lundi 3 février 2025

BD - Haine et violence derrière les hauts murs


Premier album graphique et véritable coup de maître pour ELK, mystérieux auteur né en Suisse et résidant à Lyon. Il a longtemps travaillé dans la conception de jeux de société. Pour ses débuts en BD, il a reçu l’aide d’Hubert, crédité du titre de directeur d’écriture.

Le scénariste, récemment disparu, n’est plus là pour admirer le résultat, mais il aurait été fier de ce superbe objet graphique, unique et envoûtant. Dans un monde médiéval de fantasy, un mal s’abat sur un petit royaume. Pour éviter la contagion, des hauts murs sont construits autour de la zone. Quelques habitants tentent de survivre, coupés du monde depuis des années, aux prises avec les « errants », des monstres assoiffés de sang et de chair humaine. La communauté, en vase clos, souffre en plus d’infertilité.

Quand un étranger, Sovir, parvient à franchir les murailles et semble imposer sa volonté aux errants, toutes les croyances sont remises en question. Ivan, le jeune prince, le déteste immédiatement. Même s’il peut être le sauveur des reclus.

Le graphisme, étonnamment sensuel et gracieux, tranche avec l’action, parfois violente et sanglante. Des planches de toute beauté, la naissance d’un grand dessinateur.
« Les chants du chaos », (tome 1), Rue de Sèvres, 112 pages, 22,90 €

dimanche 2 février 2025

BD - Charleroi résiste aux Nazis avec les Amis de Spirou


Le scénariste Jean-David Morvan, longtemps cantonné à la science-fiction, a élargi sa palette en explorant le passé, notamment la période de la seconde guerre mondiale. Il a raconté la vie de résistante de Madeleine Richaud, celle d’Irena face à Klaus Barbie et aborde désormais la Résistance aux Nazis en Belgique.

Il a confié à David Evrard le dessin de l’histoire romancée des amis de Spirou, un club de lecteurs de l’hebdomadaire BD de Marcinelle, près de Charleroi en Belgique, créé par Jean Doisy. Les membres du club vont participer à la lutte contre l’occupation allemande. Comme Jean Doisy, le créateur de la rubrique du Fureteur, grand résistant belge devant l’éternel.

Dans cet album, basé sur de véritables personnages mais avec de jeunes héros imaginaires, la petite bande de lecteurs des aventures du groom de Valhardi ou de Tif et Tondu, va affronter un officier nazi spécialisé dans les animaux.

L’occasion pour Morvan d’utiliser un personnage emblématique des éditions Dupuis. Un superbe hommage, à la jeunesse qui ne se résigne pas, qui a des valeurs et prend tous les risques pour la liberté.
« Les amis de Spirou » (tome 2), Dupuis, 72 pages, 15,95 €

samedi 1 février 2025

BD - L'acné spectrale de "L'enfantôme" de Jim Bishop

Pourquoi raconter des histoires simples quand votre imaginaire vous pousse à inventer des situations totalement anormales et exceptionnelles ? Jim Bishop, auteur complet de BD, ne se pose pas longtemps la question. Il propose avec L’enfantôme, le troisième volet du cycle qu’il nomme « La trilogie de l’enfant ». Après Lettres perdues et Mon ami Pierrot, il propose un véritable cauchemar visuel où le pire des années collège du début des années 2000 est passé à la moulinette.

Le personnage principal est surnommé le Boutonneux. Normal, son visage est couvert de pustules. Compliqué de s’intégrer dans ces conditions. Il partage ce privilège avec La Bizarre, une fille gothique. Si le Boutonneux semble assez idiot (ou du moins peu conscient des réalités de ce monde sans pitié de l’adolescence), la Bizarre au contraire est intelligente et éveillée. Ils seront tous les deux menacés par le conseiller d’orientation, un énorme bonhomme libidineux : leurs parents devront les assassiner s’ils ratent leur année. Un vrai cauchemar on vous dit.

Sur cette simple idée, Jim Bishop propose une plongée dans l’inconscient de l’adolescence. Rêves, espoirs, tristesse, dépression… Pas très gai et même mortel, au point que les héros se retrouvent transformés en fantômes, errants à la recherche de leur corps.

Un roman graphique étonnant, effrayant et paradoxalement plein de poésie.
« L’enfantôme », Glénat, 224 pages, 22,50 €

vendredi 31 janvier 2025

Cinéma - “Maldoror” : gendarme idéaliste face à l’horreur

Librement inspiré de l’affaire Marc Dutroux en Belgique, ce thriller de Fabrice du Welz mélange quête personnelle de justice, guerre des polices et soupçons sur un réseau de pédophiles.

Pour aborder l’affaire du pédophile Marc Dutroux qui a bouleversé la Belgique (et au-delà), Fabrice Du Welz a beaucoup gambergé. Il avait 20 ans quand l’homme le plus recherché de Belgique a été arrêté après une succession invraisemblable d’erreurs et d’errements sur fond de guerre des polices. Profondément marqué par le climat de l’époque, le cinéaste qui a fait ses premières armes dans l’horreur, a trouvé la solution quand il a envisagé de raconter les faits à travers les actions d’un « homme traumatisé par la culpabilité » et d’en modifier l‘épilogue en écrivant une « uchronie, jusqu’au fantasme de justice dont nous avons été privés par ses nombreux dysfonctionnements ».

