Le brave George qu'elle avait quitté pour Jack, le brillant écrivain.

C'est ce périple, à travers tous les Etats-Unis, que raconte J. Eric Miller dans ce road movie ténébreux au nom très évocateur : « Décomposition ». Exactement ce qui arrive, lentement mais sûrement, à Jack, recroquevillé dans cet espace fermé, étroit et surchauffé. Pas tout de suite. L'auteur respecte les étapes. Et les détaille. Rigueur mortelle, puis action des bactéries qui vont s'attaquer aux entrailles, fermenter, former des gaz avant l'arrivée des mouches...

La poule affamée

Ce roman n'est pas à mettre dans toutes les mains. Il pourrait devenir culte. Il est avant tout très hard... La narratrice roule donc sur les longues et rectilignes routes américaines. Mais elle est parfois obligée de s'arrêter. Elle ne peut alors s'empêcher de faire des bêtises. Comme quand elle décide de libérer des centaines de poules captives dans un camion. Cela finira en carnage, elle ne sauvera qu'un seul pauvre animal, l'enfermera dans le coffre. La poule, certainement affamée, s'attaquera à Jack qui y perdra un œil. Un peu plus loin la jeune tueuse ira voir ses parents. Elle hait sa mère, plaint son père trop faible. Une famille normale ?

Et puis, régulièrement, elle s'arrête au bord de la route et regarde dans le coffre. Car paradoxalement, Jack lui manque. Physiquement. « Et quand je le touche, je sais que c'est une mauvaise idée. Sa peau est froide et ses cheveux, que j'essaie de lisser, sont tout cassants. Je caresse sa tête jusqu'à ce que je me sente en confiance, puis je continue à le toucher jusqu'à ce que je ne sente plus rien. Je prolonge ce contact jusqu'à ce que j'aie pleinement conscience qu'il est mort et que c'est son cadavre que je touche. Le fait d'agir ainsi m'aide à me sentir équilibrée. » Enfin équilibrée est un grand mot car la donzelle va crescendo dans l'horreur.

L'odeur de la mort

Les scènes de violence ou de sexe vont s'accumuler. Elle raconte tout, sans jamais dormir ni avoir le moindre remords. Simplement la certitude, en se rapprochant de George, qu'il n'est peut-être pas le bon cheval, finalement. La remise en cause de la narratrice est radicale. Arrivée presque à bout, elle a cette réflexion : « Tout ça est fini, cette vie, ma capacité à souffrir, mes espoirs, mes regrets, les petites joies que je recherchais sans cesse, ce cortège de déception, tout ce que je savais ou allais savoir, c'est bel et bien fini. Je suis morte. Franchement, c'est un soulagement. » Mais ce n'est qu'une impression. Elle devra encore faire pas mal de kilomètres avec le cadavre de Jack, toujours aussi attirant malgré son odeur insupportable.

« Décomposition » de J. Eric Miller (traduction de Claro), Editions du Masque, 16 €


vendredi 19 septembre 2008

BD - Rions de notre triste monde


Ness fait partie, avec Vuillemin, Charb et quelques autres, des enfants de Reiser. Si son dessin n'est pas du grand art, les scénarios de ses histoires courtes rattrapent largement cette petite faiblesse. Car dans la description de notre monde tel qu'il est, Ness ne prend pas de pincettes. Que cela soit le monde du travail, l'industrie du disque, la télévision ou les religions, il cogne là où cela fait le plus mal. 

A grand renfort de scènes parfois difficiles à supporter, il démontre toute l'horreur et l'aberration de notre société qui permet les pires violences dans les films de guerre et s'offusque quand un sein est dévoilé dans une publicité pour un gel douche. La télé en prend pour son grade régulièrement. Sa vision de Survivor (Koh-lanta en français) est cependant très vraie. Mais ceux qui sont le plus à l'honneur restent les religieux. De toutes les religions (il en invente même au passage). 

Il donne son interprétation du jugement dernier expliquant que les Dieux ne sont que des éleveurs. Ils font de l'élevage d'âmes, ce serait la base de leur système monétaire...

« Juste humains », Vent des savanes, 12,50 € 

jeudi 18 septembre 2008

BD - Le retour de Gully

Un sticker sur la couverture prévient l'acheteur : « BD approuvée par Spirou ». Effectivement cette nouvelle aventure de Gully, « Les vengeurs d'injures », a été prépubliée cet été dans les pages de l'hebdomadaire (qui avec sa nouvelle formule est redevenu indispensable pour tout amateur de BD de qualité). 

