jeudi 12 novembre 2009

BD - Rire du priapisme à l'impuissance avec Martin Veyron


Martin Veyron a connu un formidable succès avec « L'amour propre... » mettant en vedette ce fameux point G permettant aux femmes de jouir comme jamais. Dans « Blessure d'amour-propre » il propose une mise en abîme de ses affres de créateur, victime de son best-seller. 

Martin Veyron a vieilli. Il est grand-père et a des problèmes de prostate. Mais sa notoriété n'a pas faibli. Quand il va récupérer la voiture de sa femme à la fourrière, en présentant sa carte d'identité, le policier de service le reconnaît et regrette qu'il n'ai pas fait « L'amour propre 2 ». Un Veyron qui a par ailleurs des soucis financiers. 

Ses BD suivantes se sont beaucoup moins vendues. Aussi quand il reçoit la visite d'une jeune journaliste désirant réaliser un documentaire sur le Point G, il accepte de témoigner contre une rémunération. Et pour faire vécu, la journaliste propose qu'il teste sa technique de recherche de point G sur elle. Arrivé à cette scène, on se dit que ça y est, les pages osées vont s'enchaîner. Perdu ! 

L'auteur prend tout le monde à contre-pied. Le sexe n'est plus aussi simple et débridé de nos jours. Ses problèmes de prostate vont rendre Veyron impuissant et la journaliste est désespérément frigide. Et paradoxalement, ces 80 pages sont incroyablement... jouissives.

« Blessure d'amour-propre », Dargaud, 14,50 €

mercredi 11 novembre 2009

BD - Manchette et la Princesse


Jean-Patrick Manchette, dont toute l'oeuvre est désormais disponible dans la collection Folio Policier, a porté le roman noir français au sommet. Il a été souvent adapté au cinéma (rarement avec justesse) ou à la télévision. Mais son univers est aussi une mine pour la BD. Après Tardi, c'est Cabanes qui s'attaque à une de ses œuvres : « La Princesse du sang ». Mais ce roman, le dernier de Manchette, est resté inachevé. 

C'est donc son fils, Doug Headline, qui en a signé l'adaptation y apportant une fin que les lecteurs n'auront jamais la chance de lire. Dans les années 50, à Paris, Londres et Cuba, le lecteur suit la destinée d'Alba Black. Cette fillette, enlevée contre une rançon, échappe à un carnage et est finalement retrouvée, des années plus tard, par une photographe animalière retirée dans la jungle cubaine. La petite s'appelle désormais Négra et vit comme une sauvageonne avec son sauveur de l'époque, Victor. 

La photographe, Ivory Pearl, ayant connu les affres de la guerre, va prendre la fillette sous son aile quand les tueurs retrouvent sa trace. Personnages attachants, intrigue mêlant argent et géo-politique, Manchette était moderne. Cabanes l'adapte fidèlement.

« La Princesse du sang » (tome 1), Dupuis, 15,50 € 

mardi 10 novembre 2009

BD - La mauvaise herbe pousse en Grèce


En Grèce, dans les années 30, l'arrivée au pouvoir de militaires aux tendances fascisantes a provoqué la mort d'un style de musique : le rébétiko. Cette partie ignorée de l'histoire de ce pays européen est mis en lumière dans cet album magistral signé David Prudhomme. Sur une centaine de pages aux couleurs pastels de cette Méditerranée languissante, il raconte la vie de ces musiciens, devenus les ennemis du pouvoir, simplement pour exacerber le sentiment national et dénoncer la prétendue fainéantise de ces nomades inventeurs du blues grec. 

Armés de leur bouzouki, ils jouent, chantent et fument du haschich. C'en est trop pour les tenants de la « troisième civilisation hellénique ». Stravos, amateur de jolies filles, à l'esprit particulièrement frondeur, et Markos, à peine sorti de prison (où il a joué un dernier morceau pour le directeur, accro à ces airs) déambulent dans cette ville en pleine mutation. Ils vivotent et résistent jusqu'à ce qu'ils aient l'opportunité de quitter l'Europe pour aller enregistrer un disque aux USA. 

Un récit fort, politique et poétique ; certainement le meilleur album de cette seconde partie d'année 2009.