Paul Chartier (Anthony Bajon), est un jeune gendarme en poste à Charleroi. Ses collègues, prototypes des fonctionnaires sans illusion, évitant les ennuis quitte à laisser les délinquants en liberté, pensent qu’il fait du zèle. En fait, Chartier cherche à racheter les fautes de son père. Devenir exemplaire pour faire oublier le passé de son géniteur, braqueur incarcéré pour meurtre.

Dans cette Belgique ouvrière, en pleine crise sociale, la disparition de deux fillettes est à la une de tous les journaux. Chartier veut les retrouver. Il va chercher la moindre piste et se focaliser sur un certain Marcel Dedieu (Sergi Lopez), déjà condamné et surveillé par une petite cellule nommée Maldoror. Chartier la rejoint, tente de trouver des preuves mais est rapidement freiné par sa hiérarchie (Laurent Lucas). Il va dès lors la jouer solo, oubliant les procédures, mettant son emploi, sa vie et sa famille en danger.

Très long pour un film européen (2 h 35 mn), Maldoror est construit comme une tragédie. Au début, tout sourit à Chartier. Il se marie, a une petite fille et un boulot a priori exaltant. La réalité de la Belgique, pays où tout est toujours plus compliqué qu’ailleurs, lui revient tel un boomerang en pleine tête. Son intime conviction de la culpabilité de Dedieu l’entraîne dans une chute inéluctable.

Finalement, le pédophile sera arrêté, mais l’histoire de Chartier ne s’arrête pas là. Qui a protégé cet homme ? Fournissait-il des personnalités en « chair fraîche » par l’intermédiaire d’un notable (exceptionnelle composition de Jackie Berroyer, méconnaissable) ? Comment a-t-il pu s’évader quelques heures ? Beaucoup de questions sans réponses et de soupçons planent encore sur le Royaume de Belgique. Le film, Maldoror, n’apporte pas de solution. Sauf sur un point précis. Mais cela reste de la pure uchronie.

Film de Fabrice Du Welz avec Anthony Bajon, Alba Gaia Bellugi, Alexis Manenti, Sergi Lopez, Laurent Lucas, Béatrice Dalle

 

jeudi 30 janvier 2025

Roman français - « Ta promesse » : d’un bel amour à une fin tragique

L’amour rend aveugle. Et un peu naïve dans le cas de la narratrice de ce roman de Camille Laurens. Jusqu’à ce que les grandes promesses du début volent en éclat avec pertes et fracas.


Claire Lancel, le personnage principal de ce roman signé Camille Laurens, est son double de fiction. D’autofiction exactement. Il y a un peu de sa vie. Et des gros morceaux totalement imaginaires. Cette romancière, a toujours tissé son œuvre littéraire autour de sa propre existence. On peut donc lire ce livre en essayant de démêler le vrai du faux. Mais le mieux est de s’y plonger en se persuadant que rien n’est vrai, que la vie ne peut pas être aussi forte, puissante et dévastatrice que cette histoire d’amour, de coup de foudre, qui finit mal.

Claire Lancel, romancière reconnue, vivant de sa plume, est triste. Seule, la cinquantaine. Quand elle accepte d’aller, sur l’insistance de sa meilleure amie à une soirée, un 31 décembre, elle ne se doute pas qu’elle va y retrouver le metteur en scène Gilles Fabian. Un bel homme, à l’écoute, intelligent. Elle va le séduire (ou l’inverse…) et débute alors une romance sans nuage. Le pire qui peut lui arriver car « on n’écrit pas sur le bonheur. La seule matière de la littérature, c’est le chagrin. Ou la passion, ce qui revient au même au bout d’un moment. »

Construit comme un thriller qui dévoile lentement l’horreur de la situation (gendarmes, avocats, prison, procès), Ta promesse va crescendo dans la tension entre ces deux que tout attire. Claire est amoureuse. Gilles est heureux avec elle. Mais que cache cette trop belle harmonie, cette dolce vita en bord de mer Méditerranée, à l’ombre d’un mimosa en fleurs ?

La romancière va finalement se découvrir dans le pire des rôles, celui de la femme manipulée, trompée, abusée. Jusqu’à l’apparition de la violence, du sang… Un paradoxe qu’elle tente de comprendre : « Quand elle détruit, elle désire encore. En se vengeant, elle continue d’aimer. » Un bel amour, une fin tragique, un roman fort et prenant.

« Ta promesse », Camille Laurens, Gallimard, 364 pages, 22,50 €

mercredi 29 janvier 2025

Un récit de voyage - Vers les îles Éparses


Dans le canal du Mozambique, il y a Mayotte mais aussi les îles Éparses. De minuscules bouts de terre, territoire français habité en permanence par quelques militaires.

