lundi 28 mars 2016

BD : Lisa Mandel au coeur du porno

mandel, porno, fabrique, sociorama, castermanLa collection "Sociorama" permet la rencontre de la sociologie et de la bande dessinée. En s'appuyant sur une recherche savante, un auteur de BD vulgarise le tout dans des albums faciles à lire. Sur l'enquête de Mathieu Trachman ("Le travail pornographique" paru en 2013 à La découverte) Lisa Mandel signe une histoire en total décalage avec son trait. Elle qui dessine très gros nez, simple et caricatural, plonge le lecteur dans le tournage de films pornographiques. Elle suit Howard, jeune Noir qui a fait ses débuts dans des productions amateurs et de sa copine, Betty. Sans aucun jugement à l'emporte-pièce, on découvre le quotidien de ces "acteurs", leur vie en famille, les à-côtés des tournages, leur manque de protection sociale et les salaires de misère. Une BD à ne pas mettre entre toutes les mains, mais qui éclaire sur un secteur économique florissant et en perpétuelle progression.
"La fabrique pornographique", Casterman, 12 euros

dimanche 27 mars 2016

DE CHOSES ET D'AUTRES : Alphonse Allais dans le texte

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Certains estiment sa production littéraire équivalente à celle de Victor Hugo. Une exagération, l'œuvre d'Alphonse Allais approche « seulement » les six mille pages. Ecrivain talentueux, chantre de l'humour mais surtout journaliste, Alphonse Allais se raconte dans cette autobiographie qu'il n'a pourtant pas écrite. Jean-Pierre Delaune, l'auteur, puise dans cette manne incroyable d'écrits et dresse le portrait vrai de celui qui était déjà une célébrité de son vivant. Plus que ses contes ou poèmes, ce sont ses chroniques qu'attendent les milliers de lecteurs. Dans « La vie drôle », rubrique vedette du « Journal », il raconte avec une imagination sans cesse renouvelée les aléas du quotidien. Adepte des jeux de mots et autres déformations parfois hasardeuses de la langue française, il pond des pages et des pages sans se douter que des décennies plus tard, des amoureux de la rigolade tel Jean-Pierre Delaune s'en serviraient pour explorer sa vie, partagée entre Honfleur et Paris.
« On ne badine pas avec l'humour d'Allais », Jean-Pierre Delaune, Omnibus, 21 euros.

samedi 26 mars 2016

DE CHOSES ET D'AUTRES : Réponses belges à l'horreur terroriste

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Deux jours après les attentats de Bruxelles la vie reprend le dessus. Le soleil brille, on mange en terrasse. Loin des morts, de la douleur des familles. L'empathie s'est envolée. On essaie de se donner bonne conscience : cette attitude est une sorte de résistance à l'horreur terroriste. Ils veulent nous faire peur, mais rester cloîtré équivaudrait à leur donner raison.
On retrouve sur les réseaux sociaux cette réaction dans des vidéos parfois surréalistes. Normal, on est en Belgique. Une certaine Megan, blonde recouverte de bijoux comme un sapin de Noël, Belge selon ses dires, avoue qu'elle ne comprend pas l'intention des poseurs de bombes et interpelle directement les terroristes : "Mais Chou, tu t'es renseigné sur la Belgique, tu sais qui on est ? Chou, nous avons inventé la frite, la fricadelle, la gaufre et le chocolat. Et tu crois que demain on va rester enfermé. Mais c'est pas la Belgique ça, chou !"

Dernière réponse apportée par le rédacteur en chef de NordPresse, le site parodique du plat pays. Toujours face caméra, des trémolos dans la voix, il demande aux terroristes "d'arrêter de faire des attentats. Je vous le demande gentiment. Ce qui est vraiment dégueulasse c'est les dégâts collatéraux. On n'en peut plus d'avoir le soutien de Marine Le Pen, on veut pas d'une nouvelle chanson de Francis Lalanne, on en a marre des discours du roi, déjà qu'on doit se les taper à Noël. S'il vous plaît, arrêtez, on ne veut pas de concert d'hommage de Johnny (...) »

Beaucoup de Belges sont tristes, mais certains n'ont pas perdu le sens de l'humour.