« Rébétiko », Futuropolis, 20 € 

lundi 9 novembre 2009

BD - Robert Crumb et l'origine du monde


Robert Crumb, souvent considéré comme le pape de la BD underground américaine, prend ses lecteurs à contre-pied en proposant une ambitieuse adaptation graphique de la Genèse. Mais il ne s'agit en aucun cas d'un virage mystique de cet auteur américain, chantre de la nature installé depuis une dizaine d'années en France, dans un petit village des Cévennes. Surtout connu pour ses personnages féminins plantureux et dominateurs, il a simplement voulu proposer une adaptation d'un « texte puissant avec plusieurs strates de sens qui plongent profondément dans notre conscience collective, notre conscience historique. » Et face à l'ampleur de la tâche, il a préféré se tenir au plus près de l'original, préférant laisser certains passages « dans leur état d'imprécision alambiquée plutôt que de trafiquer un texte aussi vénérable. »


Le résultat est d'une richesse étonnante. Graphique en premier lieu. Crumb n'a rien perdu de son trait, rond, où de multiples hachures donnent tout le relief de ses personnages. Dieu semble toujours courroucé, les hommes fautifs et piteux. Les femmes, et elles sont très nombreuses dans la Genèse leur rôle de procréatrice étant sans cesse mis en valeur, sont responsables du péché originel mais sont aussi les appuis fidèles de ces hommes et femmes dont les vies ont façonné notre monde.

En signant cette Genèse, Robert Crumb fait la grande bascule côté public. Car ceux qui ont aimé les élucubrations de Mr Natural, BD irrévérencieuse, libertaire et libertine, ne seront certainement pas sensibles à cette adaptation fidèle d'un texte ayant traversé les siècles, même si Crumb explique que la « Bible n'est pas la parole de Dieu mais la parole des hommes. »

« La Genèse » de Robert Crumb. Denoël Graphic. 220 pages. 29 euros 

vendredi 6 novembre 2009

BD - Trop moderne ce collège !


La série Zap Collège de Téhem se transforme le temps d'un album en véritable cauchemar pour les élèves. Le personnage principal, Jean-Eudes, fils de diplomate, revient en France après quelques mois passés en Afrique. Il quitte les cases en pleine brousse pour se retrouver dans un collège Claude-François relooké et à la pointe de la modernité. Les profs ont laissé la place à des robots, les surveillants à des sortes de videurs de boite de nuit à la carrure de rugbymen néo-zélandais. La mentalité aussi à fortement évolué. C'est la prime au mérite. 

Bien malgré lui, il décroche une des meilleurs notes à son stage en entreprise et remporte un voyage au Yapon, pays où la technologie est déjà reine. 

Ce récit de 48 pages, bourré de gags, est aussi (et avant tout) une parabole sur les bienfaits du progrès pouvant se  transformer en méfaits s'ils tombent dans de mauvaises mains. Et de démontrer que parfois, les profs ne sont pas si terribles que cela. Ils ont encore cette étincelle d'humanité qui fait qu'un cours peut devenir passionnant.

« Zap Collège » (tome 5), Téhem, Glénat – Okapi collection Tchô !, 9,40 € 

jeudi 5 novembre 2009

Roman français - Le remord des morts


Un roman de Michel Rio se lit comme une plongée en apnée. On tente toujours d'aller plus loin, au risque de suffoquer. "Leçon d’abîme", une enquête de Francis Malone, illustre une nouvelle fois cette impression. Le final, horrible et pathétique, nous laisse sans souffle, comme doutant de notre humanité.

En Suisse, près de Zurich, derrière un immense portail, une demeure de prestige et deux personnes pour accueillir le policier : un sous homme, Karl, difforme et claudiquant, valet servile du riche propriétaire, et une femme blonde et sophistiquée d'une rare beauté, Hildegard, la secrétaire. Malone ne peut s'empêcher de penser qu'il a devant lui « l'idéal esthétique de la féminité aryenne, de la déesse barbare germanique fantasmée par les nazis ». D'autant plus étonnant qu'il est chez David Klein, riche juif ayant survécu aux camps d'extermination allemands.

