mardi 26 novembre 2013

BD - "Loup de Pluie", le Western ultime de Jean Dufaux et Ruben Pellejero


Quand Jean Dufaux décide d'écrire le scénario d'un western, on se doute que cela va aller un peu plus loin qu'une banale série B, voire d'une daube au spaghetti. Le scénariste donne une dimension de tragédie à cette histoire de vengeance, de tolérance et de folie. Un souffle, une profondeur, rares de nos jours dans la BD, renforcés par les dessins de Ruben Pellejero, présenté par l'éditeur comme le « maître de la BD espagnole ». C'est un peu réducteur, mais pas si éloigné que cela de la réalité. Le second tome de « Loup de pluie » est aussi violent et dramatique que le premier. L'Indien, a tué un Blanc raciste pour protéger un ami, Blanc mais tolérant. Il prend la fuite. Pour assouvir sa vengeance, la famille Cody prend en otage Blanche, la fille des McDell, protecteurs de Loup de Pluie. Au fond d'un canyon, les deux clans vont s'affronter dans une bataille sanglante. A moins que les Indiens ne mettent tout le monde d'accord. En parallèle à ces scènes d'une grande tension, on suit la quête de Petite Lune, une Indienne sur les traces du légendaire Bison Blanc. Rayon de soleil et d'espoir dans un monde cruel et violent, elle saura conquérir le cœur de Bruce McDell et faire confiance au fantôme agissant de Loup de Pluie. Tout simplement grandiose.

« Loup de Pluie » (tome 2), Dargaud, 13,99 €

lundi 25 novembre 2013

BD - Course au trader en réalité augmentée


Parfois, mieux vaut disparaître. Perdre son identité pour faire table rase, effacer son passé. Eric Magoni a tout pour être heureux dans ce monde aimant les signes extérieurs de richesse. Un trader dans toute sa splendeur. Riche, ayant femme et enfant, entretenant une relation extra-conjugale avec une femme distinguée... Il passe justement une bonne partie de l'après-midi dans ses bras. Quand il revient au bureau, il constate effaré que son ordinateur a été utilisé pour faire des placements hasardeux. Et ruineux. 5 milliards envolés. Ça chauffe pour Magoni. Il tente de prendre la fuite, mais sa femme le dénonce. 
Placé en garde à vue, son dernier espoir réside dans le témoignage de sa maîtresse. Elle affirme froidement que cette relation n'est que mensonge d'un homme acculé. Magoni est mis en examen et le juge décide de son incarcération. Lors de son transfert, le véhicule de police est attaqué par des... pigeons. Le trader va saisir sa chance et tenter de changer d'identité grâce à une mystérieuse organisation. 
Une BD dans l'air du temps, entre fantastique et grosse manipulation informatique. Simon au scénario et Émilie au dessin ont prolongé l'album par un site internet et un jeu vidéo. Là aussi, on est dans une autre dimension.

« Media Entity » (tome 1), Delcourt, 13,95 €

dimanche 24 novembre 2013

BD - Contes revisités chez Glénat


Les éditions Glénat viennent de lancer une ambitieuse collection : « A l'origine des contes ». Des gros albums de près 70 à 80 pages, sur des histoires connues de tous. Les trois premiers titres viennent de paraître. On y retrouve les variations autour de Pinocchio, Blanche Neige (splendides dessins de Fabrice Meddour) et Barbe Bleue. A chaque fois c'est Philippe Bonifay qui signe le scénario. 
Pour le dernier titre, dessiné par Stéphane Duval, c'est Perrault en personne, sur la tombe de son jumeau imaginaire, qui raconte l'origine du conte. Du fait divers car Perrault prétend que rien n'est inventé dans cette histoire de mari tueur d'épouses. En fait c'est le jumeau maléfique et laid de la Barbe Bleue qui occis les femmes et maîtresses de son frère angélique. Dès lors une lutte implacable s'engage entre les deux frères. Elle les conduira jusqu'aux confins du monde connu, au cœur de l'Afrique, pour les courbes parfaites d'une vénus noire à faire damner un évêque. 
Réflexion sur la création artistique, la vengeance et surtout le rejet de la « différence », cet album n'excuse pas les crimes, mais permet au lecteur de les comprendre.

