dimanche 30 juin 2024

Une biographie : Elon Musk

 

Clairement à charge, cette biographie d’Elon Musk par Boris Manenti, journaliste au Nouvel Obs, ne devrait pas vous plaire si vous vous informez grâce à X (anciennement Twitter) et roulez en Tesla. Elon Musk fait partie de ces hommes de pouvoir qui ont visiblement oublié de garder les pieds sur terre. Il rêve de Mars, certes, mais un peu d’empathie ne fait jamais de mal.

Ses mensonges (ou arrangements avec l’histoire familiale) sont démasqués et ses idées novatrices ne sont pas toujours de lui. Mais cela n’empêchera pas à l’homme le plus riche du monde d’augmenter son pécule astronomique…

« Elon Musk, le bonimenteur » de Boris Manenti, Éditions du Rocher, 256 pages, 18,90 €

samedi 29 juin 2024

Des poèmes - René Depestre en poche

 

Auteur d’une œuvre considérable en vers et en prose, René Depestre, âgé aujourd’hui de 97 ans et vivant paisiblement à Lézignan-Corbières dans l’Aude depuis des décennies, est une figure tutélaire de la littérature des Caraïbes. Écrivain engagé qui a dû fuir Haïti, son pays natal, pour échapper à la dictature, il a longtemps vécu à Cuba.

L’anthologie Journal d’un animal marin donne à saisir l’étendue et la puissance de sa poésie lyrique. Ce poète de l’effusion et du chant, chantre de « l’érotisme solaire » et de l’élan vital envers et contre tout, emporte le lecteur par son souffle et un flot d’images vigoureuses. Un condensé d’une œuvre poétique essentielle du XXe siècle.

« Journal d’un animal marin », René Depestre, Gallimard, 7,20 €

vendredi 28 juin 2024

Un roman jeunesse - Oncle Kid en Corse


 Le meilleur des espions est de retour. Oncle Kid, après une première aventure mouvementée, se retrouve en Corse en compagnie de ses neveux, Juliette et Ulysse. Oncle Kid rapidement kidnappé par les méchants de la Firme. Victor Pouchet multiplie les situations cocasses avec cet espion finalement très calamiteux et par chance épaulé par deux enfants très futés.

Les illustrations de Killoffer rendent encore plus tonitruantes les interventions de quelques spécialités corses comme des chèvres, un berger, des sangliers et du fromage qui pourrait bien se transformer en menace pour la planète !

« Oncle Kid - O comme otage, K comme Corsica », l’École des Loisirs, 72 pages, 8 €

jeudi 27 juin 2024

BD - Controversé Pierre de Coubertin

Même si c'est en France, à Paris, que sont organisés les Jeux olympiques en cet été 2024, les références à Pierre de Coubertin sont rares. C'est pourtant cet aristocrate qui dès la fin du XIXe siècle avait réinventé cette manifestation sportive, la transformant en gigantesque compétition mondiale. Celui qui a popularisé la formule « Le plus important n'est pas de gagner mais de participer » est tombé dans les oubliettes.

La faute à ses errances politiques et positions réactionnaires longtemps combattues par les réformateurs et humanistes.

Xavier Bétaucourt, le scénariste, a eu la difficile tâche d'expliquer comment cet homme, qui a tant fait pour l'amitié entre les peuples et les nations, a souvent été complètement à côté des progrès de la société. Il était pour des jeux, mais uniquement avec des hommes. Et sans les pays de ce qui allait devenir le tiers-monde. Une sorte de caricature de ce que Hitler rêvait pour ses JO de 36 à Berlin.

Ces positions rétrogrades, racistes et humiliantes pour plus des deux tiers de la planète, suffisent largement pour donner raison à la plus bornée des adeptes du wokisme. Pierre de Coubertin était d'un autre temps, celui des nations blanches, pures, colonisatrices, persuadées d'avoir toujours raison, d'être le modèle ultime et supérieur de la civilisation.

Des positions intenables de nos jours, ce qui explique l'effacement progressif du baron Pierre de Coubertin de l'histoire sportive mondiale. Cette BD, dessinée par Didier Pagot, permet au lecteur de comprendre pourquoi.  
« Pierre de Coubertin, entre ombre et lumière », Steinkis, 112 pages, 20 €

mercredi 26 juin 2024

BD - Ping-pong, le sport de l’amitié entre les peuples

Le sport ce ne sont pas que des records, des médailles et des contrats publicitaires mirobolants. Dans le passé, certaines disciplines ont donné l'occasion aux diplomaties de se rapprocher, de trouver un premier terrain d'entente ou du moins de dialogue. Cela a même un nom, la diplomatie du ping-pong.

