mercredi 7 mars 2018

Cinéma : Eva", fantasme de roman

Benoît Jacquot met en vedette Isabelle Huppert dans le film "Eva"


À la base il y a la faute originelle. Bertrand, assistant de vie (ou gigolo, cela n’est pas clair volontairement), se rend chez un de ses clients, un vieil écrivain anglais tombé dans l’oubli. Il est hasbeen chez lui et trop dark en France. Presque grabataire, malade, il se morfond, attendant la visite du beau Bertrand. Contre une forte somme d’argent, il lui demande de le rejoindre dans son bain. Bertrand est sur le point de le faire quand l’homme a une crise cardiaque. Bertrand le regarde mourir, sans intervenir. L’argent en poche, Bertrand prend la fuite en volant la dernière œuvre encore inédite du mort, une pièce de théâtre. Quelques années plus tard, Bertrand savoure le succès de la pièce à l’affiche depuis plusieurs mois. Il a simplement posé sa signature au bas du manuscrit. Un triomphe aussi simple que cela.

Mais le succès aidant, le propriétaire du théâtre réclame une seconde pièce. Tournant en rond, Bertrand décide d’aller s’isoler dans le chalet de ses futurs beaux-parents en Savoie. Il arrive de nuit, en pleine tempête de neige et découvre dans la chambre un couple. Eva et son client se sont installés. Le client sirote un whisky, Eva se prélasse dans la baignoire. Bertrand vire l’importun et propose à la belle prostituée de luxe de remplacer son client évanoui. Fin de non-recevoir d’Eva qui brise un cendrier sur le crâne du jeune prétentieux.

■ Rayonnante Isabelle Huppert
Le film de Benoît Jacquot, remake d’un long-métrage de Losey avec Jeanne Moreau, toujours adapté d’un polar de James Hadley Chase paru dans la Série Noire, donne à Isabelle Huppert l’opportunité de camper une femme belle et vénéneuse, vénale et touchante. L’actrice française, très présente ces dernières années, multiplie ces rôles de femmes mûres et mystérieuses. Elle excelle dans le genre, passant de la femme sûre d’elle, vendant son corps avec aisance, à l’épouse aimante prête à tout pour son mari en situation difficile. Dans ce jeu, l’intrusion de Bertrand ne va pas la perturber. Simplement elle avoue une certaine sympathie pour ce jeune homme plein de ressource, prétentieux et trop malléable.


Gaspard Ulliel, pour son premier film sous la direction de Benoît Jacquot, signe une performance très intéressante. Entre la faute originelle (le vol de la pièce) et la fin du film, il doit montrer toute l’ambiguïté du personnage et passer de l’effacé au triomphant puis à l’homme acculé. Un thriller tourné en Savoie, en hiver, renforçant le sentiment d’enfermement, de piège inéluctable. La tension est permanente et paradoxalement, on se croit parfois dans un roman de… Philippe Djian.

➤ « Eva », drame de Benoît Jacquot (France, 1 h 40) avec Isabelle Huppert, Gaspard Ulliel, Julia Roy.

lundi 5 mars 2018

BD : Savoir dire les choses


Un dessin, stylisé de surcroit, vaut toujours mieux qu’un long texte. Elijah, illustrateur et journaliste, le sait bien puisque la formule des Top 5 lui ont permis de s’imposer dans un journal espagnol. Mais à trop vivre pour le travail, on se retrouve à faire un transfert sur sa vie privée. Quand il apprend que sa compagne attend un enfant, il imagine immédiatement un Top 5 lourd de conséquence sur «5 choses à ne jamais lui dire» quand il intègre, en 2e position, «Ne pas lui faire un enfant dans le dos». Canizales livre une histoire en noir et blanc d’une grande intelligence, son dessin délavé permettant de passer de la douceur à la violence. Cet auteur colombien, plutôt spécialisé dans l’illustration jeunesses, vit en Espagne depuis 20 ans. Il devrait vite devenir incontournable de ce côté des Pyrénées avec la traduction de ses romans graphiques. 
 ➤ «5 choses à ne jamais lui dire», Warum, 15 €

dimanche 4 mars 2018

Littérature : Jean Teulé nous entraîne dans une danse endiablée


Drôle de technoparade à laquelle nous convie Jean Teulé dans son nouveau roman. « Entrez dans la danse » est de la veine des précédents romans de l’ancien auteur de BD : court, imagé, intelligent et furieusement drôle par moments. Tout commence en 1519 à Strasbourg. En plein été, la situation de la ville est catastrophique. En plus de la crainte d’une invasion des Turcs, la ville meurt de faim. Les récoltes ont été mauvaises et si certains spéculateurs ont anticipé la crise, rares sont les Strasbourgeois qui ont les moyens de se payer un kilo de farine.