vendredi 25 mars 2016

Cinéma : Les mystères de Rosalie Blum

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Qui est Rosalie Blum ? Pourquoi le coiffeur Vincent Machot surveille ses faits et gestes ? Julien Rappeneau propose une comédie sensible sur ces "invisibles" aux petites vies.
Adapté d'une bande dessinée de Camille Jourdy, "Rosalie Blum" conserve son architecture en trois parties distinctes, les trois points de vue des personnages principaux. Honneur à Vincent Machot (Kyan Khojandi), coiffeur de son état dans une petite ville de province (le film a été tourné à Nevers). Il se partage entre son travail, son chat, sa fiancée partie en stage à Paris et sa mère, installée dans l'appartement au-dessus du sien. À plus de 30 ans, il s'ennuie horriblement.

Un dimanche, obligé d'assouvir un nouveau caprice de sa mère (Anémone), il part acheter du crabe en boîte. Il en trouve dans une épicerie excentrée, tenue par une femme (Noémie Lvovsky) dont le visage dit quelque chose à Vincent. Tant et si bien qu'il décide de l'espionner, pour découvrir d'où il la connaît. Maladroit, il se transforme en suiveur-voyeur, l'accompagnant à la chorale, trouvant sa maison, fouillant ses poubelles et la regardant boire plus que de raison dans un club. Jusqu'à une nuit au cours de laquelle il abandonne, terrorisé par cette Rosalie Blum très mystérieuse.
Aude, suiveuse du suiveur
Second acte, Aude (Alice Isaaz), jeune chômeuse, se présente en championne du "moins j'en fais mieux je me porte". Elle vie en colocation avec un artiste de rue (Philippe Rebbot) et traîne avec ses deux amies de toujours (Sara Giraudeau et Camille Rutherford). Le trio sera le moteur comique du film, avec une mention spéciale à Sara Giraudeau, extraordinaire de drôlerie dans le rôle de cette ado attardée qui aime se faire peur, au point de se faire pipi dessus... Aude est la nièce de Rosalie Blum, cette dernière l'embauche pour espionner à son tour cet étrange coiffeur peu discret dans ses filatures.
Le suiveur suivi, la suiveuse séduite par le suivi-suiveur : un triangle amoureux se met doucement en place, au grand bonheur de Rosalie, triste et solitaire mais qui voit d'un bon œil cet embryon de romance entre ces deux jeunes paumés. Le film bascule alors dans une grande loufoquerie, où les quiproquos se succèdent, les routes se croisent, se télescopent.
Une belle histoire, à la fin certes prévisible mais qui fait tant de bien en ces temps difficiles et trop moroses.
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Noémie Lvovsky : femme étonnante et mère émouvante

Dans le rôle de Rosalie Blum, Noémie Lvovsky signe une performance toute en nuances. Cette femme solitaire, que l'on devine blessée par la vie, n'est qu'une silhouette dans la ville. Elle ne demande rien à personne, semble vouloir se faire oublier. Dans la première partie du film, Noémie Lvovsky n'a quasiment pas de texte. Elle déambule comme absente dans cette ville de province terne. Mais il faut aussi qu'elle apporte cette lueur de mystère qui accroche le regard de Vincent et du spectateur. Sobre et exemplaire, l'actrice, plus habituée aux rôles comiques, s'impose avec brio dans un exercice délicat.
Par la suite, tout en conservant cette gravité de mère courage au parcours heurté, elle redevient petite fille en manipulant Vincent et Aude. Son sourire, son regard espiègle sont un régal. Excellente actrice, Noémie Lvovsky a pourtant débuté dans le milieu par l'écriture de scénarios, puis la réalisation de films ("Camille redouble", notamment). Elle est passée de l'autre côté de la caméra dans des petits rôles, crevant l'écran dans le rôle de Vincent Lacoste dans "Les beaux gosses" de Riad Sattouf.

