Elle vient de tuer son amant. Le cadavre dans le coffre de sa voiture, elle va tenter de traverser les USA d'Est en Ouest.
C'était au moment de l'arrivée de la fameuse tempête tropicale sur la Nouvelle Orléans. La narratrice, belle et jeune, elle l'expliquera quelques chapitres plus loin, fuit au volant de la voiture de son amant, Jack. Il n'est pas à ses côtés. Il est dans le coffre, mort depuis quelques heures. Ce n'est pas dit explicitement, mais on s'en doute : il a été tué par la belle qui n'a plus qu'une idée en tête : retrouver George à Seattle. Le brave George qu'elle avait quitté pour Jack, le brillant écrivain.
C'est ce périple, à travers tous les Etats-Unis, que raconte J. Eric Miller dans ce road movie ténébreux au nom très évocateur : « Décomposition ». Exactement ce qui arrive, lentement mais sûrement, à Jack, recroquevillé dans cet espace fermé, étroit et surchauffé. Pas tout de suite. L'auteur respecte les étapes. Et les détaille. Rigueur mortelle, puis action des bactéries qui vont s'attaquer aux entrailles, fermenter, former des gaz avant l'arrivée des mouches...
La poule affamée
Ce roman n'est pas à mettre dans toutes les mains. Il pourrait devenir culte. Il est avant tout très hard... La narratrice roule donc sur les longues et rectilignes routes américaines. Mais elle est parfois obligée de s'arrêter. Elle ne peut alors s'empêcher de faire des bêtises. Comme quand elle décide de libérer des centaines de poules captives dans un camion. Cela finira en carnage, elle ne sauvera qu'un seul pauvre animal, l'enfermera dans le coffre. La poule, certainement affamée, s'attaquera à Jack qui y perdra un œil. Un peu plus loin la jeune tueuse ira voir ses parents. Elle hait sa mère, plaint son père trop faible. Une famille normale ?
Et puis, régulièrement, elle s'arrête au bord de la route et regarde dans le coffre. Car paradoxalement, Jack lui manque. Physiquement. « Et quand je le touche, je sais que c'est une mauvaise idée. Sa peau est froide et ses cheveux, que j'essaie de lisser, sont tout cassants. Je caresse sa tête jusqu'à ce que je me sente en confiance, puis je continue à le toucher jusqu'à ce que je ne sente plus rien. Je prolonge ce contact jusqu'à ce que j'aie pleinement conscience qu'il est mort et que c'est son cadavre que je touche. Le fait d'agir ainsi m'aide à me sentir équilibrée. » Enfin équilibrée est un grand mot car la donzelle va crescendo dans l'horreur.
L'odeur de la mort
Les scènes de violence ou de sexe vont s'accumuler. Elle raconte tout, sans jamais dormir ni avoir le moindre remords. Simplement la certitude, en se rapprochant de George, qu'il n'est peut-être pas le bon cheval, finalement. La remise en cause de la narratrice est radicale. Arrivée presque à bout, elle a cette réflexion : « Tout ça est fini, cette vie, ma capacité à souffrir, mes espoirs, mes regrets, les petites joies que je recherchais sans cesse, ce cortège de déception, tout ce que je savais ou allais savoir, c'est bel et bien fini. Je suis morte. Franchement, c'est un soulagement. » Mais ce n'est qu'une impression. Elle devra encore faire pas mal de kilomètres avec le cadavre de Jack, toujours aussi attirant malgré son odeur insupportable.
« Décomposition » de J. Eric Miller (traduction de Claro), Editions du Masque, 16 €
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