■ Manger le bébé

Les premières pages sont terribles. Dans un quartier d’artisans, une femme, son bébé dans les bras, rejoint un pont sur le Rhin. « Au milieu de cette passerelle, elle s’arrête et jette son enfant à la rivière ». Infanticide froid et délibéré. Paradoxalement, pour éviter le pire. Car au chapitre suivant on voit une autre mère indigne : la faim l’a poussée à cuire son nourrisson. Cela fait deux jours qu’avec le père ils se régalent. Voilà la situation dans Strasbourg la maudite quand les premiers signes de l’épidémie apparaissent. Une femme, suivie d’un couple puis de tout un groupe se met à danser dans la rue. Danser joyeusement, comme si plus rien de grave ne pouvait les toucher. Toute la subtilité du roman est dans cette danse éperdue. Face à une situation dramatique, sans solution, l’idée de faire la fête, de profiter de la vie, semble la pire des solutions. Mais pourquoi dansent-ils?



Une question lancinante et sans réponse pour les édiles (superbe portrait du maire) et responsables religieux (l’évêque en prend pour son grade). Dehors, la sarabande continue. Jean Teulé raconte, avec sa poésie habituelle. Les gargouilles sur la cathédrale n’en croient pas leurs yeux : « Sous les étoiles, dans Strasbourg hébétée d’une folie générale comme si la raison était en morte saison, les êtres hybrides, grotesques, et allégoriques de l’édifice regardent glisser sur le mur d’en face, des ombres semblables à celles de monstres effrayants, possédés et fantasmatiques. » Fantasmatique. Le mot idéal pour définir ce roman trépidant de Jean Teulé.

➤ « Entrez dans la danse » de Jean Teulé, Julliard, 18,50 €.

samedi 3 mars 2018

Images sudistes


300 ans. le bel âge. En 2018, la Nouvelle-Orleans a 300 ans. L’occasion de découvrir cet ville américaine atypique, ayant conservé de nombreux vestiges de son passé francophone. Vous pouvez vous rendre sur place ou plus simplement plonger dans le beau livre « New Orleans et le sud de la Louisiane » de Gabriel Vitaux, photographe installé dans l’Aude. Des centaines de clichés réalisés entre octobre 2015 et avril 2017, sélectionnés et mis en valeur dans ces 250 pages. Une première partie est entièrement consacrée à la ville, notamment ses clubs toujours aussi actifs. Dans la seconde, on entre dans l’Acadiana, le pays cadien, de Houma à Lafayette. 
➤ « New Orleans et le sud de la Louisiane », Gabriel Vitaux, éditions Label Odero, 35 €

jeudi 1 mars 2018

BD : Succession compliquée à la Cour des Miracles

Julien Maffre, passé par les Beaux-arts de Perpignan, se lance dans une nouvelle série avec Stéphane Piatzsek au scénario. En cinq tomes ils entreprennent de raconter les grandes heures de la Cour des Miracles. Le premier tome présente Anacréon, le roi des gueux. Il règne sur ces voleurs, infirmes et orphelins. Mais la retraite approche. Il compte passer le flambeau à son fils, trop jeune et imprudent, malgré la protection efficace de sa sœur, la Marquise. 
 ➤ « La Cour des Miracles » (tome 1), Soleil Quadrants, 15,50 €

mercredi 21 février 2018

Cinéma : "Moi, Tonya" ou le monde impitoyable de la glace

LE FILM DE LA SEMAINE. La vie tumultueuse de la patineuse artistique Tonya Harding sur grand écran



Elles sont sublimes, virevoltent sur la glace, sont l’incarnation de la beauté et de la grâce. Les patineuses artistiques, de tout temps, ont symbolisé la parfaite adéquation entre vitesse et virtuosité. Quand une certaine Tonya Harding a commencé à briller sur les patinoires des USA, le monde fermé et sélect de cette discipline olympique a frémi.


