mercredi 5 août 2015

BD - Une certaine France caricaturée par Diego Aranega

Si vous avez la chance de vivre dans un hameau perdu au fin fond de la campagne française, sans télé, radio ni internet depuis une dizaine d'années, cet album de Diego Aranega vous permettra en 100 pages de comprendre la France du XXIe siècle. Enfin une certaine France, celle que l'auteur, soit-disant « titulaire d'une chaire de psycho-morphogenèse à l'université de Princeton », imagine dans ses pires cauchemars. Grâce au SMD (le self made defense) vous pourrez résister aux pires des agressions des « cailleras » de banlieue, mieux que si vous maitrisez le Krav maga israélien
La technique de l'ongle pointu avec du sang caillé porteur de la fièvre ébola fera fuir tout agresseur. Sur la théorie du complot, très en vogue depuis les attentats du 11 septembre 2001, Aranega révèle les visées du groupe de Pilderberg, hydre moderne en mal de domination du monde civilisé. Mais la meilleure histoire reste celle sur les fans des années 80. Notamment les collectionneurs de la revue OK Magazine, quintessence de l'esprit « eighties ». Rien que pour les extraits du courrier des lecteurs cet album est indispensable pour tout véritable amateur de monstruosités.

« Anthroporama », Fluide Glacial, 14 €

DE CHOSES ET D'AUTRES - Plage royale

Vallauris, ses résidences de luxe, sa plage publique. Cette commune idéalement située entre Cannes et Antibes se passerait bien de la publicité générée par la venue du roi Salmane d'Arabie saoudite, présentée au début comme une manne pour le tourisme local. Le monarque se déplace avec sa cour de mille personnes. Point de laquais payés au smic. Plutôt des milliardaires en Ferrari qui écument les boutiques de luxe comme le touriste lambda les rayons des hard-discount. Mais en France rien n'est jamais simple. Le roi, installé dans sa résidence en surplomb de la plage, décide de privatiser ces quelques dizaines de mètres. 
Avant même son arrivée, on installe un ascenseur provisoire et des grilles aux différentes entrées. Qu'il dépense ses milliards chez Chanel ou Hermès, d'accord, qu'il spolie le peuple de sa bronzette gratuite, pas question. Une pétition sur le net plus tard, le messie financier fait ses valises et poursuit ses vacances au Maroc. Les commerçants de Vallauris et de Cannes vont subir un sacré manque à gagner. J'aurais presque tendance à défendre le souverain. Après tout, le moindre sou est bon à prendre en période de crise. Quoique franchement, qui regrettera son départ, quand on connaît l'odeur nauséabonde des pétrodollars de sa majesté. 
Pendant que Salmane faisait route vers Tanger, le blogueur Raif Badawi toujours en prison, attendait d'être fouetté en public (encore 950 coups) pour son crime : la création d'un site critique contre le gouvernement et la religion.

DE CHOSES ET D'AUTRES - Cher Maître Gims


L'affaire du concert de Maître Gims à Ille-sur-Têt fin juillet continue de provoquer des vagues. Rappel pour les absents : le rappeur a chanté en playback durant 45 minutes devant des fans déçus de ne pouvoir le rencontrer à la fin du concert. Un groupe de mécontents se monte sur Facebook, les organisateurs y jettent leur grain de sel et finalement l'artiste répond dans un communiqué qui, je l'avoue, m'a fait me gondoler de rire. Je ne connais pas Maître Gims, et encore moins ses chansons. Il semble cependant avoir, comme on disait dans ma jeunesse, « chopé le melon ». Déjà, le « Maître » aurait dû me mettre en alerte. 
Le communiqué, présenté comme une réponse personnelle à ses détracteurs, est rédigé à la troisième personne. Comme un roi (ou Alain Delon). « Maître Gims tient à clarifier la situation avec ses fans. Il a assuré sa prestation avec tout le professionnalisme qui est le sien. » Et de promettre une tournée « spectaculaire ». 
Mais les soucis estivaux du Maître ne font que commencer. Le 14 août il doit se produire à Saint-Avold en Moselle dans le cadre de la Fête de la piscine. Problème : l'opposition municipale demande l'annulation du contrat, jugé trop onéreux. 74 000 euros de cachet. S'il ne chante que trois-quarts d'heure comme à Ille, il empoche plus d'un smic par minute. 
Qui a dit que la poésie n'a plus d'avenir ? Rien que ces deux vers de Maître Gims, « Mais quand je la vois danser le soir / J'aimerais devenir la chaise sur laquelle elle s'assoit » lui rapportent pas loin de 100 euros.

