lundi 19 novembre 2007

BD - "Ronces" ou l'affrontement entre le rural et l'urbain

Dans le perpétuel affrontement du Bien contre le Mal, Morvan, avec cette série fantastique, utilise la dualité entre la ville et la campagne, le béton et la nature. 

A la base, ce sont deux dieux qui ont choisi des attitudes différentes pour régner sur leur peuple. Le premier guide les humains, les poussant à se développer, à construire, produire, s'agrandir. Le second Dieu les observe trouver un équilibre avec les forces de la nature les entourant. Quand il n'y a plus de place pour tout le monde, la guerre est inévitable. "Le béton, la pollution, le bruit, le stress, ont pour but de pervertir les humain" explique un prêtre "vert". 

Mais Ronces, série dessinée par Nesmo au style noir et sombre, comme la ville qui bouffe l'Humanité, est aussi une enquête policière. Le flic de service, Mornières, dépressif, lâché pas sa hiérarchie, trompé par sa femme, détesté par son fils, fonce dans le tas, attitude suicidaire mais qui au final pourrait lui permettre de renaître. 

Une BD originale et séduisante, aux thèmes universels servis par un dessin en parfait accord avec l'histoire.

"Ronces", Les Humanoïdes Associés, 12,90 € 

dimanche 18 novembre 2007

BD - Dans l'Ether de l'infini spatial

Un peu de fantasy, un soupçon de science-fiction, une bonne grosse dose de fille rebelle à qui on ne la fait pas et de héros au passé trouble, le tout dans un décor de planète sauvage, telle est la recette de cette nouvelle série écrite par Jarry, dessinée par Lapeyre et mise en couleurs par Brants. 

"Ether" débute par une séquence muette de trois pages montrant l'invasion d'une planète par d'étranges créatures au longues tentacules de métal. La suite est beaucoup plus classique. Gamih, jeune femme libre et indépendante, au cours d'une ronde dans la forêt, vient en aide à une tortue géante attaquée par un fauve. Elle découvre un bébé tortue mort dans son œuf. Elle décide d'utiliser son don, tiré des forces de l'Ether qui ronge l'univers, pour lui redonner la vie. 

Cela lui vaudra des remontrances de son professeur, Edraar. Il est mal vu par la tribu d'utiliser les forces de l'Ether. Pourtant Gamih devra puiser dans ses pouvoirs quand apparaît sur la planète les premiers cas de lèpre-rouille. 

Une série partie sur les chapeaux de roues et qui annonce de beaux rebondissements avec l'apparition de redoutables méchants, les Sédisses.

"Ether", Delcourt, 12,90 € 

samedi 17 novembre 2007

BD - L'île de la maladie


Une île, perdue au milieu de l'Océan. Les autochtones doivent faire face à l'envahissement des conquistadors. L'Histoire nous a appris que pratiquement dans tous les cas, les Européens ont pris le dessus, exterminant les locaux. Mais dans cette série écrite par Morvan et Dragan, les deux camps semblent de force équivalente. Et surtout, cet affrontement est figé par un élément extérieur qui souvent dicte ses conditions. 

Une maladie contagieuse réduit considérablement les forces des belligérants. Mais cela ne les empêche pas de se battre et de vouloir prendre le dessus. Dans cette guerre abominable, le chef des Européens est d'une rare cruauté. Il pousse ses "savants" à faire des recherches sur des prisonniers cobayes pour tenter de trouver un remède. 

Les Indiens, les plus touchés par la maladie, utilisent les infectés comme boucliers. Bref, guerre et maladie transforment la petite île paradisiaque en véritable enfer. On suit dans ce second tome, dessiné par Noé, les doutes de la princesse Initsii, découvrant sa filiation royale et maudite, tentant de se racheter en soignant les malades dans leurs derniers instants de vie.

"Helldorado", Casterman, 9,80 € 

vendredi 16 novembre 2007

BD - De la différence au racisme

Les éditions Sarbacane, spécialisées dans la littérature jeunesse, viennent de créer une collection de bande dessinée sous la direction éditoriale de Gwen de Bonneval. Parmi les premiers albums sortis en septembre et coctobre, ne manquez pas ce très étonnant "Insekt" de l'Allemand Sasha Hommer. Un dessin minimaliste pour une histoire forte sur l'intolérance et le racisme. 

Dans une ville recouverte d'une épaisse fumée noire obligeant tout le monde à se déplacer avec des lampes de poche, le jeune Pascal va à l'école. Il est comme les autres. Joue au foot, est intimidé par les filles et aime ses parents. Dans cette ville, tout le monde parle avec répugnance des insectes qui vivent à la campagne. Et puis un jour, Pascal découvre l'incroyable vérité : il est lui-même un insecte. 