Mais Gully, c'est de l'histoire ancienne. Imaginée par Makyo et dessinée par Dodier, cette série d'héroïc fantasy avait débuté dans le courant des années 80. Après cinq récits et autant d'albums, Gully avait tiré sa révérence par manque de succès. Le petit bonhomme un peu pleutre et triste restait quand même présent à l'esprit de ses créateurs. Et ils ont décidé de lui donner une seconde chance. Cela donne un album alliant aventure, magie et poésie. 

Gully va devoir, en compagnie de ses amis Oléo et Mollo, pour sauver deux magiciens, trouver un antidote dans l'antre du sorcier Ulfon au cœur de la forêt de Trombovar. 

Une BD à découvrir en toute urgence, d'autant que son prix de vente, jusqu'à la fin de l'année, n'est que de 6 € au lieu 9,20 €.

« Gully », Dupuis, 6 € 

mercredi 17 septembre 2008

BD - Pourquoi aller de l'autre côté ?

Cela fait des jours que des trombes d'eau s'abattent sur la région. Les inondations menacent, les autorités parlent de plus en plus d'évacuation. Est-ce la fin du monde ? 

Dans son appartement, une jeune femme de 20 ans s'en moque. Elle est étendue, sur le dos, sur son parquet, bras en croix. Elle parle, seule. Exactement, elle est en plein dialogue avec un personnage imaginaire. Indifférente à l'extérieur, elle se laisse couler. Mais quand elle apprend que son père, victime d'un accident, est dans le coma, elle bouge enfin. Va à son chevet. Puis, en pleine nuit, malgré les averses et l'eau menaçante, retourne dans la maison familiale pour nourrir le chat. 

Un chat en pleine conversation avec une énigmatique vieille femme. Dans ces murs ayant abrités son enfance, la jeune femme va se décider, avec les encouragements du chat et de la vieille, de franchir le seuil de la pièce interdite. Ce qu'elle va y découvrir changera sa vie. 

Un récit long (112 pages en bichromie) et prenant de Pierre Wazem (scénario) et Tom Tirabosco (dessin), un duo suisse qui s'impose de titre en titre comme des créateurs d'exception.

« La fin du monde », Futuropolis, 19 € 

mardi 16 septembre 2008

BD - Le détective et le cheval


Dans le rayon « Parodies », le nom de Pierre Veys revient souvent. Il a atomisé la légende de Blake et Mortimer, moqué Harry Potter et il revient aujourd'hui avec la première série de cette veine, Baker Street. 

Le scénariste prend un malin plaisir à se moquer de Sherlock Holmes et des personnages secondaires imaginés par Conan Doyle : Watson et l'inspecteur Lestrade. Ce dernier est particulièrement soigné. Le fin limier de Scotland Yard est en fait un crétin intégral qui ne comprend rien, du début à la fin. Dans ce cinquième tome, toujours dessiné par Nicolas Barral et qui porte le titre interminable de « Le cheval qui murmurait à l'oreille de Sherlock Holmes », le détective, en pleine dépression car inactif, se lance dans une enquête secret défense. Des documents auraient été volés ou consultés dans différentes casernes anglaises. Ce sera finalement un cheval savant qui donnera la clé de l'énigme.

 Une histoire d'une trentaine de pages suivie de quelques récits complets, plus courts, mais où la complicité des deux héros fait merveille.

« Baker Street » (tome 5), Delcourt, 9,95 € 

lundi 15 septembre 2008

BD - Le regard décalé et rieur de Titeuf

Zep a retrouvé toute la verve de ses débuts. Son héros Titeuf est à la recherche du « sens de la vie ».


Même Amélie Nothomb est loin, très loin derrière. A chaque rentrée littéraire c'est la même histoire. Face aux « gros tirages » des stars de l'édition française, il y a les « énormes tirages » des best sellers de la bande dessinée. Quand ce n'est pas Astérix, c'est Titeuf qui remet les pendules à l'heure. Cette année, le copain préféré de tous les écoliers se penche sur le « Sens de la vie », titre de son 12e recueil de gags. En exercice dans lequel Zep est indéniablement un maître. 

Le sens de la vie, c'est le père de Titeuf qui l'a perdu. Victime des délocalisations il se retrouve au chômage et plonge en pleine dépression. Une drôle de maladie selon Titeuf : « Il est tout le temps fatigué. Il reste assis sans bouger pendant des heures ». Mais ce que remarque surtout Titeuf c'est « son haleine qui sent le pourri... Mais c'est à cause des effets secondaire de ses médicaments ». L'avantage d'avoir un papa dépressif, en cas de mauvaise note, c'est qu'il signe votre devoir sans même remarquer l'infamant 2/10. Une dépression cela guette tout le monde. Zep n'occulte pas ce fait de société. Il parvient simplement à le détourner grâce au regard de Titeuf. 