mardi 4 août 2015

BD - Lewis Trondheim en balade


Ecosse, Angoulême, Canada... Lewis Trondheim, le succès aidant, a l'occasion de dépenser ses énormes droits d'auteur en divers voyages d'agrément. Donc, entre deux bouclages, il découvre le monde et en profite pour se dérouiller la main dans des gags où il se met en scène ou dans des dessins d'après décors authentiques. Il distille le tout sur son blog puis reprend ces tranches de vie dans des albums aux parutions aléatoires. Le septième recueil vient de paraître. On apprend que Lewis a visité l'Ecosse, le Canada, a participé à quelques festivals, s'est cassé le coude et a croisé la route d'un « arbre en furie » qui a donné son titre à l'album. 
Avec souvent des réflexions sur le temps qui passe et l'âge avec. Le tout avec une certaine ironie comme quand il décide de mettre à jour son répertoire téléphonique et découvre que certaines de ses connaissances sont mortes. Quatre, pas mal... Il s'inquiète quand à la boulangerie, voulant régler avec des petites pièces, la jeune vendeuse lui demande de tout lui donner qu'elle triera. « Comme les vieux... » ne peut-il s'empêcher de penser. Mais le coup dur, la page qui marque, c'est celle dessinée le jour de la tuerie à Charlie Hebdo. Parmi les victimes, Wolinski, son « meilleur ennemi » dans la profession...

« Les petits riens de Lewis Trondheim » (tome 7), Delcourt, 12,50 euros


lundi 3 août 2015

BD - Démons possessifs dans "Outcast"


Robert Kirkman est le scénariste américain qui monte. La faute aux zombies de Walking Dead, comics qu'il a créé puis adapté à la télévision avec le succès planétaire que l'on sait. La saga des zombies lui laisse cependant un peu de temps pour se consacrer à d'autres univers. Horrifiques, eux aussi. 
« Outcast » lorgne ouvertement vers l'univers du film « L'exorciste ». Le révérend Anderson officie comme exorciste. Il demande souvent de l'aide à Kyle Barnes, dépressif ayant un rapport fort avec les forces de l'au-delà. Dessinée par Paul Azaceta, cette série prometteuse vaut pour la terreur qu'elle génère mais également le passionnant portrait psychologique de Kyle.

« Outcast », Delcourt, 16,95 euros

DE CHOSES ET D'AUTRES - Sarko lit


Donc, l'été, Nicolas Sarkozy lit. Il le fait savoir et publie un tweet illustré de son portrait, un livre de poche à la main. « L'adieu aux armes » d'Hemingway en Folio avec cette légende : « Un bon livre pour l’été, l'idéal pour se reposer et se ressourcer. Bon vendredi à tous ! #VendrediLecture ». Immédiatement, il est l'objet d'une multitude de railleries sur Twitter. Les plus méchants détournent l'image et changent la couverture. Exit Hemingway, et place à « Oui-Oui », « Y a-t-il une vie après la prison ? », « La politique pour les Nuls » et même le fantômatique « 1793 » de Victor Hugo (rappel d'une précédente bourde littéraire d'un certain Nicolas Sarkozy). En voulant participer à un mouvement hautement sympathique (le mot-dièse #VendrediLecture permet aux internautes de citer le livre qu'ils lisent ce jour précis), il se retrouve tourné en ridicule. 
La faute à la forme. Généralement, un #VendrediLecture s'accompagne, au mieux, de la couverture du livre. Jamais de la photo du lecteur, en pied, décontracté en chemise ouverte, barbe de trois jours, le regard fixé vers l'objectif, comme s'il était plus important que le livre... Les conseillers de Sarkozy oublient que dans ce genre de tweet, l'essentiel n'est pas le prescripteur, mais l'œuvre choisie. 
Reste que le roman d'Hemingway est un excellent choix. Mieux en tout cas que « L'histoire de France pour les nuls », rendu célèbre en 2007 entre les mains de François Hollande, lui aussi en vacances, sur une photo volée où il est étendu sur une serviette de plage en short de bain.