Dès lors sa vie va changer. Ses amis le repoussent, les filles fuient, il est déchu de son mandat de délégué de classe et les brimades vont en s'accélérant. La parabole est évidente, exemplaire. Le petit garçon-insecte ne comprend pas. Mais qui pourrait comprendre des attitudes abjectes, discriminatoires et injustes ?

"Insekt", Sarbacane, 14,90 € 

jeudi 15 novembre 2007

Jeunesse - "Pretties", les insurgés d'un monde "parfait"

Commencée en mai dernier avec « Uglies » (mochetés), Scott Westerfeld poursuit la saga de son héroïne Tally Youngblood avec « Pretties » (beautés).


Uglies, Pretties, Specials et grands Pretties vivent dans un monde sans voitures, sans pétrole, respectueux de la nature, après la mort des humains qui l’avaient décimé. Les grands Pretties, les adultes, occupent des postes tels que médecins, chercheurs ou gardiens, les Uglies, les enfants, s‘amusent entre eux, les Pretties adolescents, vivent dans l‘insouciance. Tout ce petit monde se trouve sous la houlette des « Specials », sortes de supers Pretties, aux supers pouvoirs, à l’intelligence aigüe et à la vigilance redoutable. Un pas de travers et les Specials débarquent pour remettre de l’ordre.

Un monde parfait

Dans l’univers des Pretties, tout est dédié à la beauté et à la perfection. Les enfants restent Uglies et vivent ensemble avec un seul but dans la vie, dès l’âge de 16 ans, subir l’Opération qui les rendra beaux. Mais il y a toujours des réfractaires, dont Tally Youngblood. La petite maligne se rend vite compte que l’Opération qui les rend parfaits leur fait aussi subir une sorte de lavage de cerveau qui, entre autres effets, oblitère entièrement leur « vie d’avant », celle où ils étaient d’insouciants Uglies, toujours en train de faire des (petites) bêtises et d’essayer par tous les moyens de tromper la vigilance des gardiens pour faire des incursions dans le monde des Pretties, qu’ils admirent tant. Chez les Pretties, l’insouciance est de rigueur. Leurs seules préoccupations est de se creuser la cervelle pour trouver un costume indispensable au bal costumé de ce soir. Pour Tally, le challenge est double et il ne faut surtout pas qu‘il soit « foireux » : il lui faut dénicher un costume assez « intense » pour être admise dans la bande des « Crims », très populaire dans la cité. Ces deux mots, foireux et intense étant d’usage plus que courant chez les Pretties.

Les « fumants »

Quand elle était encore Uglies, Tally s’est échappée un jour du village pour aller rejoindre les « Fumants » une bande de hors-la-loi, qui refusent de subir l’Opération et où elle rencontre David. Ils vivent en communauté dans un village dont le lieu est tenu secret, la « Fumée » et qu’il ne faut surtout pas que les « Specials » trouvent sous peine de « lobotomie » et d’Opération assurées de tous les résistants. Mais Tally, sans le vouloir, a trahi le secret du lieu grâce à un « mouchard ». Résultat, débarquement des Specials et fuite généralisée.

Depuis qu’elle est devenue Pretty, Tally navigue de fêtes en fêtes avec son amie Shay, son ami Peris, tous deux connus quand ils étaient encore Uglies et son plus qu’ami Zane. Un soir, lors de la fête costumée où elle est déguisée en « fumante » grâce à un vieux sweatshirt fabriqué à la Fumée et oublié dans un coin de placard, elle est abordée par Croy, un des fumants venu en grand secret chez les Pretties. Il lui remet deux petites pilules qui devraient la guérir de son état de Pretty et lui remettre la tête sur les épaules. Que vont devenir Tally et ses amis les Crims ? Vous le saurez à coup sûr très vite parce que « Pretties », une fois entamé, se dévore jusqu’à la dernière page. Et c’est là qu’on râle parce que le tome suivant ne sortira qu’en 2008! 

Destiné aux jeunes adultes au départ, la richesse et les rebondissements du scénario en font un très bon livre de SF soft, que les plus âgés apprécieront également. Les questions posées par le récit, sur la beauté et l’usage qu’on en fait, sur une volonté de perfection encouragée par notre société face au droit à la différence, ouvrent des horizons plus larges. « Quelques bons tours ne suffisaient pas à rendre chacun intense, semblait-il; il fallait vouloir changer de mentalité. Peut-être que certaines personnes avaient toujours été Pretties dans leur tête, avant même que l’on invente l’Opération. Peut-être que certaines personnes étaient plus heureuses ainsi. »

Seul petit bémol, si vous n’avez pas lu le premier, ce deuxième volet de la série ne donne des indications qu’au compte-goutte des événements antérieurs. Alors, reste à faire d’une pierre deux coups, faites l’emplette des deux, leur prix, plus que raisonnable vous le permet. Une bonne idée aussi de cadeau de Noël pour vos grands ados. Succès assuré.