Un enfant qui a l'art de voir le détail qui tue. Un enfant qui grandit voyant, avec angoisse, approcher l'adolescence. La puberté, cet état horrible qui se traduit par des boutons sur le nez, avoir de la moustache, des poils et un gros zizi. Et les rapports avec les filles changent. Il faut les embrasser, faire des bisous avec la langue, mélanger sa salive... 

Titeuf n'est pas encore prêt, pour preuve il trouve cela dégoûtant. A noter dans cette thématique, un joli hommage de Titeuf (page 10) à Bidouille et Violette de Bernard Hislaire, les deux premiers héros du journal de Spirou qui se sont embrassés (sur la bouche) dans les pages de cet hebdo très prude. C'était dans les années 80. La société a beaucoup évolué depuis. Titeuf a surfé sur la vague, accélérant certainement le mouvement.

« Titeuf, le sens de la vie » (tome 12) de Zep. Editions Glénat. 9,40 euros.

dimanche 14 septembre 2008

Roman - Deux femmes unies

Ce roman passant au crible les relations entre mère et fille se déroule dans le milieu de la mode qui ne laisse pourtant que peu de place aux sentiments.


Quels liens unissent une mère à sa fille ? Des liens si forts qu'ils résistent aux années, aux mariages et grossesses. Eliette Abécassis, en 170 pages écrites avec les tripes, tente de trouver des réponses dans ce miracle de la maternité. Mais ce sont avant tout des sentiments qu'elle met en lumière, souvent contradictoires, ambivalents, jamais simples. Nathalie est la fille de Sonia. Sonia qui est à la tête d'un empire. Elle a révolutionné la mode à ses débuts. A fait prospéré son entreprise. Nathalie est naturellement en train de prendre la relève.

La romancière, pour faire passer les doutes et déchirement des deux femmes, les plonge dans un milieu artistique et culturel aisé. Même si ce n'est pas évident, Eliette Abécassis étant parfois très dure pour cette activité plus économique que créative. « La mode, écrit-elle. Le milieu le plus superficiel qui soit, le plus frivole, le plus aléatoire, le plus léger. La mode, le lieu sans signification. Passer des heures à discuter d'une longueur, d'un bouton, d'un pli ; quelle importance ? Chercher, traquer la beauté, mais pourquoi ? Pour quelle obscure raison poursuivre le règne de l'apparence ? »

Tristes mannequins « squelettiques »

La description de ce milieu parasite parfois le fond du roman. Sonia, rousse, fantasque, entreprenante, fière d'être Juive et Française, parfois imbue de son succès, mène la vie dure à sa file. Nathalie est longtemps restée la technocrate. Certes, comme sa mère, elle a participé à des défilés, les mettant même en scène, mais sa véritable efficacité a toujours été dans les alcôves financières.

Des défilés que Nathalie apprécient peu, encore moins les mannequins désincarnés qui marchent au pas sur les podiums : « A les regarder de près, aucune n'est vraiment belle, de celles qui représentent la beauté idéale. Traits anguleux, jambes maigres, silhouettes squelettiques, extrême maigreur, effrayante, angoissante, car elle signifie le contrôle, le jeûne, la privation. La beauté, l'insaisissable beauté, où est-elle ? Dans la femme maigre, androgyne, longiligne ou dans la femme opulente ? Qui le décide, et pourquoi ? »

Grossesse inversée

Aujourd'hui Nathalie voudrait reprendre l'affaire à son compte. C'est presque la guerre avec sa mère qui ne veut pas céder les rênes créatrices de la maison de couture. Le roman va reculer dans le temps, chaque chapitre verra les deux protagonistes rajeunir. On comprendra pourquoi Sonia est à la tête de son empire, comment Nathalie a gravi les échelons sans jamais pouvoir se débarrasser de l'influence de la femme qui l'a mise au monde.

Un long cheminement qui a donc commencé quand Sonia était enceinte. Et tout le dilemme de ce roman se retrouve dans ce passage, quand Nathalie s'interroge : « Ma mère, mon miroir. Mon souci de chaque instant. Je suis pleine de toi comme tu étais pleine de moi. » Une grossesse inversée, fil conducteur de ce roman qui, tout en se passant dans un milieu superficiel, n'en aborde pas moins une thématique de fond qui ne peut que concerner toutes les mères, filles, pères et fils de la planète, depuis que le monde est monde.