Tonya est puissante, rapide et d’une rare dextérité dans les figures les plus compliquées. De la graine de championne. Seul problème : c’est une fille du peuple, aux manières peu appréciées par les jurés, confits dans leurs certitudes d’une autre époque. Il faut qu’elle place la barre très haut (elle est la première Américaine à réaliser un triple axel), pour gagner sa place dans l’équipe olympique. Un conte de fée. Pas tout à fait car Tonya Harding a dû endosser le costume de sorcière, devenant une des femmes les plus détestées des USA.

■ Enfant brimée

Ce destin incroyable est devenu un film sous la baguette de Craig Gillespie. Et pour interpréter Tonya, il a trouvé l’actrice idéale avec Margot Robbie. Même si elle fait un peu plus que l’âge de la vé- ritable Tonya au moment des faits, elle a parfaitement retrouvé les attitudes et manières de cette fille rustre, issue d’un milieu modeste. Pas gâtée par la vie. Un père absent, une mère d’une rare méchanceté, qui a parfois levé la main sur cette fillette si gracile sur des patins.

Devenue adulte, Tonya a continué dans les brimades en se jetant dans les bras du premier venu, Jeff (Sebastian Stan) surnommé Moustache et lui aussi avec la main leste. Malgré cet environnement hautement hostile, Tonya arrive au sommet. Mais dans sa lutte contre l’autre vedette US de la discipline, Nancy Kerrigan, elle va recevoir l’aide de son mari et de ses amis bras cassés. Au début il fallait l’intimider par des lettres. Cela se transforme en agression avec cassage de genoux… La police fait rapidement le lien et Tonya est accusée d’avoir fomenté l’agression.

Entre interview post-agression et reconstitution de la vie de Tonya, le film oscille du tragique au comique. Un biopic, parfois hilarant donc, mais assez spécial car tous les protagonistes sont encore de ce monde. Dont Tonya Harding qui a validé le scénario et qui dé- sormais est retirée dans une petite ville, presque incognito, se consacrant à son fils.

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Deux bras cassés et une mère ignoble

Le film sur Tonya Harding est relativement indulgent envers la patineuse. Talentueuse. Personne ne le conteste. Colérique. Une évidence. Mais pas si méchante que cela au final. En retraçant son enfance, elle est décrite comme une enfant malheureuse, manquant d’amour, ne s’accomplissant que sur ses patins à glace.


La seule et grande faute de Tonya Harding aura été de mal s’entourer. D’abord de sa mère, méchante, carrément ignoble. Interprétée par une méconnaissable Allison Hanney, LaVona Harding est la mégère type. Elle a fait fuir le père de Tonya et ne cesse de rappeler à sa fille qu’elle est nulle et que sans son argent, jamais elle n’aurait pu arriver à ce niveau. Mauvaise pioche aussi quand Tonya tombe amoureuse de Moustache.


Ce dernier, entouré d’amis d’une bêtise crasse, sera condamné à de la prison ferme pour l’agression de Kerrigan. Une idée de Shawn, mythomane absolu, obèse et prétentieux, vivant chez ses parents et se prétendant expert en contre-espionnage. Un rôle en or pour Paul Walter Hauser, de loin le plus comique (et pourtant parfaitement réaliste) de cette histoire rocambolesque.



➤ « Moi, Tonya » biopic de Craig Gillespie (USA, 2 h 00) avec Margot Robbie, Allison Janney, Sebastian Stan

vendredi 16 février 2018

De choses et d'autres : Les ados passent au papier


Les ados ne lisent plus. Du moins, ils ne lisent plus de presse papier. Tout pour le net et les réseaux sociaux. Alors pourquoi lancer « Webuzz » un magazine (100 pages, 3,95 €) destiné à ces mêmes ados captivés par les nouvelles technologies, notamment les Youtubeurs ? Peut-être tout simplement pour accomplir une compilation historique avant la lettre.
Dans quelques siècles, quand tous les disques durs contenant les exploits des Norman, Andy et autres Cyprien seront effacés, obsolètes et démagnétisés, dans un placard au fond d’une maison de campagne qui n’a jamais été raccordée à la fibre, on retrouvera cette revue, aux pages un peu jaunies certes, mais qui resteront le dernier témoignage des stars du début des années 2000.
De nos jours, on s’esbaudit devant de vieux exemplaires de « L’illustration » avec gravures d’époques. Et les célébrités du siècle dernier ont sombré dans l’anonymat. Ce qui ne manquera pas d’arriver aux stars du web actuelles. D’autant que « Webuzz » donne des conseils pour « cartonner avec ta chaîne » (YouTube). À moins que la revue ne soit en réalité destinée uniquement aux parents. Enfin, ils vont comprendre le jargon de leur progéniture. Il y a même un quizz destiné aux vieux (toute personne majeure pour ce genre de public), histoire de les tester et surtout de « rire un bon coup à leurs dépens ! »
Non seulement on ne comprend rien à ce qu’ils racontent, mais in fine c’est pour se moquer de nous. Jeunes, connectés et méchants en plus ! 

