dimanche 29 mai 2022

Roman - Espions made in Gallimard

Les histoires d’espionnage ont lentement mais sûrement disparu du paysage littéraire français une fois la Guerre froide morte et enterrée. Pourtant le genre n’est pas totalement tombé dans l’oubli et connaît même une jolie renaissance chez Gallimard dans une collection dirigée par Marc Dugain. Un premier titre très actuel, sur la lutte des services secrets français contre les terroristes islamistes de Daech, avec un clin d’œil à l’Ukraine, l’un des personnages principaux étant originaire de ce pays, carrefour européen de tous les espions depuis des décennies. 

Des hommes sans nom est signé Hubert Maury et Marc Victor. Deux plumes qui connaissent particulièrement leur sujet. Le premier a longtemps été militaire puis diplomate, le second, journaliste, a longtemps été en reportage en Afghanistan et au Pakistan. Pour comprendre les enjeux de cette guerre secrète menée par ces « hommes sans nom », les auteurs imaginent les débuts dans la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) d’une jeune Française, Victoire Le Lidec. Une analyste qui sera formée par Nikolaï Kozel, ancien légionnaire intransigeant, son aîné de 20 ans. Ayant fui l’Ukraine avec sa mère, Nikolaï après quelques bêtises, s’est engagé dans la Légion. Il a servi son nouveau pays, est devenu Français et a intégré les services secrets. Une brillante carrière d’officier traitant, ternie par sa dernière affectation en Tunisie. Son meilleur agent infiltré est mort accidentellement en Libye. Depuis il végète à Paris, suspecté par sa hiérarchie d’avoir provoqué cet accident. Nikolaï va accepter d’aller avec sa mère en pèlerinage en Ukraine.

Nous sommes en 2017, le pays redevenu libre est bouillonnant. Il le redécouvre : « Ce qui pourrait définir cet univers physique, ce territoire, ce pays, se dit-il, ce serait une tonalité, une qualité de lumière, une couleur plus ressentie que réelle : une illumination, intense mais subtile, une noblesse sans afféterie, brute, bienveillante, un air, dans tous les sens du terme, l’atmosphère, le climat affectif… qui lui ferait éprouver par l’âme et par la peau, par le cœur et par les yeux, qu’il était bine d’ici. » Mais Kiev n’est qu’une étape vers Kaboul. 

Nikolaï est la pièce maîtresse d’une manipulation compliquée mise en place par Victoire. Il va devoir persuader un jihadiste repenti de permettre à une espionne française d’infiltrer une école coranique du Pakistan qui forme des kamikazes femmes. Sur le terrain, l’action s’accélère et se complique car, Victoire le constate à ses dépens, « Le facteur humain n’était pas un mythe. Une bombe à retardement aussi instable que de la nitroglycérine. » Les 50 dernières pages offrent un dénouement plein d’action et de retournements de situations. 

Un roman très réaliste, loin de James Bond ou d’OSS 117, beaucoup plus proche de l’excellente série télé du Bureau des légendes.

« Des hommes sans nom » d’Hubert Maury et Marc Victor, Gallimard, 18 €

samedi 28 mai 2022

BD - Austin en Écosse


Kathy Austin, héroïne imaginée par Léo et Rodolphe et dessinée par Marchal, poursuit son exploration de l’inexpliqué. Après des phénomènes observés en Afrique et en Amérique du Sud, la belle anglaise revient sur ses terres natales d’Écosse. 

Cette espionne d’un genre un peu particulier de la fin des années 40, est officiellement à Kilwood pour prendre possession d’un manoir légué par sa grand-mère. Mais très vite elle va être intriguée par des mystères attirant quelques espions dans les parages. 

Une aventure moins mouvementée, plus psychologique, qui lève un peu le voile sur la jeunesse de Kathy. Étonnamment il ne se passe pas grand-chose durant ces 46 pages, mais c’est passionnant et palpitant. Vivement la suite.

« Scotland » (tome 1), Dargaud, 12 €

BD - Campagne électorale dessinée au jour le jour


Véritable exploit des six dessinateurs qui ont suivi la campagne présidentielle de 2022 : ils ont sorti leur BD de 240 pages avant même la nomination du nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne. C’est Mathieu Sapin, habitué du reportage politique qui a lancé et coordonné le projet. Mais au lieu d’y aller en solo, il s’est entouré de cinq collègues. Louison pour Anne Hidalgo et Christine Taubira, Dorothée de Monfreid pour Yannick Jadot, Kokopello pour Valérie Pécresse et Jean Lasalle, Lara pour Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel et Morgan Navarro pour Marine Le Pen et Éric Zemmour. 

