mercredi 12 mars 2025

Polar - Policière contre marionnettiste

Helen Grace, policière anglaise de Southampton imaginée par M. J. Arlidge, doit affronter sa hiérarchie et sa base pour tenter de sauver des adolescentes transformées en marionnettes sexuelles.

En Angleterre comme en France, les pontes de la police nationale apprécient de pouvoir communiquer après d'éclatantes réussites. À Southampton, dans le sud du pays, les trafics de drogue se transforment en guerre des gangs. Comme à Marseille, les règlements de compte se multiplient. La dernière fusillade qui a coûté la vie à un jeune convoyeur d'argent liquide tiré de la vente de drogue s'est déroulée en plein quartier résidentiel. Il faut donc rapidement trouver les auteurs de l'attaque pour rassurer la population. Comprenez les électeurs...

Helen Grace, enquêtrice très solitaire (et efficace) du commissariat, est elle aussi mobilisée. Sur le terrain, elle interroge ses indics mais se désintéresse rapidement de l'affaire. Le matin même, elle a été très touchée par le cri de détresse d'une mère. Sa fille, Naomi, a disparu depuis la veille. Une adolescente en rupture. Si la hiérarchie d'Helen lui demande de ne pas s'investir dans une simple fugue, le sixième sens de la policière d'élite la pousse à désobéir. Alors que la base est sur les dents à la recherche des tireurs, elle demande à plusieurs enquêteurs de se concentrer sur le cas Naomi. Rapidement, beaucoup trouvent ce travail inutile.

M. J. Arlidge, dans ce nouvel épisode des aventures d'Helen Grace, place à nouveau son héroïne en fâcheuse posture. Cette fois elle risque la mise à pied pour insubordination. Le lecteur sait pourtant qu'elle a raison. Car entre les chapitres consacrés à l'enquête, l'auteur relate le cauchemar vécu par la jeune fille. Enfermée dans une cave, enchaînée, elle est transformée en objet sexuel par un ravisseur qui filme son calvaire, obéissant aux ordres de voyeurs payant cher pour ce spectacle abominable.

Le roman devient palpitant car en plus de tenter de découvrir qui est le ravisseur et tortionnaire, le lecteur craint pour la vie de la captive. Sans oublier les risques encourus par Helen. Sur le terrain mais également dans les bureaux du commissariat, quand ses chefs veulent la mettre sur la touche après les récriminations et plaintes des agents sous ses ordres. Et comme le romancier ose tout, le dénouement sera étonnant à plus d'un titre et annonce une suite encore plus déstabilisante pour les fans.

« Ainsi font font font » de M. J. Arlidge, Les Escales, 480 pages, 23 €

mardi 11 mars 2025

BD - Star Naze, parodie et gags intergalactiques

Qui aime bien, châtie bien ! Ced, le scénariste de ce recueil de gags, a sans doute vu des dizaines de fois chaque épisode de la saga des Star Wars. Sans compter les séries et autres dessins animés qui animent sans cesse la franchise (ne manquez pas la ressortie au cinéma, le 24 avril 2025 à l'occasion des 20 ans, de l'épisode III, La revanche des Sith). 

Christo, le dessinateur, a lui aussi visionné plus que de raison les films de Georges Lucas. Résultat ce sont deux fans, amateurs éclairés et véritables spécialistes qui se permettent les pires blagues sur cet univers légendaire. 

Dans "Star Naze", la version parodique, tous les personnages ont un côté obscur parfaitement caché. On découvre ainsi d'où provient la manie qu'a Yopla d'inverser verbe, sujet et complément. Et les graves conséquences que cette dyslexie a parfois. De Luc à Kador (version canine de Dark Vador ?) en passant par Yann Tousseul ou Klorokin (allusion à l'actualité dans le jeu de mot le plus drôle de la galaxie), vous rirez rien qu'en découvrant le nouveau nom des héros. 

Quant aux situations, entre violence et sexe, il y a tout ce que le vrai Star Wars laisse deviner sans jamais en parler et encore moins le montrer. Enfin vous risquez, comme moi, vous demander longtemps pourquoi l'ordre des Jedi est devenu dans la BD l'ordre des Jedognon. Un conseil, il faut le prononcer à haute voix pour comprendre l'astuce qui vous fera pleurer de rire.