« La Barbe Bleue », Glénat, 18,50 €

samedi 23 novembre 2013

BD - La vague des fantômes dans Tsunami de Pendanx et Piatzszek


Alors que les Philippines peinent à se relever du passage dévastateur du typhon Hayien, Piatzszek et Pendanx reviennent sur un autre drame qui a durablement endeuillé cette région de l'Asie. Le 26 décembre 2004 une vague gigantesque submergeait l'Indonésie. Des milliers de morts. Une aide internationale souvent impuissante. Parmi le centaines de médecins venus soigner les blessés, une toubib française Elsa Mataresse. Quelques mois après son arrivée sur les lieux du drame, elle disparaît. De nos jours, son jeune frère, se lance à sa recherche. Il va remonter la trace de sa sœur jusqu'à ce chapelet de petites îles qui auraient tout du paradis perdu si elle n'avaient servi de vaste fosse commune aux centaines de corps dérivant au fil des courants. Superbe création que ce Tsunami. Le récit de Piatzszek alterne parfaitement vues touristiques actuelles et souvenirs du temps de la dévastation. Le petit Français va rencontrer d'autres « fugitifs » sur son chemin, d'autres écorchés à la recherche de cette inaccessible quête... Il parviendra cependant à s'apaiser car les morts, même quand il sont légion, ne veulent pas de mal aux survivants. Une belle parabole sur l'intérêt de profiter de la vie, là, maintenant.

« Tsunami », Futuropolis, 20 €

vendredi 22 novembre 2013

BD - Le délire pictural de Gauguin aux Marquises


Comme Jacques Brel, Gauguin a terminé ses jours aux Marquises. Le peintre français, lassé d'une société de consommation en pleine expansion, figée dans des carcans mortifères, s'exile en Polynésie française pour retrouver le sauvage qui est en lui. C'est un homme déjà passablement usé par la vie et les excès qui débarque sur ce bout de terre au climat équatorial. Il y découvre la beauté des femmes de la région, parvient à saisir leur langueur et en faire des chefs d'œuvre. Mais à côté de cette période de pure créativité, il part en délire complet. 
Alcool, drogue, excès en tout genre compromettent sa santé physique. Sa santé mentale étant déjà sévèrement entamée. Les ultimes mois de la vie d'un iconoclaste version anarchiste sont racontés dans ce roman graphique de Maximilien Le Roy et Christophe Gaultier. Le premier fait intervenir dans le récit une autre figure emblématique des tropiques français : Victor Segalen. 
Quand au dessinateur, il choisit une voie exigeante : ne jamais céder à la facilité de reproduire les toiles emblématiques du peintre maudit. A l'arrivée cela fait un album sombre, malgré les très belles couleurs de Marie Galopin.

« Gauguin », Le Lombard, 19,99 €

jeudi 21 novembre 2013

BD - Seuls dans l'arène


Les grosses sorties BD se concentrent de plus en plus sur la fin de l'année. Après le nouvel Astérix, place aux autres séries aux tirages conséquents. Thorgal, XIII, Blake et Mortimer et, chez Dupuis, le 8e titre de « Seuls ». Entre fantastique et réalisme, Vehlmann au scénario et Gazzotti au dessin ont développé un univers aux adeptes de plus en plus nombreux.
A la base, cinq enfants se réveillent un matin dans une ville déserte. Tous les adultes ont disparu. Ils sont en réalité perdus dans le monde des Limbes et devront s'unir pour affronter d'autres rescapés. Dans « Les arènes », ils arrivent dans une ville fortifiée après avoir été capturés. Une société très inégalitaire s'est mise en place. D'un côté les esclaves, de l'autre une petite minorité de dominants. Pour accéder au cercle dirigeant, il faut remporter des épreuves dans les Arènes. Un combat violent et sadique, sorte de grand défouloir pour le peuple oppressé. Les héros, malgré leur opposition, n'auront pas le choix et devront descendre dans l'arène. Cet album fait la part belle à l'action, Gazzotti s'affirmant de titre en titre comme le meilleur « cadreur » de la BD franco-belge actuelle.

