mardi 31 août 2010

BD - Espace, si convoité


Romancer la conquête de l'espace. Le concept de cette nouvelle série écrite par Régis Hautière devrait passionner tous ceux qui ont encore la tête dans les étoiles. Le premier tome, racontant le lancement de Spoutnik par les Russes, est directement lié avec l'actualité de l'époque : la guerre froide et la lutte pour le pouvoir au sein du politburo. 

Dans le secret le plus absolu, des scientifiques sont réquisitionnés pour mettre au point un lanceur de missile pouvant « déposer » une bombe atomique à 5000 kilomètres de Baikonour. Le chef de projet, Korolev, accepte car il a la promesse, si le projet réussit, d'utiliser la fusée afin de lancer un satellite dans l'espace. Les échecs répétés font suspecter l'action de saboteurs. Un premier meurtre conduit à l'arrivée d'enquêteurs du KGB. 

Une BD solidement documentée, dessinée par Cuvillier au trait réaliste et efficace mais manquant encore un peu de personnalité. L'équilibre entre faits historiques et suspense est parfait. Distrayant tout en étant pédagogique, c'est un peu les Oncle Paul du XXIe siècle.

« La guerre secrète de l'espace » (tome 1), Delcourt, 14,95 € 

lundi 30 août 2010

Roman - Souvenirs de colonies... de vacances

Jean-Baptiste Harang se souvient de sa période « Cœurs vaillants », des scouts catholiques. Des colonies de vacances qui lui ont forgé un caractère.


L'autofiction semble être un peu passée de mode pour cette rentrée littéraire. La tendance du moment ce serait plutôt aux souvenirs-fiction. Raconter son enfance, ou du moins certaines portions de cette dernière, un bon prétexte pour faire dans la nostalgie du temps passé. Le « c'était tellement mieux avant ! », expression détestée par toute personne ayant, en principe, encore plus de temps à vivre qu'il n'en a déjà vécu. Jean-Baptiste Harang admet sa « vieillesse » et ses signes ostentatoires comme surcharge pondérale ou cheveux gris. Mais l'auteur ne fait pas dans la nostalgie, au contraire, il doit se forcer pour se souvenir, « L'oubli est un animal sauvage, furtif, incontrôlable et invisible », de ces étés passés aux Crozets, colonie de vacances située dans le Jura.

La colonie des Cœurs vaillants, patronage du quartier du jeune Jean-Baptiste. Elle était placée sous la responsabilité de l'abbé T. « Pendant les six semaines que nous passions sous son autorité dans le Jura, il régnait en despote et nous étions quelques-uns à ne pas regretter d'être ses préférés. » L'abbé T. devient la figure centrale de ce roman quand Jean-Baptiste Harang reçoit une lettre anonyme. Cela semble être un de ses camarades qui, 40 années plus tard, dénonce l'attitude de l'abbé T. suspecté de pédophilie. L'auteur s'efforce alors de se souvenir et il relate dans ces pages cette période de sa vie, intense, particulière, trouble et formatrice.

Sous la douche

Les Crozets étaient situés loin de toute civilisation. Des bâtiments sans confort, accueillant des dizaines d'enfants. Une vie martiale, au grand air, où la camaraderie remplaçait la famille. Jean-Baptiste s'y est fait des amis pour la vie. Mais il doit se forcer pour se souvenir exactement. Au fil du récit, alors que d'autres lettres anonymes viennent le relancer, des scènes font leur réapparition. Dans les douches communes par exemple, «lorsque l'abbé se baissait pour aider l'un ou l'autre dans ses ablutions, sa soutane y trempait comme une serpillière, rincée comme un œil.»

Jean-Baptiste Harang profite d'un séjour dans le Jura pour retourner aux Crozets. Il décrit les bâtiments, aujourd'hui à l'abandon. Et s'interroge sur ce besoin de souvenir, de retour sur un passé révolu. Il livre alors son sentiment, relativisant ces « révélations », décidant d'oublier définitivement l'abbé T. « Que sont nos vies si elles n'ont d'autre objet que de nous regarder vieillir puis mourir dans le linceul râpeux et humide cousu depuis cette jeunesse dérisoire que nous allons ressasser jusqu'à l'usure de l'oubli ? N'aurions-nous rien fait d'autre que nous souvenir de ce temps lointain où nous étions immortels, entiers, où nous vivions pour un avenir ouvert qui ne fera que se refermer ? » Car, au final, « qui vous impose de vous rappeler ce qui vous encombre?»