C'est aussi le nom de cet album écrit par Alcante et dessiné par Mounier.

En 1971, la guerre froide est à son maximum. Les USA doivent tenter de contrer l'influence de l'URSS tout en se méfiant de la Chine de Mao. Mais avec cette dernière, une volonté de normalisation commence à poindre après des décennies d'invectives. Encore faut-il trouver le bon motif, la bonne occasion. Paradoxalement c'est un jeune hippie, Glenn Cowan, champion de tennis de table, qui va bousculer l'Histoire. Sélectionné pour les championnats du monde au Japon, ce jeune effronté, cheveux longs, grande gueule, séducteur et amateur de marijuana, est enthousiaste à l'idée de se mesurer au meilleur pongiste du monde, le Chinois Zhuang Zedong. Après des années de boycott, la Chine accepte de revenir en compétition.

Dans le bâtiment réservé aux entraînements, Cowan (grâce à son bagout) persuade la délégation chinoise de le ramener à son hôtel. Il descend du bus et serre la main des sportifs chinois devant des dizaines de journalistes. Immédiatement l'information fait la une des journaux. La détente peut-elle passer par le sport ?

Les autorités de Pékin, profitant de l'aubaine, invitent l'équipe américaine à une tournée en Chine. Le ping-pong, et particulièrement le sourire ravageur de Glenn Cowan, permettra aux deux pays de sortir d'une longue bouderie. Une réalité un peu enjolivée par le scénariste. Mais comme il l'avoue en fin de volume, les pinailleurs historiques ne lui en tiendront pas rigueur. 

« La diplomatie du ping-pong », Delcourt, 112 pages, 23,95 €
 

mardi 25 juin 2024

BD - Jesse Owens, fuite victorieuse

Dans quelques jours ils seront des dizaines à rêver de victoire sur la piste d'athlétisme du Stade de France. Les Jeux Olympiques font de belles histoires. Gradimir Smudja l'a bien compris, lui qui vient de sortir un roman graphique sur la vie de Jesse Owens.

Le dessinateur d'origine serbe, réfugié en Italie depuis le début des années 80, est surtout connu pour des récits très poétiques et oniriques. Comment dès lors se frotter à la pure biographie ? Pour lui il suffit de donner le rôle de narrateur à un chat noir, Essej, musicien de jazz de son état, meilleur ami du petit Jesse Owens.

Car avant de faire fouler au géant de l'athlétisme la piste de Berlin en 1936, quand il remporte quatre médailles d'or sous les yeux horrifiés d'un Hitler vert de rage, Gradimir Smudja va raconter ce qui a donne des ailes à Jesse Owens. Et ses rêves de gloire sont directement issus de ses pires cauchemars.

Jesse a toujours eu l'impression d'être au mauvais endroit, au mauvais moment. Enfant, il court pour échapper à un jars agressif ou un bouc caractériel. Ensuite, il galopera pour échapper aux tueurs du Ku Klux Klan, aux policiers, aux milices blanches... Une fuite qui le conduira directement à la victoire. Un grand du sport mondial, mais qui sera rejeté par une partie de cette Amérique encore profondément raciste et ségrégationniste.

A son retour, après le triomphe de Berlin, Roosevelt, président, ne le recevra pas à la Maison Blanche. Il faudra attendre les années 70 pour que Gérald Ford lui remette la Médaille de la Liberté, plus haute décoration des USA.

Cette belle vie, remplie de gloire, passage très symbolique d'esclave à champion pour toute une partie de la population américaine, donne l'occasion à l'artiste d'origine serbe de signer des planches d'une incroyable beauté. Certaines, pleine page, voire sur des double pages, devraient faire saliver des galeristes en mal de peintures de qualité et bourrées de personnalité.

« Jesse Owens, des miles et des miles », Futuropolis, 128 pages, 24 €
 

lundi 24 juin 2024

Cinéma - « La petite vadrouille » d’une belle équipe

Petite arnaque autour d’une croisière en péniche. "La petite vadrouille" est un film inventif de Denis Podalydès sur la débrouille. 