Le patron s’est réservé le président sortant, Emmanuel Macron. Le tout, raconté chronologiquement, permet de comprendre une campagne du début à la fin. On commence avec les parrainages (au salon des maires), mais aussi les primaires quand il y en a. Kokopello, au passage, a eu chaud car Xavier Bertrand, le favori chez Les Républicains, semblait très hostile au projet. On revit les hauts et les bas de ces six mois, avec crise sanitaire et surtout guerre en Ukraine. On rit parfois, on comprend aussi ces artistes un peu perdus dans un monde politique impitoyable. Mais au final, on en apprend beaucoup plus sur l’élection qu’en visionnant des heures de débat langue de bois sur les plateaux des télés en continu.  

« Carnets de campagne », Dargaud - Seuil, 22.50 €

vendredi 27 mai 2022

BD - Rires historiques sous l'égide des Profs de Pica et Sti


Bien que son dessin ait un peu perdu de sa fluidité, c’est toujours un grand plaisir de retrouver un album dessiné par Pica. Celui qui a débuté sous le nom de Pierre Tranchand a connu le succès avec Les Profs. 

Un AVC l’a empêché de dessiner durant de longues années. Il a récupéré et peut de nouveau se mettre devant sa planche à dessin. Il a laissé la série originelle à Léturgie mais continue de raconter l’Histoire de France sous le prisme de l’éducation. 

Ce 2e volume propose des histoires écrites par Sti. On retrouve nos chers profs dans des versions préhistoriques, du temps de Charlemagne (l’inventeur de l’école, ne l’oublions pas), avec des Mousquetaires ou dans les tranchées. Jamais l’Histoire n’aura été aussi divertissante. 

« Les profs refont l’Histoire » (tome 2), Bamboo, 11,90 €

BD - Yoko Tsuno, toujours


Immense carrière que celle de Roger Leloup. A près de 90 ans il signe le 30e tome des aventures de Yoko Tsuno après avoir débuté dans les années 50 avec Jacques Martin (Alix) et Hergé. Si le trait est moins précis, les visages un peu modifiés, l’esprit de la série reste le même. 

La jeune japonaise reçoit un cadeau de ses amis Vinéens, les extraterrestres à peau bleue. Un vaisseau spatial avec lequel elle rejoint les anneaux de Saturne. Là, elle fera une découverte qui remettra en cause le passé des Vinéens. En plus d’explications techniques très précises et de vaisseaux d’une exceptionnelle beauté, on retrouve au sein de cette histoire le thème de la famille, toujours aussi cher à Roger Leloup. 

« Yoko Tsuno » (tome 30), Dupuis, 10,95 €

jeudi 26 mai 2022

BD - Guy Lefranc et les avions futuristes


Ce 33e titre des aventures du journaliste Guy Lefranc est directement inspiré du synopsis d’un scénario de Jacques Martin, le créateur de la série. C’est Seiter qui a finalisé le script et Régric s’est chargé de la mise en images. 

En 1940, alors que les divisions blindées allemandes déferlent sur la France, deux avions détruisent les chars nazis. 16 ans plus tard, Lefranc est chargé par son rédacteur en chef d’enquêter sur cet exploit militaire oublié et de retrouver un des avions qui s’est abîmé dans un étang dans l’Est de la France. Mais l’armée française va tout faire pour que Le scandale Arès (titre de l’album), ne soit pas révélé dans la presse. 

Une aventure qui allie Histoire et futurisme. 

« Lefranc » (tome 33), Casterman, 11,95 €

BD - Bulles d’espoir dans le désert de Liu Cixin


Nouvelle adaptation en BD d’un texte de Liu Cixin, écrivain chinois qui bénéficie d’une collection à son nom. Valérie Mangin (scénario) et Steven Dupré (dessin), proposent Pour que respire le désert, un texte autour du réchauffement climatique. Dans un futur proche, la Chine s’étouffe. L’eau devient rare. 

Des utopistes tentent de créer une nouvelle ville au Nord-Ouest, mais la sécheresse fait capoter le projet. 

Pensant que son père tente de trouver des solutions pour sauver la ville nouvelle, sa fille, Yuanyuan préfère jouer à faire des bulles de savon. Jusqu’à devenir une scientifique réputée et utiliser ces bulles pour sauver le climat. 

Un récit inventif et optimiste. 

