vendredi 9 février 2024

Des lettres - Manie épistolaire de Cioran

 


Philosophe du désespoir, Cioran a marqué la pensée du XXe siècle. L’essentiel de son œuvre a té regroupé dans un volume de la pléiade, mais il manquait le volet épistolaire de ses écrits.

Nicolas Cavaillès s’est chargé de sélectionner quelques missives pour mieux comprendre l’évolution de la pensée de Cioran, entre ses 19 et 79 ans. On retrouve dans ces lettres envoyées à sa famille, Jean Paulhan, François Mauriac ou la « Tzigane », son dernier amour, ces fulgurances. Comme cette constatation à un compatriote qui désire rejoindre la France en 1989 : « Paris est l’endroit idéal pour rater sa vie. C’est ce que je fais avec succès depuis cinquante et un ans. »

« Manie épistolaire » de Cioran, Gallimard, 320 pages, 21 €

jeudi 8 février 2024

Roman noir - La chasse au « Chevreuil » vire au massacre avec Sébastien Gendron

 Saint-Piéjac, petit village français : ses chasseurs, sa boulangerie, sa majorité d’extrême-droite et… Connor Digby, son citoyen britannique. Avec Marceline, rousse volcanique et nymphomane, ils vont presque raser la localité. 




Sébastien Gendron a peut-être forcé le trait, mais les caricatures qui déambulent dans son roman Chevreuil sont pourtant très proches de la réalité. L’action a pour cadre Saint-Piéjac, bourgade de province, 2000 âmes, un vote majoritairement d’extrême-droite, une désertification rampante et des chasseurs.

Beaucoup de chasseurs. 99 % de la population mâle rêve de dézinguer Il Duce, un magnifique chevreuil, roi des forêts environnantes. Le 1 % restant c’est Connor Digby, citoyen britannique, propriétaire d’une jolie maison au centre du village. Cet écrivain est connu dans le monde entier grâce aux aventures de sa petite fourmi, Grant. Adulé dans le monde, détesté à Saint-Piéjac. Un vieux contentieux.

Connor, la cinquantaine, grand et célibataire, voit débouler dans sa vie Marceline, épouse battue en fuite. Une sacrée femme : « Elle n’est pas très grande. Elle a les cheveux frisés. Elle a des taches de rousseur partout où il peut y en avoir. […] Elle place la bouteille entre ses cuisses, ploie les genoux et tire comme une possédée. Dans cette position, on voit ses seins jusqu’aux bonnets. Ils sont serrés l’un contre l’autre et tremblent alors qu’elle force. » Comme il fait très chaud à Saint-Piéjac, ils se retrouvent rapidement en petite tenue et copulent sans trop se poser de questions. Car aussi improbable que cela soit, Connor et Marceline se sont trouvés.

Le roman peut continuer sa trajectoire sur les chapeaux de roues. Car la vie de Connor est plus compliquée qu’il n’y paraît. Pour Marceline c’est une évidence. Parmi les ennemis de l’Anglais, un marquis qui trafique dans les voitures d’importation, un ancien conseiller municipal présentement en prison après avoir été dénoncé par Connor… Même l’apprenti boulanger lui en veut.

Ils devront aussi affronter les foudres de Férignot, chasseur alcoolique. Marceline a fait fuir Il Duce en klaxonnant… « Férignot est rouge. On dirait que son gilet de sécurité se reflète sur son visage, mais non, c’est la rage. Il est en nage. Il a couru sur cinq cents mètres, dans sa tenue de combat, avec sa Remington de cinq kilos en bandoulière, sa besace pleine d’un faisan et d’un litre de floc de Gascogne, sans compter ses propres cent trente kilos de viande fortement persillée. » Ces personnages secondaires sont nombreux et tous très originaux.

A Saint-Piéjac, gravitent aussi dans l’entourage de Connor un retraité voyeur, délateur et admirateur de Zemmour, un éleveur de cochon paranoïaque, un directeur de cirque aux abois et même une employée municipale souffrant du syndrome de la Tourette et chargée de détruire les mauvaises herbes en les carbonisant avec son Manuflam.

Mais cette dernière est un peu spéciale. Pas vraiment malade et aussi narratrice du roman, théâtre d’un véritable massacre qui fera sensiblement chuter le poids démographique du gros bourg aux prochaines élections cantonales. Un roman noir et rural sans tabou ni limite.


« Chevreuil », Sébastien Gendron, La Noire, Gallimard, 342 pages, 20 €

Thriller - « L’araignée », tueuse aveuglée par la vengeance

 Les deux héros policiers imaginés par Lars Kepler, Saga Bauer et Joona Linna affrontent un serial killer insaisissable : une femme qui se prend pour une araignée. 


