Quelques chroniques de livres et BD qui méritent d'être lus et les critiques cinéma des dernières nouveautés. Par Michel et Fabienne Litout
mardi 18 janvier 2011
Roman - Le Liban familial de Christophe Donner
Écrivain atypique à la production très conséquente, Christophe Donner a deux passions : les chevaux et le jeu. Il parviendra, comme toujours, à placer ces deux éléments dans son nouveau roman qui normalement aurait eu comme sujet principal la famille et le Liban.
Narrateur et personnage principal, il quitte Paris pour quinze jours, direction le Liban en compagnie de sa femme. Dora va voir, peut-être pour la dernière fois, son père, Elias Chamoun. Le patriarche qui affiche un âge invraisemblable pour ce pays souvent en guerre : 104 ans. Il n'a plus toute sa tête, mais suffisamment pour mener la vie dure à sa femme et à la bonne. Christophe Donner ,« Monsieur Christophe » pour Elias, a un faible pour ce vieil homme qui semble avoir des trous de mémoire sélectifs. Par exemple, il est incapable de se souvenir du prénom de sa fille, Dora, l'épouse de l'auteur. Cette dernière ne lui en veut pas, comme ses frères et sœurs elle est en pâmoison devant cet homme capricieux et autoritaire mais qui semble éternel.
Au fil des jours le charme s'estompe et Elias devient de plus en plus insupportable. Cela donne ces lignes d'une étonnante clairvoyance :
« La vieillesse qui serait un retour à l'enfance, je n'y crois pas, c'est un cliché pour dissimuler l'horreur. En fait, c'est un couloir de plus en plus étroit, de plus en plus étroit, dans lequel les vieillards avancent à tout petits pas. Leur maladresse n'est pas celle des enfants, mais celle de l'épouvante. »
Ces quinze jours à Beyrouth pour Christophe Donner, ce sont aussi, et surtout, deux semaines loin des champs de courses parisiens. Il se contente d'admirer, depuis le balcon de l'appartement qu'il occupe, les pur sang libanais à l'entraînement sur la piste du vieil hippodrome.
Un séjour au cours duquel il redoute puis espère presque qu'Elias tire enfin sa révérence, qu'il emporte dans sa tombe ses humeurs, sa dépendance et avec lui ses secrets. Un roman lumineux sur le Liban, la famille et la mort... avec un zeste de course hippique, Christophe Donner oblige.
« Vivre encore un peu », Christophe Donner, Grasset, 14 €
lundi 17 janvier 2011
Roman - La sagesse des animaux d'une "Lointaine Arcadie"
L'homme peut-il vivre seul, en reniant toute émotion, tout contact ? Matthieu, le personnage principal de ce roman de Jean-Marie Chevrier, ne se pose pas la question. Pour lui c'est une évidence, une étape essentielle de sa vie. Il a longtemps été libraire à Paris. Marié, sa femme l'a quitté après des années de vie commune, les dernières passées plus côte à côte qu'ensemble. Ce citadin vend son magasin, prend sa retraite et achète, pour une bouchée de pain, une vieille maison sur un petit terrain dans la Creuse.
Déesse vache
Après quelques travaux afin d'y apporter un minimum de confort, il s'y installe et entame un processus de désocialisation et de retour sur soi. Matthieu va vivre des expériences simples et nouvelles lui permettant de redonner un sens à son existence. Il trouvera notamment de nombreuses réponses en observant les animaux des alentours. Sauvages (salamandre, sanglier...) ou domestiques comme ces génisses ruminant paisiblement dans un champ. Parmi elles, il tombe littéralement sous le charme de Io (le nom de déesse qu'il lui donnera plus tard): « Elle avait un pelage crémeux, avec, dans les plis où s'attachaient les pattes et dans le fanon qui pendait à son cou, des ombres brunes et violettes. Ni plus grande , ni plus forte que les autres, elle régnait sur le troupeau par sa différence. » Matthieu va tout faire pour acheter cette vache, la transformer en animal domestique. Ce sera long, mais elle donnera au fil des mois un peu de cette chaleur qui commence à lui manquer.
Matthieu n'est cependant pas complètement coupé du monde. Jean-Marie Chevrier, entre les longues descriptions de ses balades dans les bois et veillées devant la cheminée, lui fait rencontrer une violoniste et un voisin promenant son fils handicapé (sourd, muet et aveugle) au bout d'une laisse. Mais le cœur du roman c'est cette volonté qu'a Matthieu de faire un bilan sur la vie, sa vie. Il analyse ses attitudes d'avant, quand il était dans la masse. « Incapable d'engagement, terrifié par le groupe, redoutant le sport, craignant d'être assujetti à toute vie associative, il était resté prisonnier de sa liberté. »
Ce paradoxe explique toute sa démarche. Pourtant, car quand surgissent, en plein été, deux randonneurs, tous les sens de Matthieu vont se réveiller. Forcément. Avec une randonneuse dont il soigne les pieds le premier soir pour cause d'ampoules et son mari archéologue pompeux, quitter ces trois années d'hibernation ne sera que finalement, redonner un sens à sa vie. Avec à la clé plaisir futile et amour fou.
