vendredi 17 mars 2023

BD - Reformatage psychologique complet

La Russie, du temps des Soviétiques comme celle d’aujourd’hui de Poutine, ne s’embarrasse pas trop des problèmes d’éthique médicale. C’est en partant de cette réalité que Philippe Pelaez a rédigé le scénario de ce thriller intitulé Ceux qui n’existaient plus.

Un complexe scientifique retiré, solidement surveillé par des gardes armés, accueille 20 volontaires pour une expérience au long cours. Ils vont être isolés (plus de téléphones portables ni de réseau social et encore moins d’information du quotidien) durant une année complète. De plus ils devront prendre des médicaments expérimentaux et subir toute une batterie de tests.

10 hommes et 10 femmes qui ont pour point commun d’avoir vécu un grave traumatisme qui depuis les hante. On suit plus particulièrement Natacha Karpovna, jeune femme dépressive depuis qu’un fou s’est introduit chez elle et a assassiné son mari et ses deux enfants. Elle revit la scène chaque nuit et ce traitement est pour elle l’espoir d’enfin tourner la page.

Mais rapidement le lecteur comprend que les dés sont pipés. Que les malades ne sont ce que l’on croit. Que les scientifiques de l’équipe menée par les scientifiques de l’équipe du professeur Vetrov ont en réalité d’autres desseins pour ces cobayes. Quand des existences complètes se révèlent être des chimères.

Un peu complexe pour ce qui concerne les explications scientifiques concernant le fonctionnement du cerveau, cette BD est quand même très efficace dans son volet machination. Et retournement de situation, jusqu’à la dernière page annonçant une suite qu’on n’osait espérer.

« Ceux qui n’existaient plus », Bamboo Grand Angle, 15,90 €


BD - Un écrivain aux prises avec le Danthrakon

Dans une ville de Paris version fantasy, Lathan tente de vivre de sa plume. Mais ce n’est pas parce qu’on ne vit que pour l’écriture qu’on peut payer son loyer et ses repas. Pourtant Lathan a la chance d’avoir une fiancée belle et amoureuse, la rousse et impétueuse Murcille.

Acculé par les créanciers, Lathan accepte en désespoir de cause de se mettre au service d’un riche commerçant. Ce prétentieux, devenu immensément riche après bien des vilenies, veut écrire sa biographie. Il charge donc Lathan de mettre sur papier ses exploits qu’il passe des heures à détailler pour le malheureux écrivain. Lathan accepte pour le salaire et aussi la possibilité de travailler dans la grande bibliothèque du magnat financier. Là, il découvre le Danthrakon, un grimoire magique qui peut donner du talent.

Lathan, lassé d’écrire des inepties sur commande et constatant que ses romans ne remportent pas de succès, cède à la tentation et va utiliser le livre magique pour enfin écrire le chef-d’œuvre qui va le rendre riche, célèbre et adulé. Plus qu’une simple BD d’aventure, ce Succès damné d’Arleston et Olivier Gay pour le scénario et Olivier Boiscommun pour les dessins, est une intéressante réflexion sur le désir de renommée, l’envie de reconnaissance, la folie de la célébrité. Car si Lathan arrive à écrire ce livre qui va lui changer la vie, ce n’est pas sans conséquence pour son entourage, notamment la belle Murcille.

Un récit complet qui reprend le fameux Danthrakon dont Arleston et Boiscommun ont déjà raconté les aventures dans trois tomes plus classiques.

« Succès damné », Bamboo Drakoo, 16,90 €


jeudi 16 mars 2023

BD - De la banquise aux étoiles

Elles sont trois. Trois amies, jeunes et déterminées à se faire une place dans la société pourtant très étroite de la ville de Kosmograd. L’action de ce roman graphique de Bonaventure se déroule dans un futur proche. Le dérèglement climatique a poussé les Humains à trouver une solution de sortie en dehors de notre bonne vieille terre.

Dans cette Russie imaginaire, aux mains des grandes entreprises, un ascenseur orbital est en cours de construction pour relier le sol à une arche orbitale. Mais le temps presse. La tempête est violente et menace de détruire l’ascenseur et aussi toutes les habitations qui ont permis d’héberger les milliers de personnes qui ont contribué à leur construction. Il ne reste plus beaucoup de temps pour quitter le plancher des vaches. Dans ce contexte, la révolte gronde.