mercredi 10 janvier 2018

Cinéma : Devenir petit pour voir plus grand dans "Downsizing"

Le nouveau film d’Alexander Payne est la première belle découverte cinématographique de cette année 2018. Refusant de s’intégrer dans une catégorie trop précise, il surfe entre science-fiction, brûlot écologiste, comédie et belle histoire d’amour. Au final, il reste une œuvre qui fait beaucoup réfléchir et l’histoire d’un homme trop souvent perdu dans ses choix et la répétition de ses erreurs.

Matt Damon est parfait en Américain moyen plein de doutes, le reste du casting donnant du corps et de l’intelligence à cette réussite indéniable. Tout débute en Norvège. Des chercheurs, pour trouver des solutions à l’épuisement des ressources naturelles de la Terre, se lancent sur plusieurs pistes. L’une d’elles prend le problème à l’envers. La population mondiale augmente trop. Il est hors de question de limiter les naissances. Alors, pourquoi ne pas la réduire non pas en nombre mais en taille ?

Tout petit et très seul

Le downsizing, un procédé est mis au point pour diminuer un être vivant. Dans les faits, un homme de 1 m 80 et 80 kg est transformé en un homoncule de 12 cm et de 12 grammes. Certes, il faut lui aménager un habitat spécial, mais une fois la réduction effectuée, il ne produit quasiment plus de déchets et mange très peu. Pour beaucoup, c’est effectivement la solution à la surpopulation. Mais cela a un coût. Et seuls les plus aisés peuvent se payer un « downsizing ». Même si tout devient relatif, puisqu’un cadre moyen, devient millionnaire dans son futur miniature. Une fois le principe énoncé, on entre dans le vif du sujet. Paul (Matt Dillon) arrive à persuader sa femme (Kristen Wiig) de faire le grand saut. Ils vendent tous leurs biens, disent au revoir à leurs amis du monde des grands et se rendent dans un centre médical se faire réduire.

Paul se réveille cinq heures plus tard. Seul. Au dernier moment, sa femme a changé d’avis. Un mauvais cinéaste aurait pu se contenter de rallonger ce passage. La culpabilité de la femme, la colère puis le désespoir du mari, devenu minuscule, à la merci de sa femme gigantesque. Mais Alexander Payne voit plus loin, et de fa- çon plus intelligente. Il plonge Paul dans ce monde de maisons de poupées où le luxe est omniprésent. L’ennui aussi. Comme si on vivait sous une cloche, sans la moindre liberté. Paul va mettre longtemps à reprendre goût à la vie. Surtout à admettre que cette opération irréversible, est la pire erreur de sa vie, lui qui en a déjà fait pas mal.

Américain moyen à l’esprit étriqué, Paul va s’ouvrir quand il rencontre Dusan (Christoph Waltz), Serbe magouilleur à la philosophie de vie très libérale et libertine. Ce n’est pas parce qu’on est petit qu’il ne faut pas voir grand...

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Hong Chau crève l’écran


Absente de la première partie du film, Hong Chau crève l’écran dès qu’elle entre dans l’histoire et la vie de Paul. Dissidente vietnamienne, à la tête d’un mouvement populaire contre l’expropriation de villages entiers, Ngoc Lan Tran a été emprisonnée durant deux ans dans les geôles asiatiques. Et le gouvernement, pour la faire définitivement taire, la réduit sous la contrainte. Dans l’affaire elle perd une jambe. Comment continuer la lutte politique quand on ne mesure plus que 12 cm ? Une solution expéditive qui prouve au monde que le downsizing, présenté comme une solution pour sauver la planète, peut aussi se révéler une redoutable arme politique pour les dictatures.