« Nos cœurs vaillants » de Jean-Baptiste Harang, Grasset, 16 € (également au Livre de Poche)

 

samedi 28 août 2010

BD - Gil Saint-André en eaux troubles


Personnage emblématique de la collection Bulles Noires de chez Glénat dans les années 90, Gil Saint-André est de retour pour de nouvelles aventures policières. Le brillant et très indépendant chef d'entreprise, à peine remis de ses précédentes déboires dans le Maghreb, est en vacances sur un catamaran voguant dans la mer Egée. Il passe nonchalamment à côté d'un immense yacht. Le temps de voir une belle naïade de plonger dans l'eau turquoise et... d'assister à l'explosion du bateau de luxe. 

Gil récupère la jeune femme qui se révèle être l'héritière d'une dynastie d'industriels français. Héritière car tout le reste de sa famille (et du conseil d'administration) était à bord du yacht. La belle Diane échappera une nouvelle fois à la mort grâce aux réflexes de Gil. Une première partie très musclée, bourrée d'action, laissant la place ensuite aux spéculations. Financières d'abord, amoureuses également, Gil serait-il le nouvel amoureux de Diane se demande la presse people. Avec en toile de fond une vaste manipulation d'un mystérieux donneur d'ordres cherchant visiblement à mettre la main sur la fortune de Diane.

Pour cette reprise, Jean-Charles Kraehn, comme pour le premier tome, assure scénario et dessin. Il semble prendre beaucoup de plaisir à animer ce héros, un peu trop honnête et Français pour être crédible. De la BD de distraction qui marche sur les traces de Largo Winch.

« Gil Saint-André » (tome 9), Glénat, 9,95 €

vendredi 27 août 2010

BD - Libéral et fatal


On en rit, mais on ne devrait pas. Car les libéraux caricaturés (patrons, politiques, banquiers, directeurs de ressources humaines) dans cet album de Pluttark existent véritablement. Dans la vraie vie ils n'ont pas l'air aussi cyniques et méchants, mais pour le fond, faites-leur confiance, ils sont à la hauteur. 

Cette charge sans concession contre les délocalisations, les plans sociaux et autres trouvailles pour engraisser les actionnaires au détriment des employés démonte méthodiquement l'aveuglement de ces technocrates ne vivant plus que par l'intermédiaire de bilans comptables. 

Mais parfois la réalité les rattrape, comme le PDG de cette société d'agroalimentaire, constatant une chute des ventes, expliquant à des actionnaires circonspects, « N’oublions jamais que la qualité est aussi un facteur de croissance. En effet, les études de satisfaction effectuées après le malheureux incident des rillettes au mercure sont formelles : 100 % des consommateurs décédés n'achètent plus nos produits. »

« Libérale attitude », Fluide Glacial, 10,40 € 

jeudi 26 août 2010

BD - Brumes à Smoke City


Deuxième et dernière partie de cette histoire de braquage qui tourne mal. Une bande de malfrats, après quelques années de séparation, se reforme pour un ultime contrat. Le commanditaire, le mystérieux Mr Law, veut une momie exposée dans un musée. Tout se passe bien jusqu'aux dernières pages de la première partie. Les flics étaient au courant de tout et capturent la bande. Sauf Cole Valentine. 

Il se retrouve seul, et sans la momie, au point de rendez-vous avec Mr Law. Cole, qui a plus d'une carte dans sa manche, dévoilera en partie son jeu. Ce thriller écrit par Mathieu Mariolle est noir à souhait. Alambiqué aussi. Il ne ménage pas les coups de théâtre, traitrises, et autres double jeu pour donner du ressort à l'histoire. 

Benjamin Carré, le dessinateur, semble avoir pris un immense plaisir à dessiner cette ville de Smoke City, sombre, brumeuse, inquiétante. Et quand le fantastique entre en jeu, il est encore plus à l'aise avec les démons et autres créatures aussi sinistres qu'immortelles. Une première collaboration entre deux jeunes talents très prometteuse.

« Smoke City » (tome 2), Delcourt, 12,90 € 

mercredi 25 août 2010

BD - Destins, les suites


Ceux qui ont eu la chance de découvrir les trois premiers tomes de la série « Destins » coordonnée par Frank Giroud, se précipiteront sur les deux nouveaux titres parus cette semaine. Rappelons le concept : Le scénariste raconte une première histoire, puis passe la main à d'autres qui imaginent deux suites différentes. A chaque fois, Giroud coordonne et les dessinateurs changent à chaque titre. 