Les manifestations se multiplient pour obliger la Kosmo à embarquer le maximum de personnes. Les trois copines, Zoya, Paouk et Ev’veulent leur place aussi. Au cours d’échauffourée avec les forces de l’ordre, elles tombent sur une rebelle qui leur confie une clé informatique contenant un document secret qui pourrait remettre en cause toute l’opération d’évacuation.

Les 120 pages retracent cette course-poursuite entre le trio et la police privée à la solde de la Kosmo. Un album qui arrive à concilier vision futuriste et technologique avec des réminiscences des croyances populaires, notamment des autochtones de cette région de Sibérie où les animaux totems ont toujours eu une grande influence sur la vie des humains.

« Kosmograd », Casterman, 18 €


BD - Amiens, Jules Verne et les Spectaculaires

Réaliser une bonne bande dessinée d’aventure avec une bonne dose d’humour n’est pas toujours aisé. Et rares sont ceux qui parviennent à mettre en place tout un monde pour donner l’occasion de transformer l’essai en série. En s’inspirant ouvertement et avec talent des feuilletons du début du XXe siècle, Régis Hautière (scénario) et Arnaud Poitevin (dessin) ont trouvé la formule magique.

Dans le Paris d’avant la première guerre mondiale, une troupe de saltimbanques devient redresseuse de torts la nuit venue. Les Spectaculaires sont menés d’une main de fer par Pétronille, la madame loyal du spectacle. Elle compte dans ses rangs trois habiles complices, Félix, loup-garou d’opérette (son costume est en peau de lapin), Eustache, hercule qui doit tout à son armure et Évariste, charmeur et acrobate.

Le quatuor reçoit le renfort du professeur Prosper Pipolet, savant fou, inventeur facétieux qui a de gros problèmes de mémoire. Dans cette 6e aventure, ils désertent la capitale pour rôder leur nouveau spectacle à Amiens. La ville de Jules Verne, ami de Pipolet. Il a d’ailleurs reçu récemment une missive de l’écrivain visionnaire. Problème : cela fait six ans que Jules Verne est mort.

Sur place, les Spectaculaires vont emménager dans l’ancienne maison du romancier, rachetée et transformée en maison d’hôtes. Dans sa chambre, le professeur va être visité par le fantôme de Jules Verne. Il lui demande de retrouver un mystérieux cylindre doré.

Un album très rythmé, avec des gags à toutes les planches (merci les personnages secondaires), des rebondissements et de nombreux clins d’œil, notamment graphiques, Poitevin profitant de ses talents de caricaturiste pour faire entrer en scène Belmondo, Pierre Tornade ou Cantona.

« Les Spectaculaires » (tome 6), Rue de Sèvres, 14 €

mercredi 15 mars 2023

BD - Monstres cachés et effrayants

Il n’y a pas que les loups-garous pour effrayer les enfants dans les légendes. On apprend en lisant Chat perché de Jo Rioux, que les Cats Sith ou chats noirs remplissaient aussi parfaitement ce rôle. Capturer puis dresser un Cat Sith est le but de la petite orpheline nommée Suri.

Recueillie encore bébé par les membres d’un cirque ambulant, elle gagne sa vie en racontant des histoires de monstres aux enfants crédules. Mais son avenir sera plus glorieux : elle sera dompteuse de monstres. Elle a l’occasion de mettre ses talents à l’épreuve car un petit homme vient de rejoindre le convoi. Dans sa caravane, bien caché, un immense être aux cris effrayants. Suri parvient à le caresser et à lier un contact particulier. Son premier monstre.

Mais cette victoire ne doit pas faire oublier qu’elle a contrarié une famille de Cat Sith qui se lance à ses trousses. Cette longue histoire de 120 pages au format comics présente ce monde merveilleux imaginé par Jo Rioux.

On y croise divers monstres, pas toujours très dangereux. Comme le liechi, un monstre plante dont les principaux méfaits consistent à étouffer les cultures et abîmer le matériel agricole.
« Chat perché » (tome 1), Rue de Sèvres, 12,50 €

BD - Chirurgie royale scabreuse dans « Le royal fondement »


A Versailles en cette année 1686, le Roi Soleil ne brille pas spécialement. Le monarque souffre. Un mal un peu honteux : une fistule anale. Le sujet de cet album signé Philippe Charlot (scénario) et Eric Hübsch (dessin) semble un peu scabreux. Pourtant une fois passé le côté un peu répugnant du bobo, on découvre une histoire passionnante sur les débuts de la chirurgie, la vie à la cour et comment le peuple vivait cette monarchie absolue française.