BD : Notables dépravés dans le "Club des prédateurs"

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Londres à la fin du XIXe siècle. La révolution industrielle permet à de riches propriétaires de faire encore plus fructifier leur fortune. Les usines marchent à plein, la main-d'œuvre facile à trouver dans les bas-fonds de la capitale. Quand on a faim, un simple verre de lait attire les enfants. Même si dans la foulée ils doivent travailler dix heures dans la foulée. Jack, un gamin des rues, refuse cette situation. Il préfère voler, déguisé en petit ramoneur. Il croise la route de Liz, fille d'un notable membre d'un club sélect. Leur amitié va être mise à rude épreuve quand ils rencontrent le Bogeyman, un croquemitaine à la réputation sulfureuse. Il enlèverait les enfants... L'album écrit par Valérie Mangin et dessiné par Steven Dupré débute comme une critique sociale de l'Angleterre victorienne. Mais l'intrigue bascule dans le grand-guignol, avec une dernière case à la limite du soutenable.
"Le club des prédateurs" (tome 1), Casterman, 13,95 euros

DE CHOSES ET D'AUTRES : De l'image du Belge

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Une nouvelle adaptation de la légende de Tarzan en 3D sort au cinéma le 6 juillet. Une super production de la Warner avec Alexander Skarsgård dans le rôle-titre.
Rien de bien exceptionnel si ce n'est cette petite phrase dans le résumé du film dont la bande-annonce spectaculaire a été dévoilée hier : "Tarzan est convié au Congo en tant qu'émissaire du Commerce. Mais il est loin de se douter du piège qui l'attend. Car le redoutable Belge Léon Rom est bien décidé à l'utiliser pour assouvir sa soif de vengeance et sa cupidité... » Vous avez bien lu : le "redoutable Belge". Comme si les pauvres sujets du roi Philippe n'avaient pas assez souffert depuis le 22 mars, voilà qu'ils sont décrits comme de vils colonisateurs "assoiffés de vengeance et cupides" dans le film qui s'annonce comme le gros succès mondial de cet été.
Je m'insurge. Interdit de toucher aux Belges durant quelques mois. Les majors américaines devraient montrer un peu plus de respect au peuple qui a engendré des génies tels que Brel, Hergé, Magritte ou Jean-Claude Van Damme. Je suggère d'ailleurs au prince de "l'aware" d'aller dire deux mots aux scénaristes hollywoodiens spécialistes en clichés éculés. Il devrait trouver des arguments suffisamment percutants pour obtenir le changement de la nationalité du "méchant" dans la version finale.
D'ailleurs, Léon Rom est interprété par Christoph Waltz (alias Spectre dans le dernier James Bond). Et Waltz, jusqu'à preuve du contraire, n'est pas Belge mais Autrichien. Alors pourquoi pas le "redoutable Autrichien assoiffé de vengeance" ?
En bonus, la fameuse bande annonce. 

jeudi 24 mars 2016

DVD : Le club des curés ripoux


Au Chili, dans une vaste maison face à l'océan dans une petite ville de province, la vie s'écoule sereinement entre prières et entraînement d'un lévrier de compétition. Quatre anciens curés et une sœur vivent retirés, cloîtrés, oubliés de tous. Dans ce lieu secret, la hiérarchie catholique cache des prélats recherchés par la police pour pédophilie et autres crimes répréhensibles.

L'arrivée d'un nouveau prêtre va menacer l'édifice. Il a été suivi par une de ses victimes. Il vient l'apostropher sous ses fenêtres. La honte et le remords sont trop forts, il se suicide dans le jardin. Ce n'est pas l'enquête policière qui menace ce "club" d'un genre particulier mais un jésuite chargé d'évaluer le fonctionnement de la maison. Avec la mission de la fermer et de remettre les fautifs à la justice. Signé Pablo Larrain, ce film est d'une rare actualité. Comme en France récemment, l'Église est suspectée de "protéger" ces religieux aux vies dépravées et qui font tant de mal dans leur entourage. La réalisation, sobre et sombre, donne un sentiment d'oppression extrême. Un film coup-de-poing qui, tout en dénonçant, donne un point de vue original sur ce scandale. En bonus, un long entretien du réalisateur chilien, le meilleur et le plus politique de ces dernières années.
"El Club", Wild Side Vidéo, 19,99 euros.