Malone est à la recherche d'indices prouvant la mort d'un certain Hans Uzler, Waffen SS, un des dirigeants du camp de Dachau. Dachau de sinistre mémoire pour David Klein. Il a réussi à s'évader du camp la veille de la mort de Uzler. Sans sa sœur, Judith, qui est morte dans l'incendie de la maison de Uzler. Dans cette vaste demeure fermée à l'extérieur, Malone va sortir de l'oubli une histoire à trois : le frère, la sœur et le bourreau. Paradoxalement ce triumvirat est reformé lors de jeux sadomasochistes entre David Klein, riche voyeur, le serviteur difforme et la sculpturale Hildegard. Malone l'apprendra par la suite, au cours d'une rencontre torride avec la secrétaire et légataire universelle du milliardaire David Klein.

Que veut prouver exactement Malone ? Hildegard joue-t-elle un double jeu ? Quelles sont les pensées secrètes de Klein ? Quel rôle exact a joué Judith dans cette sombre histoire ? Un flot de question qui pousse le lecteur à dévorer les dernières pages du roman, face-à-face d'une grande intensité entre Klein et Malone.

« Leçon d'abîme » de Michel Rio, Seuil, 11 € 

mercredi 4 novembre 2009

BD - Matière verte et nostalgie


Je l'avoue, de toutes les rééditions des séries de l'âge d'or du journal de Spirou, celle de Tif et Tondu par Will est ma préférée. Je me suis d'ailleurs longtemps demandé pourquoi cette série tombait dans l'oubli malgré ses qualités graphiques évidentes. Depuis trois ans les éditions Dupuis ont remédié à cet état de fait et choisi de reprendre les épisodes non pas par ordre chronologique mais par thème. 

Ce 6e tome propose les ultimes histoires scénarisées par Rosy, le créateur de Choc. Et dans ces histoires, « La matière verte » et « Tif rebondit », pas de grand méchant pour donner du fil à retordre aux deux héros. Publiées en 1967 et 1968, ces albums marquaient un tournant dans la série. La volonté de changer les codes. Rosy semblait lassé de ces héros. Will continuait à consciencieusement dessiner ces récits mouvementée, maniant le décor à merveille, mais avait lui aussi l'envie de s'évader vers d'autres horizons. Cela donnera la création, quelques années plus tard, d'Isabelle et de son monde magique et merveilleux.

Tif et Tondu c'est par excellence une de mes madeleines d'enfance. Pourtant j'ai mis du temps à saisir toute la virtuosité du trait de Will. Sa simplicité et son efficacité semblaient m'aveugler. Il aura fallu que mon oeil s'éduque pour que j'apprécie à sa juste valeur ce dessinateur d'exception. Ces intégrales montrent qu'il était avant tout moderne. On pourrait regretter qu'il soit resté si longtemps enfermé dans une série qui, sans être un best-seller, a toujours été un pilier des éditions Dupuis.

Cette étiquette de dessinateur efficace et régulier lui a longtemps collé à la peau. Il a d'ailleurs volontiers participé à cette image en ne signant que les décors, comme un simple assistant, de certains albums de Spirou ou de Natacha. Mais il suffit d'avoir vu une fois une de ses peintures, notamment de femme, pour être persuadé que c'était avant tout un immense artiste.

« Tif et Tondu » (intégrale, tome 6), par Will et Rosy, Dupuis, 152 pages, 18 € 

mardi 3 novembre 2009

BD - Voir Bagdad et mourir... de rire


Voilà le genre de BD qui ne va pas nous réconcilier avec les Américains malgré les efforts du président Sarkozy, tant du temps de Bush que celui, encore plus compliqué, d'Obama. D'un autre côté, les auteurs, Sergio Salma et Marco Paulo, sont Belges, alors...

Cela fait donc quelques années que les troupes américaines ont libéré l'Irak et s'appliquent à pacifier le pays. Quelques années et de plus en plus de morts. Dans les deux camps. Sauf que dans le camp irakien, il ne reste plus que des civils. L'absurdité de cette guerre, aux motifs essentiellement économiques, est brocardée dans cette série de gags à l'humour très noir. Ils ont été prépubliés dans l'Echo des Savanes mais sont plutôt dans la ligné de Hara Kiri, le journal bête et méchant. 