 

Après La grande vadrouille, voici venu le temps de La petite vadrouille. Pour être dans l’air du temps, Bruno Podalydès aurait même dû oser renommer son film La p’tite vadrouille… Le comédien, scénariste et réalisateur est un fervent adepte des croisières familiales en péniche sur les canaux qui sillonnent le pays. Il a donc imaginé au fil de l’eau, en lenteur (la vitesse est strictement limitée à 5 nœuds), cette histoire de bande de copains qui met en branle tout une histoire abracadabrantesque pour faire cracher un bourgeois en mal de conquête féminine. Dans le film, il s’est réservé le rôle du capitaine. Cela tombe bien, il sait parfaitement manœuvrer ce type de bateau.

Film inventif, ludique, souvent comique et un poil philosophique, La petite vadrouille est aussi le récit des mésaventures financières d’une bande d’amis, une belle équipe. Quand l’un d’entre eux est dans le rouge, il emprunte à un autre. Un effet domino qui les transforme tous en débiteurs.

La solution vient de Justine (Sandrine Kiberlain). Son tout nouveau patron, le très riche Franck (Daniel Auteuil), lui demande d’organiser un week-end pour séduire la femme qu’il aime secrètement. Pour mener à bien la mission, il lui remet une enveloppe avec 14 000 euros en liquide. Une aubaine pour Albin (Denis Podalydès), mari de Justine. Il propose une croisière sur une péniche. À la barre, Jocelyn (Bruno Podalydès) aidé par quelques amis, meilleurs comédiens que marins. Problème : la belle inconnue que Franck veut séduire, c’est Justine…

Film choral plus que faux vaudeville aquatique, l’histoire démarre sur les chapeaux de roues. On fait la connaissance des protagonistes dans des scènes savoureuses. Cela débute par Caramel (Jean-Noël Brouté), gardien de musée occasionnel. Il crie sur les visiteurs qui font des photos au flash et part avec une toile sous le bras, une de ses œuvres qu’il expose clandestinement. Dans le café de Sandra (Isabelle Candelier), le service est fait… en chantant. Sur le Net, Rosine (Florence Muller), passe de psy à hypnotiseuse. Alors que les tentatives de séduction de Franck se multiplient, Albin est de plus en plus jaloux. Mais a vraiment besoin de cet argent.

Si la fin est assez déconcertante, on reste quand même sur une excellente impression. Celle d’avoir passé 90 minutes avec une belle équipe, de celles qui vous redonnent l’envie d’aller de l’avant, de franchir les barrières et de prendre la vie comme elle vient.

Film de Bruno Podalydès avec Daniel Auteuil, Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès

dimanche 23 juin 2024

Cinéma - “Greenhouse” : vieillesse et solitude coréennes

Une aide-soignante va tomber dans un engrenage criminel implacable. « Greenhouse » est le premier film d’une cinéaste coréenne qui devrait compter ces prochaines années.

Image particulièrement soignée dans les ambiances sombres, interprétation fine et mesurée des comédiens (et ce n’est pas évident car tous les protagonistes ont des problèmes psychiques), montage sans fioritures, au service de l’intrigue : Greenhouse de Lee Sol-hui est un thriller haletant universel car il parle de vieillesse, de maladie d’alzheimer et de solitude dans la vie moderne.

Un premier film qui vaut aussi, et peut-être surtout, pour son scénario. Un script écrit alors qu’elle était encore étudiante. La réalisatrice a eu tout le temps pour épurer sa copie, la peaufiner, ne garder que l’essentiel, le plus frappant.

Frapper justement. C’est le premier verbe qui vient à l’esprit avec la scène d’ouverture. Au propre comme au figuré. Un plan fixe sur la « maison » de Moon-jung (Seo-Hyeong Kim), aide-soignante qui vit dans une sorte de tente en plastique dans une zone isolée de la banlieue d’une grande ville. Moon-jung qui se frappe, littéralement. De grandes gifles. Une sorte d’automutilation qui lui donne le courage d’aller travailler.

Film noir, très noir

Elle est au service d’un couple âgé. Lui, aveugle, semble si gentil avec ses bonnes manières. Elle, atteinte de démence sénile, est la plupart du temps atone. Sauf quand elle entre en crise et hurle sur Moon-jung, prétendant que cette dernière veut la tuer. Comment vivre de façon équilibrée dans ces conditions ? En participant à un groupe de parole. Mais ce n’est pas le fort de l’aide-soignante qui semble traumatisée par son ancien mari et qui espère que son fils, à peine adolescent, sorte vite de prison pour revenir vivre avec elle. Du moins si elle trouve un appartement.