"Star Naze", Jungle, 128 pages, 15 €

Science-fiction - Avenir radieux dans "Terra Humanis" de Fabien Cerutti

Les auteurs de science-fiction nous proposent souvent une vision sombre de l'avenir. Comme si notre perte était inéluctable. Pour conjurer ce sort, Fabien Cerutti propose une version radieuse de ces prochaines décennies. Car en utopiste indécrottable, il est persuadé qu'il est encore temps de sauver notre environnement. Comment ? Plongez dans « Terra Humanis » pour découvrir ses solutions. Un roman qui court sur plus d'un siècle, de la prise de conscience de quelques scientifiques à des découvertes majeures et quelques efforts pour réduire notre course en avant.

Tout change quand un couple, Rebecca et Luc, prennent le pouvoir en France, mobilisent la population sur leur programme écologiste et parviennent à entraîner d'autres pays émergents. Le changement est lent, plein d'embûches, mais efficace. Un texte résolument positif et optimiste, à l'opposé de la triste « écologie punitive », épouvantail des bonnes volontés.

« Terra Humanis » de Fabien Cerutti, Folio SF, 384 pages, 10 €

lundi 10 mars 2025

BD - Un (tout petit) ami de plus pour Anatole Latuile

Comme Tom-Tom et Nana en leur temps, Anatole Latuile est devenu une star de la bande dessinée. Une série au long cours, publiée chaque mois dans J'aime Lire et dont les albums ont été vendus à plus d'un million d'exemplaires. Le 18e recueil de ces histoires courtes vient de sortir et on retrouve avec plaisir toute la bande d'amis imaginés par Anne Didier et Olivier Muller (frère et soeur dans la vraie vie) et dessinés par Clément Devaux. 

Anatole, cheveux noirs et dressés sur la tête, aime et a de sérieuses aptitudes pour, dans l'ordre, provoquer des catastrophes, faire des expériences interdites et aider ses amis. Dans cet album de 11 histoires courtes intitulé "Un Max de surprises !", il va surtout développer sa dernière compétence pour Jason, son meilleur ami. 

Ils sont dans la même classe depuis des années et Jason, au début du premier récit, est très inquiet car sa mère semble totalement absente, comme obsédée par autre chose. Avec Anatole il va fureter mais c'est la perspicacité de Marjane (une de leurs nombreuses copines) qui amènera la réponse, loin d'être aussi dramatique qu'un divorce : la maman de Jason est tout simplement enceinte. 

Jason va bientôt avoir un petit frère ou une petite soeur. Une attente qui va permettre aux amis de faire des plans sur la comète et aux petits lecteurs de se préparer si, par bonheur, eux aussi ont une famille en cours d'agrandissement. Finalement ce sera un garçon, un petit Max, prénom suggéré par Jason, finalement très heureux de partager sa chambre avec ce bébé. 

Ces histoires, simples, comiques, ancrées dans le réel, expliquent tout le succès de la série, parfaite à partir de 8 ans, adaptée aussi sous forme de romans, de webtoon et bientôt au cinéma.

"Anatole Latuile" (tome 18), Bayard BDKids, 96 pages, 11,50 €

dimanche 9 mars 2025

Polar - Les petites combines d'un dealer

Témoignage édifiant que ce « Deal », texte signé d'un énigmatique « 6 ». Un jeune, originaire de Grenoble, y raconte comment il s'est fait une place dans le juteux mais dangereux monde du trafic de drogue.


Les documentaires inondant les chaînes de la TNT nous proposent souvent des émissions racontant 24 heures ou une nuit avec les policiers de terrain. Plus rares sont les émissions montrant l'autre côté, celui des dealers. Ce récit, sous forme de polar-confession, plonge le lecteur dans la spirale infernale de la vie d'une jeune originaire de Grenoble. A la première personne, « 6 » (c'est sa signature...), explique qu'à la base, il est simplement un gamin qui, s'ennuyant ferme dans sa banlieue, a tendance à fumer un peu trop de cannabis pour atténuer la morosité ambiante. Une consommation exponentielle qui devient problématique. Il décide donc de revendre une partie don stock pour financer les futurs achats.

Dans le milieu cela a un terme : il devient « brasseur ». Un consommateur qui peut, à l'occasion, dépanner les copains et connaissances. A la différence des dealers qui eux ne consomment pas.

La drogue n'est qu'un business comme un autre, le moyen de se faire beaucoup d'argent rapidement, comme nous le fait miroiter sans cesse notre société capitaliste et consumériste. L'auteur explique que « légal, illégal, licite, illicite... tout cela ne voulait strictement rien dire. Il n'y avait qu'une seule réalité : le profit, partout et tout le temps. Le produit, le service, la provenance ou la destination n'avaient aucune espèce d'importance. Le monde n'était qu'un immense champ de bataille ultralibéral parcouru par les flux incessants des capitaux. » Devenu incontournable dans son lycée ou son quartier, « 6 » gagne des clients et des relations. Touche à d'autres drogues (cocaïne, acides...), achète de grosses quantités et en fait son métier.