Dans Paranoïa, on retrouve Ellen, l'héroïne. Etudiante aux USA, elle a tué un vigile au cours d'un braquage. 15 ans pus tard, elle a changé d'identité et est devenue la responsable d'une organisation caritative. Son existence bascule quand elle apprend qu'une innocente va être exécutée pour son crime. Deux options s'offrent à Ellen. Elle se livre au FBI, c'est l'album n° 4 « Paranoïa » écrit par Mangin et dessiné par Hulet, elle laisse l'innocente être exécutée, c'est le n° 5 « Le fantôme » de Corbeyran et Espé. 

Si Hulet a eu un peu de difficulté pour couler son trait nerveux dans les personnages existants, l'histoire est prenante. Corbeyran de son côté signe un récit où le fantastique s'immisce discrètement. Les prochains « Destins » sont annoncés pour octobre.

« Destins » (tomes 4 et 5), Glénat, 13,50 € chaque volume 

mardi 24 août 2010

Roman - Les petits secrets de la presse


Dans le genre inclassable, ce premier roman de Jean-Bernard Maugiron bat tous les records. Pourtant, en découvrant les premières pages, on se dit qu'on est simplement dans le genre témoignage sociétal. Le narrateur, Victor, explique au début de chaque chapitre, avec une régularité énervante dans un premier temps, puis suspecte et finalement intrigante : « Je travaille de nuit comme correcteur de presse dans un grand journal régional ». 

Et de nous expliquer les petits secrets de son métier, comment il débusque les coquilles dans les avis de décès, les grands débats avec certains de ses collègues sur « des tournures avec des subjonctifs plus que passés. » Victor est à quelques mois de la retraite. Quand il a débuté au journal, il était linotypiste. Il composait des textes en plomb fondu. Il regrette un peu cette époque. Mais se contente de son petit train-train, lui qui rêvait d'être conducteur de locomotive. En fait, en progressant dans l'intrigue, le lecteur comprend que Victor est un peu perdu. 

Vieux garçon vivant toujours avec sa mère, il s'en occupe quotidiennement. « La petite mère elle bouge plus de son lit, à part quand je la porte sur le fauteuil, devant la télé. Elle pèse pas lourd, rien que de la peau sèche et ridée sur des os et une touffe de poils blancs sur le caillou. Une vraie momie, sauf qu'elle remue encore un peu de temps en temps, par saccade. » Entre la nostalgie d'un temps passé, le poids des ans, les problèmes au travail, sa solitude, on se surprend à vouloir mieux connaître Victor. 

Mais c'est sans compter avec l'auteur. Jean-Bernard Maugiron bouscule l'histoire dans les 20 dernières pages, lui donnant un tour violent et surréaliste, définitivement inclassable.

« Du plomb dans le cassetin » de Jean-Bernard Maugiron, Editions Buchet-Chastel, 11 € 

lundi 23 août 2010

Rentrée littéraire - Un « Bifteck » accompagné de « Fruits et légumes »

Un boucher excentrique d'un côté, une dynastie de primeurs de l'autre : deux romans à savourer pour cette rentrée littéraire.

En apéritif de cette rentrée littéraire 2010, nous vous proposons deux romans à fortes connotations gastronomiques De la viande avec « Bifteck », roman de Martin Provost, des « Fruits et légumes » avec une chronique familiale d'Anthony Palou. Deux livres qui ont également en commun une Bretagne du siècle dernier.


Le héros de « Bifteck » est un jeune boucher de Quimper. Il passe son enfance dans la boutique de ses parents, entre saucisses, carcasses de bœuf et têtes de veau. Adolescent, il aide ses parents, d'autant que c'est en pleine guerre de 14-18. Le jeune héros est tout sauf un beau gosse : « Blond, le front bas, l'œil rond cerné de cils si jaunes qu'ils lui donnaient un regard d'albinos, il avait la bouche molle et le menton fuyant, flasque, déjà triple avant l'âge. Ses bras, dodus et courts, sans coudes, semblaient directement soudés au tronc central, sans articulation, comme ses jambes. » A treize ans, il est défloré par une cliente, à même le carrelage de la boucherie. Il se révèle un amant performant. Très vite le bouche à oreille fonctionne, la légende prend corps : « Un jeune boucher avait le don de faire chanter la chair. »

Durant des mois, André va contenter sa clientèle féminine. Mais à la fin de la guerre, quand les maris reviennent du front, il va devoir assumer ses actes. Il va découvrir un, puis deux bébés sur le pas de porte. Et cela continue. Il en aura finalement sept sur les bras. Pourchassé par un mari jaloux, il prend la fuite, vendant sa boutique pour acheter un bateau et mettre le cap vers cette Amérique qui faisait encore rêver.