La littérature de genre nordique est souvent très explicite. La violence y est décrite sans fioritures. C’est un peu la marque de fabrique de Lars Kepler, pseudonyme d’un couple d’écrivains, Alexander et Alexandra Ahndoril. Cette nouvelle enquête de Saga Bauer et Joona Lima mettra à rude épreuve les nerfs des plus sensibles.

Les deux policiers, toujours sur la brèche, de plus en plus torturés, voient leur entourage littéralement décimé. Des policiers haut placés sont enlevés puis assassinés dans des conditions horribles. Voilà dans quel état ils retrouvent le corps de Margot Silverman, directrice de la police suédoise : dans un « long paquet posé à terre composé de draps et de plastique, entouré d’une ficelle. […] Après avoir fait une profonde incision dans la partie la plus épaisse, par l’ouverture, une bouillie grise striée d’un rouge marron s’écoule dans l’herbe. Une odeur chimique piquante les fait reculer. Lorsque la substance visqueuse s’est répandue sur le sol, un pied à moitié dissous apparaît dans l’herbe au milieu de la gelée brunâtre. » Plongé dans un cocon hermétique, le corps est dissous dans de l’acide. Exactement comme le font les araignées pour leurs proies.

Saga est au centre de l’affaire car le tueur, une tueuse qui se prend pour une araignée, lui envoie des indices avant les meurtres. La dernière victime sera Joona. Et seule Saga pourra le sauver. Une intrigue complexe, très variée, qui montre toutes les failles de ce duo depuis trop longtemps au plus proche des tueurs les plus démoniaques.

Et une figure revient régulièrement : le sinistre Jurek Walter (voir Le chasseur de lapins et Lazare), éliminé par Joona. L’araignée est-elle une disciple ? A moins que les raisons de ce déferlement de violence soient plus complexes et à base de vengeance. Un thriller qui vous emmène loin sur les rives d’un esprit torturé.

« L’araignée » de Lars Kepler, Actes Sud, 512 pages, 24,50 €

mercredi 7 février 2024

Cinéma - “Daaaaaalí”, cinq acteurs pour un artiste unique

 Comment rater un film sur Salvador Dalí ? Ce n’est pas une appréciation du long-métrage de Quentin Dupieux, mais le fil rouge de cette histoire très surréaliste. 


Un film sur Dalí ? Quasiment un rêve prémonitoire pour Quentin Dupieux. Réalisateur français prolifique qui multiplie les films comme Jésus les petits pains, il s’attaque au phénomène Dalí. Mais pas question de se lancer dans à un bête biopic linéaire. De toute manière, ce ne sont pas les toiles de Dalí qui intéressent le réalisateur mais sa personnalité.

Un film sur un film impossible à réaliser. Avec un parti pris, géniale intuition, de confier le rôle du génie catalan à plusieurs comédiens français. Ils sont cinq au total à endosser une chemise ridicule et les moustaches caractéristiques. Édouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche et Pio Marmaï se relaient, sans la moindre continuité. Se rajoute au quatuor Didier Flamand, interprète de Dalí âgé, cheveux blancs, baratine et chaise roulante. Cinq interprètes pour un génie du XXe siècle.

Pour expliquer le phénomène Dalí, Quentin Dupieux suit le parcours de Judith (Anaïs Demoustier), jeune journaliste, passée par la case pharmacienne (ou boulangère, on a un doute au final), si contente de décrocher un premier entretien d’une heure avec le maître. Mais ça ne se passe pas comme prévu. Sans caméra pour le filmer, Dalí interrompt l’interview au bout de 15 secondes.


Elle retente sa chance avec une équipe cinéma et un producteur prêt à gaspiller beaucoup d’argent. Elle se rend chez Dalí, à Portlligat, mais une nouvelle fois, tout foire. Un fil rouge doublé de scènes de la vie du peintre, au travail, chez lui avec Gala, ou en représentation chez des notables, dont un curé qui tente de lui vendre un rêve. Le film va alors se transformer en énigme temporelle, le rêve ne s’arrêtant jamais. Comme deux histoires qui se mordent la queue et empêchent toute logique narrative.

Dès lors, le spectateur se retrouve dans une multitude de réalités, toutes plus délirantes les unes que les autres. Judith se demande si elle arrivera un jour à commencer ce fichu film, Dalí se désespérant de ce rêve, le plus long et le plus ennuyeux du monde. Daaaaaalí !, film gigogne, ne donne pas de clés pour comprendre l’œuvre du peintre, mais offre aux amateurs de nombreux clins d’œil à une époque révolue : quand les artistes étaient adulés, reconnus. Même les plus fous.