Tout débute dans une boucherie parisienne. Geoffroy, le fils du patron, est chargé d’aller livrer une tête de cochon à un noble. En chemin il assiste à la récupération d’un homme en train de se noyer. Il parvient à le sauver mais ce n’est pas au goût des médecins appelés à son chevet qui le font enfermer. Mais son intervention efficace attirent l’attention du médecin du roi qui cherche un moyen efficace de soigner la fistule et a besoin d’un assistant lors d l’opération. Geoffroy se voit bombardé à Versailles, complice malgré lui d’un complot contre le Roi.

Beaucoup d’humour dans ce récit complet complété par un dossier pédagogique où l’on en apprend beaucoup sur la maladie du Roi, les pratiques chirurgicales de l’époque (mieux vaut avoir le cœur bien accroché), et les différents protagonistes réels du récit, de la Maintenon au Chirurgien Charles-François Tassy en passant pat les Demoiselles de Saint-Cyr.

« Le royal fondement », Bamboo Grand Angle, 16,90 €

mardi 14 mars 2023

Livres jeunesse - Tigres et tortue

Deux livres pour la jeunesse avec des animaux pour faire rêver les plus petits. Des tigres et une tortue.

Les enfants faisaient-ils des bêtises à l’âge de la préhistoire ? Oui si l’on ne croit ce très joli album écrit et dessiné par Pénélope Jossen.

Alors que le père et la mère de deux enfants vont chasser, les deux enfants restent seuls dans la grotte. Le plus petit veut aller dehors et se retrouve coincé dans un trou, peut-être habité par des tigres. Grosse frayeur et sauvetage par des parents qui décideront désormais de partir à la chasse avec leurs petits.


La tortue qui n’aimait pas être lente raconte comment Aglaé rate plein de bons moments à cause de son manque de vitesse. Une jolie parabole sur les plaisirs de la lenteur signée Séverine de la Croix et Sandrine Goalec.

« Attention aux tigres », École des Loisirs, 13 €.
« La tortue qui n’aimait pas être lente », Splash, 8,95 €

De choses et d’autres - Carrousel de dessert


Le site TasteAtlas est devenu la référence en matière de comparaison d’alimentation. Son classement le plus connu est celui des cuisines du monde. L’italienne domine de la tête et des épaules devant la Grèce et l’Espagne. La France n’est que 9e, devant la Chine, mais derrière les USA…


Cela semble assez peu crédible, pourtant le classement est certifié. Les doutes semblent justifiés quand on découvre le classement mondial des pâtisseries. S’il est bien un secteur où l’on excelle au pays du petit-déjeuner sucré, c’est celui-là. Et pourtant. En tête on trouve le Pastel de Belem ou Pastel de Nada. Originaire du Portugal, ce flan aux œufs est présenté dans une pâte feuilletée.

Juste derrière, la focaccia di Recco, tourte à la pâte fine garnie de fromage fondant. Un peu moins dessert (c’est légèrement salé), mais délicieux, j’admets.

Mais alors les viennoiseries françaises, où sont-elles ? Il faut descendre jusqu’à la 9e place pour voir apparaître un bout de croissant. Et jusqu’à la 21e pour découvrir un second produit français, le Paris-Brest. Comme si la pâte à choux croquante garnie de crème mousseline pralinée était moins délicieuse qu’un bougatsa grec et sa crème de semoule.

On trouve ensuite l’éclair pour satisfaire nos papilles chauvines et une dernière spécialité à la 45e place (sur 50), ce qui confirme que ce classement est une vaste farce.

Car, dans les profondeurs du classement on découvre avec stupeur que TasteAtlas propose une spécialité qui n’existe même pas ! Le pain au chocolat ne peut pas être 45e. Le pain au chocolat est un simulacre, une escroquerie. Par contre, dans mon classement personnel, la chocolatine remportera toujours la première place.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mardi 7 mars 2023

lundi 13 mars 2023

Cinéma - “Sacrées momies” chantantes

Un film d’animation espagnol de Juan Jesús García Galocha

Nefer et Thut, les deux héros de ce film entre action et comédie musicale. 
Crédit :  4 Cats Pictures

Si Disney a déserté les salles de cinéma pour étoffer son offre de streaming sur la plateforme Disney +, le public jeunesse n’est pas en manque de productions originales et souvent de qualité.

Ces dernières semaines, deux films ont occupé le terrain et dépassé les 700 000 entrées. Pattie, la production de la société occitane TAT et Sacrées momies, film espagnol confectionné en grande partie à Barcelone.