Le tableau est noir. Absolument déprimant. La Corée, mais loin des belles voitures et du strass de la K-pop. Ce n’est pourtant que le début d’un long cauchemar pour Moon-jung. Un accident domestique et tout pourrait s’écrouler. Alors elle va tenter de dissimuler la vérité, jouer avec le feu, au risque de tout perdre dans l’incendie de sa vie.

Le spectateur, passé les 20 premières minutes, se retrouve tétanisé dans son fauteuil, craignant sans cesse pour l’aide-soignante. Pourtant, à cause d’un enchaînement retors de situations de plus en plus extrêmes, tout ne va aller qu’en empirant. Et de la chronique réaliste sociale puis du thriller, on passe au pur film noir. Celui, paradoxalement si brillant, qui détruit méthodiquement le mot espoir.

Film de Sol-hui Lee avec Seo-Hyeong Kim, Jae-sung Yang, So-yo Ahn

samedi 22 juin 2024

BD - Fragiles jeunes filles en fleur


 Pour terminer ce tour d’horizon des nouvelles amours vues sous le prisme de la bande dessinée, n’hésitez pas à découvrir Fragile, album signé Mathilde Ducrest. Cette artiste Suisse vit désormais à Bruxelles après des études à Saint-Luc. Féministe engagée, elle a multiplié les projets de publication en autoédition avant d’être repéré par les éditions Casterman. Elle signe donc chez la prestigieuse maison (Tintin, Corto Maltese, Alix…) ce copieux roman graphique en couleurs fines et délicates racontant la rencontre entre Emily et Suzanne.

La première, étudiante, cherche un petit job d’été. Elle répond à l’annonce de la seconde, riche héritière d’une famille d’industriels. Le travail ? Promener tous les jours Mitsou, le petit chien de la seconde car elle va passer quelques semaines en vacances en Espagne. Mais avant d’abandonner son petit roquet à Emily, Suzanne veut mieux connaître Emily. Elles vont se promener dans les bois et jardins de la riche famille et une irrésistible attirance va naître entre les deux jeunes femmes.

Plus qu’une simple histoire d’amour, ce Fragile raconte combien il est compliqué pour les jeunes d’aujourd’hui de s’engager, de faire des plans sur l’avenir, de croire en l’amour. C’est effectivement le portrait d’une génération fragile. Mais très attachante aussi.
« Fragile », Casterman, 184 pages, 25 €

vendredi 21 juin 2024

BD - Amour réel et virtuel dans "Le champ des possibles"

 

Si les amours du passé ont parfois été débridées, celles de l’avenir pourraient être plus sages. Grâce à la réalité virtuelle si l’on en croit cet album écrit par Véro Cazot et dessiné par Anaïs Bernabé. Dans un avenir proche, les casques de réalité virtuelle permettent à quelques nantis de vivre deux vies. Une première, terre à terre, pleine de contraintes. Une seconde sans limite.

Marsu, la jeune héroïne de ce roman graphique est une architecte renommée. Elle a révolutionné les salles de spectacles. Lors de la présentation d’un de ses projets, elle fait la connaissance de Thom, informaticien qui cherche à développer son logiciel de réalité virtuelle qui permet de vivre dans les plus beaux hôtels ou ensembles architecturaux de la planète.

Marsu est sceptique. Thom enthousiaste. Un premier contact plein de sous-entendus, même si Marsu est fidèle à son compagnon, Harry, un potier qui pour le coup, peut difficilement avoir moins les mains dans la terre. Pourtant Thom va l’emporter. Marsu teste et devient rapidement accro. Dans l’histoire, les autrices expliquent que ce casque nouvelle génération peut se transformer en implant neuronal. On peut dès lors, en permanence, vivre deux réalités différentes. Travailler à son bureau tout en bronzant au bord d’une piscine avec le Pacifique en toile de fond.

Marsu va souvent aller dans une tour de New York réservée aux amis de Thom. Et tout en vivant avec Harry, va y partager des expériences, sensuelles, érotiques puis sexuelles avec Thom. Une femme, deux amants dont un virtuel. Étrange avenir décrit par Véro Cazot et Anaïs Bernabé. Et pourtant il semble très agréable s’il est partagé et consentant.

Une histoire de SF qui bénéficie d’un traitement graphique de toute beauté. Les séquences se déroulant dans la réalité virtuelle sont exécutées aux crayons de couleurs, la dessinatrice multipliant les tons décalés pour amplifier le volet merveilleux et irréel de l’expérience.
« Le champ des possibles », Dupuis, 128 pages, 23,50 €