Attention, si vous croyez avoir découvert le livre qui prend la défense des consommateurs et des petits trafiquants, vous faites erreur. La concurrence est rude dans ce secteur particulier et la meilleure façon de s'imposer reste la méthode forte. Violente. Il n'y a rien de glamour à se faire tirer dessus ou à passer plusieurs mois en prison. On le découvre dans ce texte âpre, réaliste et sans concession au romantisme des brigands des temps nouveaux.

« Deal » de 6, Nouveau Monde éditions, 288 pages, 9,50 €

samedi 8 mars 2025

BD - La vie continue pour les deux soeurs en galère

Un récit solaire, malgré la misère, les difficultés et les incompréhensions. Sylvain Bordesoules, après le très remarqué L'été des charognes, revient dans un roman graphique tiré de son propre vécu. Mélissa et Candice sont soeurs. Deux Niçoises en galère. La première, la plus jeune, est au chômage. Habituée des petits boulots dans les grandes enseignes discount de banlieue, elle reste rarement en place. Présentement, elle profite de ses indemnités chômage. Après quelques copains de très mauvais conseils, elle a eu le coup, de foudre pour Press, une collègue de travail. Elles vivent ensemble. Discrètement. Dans un petit studio avec deux chats. La grande ville du Sud n'est pas la plus gayfriendly de la région... 

Sa soeur, Candice, l'aînée, a vite quitté sa mère et le beau-père. Un petit copain et elle tombe enceinte. Alors elle l'épouse, a un autre enfant et finalement le quitte. Seule dans son petit appartement, elle élève ses deux gosses tout en travaillant dans une crèche. Ménage et cuisine. Deux fortes personnes directement inspirées de l'entourage de l'auteur. Mais lui a quitté Nice et ce milieu populaire. Il en raconte la simplicité. Les difficultés aussi. 

C'est très réaliste, servi par des planches en couleurs où les teintes éclatantes jurent avec la grisaille et la tristesse du quotidien. Certes il fait beau à Nice, mais vivre à côté de la mer ne sert à rien si on a des difficultés à payer son essence ou la cantine des enfants. Radiographie crue et sans tabou d'une certaine France de la périphérie, Azur Asphalte se lit comme on regarde un reportage de Strip-tease, le côté voyeurisme en moins et un gros supplément d'âme pour faire passer le tout.  

"Azur asphalte", Gallimard, 168 pages, 24 €

vendredi 7 mars 2025

Biographie - Le rire de Pierre Bénichou

Immense journaliste, passé par de très nombreux journaux et devenu un des piliers du Nouvel Observateur, Pierre Bénichou fait partie de ces talentueux artistes sans œuvre. Son style lui aurait sans doute permis de signer des romans passionnants. Il se contentera de publier un recueil de ses nécrologies... 

Son bagout et son sens de la repartie étaient parfaits pour faire du stand-up. Mais le genre n'étais pas encore né. Alors il a amusé la galerie dans les bars et boites de nuit parisiennes. Et puis il a été remarqué par des faiseurs de stars. Sur le tard, il est devenu un sociétaire des Grosses têtes, poussant la chansonnette romantique après avoir sorti une vacherie absolue. 

Personnage complexe, Pierre Bénichou est au centre de cette biographie de Benjamin Puech. Dans quelques jours, cela fera 5 ans que nous sommes orphelins de cet amuseur talentueux.

« Pierre Bénichou, une figure de style », Benjamin Puech, Editions du Rocher, 208 pages, 19,90 €

jeudi 6 mars 2025

BD - Découvrir la naissance de la littérature moderne japonaise

Si le tome 1 de la réédition dans le sens de lecture original de "Au temps de Botchan" était centré sur le roman de Natsume Soseki, le second tome se penche sur la vie et le début de l'oeuvre de Mori Ogai. 

Ce manga, un des premiers abordant l'histoire et la littérature japonaise, est écrit par Natsuo Sekikawa et dessiné par Jirô Taniguchi. Considérée à juste titre comme un des chef-d'oeuvre du maitre nippon, cette BD bénéficie d'une réédition dans son sens de lecture original. Lors de sa première version, elle avait été remontée pour ne pas dérouter les lecteurs européens. Depuis, les mangas ont conquis le monde et la lecture de la droite vers la gauche est entrée dans les moeurs, même sous nos latitudes. 