Si le premier s’intéresse à la civilisation grecque, le second plonge les petits spectateurs dans le monde égyptien des momies et pharaons. Le scénario est signé Jordi Gasull à qui l’on doit déjà les aventures de Tad. De nos jours, un archéologue découvre une tombe égyptienne. Elle communique avec le monde parallèle des momies. Une reproduction de l’Egypte des Pharaons, mais tous les habitants sont des momies.

Nefer, la fille du pharaon, espiègle et éprise de liberté, refuse de se marier. Elle veut devenir chanteuse. Son père en appelle aux dieux qui désignent Thut comme prétendant. Un ancien conducteur de char de course. Quand le méchant explorateur dérobe un objet sacré, Nefer, Thut, son petit frère et Croc, un crocodile apprivoisé, vont le suivre jusqu’à Londres pour reprendre leur bien.

Une aventure bourrée de péripéties, ponctuées de chansons dont quelques-unes originales. L’ensemble est d’une remarquable qualité, au point que c’est Warner qui a distribué le film, partout dans le monde. Sacrées momies (de même que Pattue) est toujours à l’affiche dans plusieurs cinémas du département. L’occasion de passer un bon moment en famille.

 

Cinéma – Un humain derrière la carapace mortelle de “The Whale”

Un obèse vit ses derniers jours dans son appartement. Comment en est-il arrivé là ? Un film poignant de Darren Aronofsky avec une composition magistrale de Brendan Fraser.

Il est beaucoup question d’enfermement dans The Whale, film de Darren Aronofsky avec Brendan Fraser dans un rôle hors normes. Enfermement dans un appartement pour fuir la société. Enfermement dans un corps devenu piège mortel. Enfermement dans les dogmes religieux pour ne pas avoir à décider par soi-même. Enfermement dans la haine après un abandon.

Tout le film se déroule dans l’appartement de Charlie (Brendan Fraser), un professeur d’anglais qui donne des cours sur le net. Charlie ne veut plus sortir de chez lui. Ne peut plus. Devenu obèse, il se déplace difficilement de son fauteuil, à son canapé, à sa chambre. Avec arrêt à la cuisine pour engloutir des kilos de nourritures surchargées en graisse ou sucre.

Suivi par Liz (Hong Chau), une infirmière devenue sa seule amie, il est sauvé par Thomas (Ty Simpkins) quand ce jeune prédicateur le découvre en train de subir les débuts d’une crise cardiaque. Le diagnostic de Liz est sans appel : sans une hospitalisation immédiate, il ne passera pas la semaine. Charlie refuse, préférant rester seul, dans son appartement, toujours dans l’obscurité, à ressasser son malheur. Car si Charlie s’est transformé en cette baleine quasiment incapable de bouger, c’est après le suicide de son compagnon.

Une fille cruelle 

Sentant effectivement qu’il n’en a plus pour longtemps, il décide de faire ce qu’il n’a pas osé depuis 8 ans : téléphoner à sa fille, Ellie (Sadie Sink). Il ne l’a plus vue depuis ses huit ans, quand il a abandonné son foyer pour rejoindre son étudiant et faire un coming out retentissant. Quand Ellie pénètre dans cet appartement, l’adolescente est décidée à régler ses comptes. Elle sera cruelle pour ce père qu’elle trouve répugnant. Charlie va encaisser, tenter de voir le bon côté des choses : sa fille est intelligente, géniale... Mais cruelle.

Œuvre forte et inclassable, The Whale coche toutes les cases du chef-d’œuvre. Le scénario, tiré d’une pièce à succès, est limpide, servi par un casting au diapason des dialogues. Au niveau interprétation, on est bluffé par Brendan Fraser en obèse qui culpabilise mais ne peut calmer cette boulimie maladive. Même sur le côté santé le film est pointu, décrivant sans fausse pudeur le quotidien de cet homme XXXL mais tellement amoindri.

Et on a droit aux scènes quasi pornographiques de Charlie se jetant sur du poulet frit ou des pizzas dégoulinantes. Sans oublier le passage sur la rédemption, mise à mal malgré l’intervention du jeune prédicateur.

Et l’amour dans tout ça ? Finalement, il est omniprésent par l’entremise de Liz, l’infirmière et aussi Ellie, la jeune fille cruelle mais parfois pour de très bonnes raisons.

Film américain de Darren Aronofsky avec Brendan Fraser, Sadie Sink, Ty Simpkins, Hong Chau