Film de Quentin Dupieux avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Édouard Baer, Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Didier Flamand, Romain Duris

 

Cinéma - Ayez peur de “La bête”


Comment, à partir d’un roman datant du début du XXe siècle, aborder avec intelligence le phénomène des intelligences artificielles ? Un sacré challenge relevé par Bertrand Bonello dans La bête. Du texte original de Henry James, il n’a conservé que le sentiment diffus de peur. Et des dialogues de la partie se situant en 1910. Le reste navigue entre film d’anticipation, comment résister face à la déshumanisation de la société en 2044 face à l’omniprésence des intelligences artificielles et quasi reportage sur la vie d’une apprentie comédienne à Los Angeles en 2014.

Trois époques, trois films imbriqués les uns dans les autres, avec deux comédiens pour les mêmes personnages, Gabrielle (Léa Seydoux) et Louis (Georges McKay). L’idée principale du roman d’origine est l’attente par un couple d’une catastrophe imminente. L’attente. Dans la peur.

En 1910, elle intervient assez rapidement dans l’usine de fabrique de poupées du mari de Gabrielle alors que Paris est inondé après le débordement de la Seine. La partie la plus intrigante reste celle traitant de notre futur proche. Gabrielle tente de changer de travail. Mais elle a trop d’affect. Pour évoluer, elle doit être reformatée, que son ADN soit lissé, qu’elle oublie toutes ses vies d’avant.

La critique de l’émergence des intelligences artificielles est vigoureuse. Car la technique ne leur permet pas de devenir humaines. Par contre, une fois aux commandes, elles pourraient nous contraindre à gommer notre humanité. Et la perte de l’amour, de l’empathie, de toute sensibilité devient dès lors cette bête qui nous menace, tapie dans la jungle du futur.

Un film ambitieux, labyrinthique et angoissant. Un thriller d’anticipation, même si on a parfois l’impression d’avoir déjà les deux pieds dedans.

Film de Bertrand Bonello avec Léa Seydoux, George MacKay


vendredi 2 février 2024

Les mondes fractionnés des Murailles invisibles

Mais que s'est-il passé au moment de la formation des murailles invisibles sur Terre ? Cette interrogation Lino ne cesse de se la poser depuis trois mois. Trois mois qu'il survit dans cette zone coupée du reste du monde. 

Lors du premier tome de cette série de SF écrite par Alex Chauvel et dessinée par Ludovic Rio, il apprend que le pays, voire la planète, a été découpé en zones par ces murailles invisibles. Impossible de passer de l'une à l'autre. De plus, le temps ne s'y écoule pas à la même vitesse. Quand il est aidé par un groupe qui lui peut aller de zone en zone, il apprend que dans certaines zones, plusieurs siècles ont vu les survivants perdre puis retrouver connaissances et technologies. 

Le second tome plonge le petit groupe dans l'horreur. Ils vont devoir fuir des mutants et se réfugier dans les ruines du métro. Mais là, des monstres encore plus dangereux vont les attaquer. On retrouve un peu de l'imaginaire des séries de Léo dans cette BD. Même si l'on n'est pas sur des planètes inconnues mais sur Terre, là où le temps rapide a permis des évolutions hasardeuses et dangereuses. 

La science pourra-t-elle sauver le groupe de Lino ? Ce gros épisode de près de 100 pages consolide le monde des Murailles invisibles et donne de nouvelles pistes pour une suite qui s'annonce multiple et passionnante.

"Les murailles invisibles" (tome  2), Dargaud, 92 pages, 25,30 € 

mercredi 31 janvier 2024

BD - Quand les enfants esclaves deviennent presque des Dieux


Bénédiction ou malédiction ? Ils sont certains à se poser la question après être devenus des Semi-Déus, des presque dieux aux pouvoirs  magiques dans ce monde imaginé et dessiné par Juliette Fournier et Jean-Gaël Deschard. Dans ce royaume de Sayran, le pouvoir de la reine s'appuie sur les pouvoirs des Semi-Déus, des enfants aux dons extraordinaires. Asmodée en fait partie. 

Pourtant l'histoire de cette fillette n'est pas si heureuse que cela. Sa famille, de simples paysans, affamée après une mauvaise récolte, décide de la vendre contre de la nourriture. Asmodée sera transformée en petit monstre avec d'autres filles et garçons recueillis par le clergé. Elle a la possibilité de prendre l'apparence de qui elle veut. 