Olivier Rolin, écrivain voyageur, a embarqué sur le Champlain, un navire de la Marine nationale, chargé de ravitailler ces bases. Un mois de navigation qu’il raconte (et dessine) dans ce récit dépaysant. Beaucoup de références littéraires, mais aussi de réflexion sur le temps qui passe : « Cette croisière marque vraiment pour moi un passage dans ma vie, ce n’est pas seulement vers les îles Éparses que je navigue, mais vers l’état déplorable, fragile et un peu ridicule, de vieux. » Il va vivre durant un mois en compagnie d’un équipage de jeunes militaires, débordant de vie et de projets.

Et c’est sans doute cet aspect de sa réflexion qui est le plus intéressant et édifiant.
« Vers les îles Éparses », Olivier Rolin, Verdier, 96 pages, 17,50 €

mardi 28 janvier 2025

Un premier roman - Carcoma


Plus qu’une maison hantée, c’est une maison maléfique qui est au centre de Carcoma, premier roman de la jeune autrice espagnole Layla Martinez.

Ce texte, paru en 2021 en Espagne, est enfin traduit en français par Isabelle Gugnon qui a osé se confronter à ce récit de femmes au bord de la folie. Carcoma, ce sont les vers à bois qui détruisent les charpentes des maisons. C’est aussi, dans la langue de Cervantès, une « préoccupation constante et grave qui vous consume, vous ronge peu à peu. » Les habitantes de la maison, de l’arrière-grand-mère à la dernière petite fille, sont toutes un peu dérangées. Comme possédées par cette maison qui regorge d’ombres. La grand-mère de la dernière narratrice, à moitié folle, implore « toutes les petites saintes mortes par la main d’hommes enragés ».

Le premier homme « enragé », celui qui a construit le bâtiment pour y enfermer son épouse, est mort sur place. Dans d’atroces souffrances qui n’ont fait qu’amplifier les rumeurs au village. Un texte fort et violent, sur la peine des femmes et leur pouvoir de vengeance.
« Carcoma » de Layla Martinez, Seuil, 144 pages, 18,50 €

lundi 27 janvier 2025

Un roman jeunesse - Les Wouf


Ozzi, Pitt et Jimi sont des chiens. Exactement des « musichiens » puisqu’ils forment le groupe des Wouf. Régulièrement, ils donnent des concerts sur leur péniche.


Écrit par Élodie Chan, illustré par Anthony Martinez, ce roman jeunesse (à partir de 6 ans) débute mal pour Jimy. Après une chute, il se réveille amnésique. Et il a perdu son instrument, une flûte.

Par chance, ses deux amis vont l’aider à retrouver la mémoire. Mais le chemin sera long et périlleux (notamment face à une horde de rats déterminés à ne pas rendre la flûte) avant de pouvoir reformer le trio et entraîner tous les habitants de ce monde un peu magique dans un concert mémorable.
« Les Wouf ! », L’École des Loisirs, 88 pages, 9 €

dimanche 26 janvier 2025

Une romance new adult - West Well de Lena Kieffer


De la haine à l’amour… Deux familles ennemies et, par malheur, deux des rejetons tombent amoureux. Rien de bien nouveau et pourtant cela marche toujours. 

La preuve avec le succès de ce roman de l’Allemande Lena Kieffer. A New York, deux familles richissimes du secteur de l’immobilier se détestent. Encore plus depuis que les deux héritiers antagonistes ont été retrouvés morts d’overdose après une brève histoire d’amour torride.

Et l’histoire semble se répéter, Helena va craquer pour Jessiah. Et réciproquement. Les fans de luxe, d’amours compliquées, de vengeance tordue et de buildings seront aux anges. Les autres n’y verront que clichés et grosses ficelles.
« West Well » de Lena Kiefer, Nox - Albin Michel, 512 pages, 19,90 €

samedi 25 janvier 2025

BD - Drogue mortelle et arts interdits dans un futur pessimiste


Blade Runner à Lyon. C’est le résumé graphique du premier tome de cette nouvelle série de science-fiction dessinée par Jef sur un scénario de Kevan Stevens. Le nom exact de la ville où évoluent les protagonistes de cette utopie sombre et pessimiste est Mégalopolyon.


On suit les vies du maire, monstre obèse bourré de prothèses robotiques, sa fille, cheveux bleus et indépendance chevillée au corps, son fils, trisomique caché car normalement interdit de vie. Il y a aussi un homme qui vend son talent de musicien. En cachette car dans cette société futuriste totalitaire, musique et littérature sont interdits. Qui est surpris en possession d’un instrument ou d’un livre est immédiatement condamné à mort. Et exécuté sur place.

La mort guette tout le monde, encore plus quand de la drogue frelatée inonde la ville. Un premier tome qui pose les bases de la société. On ne sait pas exactement ce que cherchent les acteurs du récit. Mais on se dit que finalement on ne devrait pas se plaindre de notre présent si cet univers est le futur inéluctable de nos petits-enfants.
« La mécanique » (tome 1/3), Soleil, 84 pages, 17,50 €