Le second tome débute par les obsèques de Futabatei Shimei, écrivain considéré par ses pairs comme un des précurseurs de la littérature japonaise moderne. Il a beaucoup étudié les oeuvres russes et s'est inspiré des textes qu'il a traduit pour rédiger son premier roman. Mort en mer sur le bateau qui le ramenait au pays, Futabatei est salué par les plus célèbres écrivains et journalistes de l'époque. Parmi eux Mori Ogai dont l'histoire d'amour contrariée avec une danseuse allemande est au centre de l'histoire. 

Les deux auteurs racontent cette histoire (déjà au centre du roman La danseuse publié en 1890) entre le jeune militaire japonais en formation en Europe et Elise, jeune danseuse allemande. Ils s'aiment. Promettent de se marier. Mais une fois revenu au pays, le soldat trahit la jeune femme. L'exemple parfait le la différence de culture entre Est et Ouest, entre Occident et Orient. Aujourd'hui le Japon a trouvé sa voie (après avoir perdu la guerre et enterré ses ambitions impérialistes), et après avoir été influencé par le modernisme européen, est en train d'imposer certains concepts de sa civilisation au reste du monde. 

"Au temps de Botchan", Casterman - Sakka, 256 pages, 20 €

mercredi 5 mars 2025

BD - La "Panique aquatique" gagne le parc marin d'Aqualand

La mer est en danger. Pollution, exploitation : il ne se passe pas un jour sans que la situation n'empire. Dan Santat, auteur américain, en a parfaitement conscience et tente dans ce roman graphique destiné aux adolescents de leur faire prendre conscience que l'avenir se joue actuellement. 

Sophia est une petite fille nostalgique. Elle vit chez son oncle depuis la disparition de son père en mer. Un scientifique, à l'origine d'un parc marin, Aqualand. Aqualand est un peu le royaume de Sophia. L'endroit où elle retrouve le plus de traces de son père. Un jour, un étrange scaphandrier fait son apparition à l'entrée du parc. Pas n'importe quel scaphandre : celui du papa de Sophia. Serait-il encore vivant ? 

Au cours des chapitres suivants, le lecteur découvre, émerveillé, que ce sont des coquillages, tortue, poissons, crustacés et même un poulpe qui animent cette réminiscence du créateur d'Aqualand. Le récit bascule dans le fantastique. En se noyant, le savant a transféré sa conscience vers ces animaux marins qui ont désormais pour mission de sauver leur univers. Ils se rendent sur terre, à leurs risques et périls, pour tenter de persuader Sophia. Lui délivrer aussi un dernier message de son père. 

Une BD poétique, superbement dessinée dans un style très animation traditionnelle. Logique car Dan Santat s'est avant tout fait connaitre en créant la série The Replacements sur Disney Channel. 

"Panique aquatique", Rue de Sèvres, 256 pages, 16 € 

mardi 4 mars 2025

BD - Prison ou cimetière à ciel ouvert ?

Très efficace cette série concept lancée par le scénariste Christophe Bec chez Soleil. Le point commun entre ces quatre récits indépendants : la survie des protagonistes. Après une aventure dans les Rocheuses (Warm Springs), direction la prison d'Aparecida, "complexe pénitentiaire le plus violent du Brésil". 

Dans ces murs, des centaines de détenus tentent de survivre au quotidien. Face aux brimades des gardiens, mais aussi, et surtout, les attaques entre différents clans. Une prison qui subit une inspection. La tension est à son comble. Notamment à la direction. Il faut faire bonne impression. Mais pour avoir du calme, seule la méthode forte fonctionne. 

C'est dans ce contexte qu'arrive un nouveau détenu. Un VIP. Tout simplement l'ancien chef de la police, condamné pour avoir maté une révolte dans cette même prison occasionnant des dizaines de morts. Résultat, tous les clans n'ont qu'une idée : se révolter et lui faire la peau. 

Pour comprendre cette mutinerie d'une rare violence, Christophe Bec emprunte le ressenti d'un détenu qui tente de subsister en assurant quelques petits trafics,  quasiment innocents face à la drogue aux armes et aux filles esclaves sexuelles qui permettent aux gros bonnets de continuer de s'enrichir. Il va trouver de l'aide auprès d'un jeune surdoué au foot rêvant de faire une carrière en Europe. Ce sera compliqué, on s'en doute...

Ce récit, implacable, sanglant et sans le moindre moment de répit est dessiné par deux auteurs. La première partie est réalisée par Mirko Colak, un Serbe, la seconde par Diego Bonesso, un Italien. Et comme pour le premier tome, le dénouement (qui va finalement survivre dans cet enfer ?) est étonnant.

"Survival - Aparecida Prison", Soleil, 64 pages, 16,50 €