La première partie de ce récit, certes iconoclaste, est cependant tout à fait réaliste. Martin Provost, l'auteur, semble changer de plume dès que l'étrange famille se retrouve en mer. Le fantastique et le rêve prennent le pouvoir. Les enfants s'émancipent, André doute. Finalement, après des mois d'errances, ils abordent une île merveilleuse. André l'explore et découvre de bien étranges fruits : « Ces baies gorgées de jus et de sucre n'étaient autres que des cœurs miniatures et vivants, palpitants, pas plus gros que ceux d'un pigeon ou d'un coq. » Un texte sensible est poétique à déconseiller aux végétariens dénués d'imagination. Tous les autres devraient y trouver une pitance réparatrice.

Petits commerces d'antan


Toujours à Quimper, mais quelques années plus tard, le père Coll, un réfugié espagnol, se lance dans le primeur. Il commence modestement en revendant les légumes qu'il cultive lui-même dans un jardin qu'un retraité lui prête. La réussite sera au rendez-vous et c'est cette saga que conte Anthony Palou dans Fruits et légumes. Le narrateur est le petit-fils du père Coll. Il raconte son enfance, dans les années 60 et aussi les débuts de la « Maison Coll ». « Les cageots étaient soigneusement rangés les uns contre les autres et les légumes artistiquement placés façon impressionniste. Le rouge des tomates tout humide de rosée faisait ressortir le corail des poivrons. Le jaune paille des oignons associé au vert des concombres, au pédoncule des aubergines, vision pastorale d'un sentier automnal. (…) Fabuleux architecte, grand-père peignait des natures mortes. » Ce roman nous permet de revivre la réalité de ces petits commerces qui ont fait la prospérité d'une certaine France. 

Un temps aujourd'hui révolu, les grandes surfaces ayant supplanté ces commerçants de proximité pour qui l'accueil et la qualité des produits servis étaient les seules priorités.

« Bifteck » de Martin Provost, Editions Phébus, 11 €

« Fruits et légumes » d'Anthony Palou, Editions Albin Michel, 14 € 

dimanche 22 août 2010

BD - L'écrivain, la libraire et Jean-Claude Denis


Un écrivain en mal d'inspiration, trouve son salut en découvrant dans sa bibliothèque le récit d'un imposteur. Squattant au gré de son imagination, le romancier tente de refaire le parcours de l'usurpateur. Il prend la place d'un spécialiste en allergie en congrès à Bordeaux avant de s'incruster dans un mariage, vivre aux crochets d'un couple d'Anglais pour finalement terminer dans une petite station balnéaire du Médoc, Amélie, tombant amoureux fou d'une belle libraire, Marianne. L'amour lui redonne l'envie d'écrire. Il dégotte une vieille machine à écrire et entreprend la rédaction de sa remise en cause et de ses errances.

Jean-Claude Denis, oubliant la causticité qui était un peu sa marque de fabrique, signe un album très littéraire, dans lequel on devine beaucoup de son itinéraire personnel. Couleurs lumineuses de l'Atlantique et immenses forêts de pins servent de cadre à cette retraite amoureuse.

« Quelques mois à l'Amélie » de Jean-Claude Denis, Dupuis, collection Aire Libre, 15,50 €

samedi 21 août 2010


Ping pong, ping pong. Les chapitres se suivent et ne se ressemblent pas. Un coup c'est elle. Un coup c'est lui. Elle, c'est Lee, 45 ans, avocate qui se dépatouille comme elle peut avec son client Norman accusé de meurtre. Lui c'est le père de Lee, Leonard, 20 ans avant, fourreur juif, smart et snob à Manhattan, arrivé à la force des poignets et super fier de son changement de nom, Weissman, Weiss pour finir en White.

Blancs comme neige, ils le sont évidemment tous selon eux, les clients de Lee. Surtout ce Norman, séducteur en diable, qui en a fait son métier et plume allégrement les femmes tombées dans ses filets. Et si seulement il se contentait de leur argent... Bobette, la pauvre assassinée, n'en demandait pas tant. Mais qu'en est-il de Mary, la copine de Norman, complice malgré elle ou plus encore ? Que va découvrir Lee White en avocate droite dans ses baskets ?

Susan Isaacs est l'auteur d'un beau portrait de femme de l'enfance -déchirure jusqu'à une brillante carrière d'avocate. On aime Lee enfant, on s'attache à l'adulte pleine de doutes, on la suit jusqu'au bout. De quoi ?

« Lily White » de Susan Isaacs, Presses de la Cité et Pocket (paru en 1998)