Pour l'instant son pouvoir ne sert qu'à réaliser des petits larcins avec une camarade qui a le don de dupliquer, temporairement, des objets. La fillette, pour s'acheter de belles tenues,change d'apparence et revend des objets d'art rares à des marchands cupides. 

Son destin va changer quand elle sera chargée de remplacer une importante personnalité du royaume. 

On apprécie dans cette BD de fantasy l'histoire simple et inventive, sans trop de magie mais toujours merveilleuse malgré tout. Les dessins, doux, finement colorés et très expressifs, apportent un plus dans le côté monde fantastique et onirique de la série. Sans oublier le message politique : les pouvoirs ne sont pas sans conséquence et impliquent une grande responsabilité des bénéficiaires. Un apprentissage qui pour l'instant n'est pas essentiel à Asmodée. 

"Les Semi-Déus" (tome 1), Vents d'Ouest, 56 pages, 11,95 €

Cinéma - « La zone d’intérêt » montre l’horreur bucolique

 A quelques mètres des fours d’Auschwitz, sollicités à outrance, une famille profite d’une existence bucolique. Jonathan Glazer filme un certain paradis aux portes de l’enfer. 



Au lendemain de la diffusion sur France 2 de Shoah (disponible en replay), film documentaire aux images édifiantes de Claude Lanzmann, la sortie en salles de La zone d’intérêt de Jonathan Glazer prouve qu’il existe plusieurs façons pour dénoncer l’abomination des crimes nazis. Présenté à Cannes en compétition officielle (récompensé du Grand Prix), ce film prend le parti de raconter le quotidien du camp d’extermination d’Auschwitz du point de vue des tortionnaires.

C’est l’été. Une famille bronze et se baigne dans un lac en Pologne. Petites filles blondes qui ramassent des mures, jeunes hommes musclés, épanouis. Quand ils rentrent chez eux, on devine au loin des miradors, des barbelés au sommet des murs et de grosses cheminées qui crachent de la fumée noire. La petite famille exemplaire est celle de Rudolf Höss (Christian Friedel), le commandant du camp d’Auschwitz.

Petit paradis aux portes de l’enfer

Avec sa femme Hedwig (Sandra Hüller), ils ont transformé leur maison en petit paradis. Chambres spacieuses, chauffage central, grand jardin avec piscine, potager et quantité de fleurs. Même de la vigne au fond du terrain. Mais surtout, pour cacher les premiers baraquements du camp. Un camp qu’on ne voit jamais à l’écran. Par contre, on entend tout ce qu’il s’y passe.

Comme l’a expliqué le réalisateur, la bande-son, sorte de parasite auditif à la limite du soutenable, est un film dans le film. Pendant que Hedwig se prélasse au soleil dans son jardin, des rafales d’armes automatiques font régner l’ordre de l’autre côté. Elle essaie un manteau de fourrure volé à une déportée qui, si ça se trouve, est cette femme qui hurle sous la torture. Certes la mère et ses enfants ne voient pas les horreurs à l’intérieur du camp, mais ils ne peuvent ignorer ce qui s’y trame. Comment dès lors arriver à vivre dans ces conditions ? Pourtant, jamais ils ne se rebelleront, ne feront le moindre geste vers les condamnés. Ils profitent du système, de la mort planifiée. A ces images ensoleillées, presque jolies et bucoliques, s’opposent les sons mais aussi la musique, omniprésente. Elle donne parfois l’impression que ce ne sont pas des instruments qui jouent mais que le compositeur, Mica Levi, a mixé les millions de hurlements des Juifs assassinés à Auschwitz.

On ne sort pas indemne de La zone d’intérêt. Mais c’est toujours le cas quand le cinéma raconte, montre ou dénonce, cette solution finale pourtant toujours remise en cause au XXIe siècle par des négationnistes.

Film de Jonathan Glazer avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus
 

Bande dessinée - Lewis Trondheim ou Didier Tronchet : ils racontent leur vie sur du papier

L’autofiction peut aussi se décliner en BD. C’est plus rare et beaucoup plus marrant que du Christine Angot quand c’est Lewis Trondheim ou Didier Tronchet qui se racontent. 

Les chemins de traverse de Trondheim


Cela faisait quelques années que Lewis Trondheim n’avait pas publié de recueil de ses « Petits riens ». Des planches, souvent faites sur le vif, où il raconte des anecdotes tirées de sa vie, de ses voyages, de la Corse à la Californie en passant par le Japon ou le Golfe persique.

Dans cette 9e livraison, il explique ce que sont les chemins de désir, ces traces faites par les piétons qui prennent des raccourcis. Il en fait même le titre, comme pour nous persuader de faire attention à ces traces du quotidien que l’on a tendance à ignorer, trop occupés par d’autres futilités ou pire le nez collé à notre smartphone.