dimanche 2 août 2015

BD - Bombe à Tel Aviv


Mike's Place, bar à Tel Aviv, est un des rares endroits en Israël où la politique n'a pas droit de cité. Seule la bonne musique et l'esprit festif sont admis dans ce petit paradis de quiétude. Au printemps 2003, Jack Baxter, cinéaste américain, découvre cette oasis. Il tourne des dizaines de rushes sur les patrons, les barmen, les clients. Il veut faire de ce reportage une ode à l'entente entre les peuples, à la paix. 
Mais quelques jours avant son départ, un kamikaze d'Al Qaïda se fait exploser à l'entrée du Mike's Place. Dom, la serveuse française est tuée, Jack grièvement blessé. Ce roman graphique en noir et blanc de 200 pages dessinées par Koren Shadmi raconte cette histoire où s'entremêle de multiples sujets, de l'amitié à l'amour en passant par la religion, forcément. Une œuvre en complément du film, rare témoignage du véritable Israël.

« Mike's Place », Steinkis, 20 euros

samedi 1 août 2015

BD - La mafia du catch


Si la BD japonaise prospère en France, l'inverse n'est pas vrai. La production franco-belge, pourtant pléthorique, n'arrive jamais au pays du Soleil Levant. A de rares exceptions. L'exemple de « La République du catch » de Nicolas de Crécy prouve pourtant qu'il existe des passerelles. Mais au lieu de simplement diffuser des œuvres déjà existantes, les éditeurs japonais préfèrent des histoires formatées pour leurs revues. 
C'est donc à une commande que le créateur de Léon La Came a répondu. 200 pages à livrer en huit mois pour le mensuel « Ultra Jump ». Avec parution en album simultanée en France et au Japon. Mario, petit marchand de piano, est l'oncle d'Enzo, bébé terreur à la tête de la mafia locale. Ses hommes de main, ce sont des catcheurs. On croise également un manchot (l'animal) mélomane, des fantômes faibles et la tête d'un tueur à gages. Sans oublier la belle Bérénice, à la peau si douce... aux muscles si durs. 
Seul bémol dans cette histoire dense et dessinée dans ce style inimitable, la fin appelle une suite. Qui n'est pas assurée d'exister. Tout dépend du succès du livre au Japon. Amis Nippons, vous savez ce qu'il vous reste à faire !
« La république du catch », Casterman, 20 euros

DE CHOSES ET D'AUTRES - Le riant été

J'avoue mon admiration sans borne face à la bêtise de certaines personnes, héros involontaires de faits divers estivaux. Le « teufeur » brouteur, la mère et son bébé maquillé à l'auto-bronzant, le jeune rebelle à l'équilibre chancelant : trois exemples glanés cette semaine dans la presse.
Publiée dans l'Indépendant (édition de Carcassonne), l'histoire du « teufeur » brouteur dans un petit village de la Montagne noire : à l'issue d'une rave, les gendarmes remarquent un jeune à quatre pattes dans une prairie. Explication fournie par l'intéressé à la maréchaussée : il cherche un bon coin... pour brouter de l'herbe. Laissé en liberté, le compte-rendu ne précise pas si l'énergumène est une recrue de la mairie de Grenoble (où les espaces publics sont désormais entretenus par des moutons).
Outre-Manche, cette maman veut être belle malgré sa récente maternité. Elle se badigeonne donc la poitrine d'auto-bronzant. Et dans la foulée, donne le sein à son bébé. Surprise, une fois la tétée terminée, l'enfant est bronzé, mais uniquement de la joue droite, du menton et du bout du nez. La maman s'excuse sur Facebook, le bébé a retrouvé son teint rose en quelques jours.
Enfin la palme revient à ce jeune qui fait la fête dans un appartement de Colmar. Il repère une voiture de police. Rebelle, tient à cracher sur les forces de l'ordre. Prend son élan et bascule par-dessus la rambarde. Bilan : trauma crânien et multiples fractures. Sans compter les poursuites judiciaires pour « outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique ». Et non, l'été tout n'est pas permis.

vendredi 31 juillet 2015

Roman noir - Conscience alignée dans « L'alignement des équinoxes »

Il y a du Dantec dans « L'alignement des équinoxes », premier roman noir (très noir) de Sébastien Raizer dans la Série Noire qui fête cette année son 70e anniversaire.