« Pour que respire le désert », Delcourt, 17,95 €

mercredi 25 mai 2022

DVD - "355", union musclée d’espionnes

Les films d’action et d’espionnage sont souvent d’énormes clichés de testostérone et de machisme. Et mettent en vedettes des hommes qui consomment les femmes comme d’autres des cacahuètes à l’apéro. 355, film de Simon Kinberg qui vient de sortir en DVD et blu-ray chez M6 Vidéo, prend le contre-pied total de cette réalité. Son film s’appuie sur un casting exclusivement féminin. Des espionnes essentiellement, venues des quatre coins de la planète et interprétées par des stars comme Jessicca Chastain, Diane Kruger, Penélope Cruz, Lupita  Nyong’o et la Chinoise Bingbing Fan. 

Le scénario, assez monotone, explique comment ces femmes, d’abord adversaires, vont s’unir pour récupérer une arme technologique redoutable. Le film va encore plus loin dans la sororité puisqu’on s’aperçoit au fil des rebondissements que les hommes sont généralement vénaux et très prompts à la trahison. 

L’action se déroule en partie à Paris. L’équipe américaine a trouvé des décors originaux qui donnent une autre image de la capitale. Vous pourrez aussi assister à de belles bastons au Maroc et en Chine.

Roman - L’adieu à sa mère

Nous sommes de plus en plus à devoir affronter le vieillissement de nos parents. Leur perte d’autonomie nous transformant en garde-malades. Caroline Lamarche raconte dans ce récit la fin de vie de sa mère. 

Une femme qui ne peut quasiment plus bouger, devenue aveugle mais qui vit toujours seule dans sa grande maison. Entre souvenirs des jours heureux (quand la mère s’occupait de ses ruches) et description minutieuse de cette longue agonie, la romancière belge explique le pourquoi de cette confession : « Comme je marche, j’écris. J’écris pour tenir le choc du vieillissement accéléré de ma mère. J’écris pour être, avec elle, plus douce. »

« La fin des abeilles » de Caroline Lamarche, Gallimard, 18 €

mardi 24 mai 2022

Série télé - "Baraki" et "Clan" : plus belge la vie


La Belgique, avec l’Angleterre, a toujours eu un humour très particulier. Une certaine noirceur teintée d’un désespoir latent, comme pour mieux dédramatiser une situation sociale calamiteuse, une météo peu clémente et un environnement dépressogène. Deux exemples sont en ce moment à l’affiche sur des plateformes de streaming : Baraki, série récente en français sur Netflix et Clan, datant de 2012, en flamand, et proposée par Arte.tv. 

Un Baraki, en Belgique, est un peu le Gabatch des Catalans ou l’Ariégeois des Toulousains. On est pas loin de l’insulte. Les Barakis, espèce typique de la Belgique, sont une partie de la population la plus pauvre, la moins instruite, la plus rustre. La série en 20 épisodes de Julien Vargas et Peter Ninane raconte le quotidien de la famille Berthet, de purs Barakis. Il y a la mère, ses trois fils, la fille et la grand-mère. Le ressort comique est essentiellement porté par un des fils, Didier (Pierre Nisse), qui accumule gaffes et bévues. Chômeur professionnel, il vit un peu aux crochets de sa petite amie Cynthia (Laura Sepul), coiffeuse, seule à avoir un emploi… 

Didier trempe dans nombre de magouilles, malgré une inefficacité totale quand il s’agit de voler ou d’arnaquer les bourgeois. Le grand frère, Yvan (Julien Vargas), est le roi des mythomanes. Il passe son temps à inventer des histoires à dormir debout. Yvan le plus sympa de la bande, souvent victime de sa famille, qui va devenir papa après sa rencontre avec Nathalie, la fille de la grande bourgeoise qui l’emploie, au black, pour entretenir son jardin. Se greffe sur ce duo une sœur lesbienne experte en boxe, un petit dernier fan de musique électronique, sa copine gothique, des fans de tuning et une grand-mère accro au téléshopping. 

On y parle de coupe mulet, de fricadelles, d’écrans plats tombés du camion ou de descente des services sociaux. Mais si on rit des excès des Barakis, on apprécie surtout leur humanité. Ils vivent simplement, sans se soucier du regard des autres. Une philosophie comme une autre. 

Sur Arte c’est le pan flamand de l’humour belge qui est mis en lumière avec Clan de Malin-Sarah Gozin. Encore une histoire de famille entre les cinq sœurs Goethals. Devenues adultes, elles continuent à se voir régulièrement. Sauf celle qui est mariée à un odieux homme. Solution trouvée par les quatre autres : éliminer l’importun. Là aussi, c’est de l’humour belge très noir qui est proposé aux spectateurs français qui manquent un peu de cette denrée dans la production télévisuelle nationale.