« Seuls » (tome 8), Dupuis, 10,60 €


mercredi 20 novembre 2013

BD - Danseuses étoilées chez Bamboo avec Béka et Crip


Tout est bon pour faire une BD d'humour si les scénaristes ont du talent. La preuve avec Studio Danse.
Béka raconte avec tendresse le quotidien d'une école de danse. Des adolescentes rêvant de devenir des danseuses étoiles. On pourrait penser que ce genre de production n'est destiné qu'à un public féminin. Grosse erreur. Les auteurs savent doser leurs effets. Il est certes beaucoup question de danse, mais ce sont surtout les petits défauts des jeunes d'aujourd'hui qui sont brocardés avec délice. 
Une ambitieuse un peu crâneuse, une gentille qui veut devenir plus méchante, la rondelette bombardée vedette et qui trouve l'amour dans les bras du prince charmant... Il y en a pour tous les goûts. Même les geeks trouveront leur bonheur avec le gag des SMLS envoyés en plein cours. La réussite de la série doit aussi beaucoup au dessin de Crip. Tel un Bloz, sans faire de bruit, il maîtrise parfaitement cet univers et s'impose comme une valeur sûre du « ballet » Bamboo.

« Studio Danse » (tome 8), Bamboo, 10,60 €

mardi 19 novembre 2013

NET ET SANS BAVURE - Dernière pirouette

Ils nous auront fait rire jusqu'au bout ces footballeurs français. Passons sur les déclarations guerrières de Giroud "prêt à mourir sur le terrain" (on n'en demande pas tant, trois buts suffisent...) et intéressons-nous à un canular devenu information. Un site parodique de France Football, FootballFrance.fr, annonce que la chaîne de la TNT, D8, se positionne sur les rangs pour acquérir les droits de diffusion télé des matches de l'équipe de France. Et pour rendre le programme plus attractif, Cyril Hanouna serait aux commentaires. Après le match, Enora Malagré animera un talkshow intitulé "Touche pas à mon équipe de France"...
Faut-il que les Bleus aient perdu de leur crédit pour que Le Figaro reprenne au comptant cette fausse information. Il est vrai que parfois, plus c'est énorme, plus ça marche. Mais là, quand même... Et devinez qui a dévoilé le pot aux roses ? Le blog de Jean-Marc Morandini. Non pas que l'animateur radio s'intéresse au foot, mais dès que le nom de Cyril Hanouna apparaît quelque part, il lance ses "limiers" pour tenter de trouver le petit détail qui pourrait desservir l'animateur vedette de D8 et ennemi numéro 1 de Morandini.
En fait FootballFrance.fr aurait dû taper encore plus fort. Hanouna titularisé à la pointe de l'attaque et Morandini à la place de Deschamps. Au moins le Figaro ne se serait pas fait piéger. Et on aurait eu une petite chance de se qualifier...

lundi 18 novembre 2013

BD - Niklos Koda bascule du côté noir


Cinq ans que le magicien Niklos Koda avait disparu du rayon nouveautés BD. Son dessinateur, Olivier Grenson a mené quelques projets différents, dont « La douceur de l'enfer » en solitaire. Il retrouve là son scénariste attitré, Jean Dufaux, pour la première partie d'un nouveau cycle. Le héros, de magicien blanc, est passé (en partie seulement), du côté obscur de la magie. 
Pour sauver sa femme et sa fille, Séleni, il a invoqué l'esprit maléfique niché au sein du 6e livre, le Spiborg, la spirale Borgès. Depuis il glisse vers les ténèbres. Pour mettre fin à ce mouvement, Niklos doit retrouver le livre et le détruire. Il se rend à Shanghai et participe à la vente aux enchères de ce livre très convoité. Niklos y retrouve quelques uns de ses adversaires, anciens nazis et autres mafieux comme l'ennemi implacable Hali Mirvic. La confrontation est violente et sans pitié. 
Olivier Grenson, après ce long intermède, revient avec un dessin encore plus précis et délicat. Le tout mis en couleur par Bekaert qui signe pour la première fois de son véritable nom.