"Pretties", Scott Westerfeld, Pocket jeunesse, 13,50 euros

mercredi 14 novembre 2007

BD - La Bretagne de feu et de sang

La folie et la vengeance sont omniprésentes dans cette série écrite par Balac et mise en images par Parnotte. Dans une Bretagne du 17e siècle, encore indécise entre les anciennes croyances (l'Ankou...) et le christianisme, c'est une véritable tragédie qui se déroule sous les yeux admiratifs du lecteur tant les dessins de Parnotte sont puissants et fluides. 

Une BD qui a un double effet. Dans un premier temps, en feuilletant l'album, on admire les images et compositions. Puis on se plonge dans le récit et on est passionné par cette histoire de famille. Les Porphyre, après des décennies de naufrages provoqués, ont enfin payé pour leur crimes. Le père a été pendu haut et court alors que Konan, le plus âgé des fils, est envoyé au bagne. A 7 ans. Des années plus tard, Konan est de retour en Bretagne. Il est à la recherche du trésor des Porphyre. 

Mais il n'est pas seul à revenir sur ces terres de passion. Hermine de Rotheneuf veut sa vengeance elle aussi. Elle n'hésite pas à tuer froidement qui ose se mettre sur son chemin. 

Une série révélation de ces deux dernières années. Balac prouve que la Bretagne est une source d'inspiration inépuisable et Parnotte s'affirme comme un Marini (dessinateur du Scorpion) en puissance.

"Le sang des Porphyre", Dargaud, 13 € 

mardi 13 novembre 2007

BD - Victor Sackville, l'espion que vous aimez

1918. Alors que les combats font rage dans les tranchées françaises, Victor Sackville, l'espion de Georges V, combat lui aussi mais d'une manière plus feutrée. 

A Rome, il est chargé de convaincre John West, un génie anglais des mathématiques, de mettre sa science au service de l'armée française pour casser le code des messages allemands. L'affaire se complique quand West est accusé par la police italienne d'avoir assassiné une élégante bourgeoise romaine dont il était l'amant. Victor, aidé de son ami Anton, va devoir remonter la piste pour découvrir qui tente d'écarter West. 

Complot allemand, traîtres bien cachés, coups de théâtre : il ne manque rien à cette 20e aventure de Victor Sackville qui avait fait ses premiers pas, en 1985, dans les pages d'un journal belge avant de rejoindre l'hebdomadaire Tintin. Le scénario est de Gabrielle Borile. Elle ressort un méchant qui s'était déjà mis en travers du chemin du héros dessiné par Francis Carin. Une série toujours aussi passionnante, permettant de mieux connaître les coulisses de cette période de l'histoire européenne.

"Victor Sackville", Le Lombard, 9,80 € 

lundi 12 novembre 2007

BD - Hotep ou l'Egypte dominée par les Grecs

Ayant fait son apprentissage en dessinant cinq albums d'Alix sur des scénarios de Jacques Martin, Rafaël Morales décide avec cette nouvelle série historique de voler de ses propres ailes en créant son héros, Hotep, vivant dans cette Egypte qui le fascine depuis son plus jeune âge. Hotep, à la mort de son père, devient le nouveau grand prophète d'Amon de Karnak. A Thèbes, il dirige des centaines de prêtres. 

Mais le peuple égyptien est sous le joug des Grecs. Certains sont humains comme le roi Ptolémée d'Alexandrie, d'autres de véritables tyrans. C'est notamment le cas de Deméas, roitelet ambitieux qui impose sa mégalomanie au peuple de Thèbes. Il décide de quadrupler les impôts, affamant des centaines de familles. 

Hotep, face à cette injustice, prend la tête de la rébellion. Mais il est capturé et condamné à mort. Une fausse exécution est organisée par Deméas car ce dernier a besoin de Hotep pour retrouver un vieux manuscrit sacré. Hotep est obligé de collaborer pour sauver la vie de sa femme et de ses enfants. 

Cet album plonge le lecteur au coeur de cette Egypte aux temples et statues de dieux gigantesques. Si les bâtiments sont parfaitement reproduits, on regrettera cependant une certaine rigidité des personnages.