« Une lointaine Arcadie », Jean-Marie Chevrier, Albin Michel, 16 €
dimanche 16 janvier 2011
BD - Parodies ensoleillées
Lanfeust Mag, le mensuel BD des éditions Soleil, est également le reflet de la vie quotidienne du Gottferdom Studio. Ce regroupement de dessinateurs et de scénaristes, tous auteurs de talent, ne se prennent pas au sérieux. Pour preuve ils sont les héros d'histoires courtes ciselées par Dav et les mettant en scène dans des parodies de films célèbres. Ce cinquième titre débute par une satire d'Avatar, le film événement de James Cameron. Dom, la caricature du scénariste Dominique Latil, est transformé en alien bleu et va tenter de protéger l'arbre magique que le méchant, Arleston, veut abattre pour le transformer en papier pour imprimer les millions d'albums qu'il vend chaque année. Une entrée hilarante pour un album allant crescendo avec les parodies de Peter Pan, Toy Story ou Prince of Persia. Le meilleur est pour la fin avec « Les aventuriers de Gott-Lanta ». Nos héros sont très crédibles en vedettes de télé-réalité. Ils ne semblent pas se forcer outre mesure pour être aussi bêtes que insupportables. Du grand art !
« Gottvatar » (tome 5), Soleil, 9,95 €
samedi 15 janvier 2011
BD - La mère aventureuse de "Nouveau monde"
Pas un seul moment de répit dans le premier album de cette série aventuro-historique signée Filippi (scénario) et Mezzomo (dessin). En 1755, sur la côte est de l'Amérique, des naufrageurs repèrent un voilier en difficulté. Ils se préparent à accueillir à leur façon les membres de l'équipage en perdition. Manque de chance pour les bandits, les hommes et femmes qui réussissent à mettre pied à terre n'ont aucunement l'intention de se laisser massacrer sans se défendre. Ils ont à leur tête une blonde particulièrement téméraire : Emie. C'est elle qui déclenche les hostilité abattant à bout portant le chef des naufrageurs. Emie, le personnage principal de cette BD, une mère avant tout qui est à la recherche de ses deux enfants. Cette Anglaise a favorisé une mutinerie sur le navire la conduisant en Amérique. Elle est recherchée par l'armée anglaise, de même que les exilés, pas très recommandables, qui ont profité de l'aubaine. Dans les bois, contre les tuniques rouges ou les indiens, Emie et ses amis ne cessent de tuer pour se défendre et arriver à leur but.
« Nouveau monde » (tome 1), Glénat, 13,50 €
vendredi 14 janvier 2011
BD - Sarkozix, an 2
Décidément, même s'il a tout fait pour gommer son image « bling-bling », Nicolas Sarkozy est une mine pour les humoristes. Le second recueil de gags contant les « aventures de Sarkozix » vient de paraître sous une couverture montrant Sarkozix et sa femme Carlita, perchés au sec sur un bouclier alors que tout autour d'eux la Gaule se noie sous des inondations. « Et ils coulèrent des jours heureux... » renforce ce sentiment que le couple présidentiel est totalement déconnecté des réalités du pays. Lupano et Delcourt au scénario, y vont très fort dans la critique. Bazile, au dessin, signe quelques caricatures sympas (Johnny, Villepin, Fillon...) qu'Uderzo ne renieraient pas.
Un album qui suit l'actualité, de la crise de l'euro à l'avènement de « Barako », nouvel empereur du monde. Celui-là, Sarkozix ne l'aime pas. Trop de prestance et de charisme. Le petit chef gaulois irascible en souffre. Son entourage aussi car quand Sarkozix n'est pas content, ses colères sont homériques. Une série qui enchantera tous ceux qui sont lassés par la politique. Ils sont de plus en plus nombreux...
« Les aventures de Sarkozix », (tome 2), Delcourt, 10,50 €
jeudi 13 janvier 2011
SF - le Scorpion mécanique de "Drone" par Neal Asher
Le space opéra à la sauce Neal Asher cela claque comme un tir de pistolet laser trouant la carapace d'un alien géant. Pas de belle utopie dans son monde futuriste. Certes les IA (intelligences artificielles) ont quasiment pris le pouvoir, mais quand les Pradors attaquent, ce sont les Humains qui se retrouvent en première ligne. Résultat, c'est un monde en perpétuelle guerre qui est décrit dans ce roman présentant les débuts du héros, Ian Cormac, au sein du Polity, les forces spéciales terriennes.