Le créateur de Lapinot, dans un salutaire exercice d’autodérision, ne cache rien de ses manies. Ses angoisses existentielles qui lui pourrissent la vie, partout et sans raison. On notera toute une série de gags autour des toilettes. Comme ce grand ratage, à la fin d’un vol long-courrier. Il laisse sa femme, Brigitte, attendre les valises alors qu’il va soulager sa vessie.

A son retour, persuadé qu’il va falloir encore attendre de longues minutes l’apparition des valises, il constate avec étonnement qu’elles sont déjà là. Sa femme explique : « C’était les deux premières à sortir. C’est la première fois que ça arrive. » Réaction de Lewis : « Rhâââââ… J’ai raté l’événement le plus fou du voyage… »

Autre exemple, il campe dans le désert en Arabie. Au petit matin, il se lève, s’éloigne un peu et urine sur une dune. Puis va se recoucher au lieu d’attendre une petite heure pour contempler le lever du soleil. Moralité par ce penseur souvent très clairvoyant : « Mince, j’ai résumé l’Humanité actuelle. Je pisse sur la planète et je n’apprécie pas la beauté du monde… »

Une BD à déguster lentement, pour ne pas rater ces petits riens qui forcément embellissent notre vie.

Dans le faux potager de Tronchet


Notre planète va mal. Pas la peine d’être un grand devin pour en avoir la certitude. De quoi se faire du mouron. Ou plonger dans l’éco-anxiété comme Didier Tronchet et sa femme. Un état d’esprit qu’il raconte, en s’en amusant, dans l’album Les Catastrophobes.

Suite logique, ils décident de quitter la ville pour se réfugier à la campagne. Avec la volonté, surtout chez madame, de « réinventer notre vie, être autosuffisant, en harmonie avec la nature… » Un beau programme qui fait pourtant encore plus flipper Tronchet qui se voit mal vivre sans pizza surgelée, WC modernes et encore moins de se priver de wifi et de réseaux sociaux. Cette succession de gags, qui racontent une année loin du bruit de la ville, fera rire les sceptiques, ceux qui sont persuadés que ce n’est qu’une lubie de privilégié, de bobo en manque de boue.

Les autres, ceux qui effectivement sont persuadés que le lombric est le meilleur protecteur de la vie et que les toilettes sèches sont un progrès pour l’Humanité, riront jaune. Voire pas du tout… Pas toujours facile de se moquer en conscience de ses propres dérives.

« Les petits riens de Lewis Trondheim » (tome 9), Delcourt, 128 pages, 13,50 €

« Tous à la campagne ! », Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €

Cinéma - « Argylle », parodie futée d’un film d’espionnage

 

On retrouve dans Argylle, nouveau film de Matthew Vauhn (Kick-Ass, la série des Kingsman), toute son originalité doublée d’une saine autodérision sur les poncifs du genre. Il s’attaque cette fois au film d’espionnage pur et dur. James Bond devrait trembler. S’il ne craint pas les méchants, il ferait mieux de se méfier des persifleurs. L’agent secret, l’espion en chef, se nomme Argylle.

Grand, baraqué, toujours avec un coup d’avance, il est interprété par un Henry Cavill décidément meilleur comédien que ne le laissent entrevoir Superman ou The Witcher. Un espion trop beau pour être vrai. Après une scène d’ouverture qui relègue Tom Cruise et ses Mission Impossible au rang de film français barbant, on découvre qu’Argylle est l’invention d’Ely Conway (Bryce Dallas Howard), romancière célibataire qui partage sa vie de perpétuelle stressée avec Artie, un chat « tromignon ».

Tout se complique quand elle est abordée dans un train par un véritable espion, Wilde (Sam Rockwell), qui lui révèle que les intrigues de ses romans improbables sont en réalité tout à fait vraies. Ely va alors mélanger dans des scènes d’action au fort potentiel comique Argylle et Wilde. La suite est rythmée par une dizaine de coups de théâtre, rebattant sans cesse les cartes sur les identités de tous les protagonistes de ce film d’espionnage qui dynamite joyeusement un genre se prenant trop souvent au sérieux.

Le duo Conway-Wilde fonctionne à merveille, les comédiens en font des tonnes mais à bon escient et au final, même si les ultimes péripéties sont un peu sirupeuses, Argylle permet enfin aux spectateurs critiques de rire aux déboires des gentils comme des méchants.

Film de Matthew Vaughn avec Henry Cavill, Bryce Dallas Howard, Sam Rockwell, John Cena, Bryan Cranston