« Mère et fille, un roman », Eliette Abécassis, Albin Michel, 15,90 € 

samedi 13 septembre 2008

BD - Casse-tête pour Havank


Pour les amateurs de ligne claire et de BD franco-belge, la parution de cet album est une véritable révélation. L'éditeur explique qu'il a découvert aux Pays-Bas le chaînon manquant entre Tillieux (Gil Jourdan) et Franquin (Spirou et Gaston). Ce dessinateur hors-pair c'est Danier, Dan Jippes de son vrai nom. 

Cet album, paru pour la première fois en 1966 dans sa version originale, raconte les aventures de Havank, inspecteur de sécurité intérieure et justicier « défenseur de la veuve et de l'orphelin, mieux connu sous le nom de 'Ombre ». Sur une Côte d'Azur de pacotille, le policier a l'humour ravageur, la nonchalance contagieuse et la déduction infaillible. Il est sur la piste d'un document qui pourrait changer l'équilibre politique de l'Europe. Dans cette station balnéaire, il va croiser la route de quantité de personnages ayant l'air de gens normaux (auto-stoppeur, journaliste, pétanqueur...) mais qui se révèlent être des espions recherchant la même chose que lui. 

On reste en admiration devant la perfection des dessins, des courses poursuites en voiture, du dénouement final et du côté iconoclaste du héros qui fume le cigare, un béret sur la tête...

« Une aventure de Havank » (tome 1), Glénat, 9,40 € 

vendredi 12 septembre 2008

BD - Ducobu, enfin premier de la classe ?


Depuis une douzaine d'année, l'élève Ducobu est au rendez-vous de la rentrée scolaire. Pour la 14e fois, il redouble et se retrouve dans la même classe, voisin de la redoutable Noémie Gratin et Monsieur Latouche son instituteur en blouse grise. Il est toujours le cancre préféré de tous les écoliers et collégiens de France et de Belgique. Une série qui ne cesse de progresser côté ventes. 

Pourtant Zidrou, le scénariste, reste sur son gimmick du début. Ducobu, incapable de se souvenir des tables de multiplication (ou une récitation), est toujours à la recherche d'une astuce pour tricher. Soi en se préparant des antisèches, soit en copiant sur Noémie qui ne le supporte pas. Sous forme de gags et parfois d'histoires complètes, Godi met en image ce petit monde qu'il maîtrise parfaitement au bout de son crayon. Godi, on ne le dira jamais assez, qui a longtemps galéré dans les pages des hebdos pour jeunes. 

Il était sur le point de tout arrêter quand il a été sollicité pour dessiner Ducobu. Résultat, il est maintenant édité à plusieurs millions d'exemplaires et son héros est un des piliers du Journal de Mickey. Et Ducobu plait également aux gens sérieux puisque Fleurus vient de publier un très sérieux « Guide de Ducobu de l'école », très instructif et distrayant.

« L'élève Ducobu » (tome 14), Le Lombard, 9,25 €

« Le guide Ducobu de l'école », Fleurus, 17 € 

jeudi 11 septembre 2008

BD - L'homme qui est mort deux fois


Pas évident de jouer un double jeu. Ethan Ringler a des prédispositions puisqu'il est fils d'un riche Anglais et d'une indienne d'Amérique. Quand il revient à New York, il devient agent fédéral. Sa mission : infiltrer un gang de malfaiteurs. Le jeune métis va rapidement se retrouver avec de nombreux cas de conscience. Tout en obéissant à son chef direct au FBI, il doit rendre des comptes aux truands qui ne croient pas aux bonnes paroles. Seuls les actes comptent. Actes violents. 

Dans ce quatrième tome, Ethan est à un tournant de sa vie. Sa couverture est sur le point d'être découverte. Le patron du gang, sous les verrous, est menacé par un témoin ayant accepté de le charger. Il ne reste que peu de temps à ses hommes pour éliminer le bavard. Dans l'assaut de la maison occupée par les membres du FBI, chargés de surveiller le témoin, Ethan est en première ligne. Va-t-il devoir tuer ses collègues, voire son chef ?

Filippi, le scénariste, a poussé au maximum le héros dans ses retranchements. Il est tiraillé entre la loi et le désordre mais aussi entre deux femmes et ses origines. Le volet indien est d'ailleurs le plus intéressant dans cette histoire de quête d'identité. Mezzomo, au dessin, est exemplaire dans la reconstitution de l'Amérique de la fin du XIXe siècle.

« Ethan Ringler » (tome 4), Dupuis, 10,40 €