Avant de devenir un soldat d'élite, Ian Cormac a été un enfant. Il a une dizaine d'années dans les premières pages. Il est en compagnie de sa mère, archéologue. Un jour, en rentrant d'un chantier à bord d'une navette volante, ils aperçoivent au sol une machine gigantesque semblant leur faire des signes. « Alors qu'ils la survolaient, la chose se redressa et releva ses antennes vers eux. Elle déploya une griffe blindée, comme pour les chasser du ciel. Un scorpion géant. En acier. » Ian interroge sa mère, visiblement très mal à l'aise. Elle lui explique que c'est un drone de guerre.
Carl, le traitre
Une première rencontre pour Ian avant d'autres, tout au long de son adolescence. Les flashbacks de son enfance s'intercalent dans le corps principal du roman, son apprentissage au sein de l'armée terrienne. Pour sa première affectation après ses classes, il débarque sur Hagren, une planète en pleine ébullition. Les Pradors, des extraterrestres ressemblant à de gros insectes, très belliqueux, colonisent les mondes peuplés d'humains essentiellement pour garnir leur garde-à-manger... Mais ce sont surtout les Séparatistes qui causent des soucis aux forces terriennes. Ian subit son baptême du feu en compagnie de son compagnon de chambrée, Carl. Mais ce dernier se révèle être un séparatiste infiltré. Son but : dérober des ogives nucléaires Pradors pour décimer le Polity. Une unité d'élite qui va contacter Ian, le mettre à l'épreuve, car c'est lui qui connait le mieux Carl.
Carapace fumante
Neal Asher dévoile ainsi les raisons du recrutement de Ian au sein du Polity. Trahit par son meilleur ami, il devra le pourchasser dans une lutte à mort. Une torture psychologique expliquant la froideur du Ian Cormac adulte et endurci. D'autant que le drone-scorpion revient lui aussi sur le devant de la scène, pour lui révéler un secret de famille lui enlevant définitivement toute illusion.
« Drone » reste cependant, et avant tout, un roman d'action et d'aventure, la marque de fabrique de Neal Asher, auteur britannique de 49 ans. Les nombreux combats satisferont les amateurs de SF guerrière. Exemple avec cette confrontation avec des Pradors, dans les entrailles d'un vaisseau ennemi : « L'un des Pradors lâcha prise et s'écroula au sol. Il resta sur le dos quelques instants , les membres agités de soubresauts, puis se retourna d'un coup, l'une de ses griffes brûlée et la carapace fumante. » Bien évidemment Ian aura le dernier mot, « Une pluie de feu, de chair puante, de carapace éclatée et de poux grillés s'abattit sur lui. »
« Drone » de Neal Asher (traduit de l'anglais par Patrick Imbert), Fleuve Noir, 22 €
mercredi 12 janvier 2011
BD - Tristes retrouvailles canadiennes dans "Conventum"
Retrouver ses camarades de classe, 10 ans après les avoir perdu de vue, ne réserve pas que des bonnes surprises. C'est le nœud de cet album autobiographique de Pascal Girard, un auteur québécois au ton résolument original. Quand il reçoit une invitation pour le « conventum » des dix ans de la fin de ses études secondaires, Pascal se questionne essentiellement sur l'image qu'il va donner. Est-il dans le camp des gagnants ou des perdants ? Première mission, perdre du poids. Mais cela ne suffit pas. Il se fait des films, espérant épater ses anciens camarades qui ne reconnaîtront pas le « gros timide » qu'il a toujours été. Avec un luxe de détail sur 160 pages, on assiste à son naufrage, la nature humaine ne changeant pas en une décennie...
« Conventum », Delcourt, 13,50 €
mardi 11 janvier 2011
BD - El Spectro frappe les mutants de la lune rouge
Les catcheurs masqués reviennent à la mode. El Spectro, le héros imaginé par Yves Rodier et Frédéric Antoine, ne surfe pourtant pas sur la mode actuelle des lutteurs américains. El Spectro est un as de la Lucha Libre, ce sport mexicain qui a connu son heure de gloire dans les années 50/60. C'est à cette époque que se déroule sa première aventure. Après quelques combats durement gagnés, il passe quelques jours de repos sur la Costa Brava espagnole en compagnie d'une charmante championne d'échecs. Cette dernière est enlevée par des hommes mouches. El Spectro va se lancer à sa recherche, écumant les Pyrénées pour localiser la belle, prisonnière d'un savant fou retiré dans un monastère en ruine. Une BD hommage à l'âge d'or de la BD franco-belge.
« Les aventures d'El Spectro » (tome 1), Le Lombard, 11,95 €
Chronique - Nicolas Ier, troisième
Notre « Gigotant Monarque », « Irascible Souverain » ou « Adorable Autocrate » est de retour sous la plume acide de Patrick Rambaud.