"Hotep", Glénat, 9,40 €  

dimanche 11 novembre 2007

BD - Babel : planète en danger


Utilisant la trame classique du jeune humain découvrant du jour au lendemain qu'il n'est pas seul dans l'univers, « Babel » va cependant un peu plus loin. Joshua ne se doutait pas que son père travaillait pour les douanes galactiques. Sa mort en mission change la vie de l'adolescent. Il est réquisitionné par le major Ktull (extraterrestre au visage flasque, glabre et garni de tentacules tombantes) pour assurer la relève. Mais Joshua est totalement désorienté. A la fin du premier album, il était jeté du haut d'un vaisseau spatial vers la surface d'une planète condamnée. Sa chute est heureusement amortie par une danseuse I'shtarri qui va tenter de l'aider dans sa mission. Un dictateur vient de déclencher un bombardement qui sera fatal à toute vie. Le scénario d'Ange fleure bon le space opéra (avec un arrière-goût de guerre des étoiles) et cela permet à Janolle de dessiner créatures et engins spatiaux tous plus originaux les uns que les autres. Avec une mention spéciale pour les « bombes » chargées de détruire la planète, ce sont des géants d'acier et de feu quasiment indestructibles.

"Babel", Soleil, 12,90 € 

samedi 10 novembre 2007

Roman - Vie et mort autour d'un moulin

Un roman du terroir racontant la vie d'Eline et de son fils Anton, minotiers du Quercy, dans la tourmente de la guerre 39-45.


Le Quercy que refait vivre Maryse Batut dans ce roman familial est très proche de l'Aveyron. Et si le temps des moulins et des minoteries sont définitivement révolus, ce n'est pas si loin que cela. A 53 ans, Eline Laborit décide de raconter sa vie. Les grands moments d'une existence simple, mais traversée par bien des malheurs. Elle n'a pourtant aucun regrets. Son prénom original, c'est son père qui le lui a donné. Il voulait un petit gars. Il l'aurait appelé Elie. Ce fut une fille, Eline.

Devenue grand-mère, Eline se souvient pourtant que son père l'a toujours aimée. Peut-être plus que son frère, le garçon tant désiré, arrivé quelques années plus tard. Eline a toujours vécu à Cariac, un petit bourg du Quercy. Son père a quitté la ferme pour construire un moulin sur le Céroux. Eline n'a connu qu'un seul homme dans sa vie, Léo, son mari. Un coup de foudre un soir dans un bal. De cette union naquit Antonin, l'autre personnage principal de ce récit se déroulant essentiellement dans les années 40.

Activité secrète

La première partie est racontée par Eline. Elle plante le décor, présente les principaux personnages. Ensuite c'est Antonin qui prend le relais. Le gamin qui allait pêcher les anguilles est devenu un homme. Il s'est marié, a pris la relève de son père mort quelques années plus tôt. Sa femme, Bella, attend un troisième enfant. Mais depuis quelques semaines, Antonin est de plus en plus absent le soir. Il jouerait à la belote. Bella doute, Eline décide de prendre le taureau par les cornes et demande ouvertement à son fils ce qu'il fait véritablement de ses soirées. Il n'arrive pas à mentir à sa mère et avoue avoir rejoint la résistance. En ce début des années 40, ils sont peu à avoir fait ce choix. Antonin n'a pas de rôle encore important, mais son activité de minotier le met en danger. Il sera finalement dénoncé et devra, du jour au lendemain, prendre le maquis.

Maryse Batut, dans une langue simple, fleurant bon la tradition et la sagesse paysanne, plonge le lecteur dans les affres de cette famille. Enracinée, prête à tout pour défendre son bien, mais également la liberté.

L'amour plus fort que la guerre

Des existences rectilignes, sans heurts, qui doivent tout d'un coup être confronté à l'innommable. Eline raconte comment, peu avant la fin de la guerre, elle a vu les noires fumées au-dessus d'Ouradour-sur-Glane. Un massacre qui aurait pu se dérouler à Cariac. Et puis malgré le conflit, les privations, la peur, la vie continue et l'amour parfois joue des tours. Eline restera fidèle à la mémoire de son mari défunt, mais Anton, une fois dans les forêts en compagnie des autres résistants, rencontre Hélène. La jeune femme s'est engagée après la mort de son mari au combat. Elle veut continuer pour sa mémoire. Comme il y a quelques années entre Eline et Léo c'est le coup de foudre absolu. Anton a déjà une femme, des enfants, mais la passion est la plus forte. Après une première nuit d'amour il raconte : « Je veux m'étouffer dans sa chair généreuse et docile. Nos âmes et nos corps sont en accord parfait. L'un protège l'autre de la force de son amour. Hors du temps et du monde. Je sais maintenant que si notre vie risque d'être brève, elle aura été intense, et je préfère un destin court, beau, extrême, dangereux, même immoral à une existence longue mais médiocre. » Les bouleversements de la guerre risquent d'être fatal à la famille et au moulin. Mais Eline est là pour préserver l'équilibre. Une grand-mère sachant se transformer en patriarche inflexible quand le danger approche.

« Le moulin du Céroux », Maryse Batut, Lattès, 16 €