Pour rester dans les codes du genre, les deux héros du roman policier de Sébastien Raizer sont flics. Des inspecteurs de la criminelle au 36 quai des Orfèvres. Mais Papy Maigret est loin. Même San-Antonio semble banal à côté de Wolf et Silver
Wolf, le mec, ancien commando dans l'armée, dur et solitaire. Silver, la fille, d'origine asiatique, adoptée par des Français moyens, dure et solitaire. Un couple sans en être un. Jamais ils ne se touchent. Respect, confiance, mais pas un gramme de tendresse entre eux. Logique quand on découvre un peu plus leurs personnalités. Ce ne sont pas des êtres humains que l'on aime croiser la nuit dans une ruelle mal éclairée. Et si par malheur vous vous retrouvez en garde à vue, priez pour ne jamais tomber entre leurs mains. La police dans ce présent aux airs de futur proche ne supporte plus les dérives du code de procédure pénale. Si chaque suspect a droit à un avocat, bientôt chaque policier devra lui aussi avoir un défenseur tant le moindre clignement d'oeil ou éternuement peut se transformer en « agression caractérisée » ou « moyen de pression psychologique pour faire avouer un témoin ». Ils doivent souvent se contenter de faits divers routiniers comme ce suicide par pendaison d'un gamin dans un centre de réinsertion. « Allé tous crevé, Jihad ! » a-t-il laissé sur un bout de papier. Peu optimiste face à la dérive de notre société, Wolf constate amer que « décidément, le Jihad était à la mode dans ce monde où la mort était la dernière grande aventure qui ne discriminait personne, où l'extrême nihilisme tenait à la fois lieu de destin et de revanche sociale. »

Décapité
L'enquête au centre de ce thriller débute véritablement quand une patrouille de nuit est prévenue qu'un homme vient d'être assassiné dans un appartement parisien. Effectivement ils découvrent un corps... la tête quelques mètres plus loin. La tueuse, une jeune femme d'une beauté extrême, est assise dans un coin de la pièce. Devant elle le sabre de samouraï avec lequel elle a décapité sa victime est planté dans le plancher. Elle s'appelle Karen et va envahir l'esprit de Wolf chargé de l'interroger. Si elle reconnaît le meurtre, elle préfère philosopher que de s'expliquer. Le tuer était nécessaire pour atteindre le stade ultime de « l'alignement ». Folle ? Non car Silver comprend parfaitement la signification de cette démarche et que Wolf, lui aussi, semble sensible à cette théorie de « l'alignement des équinoxes » donnant son nom au roman.
Le texte devient encore plus symbolique, chaque personnage ayant plusieurs facettes, interférant les unes sur les autres au gré de leur avancement dans ce fameux « alignement ». En résumé, il est question de fin du monde, de végétalisme, de psychologie, de sexe, d'agriculture biologique (« un oxymore qui ne devrait pas exister ») et bien sûr de mort. Enfin, ce que l'on appelle communément la mort. Dans ce roman, il apparaît que parfois, un esprit a suffisamment de force intrinsèque pour survivre à son enveloppe charnelle.
Beaucoup de fantastique, un peu de technique, de la baston, un « grand méchant » mémorable et vous voilà plongé dans 450 pages qui ne vous laissent pas indemnes. Et même si Sébastien Raizer, Français vivant à Kyoto, ne s'en réfère pas dans ses remerciement (il cite Mishima et Philip K. Dick), ce texte fait furieusement penser aux univers de Maurice G. Dantec. Et comme tout ne se termine pas forcément mal, une suite est annoncée en 2016.

« L'alignement des équinoxes », Gallimard Série noire, 20 €