Et s'il ne restait au final de la présidence de Nicolas Sarkozy que cette chronique ? A vouloir trop en faire, l'hyperprésident risque le surplace, voire la caricature. Immédiatement après son élection, alors que le naturel revenait au galop (yacht de Bolloré, dîner au Fouquet's) après des années à se façonner une image, en cassant les codes de la Ve République, Nicolas Sarkozy a fasciné une partie des intellectuels français. Parmi eux, Patrick Rambaud s'est placé dans le rôle de l'observateur, sauce pamphlétaire. Cela a donné une « Chronique du règne de Nicolas Ier » devenant un témoignage captivant et désopilant de cette nouvelle façon de faire de la politique. Et Patrick Rambaud, au risque de délaisser son œuvre romanesque en cours, accepta de donner, chaque année, une suite à cette chronique. Il est vrai qu'il ne manquait pas de matière avec l'éviction de l'impératrice Cécilia et l'apparition de « Madame » Bruni.
En ce début 2010, régalons-nous du récit des frasques de notre « Incorrigible Prince », troisième service. Si l'effet de surprise ne joue plus, on lit quand même cette chronique avec un égal plaisir. Patrick Rambaud ne manquant pas d'imagination pour fournir, à foison, des titres de gloire à notre « Intense Timonier ».
On se délecte aussi des portraits qu'il parsème au gré des événements de l'année dernière. Si « Madame » se montre un peu plus discrète, une autre célébrité de la vie politique française est traitée avec tous les égards qu'elle doit à son rang : l'archiduchesse des Charentes. Certains pourraient penser que l'auteur, après avoir étrillé cette droite décomplexée, voulait se payer à moindre frais une gauche moribonde. Mais sa réflexion, tout en étant avant tout comique, ne manque pas de profondeur. Et d'expliquer que ces deux-là s'apprécient car ils ont un point commun : « Ils jouaient une même musique sur les mêmes instruments : « Moi d'abord » était leur devise, pareillement autosatisfaits et contents de soi. »
Comte d'Orsay vs princesse Rama
D'autres ont les honneurs (mais peut-être le regrettent-ils maintenant) de jouer un petit rôle dans la vie de la Cour. La plus mal lotie ? Certainement cette pauvre baronne d'Ati, reine du paraître dont la « fraîche célébrité, loin de lui peser, la ravissait au point d'être devenue un besoin. » Bref, « Madame de la Justice vivait entourée de miroirs. A la clinique, avant d'accueillir ses sœurs ou des proches, elle faisait venir sa maquilleuse. » Bernard Kouchner, le « Comte d'Orsay » est lui aussi sévèrement brocardé, mais pas au niveau du « Chevalier Le Fèbvre », porte parole du « Parti Impérial », « il avait les yeux verts dans un visage gris, le nez en tubercule, les cheveux mi-longs qui rebiquaient en un jeu de mèches mal domestiquées, des grigris au poignet, des vestes en velours de belle coupe et de grand prix. » Son seul but politique : « servir son prince par tous les moyens ». Dans cette galerie sans concession, criante de vérité il faut bien le reconnaître, une seule parvient à sauver sa peau. Il est vrai que la « Princesse Rama » a tenu tête à notre « Asticotant Potentat » refusant de quitter le gouvernement pour aller siéger à Strasbourg. Mais finalement, l'été venu, la princesse Rama « qui n'y connaissait rien en jeux d'équipe, échoua aux Sports en guise de punition. »
Le récit de cette troisième chronique s'achève à l'automne 2009, après la péripétie Hadopi. A n'en pas douter, l'épisode taxe carbone retoquée par les sages du Conseil constitutionnel se taillera un beau succès dans les premières pages de la 4e chronique que l'on attend déjà avec impatience.
« Troisième chronique du règne de Nicolas Ier », Patrick Rambaud, Grasset, 14 €
dimanche 9 janvier 2011
BD - Tuerie finale pour Naja
Dernier acte pour Naja. La tueuse implacable, insensible à la douleur, va enfin connaître pourquoi elle est passée de chasseuse à gibier. Morvan, le scénariste, dans ce cinquième et ultime album toujours dessiné par Bengal, va délaisser l'action pour la psychologie. Naja va découvrir qui tire les ficelles en coulisse, pourquoi les trois meilleurs tueurs de cette organisation criminelle se retrouvent à s'affronter. Un quatrième larron va donner des accents shakespeariens à une BD entre manga extrême et tragédie familiale. L'action, de Barcelone, se déplace à Bruxelles, dans cette enclave bon enfant, écrasée par « l'Union européenne, reine de tous les cynismes. » Naja y retrouve les décors de son enfance perdue dans les limbes de sa mémoire.
« Naja » (tome 5), Dargaud, 13,95 €