« Niklos Koda » (tome 11), Le Lombard, 12 €



dimanche 17 novembre 2013

Livre - Amours et contrariétés chez Philippe Djian et Gaëlle Héaulme


Histoire d'amour presque classique pour Philippe Djian, somme de contrariétés pour Gaëlle Héaulme : la vie n'est jamais simple dans les romans français...


Le style de Philippe Djian, simple et évident, cache l'essentiel de sa démarche : montrer toute la complexité de l'être humain. Mission réussie avec « Love song », roman d'amour contrarié. Le texte se lit avec une facilité déconcertante. Pourtant, à l'opposé, les agissements des divers personnages sont complexes, tortueux... Daniel est une star. De ces chanteurs de variétés, limite rockstar, vendant de millions de disques et enchaînant tournée sur tournée. Les feux de la rampes, il connaît. Depuis longtemps. Un peu trop longtemps. A 50 ans passés, il se doute que le succès ne peut qu'aller en décroissant. Les crises, financières et de l'industrie du disque, sont passées par là. Mais cela ne lui coupe pas l'inspiration. Au contraire, il puise des idées dans cette existence cruelle et difficile. Ses chansons sont tristes. La dernière encore plus que les autres. Il y parle de Rachel, sa compagne, partie il y a huit mois avec un de ses guitaristes. Son manager Walter (par ailleurs frère de Rachel) adore ce nouveau titre, mais nuance immédiatement « on ne pourra pas faire un album entier avec des trucs qui donnent envie de se foutre en l'air. » « Ils nous ont à l'œil, Daniel. Tu le sais. Ils vont nous serrer la ceinture. » Daniel répond sèchement « Qu'ils aillent au diable. » Le chanteur a d'autres problèmes, plus terre à terre comme gérer le retour de Rachel au domicile conjugal (mais enceinte...) et convaincre Amanda, prostituée de luxe, sexagénaire ancienne musicienne, d'entrer en cure de désintoxication.
Le lecteur se met dans les pas de Daniel, heureux du retour de Rachel, même si elle refuse qu'il la touche. La bascule du roman se fait, dans un premier temps (il y aura d'autres rebondissements), quand le musicien, père de l'enfant de Rachel, vient à la villa. Il arrive en pleine livraison d'un piano. L'instrument de musique, comme mu par la volonté de Daniel, se décroche et fracasse la tête du rival.
Accident. Scandale... Il en faut cependant plus pour déstabiliser la bête de scène harcelée par les paparazzis qu'est Daniel. Il fait le dos rond et parvient même, quelques mois plus tard, à de nouveau posséder Rachel. Mais Philippe Djian a d'autres cartes maîtresses dans sa manche. Le lecteur sera bluffé, comme toujours avec ce romancier hors du commun.

Nouvelles méchantes

Écrire simple, Gaëlle Héaulme aussi sait faire. Pourtant il s'agit de sa première publication. Un recueil de nouvelles, des textes courts, intenses et radicaux. Comme cette femme qui depuis des années ne supporte plus les manies de son mari. Un jour elle craque et lui sort la liste de tout ce qu'il fait de travers ou n'a pas fait, tout court. Il ne comprend pas. Jusqu'à l'arrivée inopinée d'une bûche. Alors, enfin, « Je déjeune toute seule dehors en écoutant les oiseaux ». Les femmes sont omniprésentes dans les nouvelles et les hommes souvent dépassés. Un père divorcé a sa fille pour le week-end. Une épreuve pour lui qu'il fait passer à grand renfort d'alcool fort. Aussi, quand la gamine tombe d'un arbre et se blesse, il est loin, très loin, perdu dans ses regrets et pensées négatives. Il est aussi question de cancer, de violence, de doutes et de maladie. La vie est remplie de ces « petits contretemps » qui parfois nous conduisent direct au cimetière. Gaëlle Héaulme les affronte dans ces nouvelles désenchantées.

« Love song », Philippe Djian, Gallimard, 18,90 €

« Les petits contretemps », Gaëlle Héaulme, Buchet Chastel, 15 €