BD : S'évader des profondeurs avec Bec et Rafaele

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Conclusion de la série "Deepwater prison" écrite par Christophe Bec et dessinée par Stefano Rafaele. Dans un futur proche, pour résorber l'augmentation de la population carcérale, les autorités construisent des prisons au fond de l'océan. A 800 mètres de profondeur, impossible de s'évader. Ce huis clos angoissant est digne des meilleurs films d'évasion. Un petit groupe de prisonniers fomente un audacieux plan pour se faire la belle. Leur ticket de sortie c'est une fonctionnaire du gouvernement qui vient enquêter sur les conditions de vie de cet état dans l'état. On trouve à la manœuvre un ancien marine, condamné pour désobéissance. Et pour donner un peu plus de corps à l'ensemble, l'histoire tourne autour des exactions d'une grande compagnie pétrolière. Politique et écologique, la série est particulièrement crédible. Les dessins hyper réalistes de Rafaele renforçant cette impression.
"Deepwater prison", (tome 3), Soleil, 15,50 euros

DE CHOSES ET D'AUTRES : Twitter et la génération Hashtag ont 10 ans

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Dix ans déjà. Dix ans que le premier tweet a été envoyé sur le réseau social devenu le symbole de l'immédiateté de l'information.
Pour ceux qui ne pratiquent pas Twitter et ne se considèrent pas de la "génération Hashtag", petite leçon de rappel.

Contrainte initiale, le message ne doit pas dépasser les 140 signes. Court, mais cela permet d'aller à l'essentiel. Premier atout : le réseau est ouvert. Tout le monde peut suivre tout le monde, sans avoir à en demander l'autorisation contrairement à Facebook. Second atout : on peut twitter de partout si l'on dispose d'un smartphone.
Pour se convaincre de l'utilité de Twitter, il suffit d'établir un bref récapitulatif des grands événements de ces dernières années. A chaque fois, c'est le tweet d'un témoin qui le premier a alerté la presse puis la planète. Parfois même sans le savoir quand un anonyme signale des hélicoptères militaires près de chez lui, sans se douter qu'il s'agit de marines US en train de mettre fin à la traque de Ben Laden.

De même, le 13 novembre, avant l'ouverture d'éditions spéciales sur les chaînes d'infos, des passants parisiens twittent pour signaler des coups de feu ou des mouvements de panique. Sans imaginer l'ampleur de la tragédie en cours. Twitter semble rétrécir les dimensions de la planète. Il y en a toujours un parmi les millions de "twittos" actif, à lancer l'info. Ensuite, l'effet boule de neige se met en branle.

Une modification essentielle de notre société de l'information, avec l'apparition d'un autre type de journalisme. En plus du travail de terrain, la veille tient une place essentielle.

mercredi 23 mars 2016

DE CHOSES ET D'AUTRES : Attentats de Bruxelles, si loin, si impuissants

bruxelles, BD, attentatsLes attentats d'hier à Bruxelles me touchent directement. Plus que ceux de Paris pour cause de famille. Mon épouse est belge, de ce fait mes liens, déjà étroits avec le pays (passion pour la BD), n'en sont que renforcés. Nous apprenons qu'une explosion s'est produite dans l'aéroport de Zaventem, nos premières pensées vont vers Thierry, beau-frère et pilote de ligne.
Et lorsque sur Twitter le mot métro revient en boucle, nous imaginons tous nos amis et proches susceptibles d'appartenir aux dizaines de blessés. Réseaux sociaux et SMS permettent de nous rassurer au compte-goutes.
Comme nous l'écrit Vincent qui travaille à la Commission européenne, "tout le monde est safe". Il en est quitte pour rentrer chez lui à pied. Cynthia, en formation à Bruxelles, a pris le métro avant l'explosion. Elle a pu rassurer sa mère qui durant de longues minutes n'a pu s'empêcher de penser au pire.
Margaux, au travail depuis 6 heures du matin dans un supermarché, se prépare à de longues heures d'embouteillages. En réunion toute la matinée, Marie-Hélène n'a pas du tout suivi les événements. Elle nous répond vers midi après avoir contacté mari et enfants : "Tout va bien. C'est très stressant mais personne à Bruxelles".
Isabelle (la sœur de ma femme) est la dernière à donner des nouvelles : Thierry n'était pas à Zaventem ce matin, ses enfants pas dans le métro.
Paradoxalement, l'épicentre des explosions est plus éloigné de notre région, mais nous nous sentons encore plus proches, plus concernés, plus menacés. Nous sommes si loin et si impuissants.