En quelques dessins bien sentis les auteurs montrent toute l'absurdité des jeunes Américains s'enrôlant pour « sauver le monde libre » et qui se retrouvent à tyranniser des Irakiens, débarrassés de Saddam Hussein, certes, mais qui parfois regrettent ce temps où on mangeait à sa faim et ne risquait pas de mourir à chaque coin de rue d'une balle perdue des alliés ou dans les attentats aveugles des « résistants ». 

C'est éminemment politique, très engagé. Très cynique aussi. Mais comment faire autrement quand on décide de rire de la guerre ?

« Bagdad KO », Drugstore, 10 € 

lundi 2 novembre 2009

Jeunesse - Une poule tous, tous poule un !


Cela fait dix ans qu'elles passionnent les plus jeunes. Dix ans qu'elles vivent sous la plume de Christian Jolibois et le pinceau de Christian Heinrich. Les P'tites poules ont dix ans et pour l'occasion leur nouvelle aventure, « Une poule tous, tous poule un ! » sort dans un format encore plus grand. L'occasion de mieux apprécier les dessins de Christian Heinrich se présentant comme un « racleur d'aquarelles et redoutable ébouriffeur de pinceaux ». Et dans cette histoire, il émerveillera encore les yeux des petits (et des grands) avec des compositions sur des doubles pages mettant en scène toutes les poules de la série et des méchants véritablement horribles, deux trolls, massifs et idiots.

Tout débute par la tonte annuelle des moutons. Un véritable spectacle pour les P'tites poules sauf quand c'est leur ami Bélino, le jeune bélier, qui doit passer sous la tondeuse. Carmen et Carmélito, frères et soeurs, décident d'aider leur ami à laine. Ils prennent la poudre d'escampette pour trouver refuge près de la contrée des pierres levées. Ils y passent la nuit. Une nuit agitée pour Bélino. Se trouvant près d'une pierre magique, au premier rayon de lune, sa toison se transforme en or. Une aubaine pour deux trolls qui le capture. La suite de l'aventure verra les P'tites poules élaborer différents stratagèmes pour délivrer leur ami.

On retrouve dans cette série les ingrédients habituels de son succès. Une mise en avant de l'amitié, de l'intérêt de s'unir face à l'adversité. On relèvera aussi quelques clins d'oeil aux grandes légendes et contes immémoriaux, cette fois la Toison d'or. Des albums que l'on peut lire aux enfants à partir de 5 ans et qu'ils peuvent découvrir seuls à partir de 7 ans. Une série qui dure et est en passe de devenir un classique. En dix ans, on peut être sûrs qu'ils sont plusieurs milliers de jeunes Français a avoir appris à lire, en partie, en découvrant les péripéties peu banales de ces poules extraordinaires.

(Pocket Jeunesse, album grand format en couleur, 48 pages, 9,50 €) 

dimanche 1 novembre 2009

BD - Nävis en zone franche


Sillage est véritablement devenue la série de SF de référence de ces dernières années. A l'originalité du concept de départ (Nävis, l'héroïne, est la seule humaine rescapée de toute la galaxie), s'est greffé tout une trame de complots et d'intrigues sur le pouvoir. L'impétueuse jeune fille tente de se réhabiliter. 

Après son procès, elle a décidé de prouver à Sillage, l'immense navire sillonnant l'espace, qu'elle a été la victime de cette machination. Elle doit pour cela capturer Soimitt, un tueur à gages ayant des informations susceptibles de faire réviser le procès. Durant les premières pages, très mouvementées, Nävis capture le tueur pour le conduire sur une planète interdite. Un monde où tout être vivant entre en symbiose avec le biotope et se met à dire la vérité, quoi qu'il en coûte. 

Un épisode très dépaysant (la planète zone franche fait un peu penser au monde des Bisounours), où le scénario de Morvan donne une nouvelle fois l'occasion à Buchet, le dessinateur, de montrer toute l'étendue de son talent à imaginer de nouvelles races d'extraterrestres.

« Sillage » (tome 12), Delcourt, 12,90 €