Recueillie par des familles d’accueil de « petits » dans les mini villes américaines, Ngoc Lan Tran sera finalement oubliée. Rejetée, elle termine dans un quartier populaire, obligée de faire des ménages pour survivre. C’est la prothèse, mal réglée qui va interpeller Paul. Ce petit bout de femme, autoritaire et en permanence en action, en plus de son travail quotidien, se transforme à la fin de ses journées en bienfaitrice des plus pauvres des «petits». Son travail dans les maisons de riches lui permet de récupérer nourriture et médicaments pour les plus nécessiteux. Humanitaire un jour, humanitaire toujours. Cette touche de tendresse, de don de soi, dans ce monde aseptisé transforme le film en véritable bombe émotive. Hong Chau, fille de boat people, est née dans un camp de réfugiés en Thaïlande. Arrivée aux USA elle a fait des études de cinéma et a été remarquée dans quelques séries télé. Mais c’est avec Downsizing qu’elle obtient son premier grand rôle.

 ➤ Comédie d’Alexander Payne (USA, 2 h 16) avec Matt Damon, Hong Chau, Kristen Wiig, Christoph Waltz.

lundi 8 janvier 2018

Roman : "Le vol du gerfaut" ou les affres d’un romancier sur la pente descendante


Les écrivains sont-ils d’éternels insatisfaits ? On peut se poser la question en découvrant le thème et la trame du dernier roman de Jean Contrucci. Cet ancien journaliste provençal, a connu la reconnaissance littéraire en signant des romans historiques palpitants repris sous le titre générique « Les nouveaux mystères de Marseille ». Mais... Jean Contrucci, qui baigne ans le milieu de l’édition depuis des décennies (critique puis auteur), avait visiblement quelques comptes à régler avec des figures imaginaires mais dans lesquelles beaucoup pourraient se reconnaître.

■ Le retour du gerfaut

Lauréat d’un prix Goncourt, Jean-Gabriel Lesparres a depuis surfé sur ce coup d’éclat de début de carrière. Auréolé par cette récompense prestigieuse, ses autres romans se sont bien vendus. Mais sur une pente descendante. Inéluctable. A 70 ans passés, il bute sur la fin de son petit dernier. Il n’a plus la flamme et en relisant son manuscrit, il prend conscience que ce texte, non seulement est prétentieux (il y raconte ses conquêtes féminines du temps de sa splendeur), mais aussi médiocre. «Je n’avais rien de nouveau à dire. Je n’étais plus capable de progrès. Pire, j’étais conscient de ma régression» constate le vieil auteur. Pourtant «à l’âge où on baisse les bras, je sentais monter en moi des envies de révolte. La seule à ma portée était le refus de publier le livre de trop». Mais c’est sans compter avec les exigences de son éditeur qui a payé de confortables avances à valoir sur le futur roman de la «star» de la maison d’édition.

Alors Jean-Gabriel, sans rien dire à sa jeune femme ni à personne de son entourage, va organiser le vol de son manuscrit. Avec pour consigne au voleur de détruire ce manuscrit qui ne sera jamais achevé. Tout se passe à merveille jusqu’au jour où le roman, achevé et même amélioré, refait surface sous la signature d’une totale inconnue qui aurait posté le texte de New York.

Cette critique acerbe du milieu littéraire, avec ses coups de poker, ses fausses amitiés ou ses petites magouilles reste en toile de fond de ce «Vol du gerfaut». Car en excellent conteur, Jean Contrucci se concentre surtout sur l’intrigue, l’enquête du romancier et l’incroyable machination à double voire triple détente. 

➤ « Le vol du gerfaut » de Jean Contrucci, HC Éditions, 19 € (en vente le 11 janvier)

dimanche 7 janvier 2018

Roman : Routine conservatrice de "La méthode Sisik"

Entre roman philosophique et saga de science-fiction, « La méthode Sisik » de Laurent Graff fait partie de ces petits romans qui, l’air de rien, pourraient avoir beaucoup de conséquence sur notre quotidien. La fameuse méthode est mise au point par le dénommé Sisik, retraité des archives, casanier et solitaire. Pour lui, chaque jour doit être identique au précédent. Comme s’il figeait sa vie. Le temps. Et en répétant minutieusement cette journée-vie, il se découvre presque immortel. Une méthode analysée, décortiquée, répétée pour envoyer un équipage d’astronautes vers une planète éloignée de plusieurs années lumière de la terre. Le récit, de routinier, se transforme en exploration des espaces infinis, avec un grain de sable qui remet tout en cause. Un roman qui comme dans la vie se révèle trop long dans le normal et trop court dans l’exceptionnel.

➤ « La méthode Sisik » de Laurent Graff, Le Dilettante, 15 € (en vente le 10 janvier)