mercredi 24 août 2011

BD - « Les Quasi » de Val et Neuray : familles en recomposition

En pleine rentrée littéraire, le secteur de la BD propose lui aussi quelques nouveautés s'inspirant de la mode française de l'autofiction. Dans cette veine, « Les Quasi » de Val (scénario) et Olivier Neuray (dessin) est exemplaire. Il s'agit tout simplement de l'histoire d'amour entre deux quadra divorcés : un homme, dessinateur, et une femme qui n'est autre que la scénariste. 

Ils se rencontrent à la fête de l'école. Jim y tient le stand crêpes. Michou est consternée par sa maladresse. Coup de foudre pas immédiat, mais presque. En fait le problème ce sont les enfants. D'un côté comme de l'autre. Quatre gamins qui ne veulent pas voir leur environnement familial changer, notamment par l'arrivée de deux « quasi-frères » ou « quasi-sœurs ». 

Découpé en chapitres plus ou moins longs, cette première partie met en avant les manœuvres des quatre rejetons pour faire capoter cette belle histoire d'amour. Jim et Michou, paradoxalement, vont encore plus s'aimer face à ce déchaînement hostile. C'est toujours très juste, sans apitoiement ni caricature. La vie, la vraie !

« Les quasi » (tome 1), Glénat, 12,50 € 

mardi 23 août 2011

Roman - "La Loi du plus fort" de Frédéric Chouraki : la revanche de l'écrivain

« Ecrivain confidentiel et dilettante endurci », Samuel Eisenberg, portrait craché de l'auteur, Frédéric Chouraki, est dans une situation financière compliquée. Une bête histoire de travaux dans son studio, acheté en copropriété, risque de le mettre à la rue. Il n'a plus le choix : il va devoir travailler ! Une amie journaliste le présente au directeur (et jusqu'à présent seul employé) d'une agence de publicité installée à la Défense. Samuel aura pour mission de vendre des encarts publicitaires de sociétés françaises dans des journaux... indiens. Un travail improbable pour un patron qui l'est encore plus : « Jonas Wolf l'avait reçu en short de tennis Fred Perry et polo assorti maculé de sueur. Samuel aurait dû y déceler les premiers signes du désastre. » Très rapidement, la collaboration va virer au cauchemar. 

Ce sont les parties les plus sérieuses du roman, décrivant minutieusement le harcèlement d'un « chef » sur son subordonné. Une sanguine du marché du travail à la réalité crue. Finalement ce stage intensif dans le quartier des affaires ne sera pas si inutile pour Samuel. « Il s'aime en tueur raffiné. A chaque négociation c'est un peu de sa vie qu'il met en jeu. Ses derniers principes volent en éclats. Il désire en mettre plein la vue à son patron, lui prouver qu'il le surpasse déjà dans l'art de la magouille et du boniment. »

Mais ce roman de Frédéric Chouraki vaut aussi par sa description de la vie quotidienne d'un écrivain parisien. Il y a beaucoup de considérations et discussions futiles en terrasse, des rencontres improbables et des histoires de sexe. Car être en couple n'empêche pas de s'offrir quelques extras. Samuel et son ami Arsène sont à l'écoute des « garçons implorants ». « Une fois consommés, les garçons deviennent des objets entomologiques servant à nourrir leur propre relation. A leur manière, ils sont fidèles. » Et pour finir, sachez que malgré son titre très martial (« La loi du plus fort »), ce roman finit bien et s'achève sur une splendide leçon d'optimisme.

« La loi du plus fort » de Frédéric Chouraki, Denoël, 16,50 € 

lundi 22 août 2011

Roman - "Dans un avion pour Caracas" de Charles Dantzig : à l'ami disparu

Roman puissant et à la forme inhabituelle, « Dans un avion pour Caracas » de Charles Dantzig est une ode à un ami disparu.

Charles Dantzig a si bien réussi son coup qu'en refermant son roman, on se demande encore si ce Xabi Puig existe véritablement. Un prénom basque et un nom catalan pour un intellectuel imaginaire mais semblant si réel. Charles Dantzig, le temps d'un voyage entre Paris et Caracas, va dresser le portrait de cet auteur lui ressemblant tellement. Caracas car Xabi a disparu dans la capitale du Venezuela. Il avait décidé d'écrire un livre, un brûlot plus exactement, sur Hugo Chavez, le dictateur populiste tenant le pays sous sa coupe. Xabi semble s'être attaqué à plus fort que lui...

Dans un avion, un long-courrier notamment, on a le temps de réfléchir, de se permettre une introspection qui a d'autant d'intérêt et de signification qu'on est peu de chose, corps immobile dans une carlingue d'acier en mouvement dans les cieux. Charles Dantzig profite de ce voyage au-dessus de l'Atlantique pour nous parler de Xabi Puig, son ami. Il va le rejoindre, ou du moins le chercher. Et avant de raconter les circonstances de sa disparition, il va en dresser le portrait en alternant scènes du passé, extrait de ses ouvrages, tranches de vies et réflexions. Le lecteur, comme pris dans le doux ronron de l'avion, va lui aussi voyager, au plus près de cet « ami » de l'auteur.

Voyage et nourriture

Beau parleur, rapidement célèbre et très médiatique, Xabi Puig fait partie de ces personnages bénéficiant d'une sorte d'aura. On entre en admiration face à tant de brio, de facilité, d'intelligence. Pourtant il n'est pas totalement intégré à l'intelligentsia parisienne. Ses origines provinciales ressortent parfois. Il est Catalan, originaire de Perpignan, devenu pourtant intellectuel planétaire, un spécialiste des mots, un philologue.

Roman gigogne, « Dans un avion pour Caracas » se permet d'emprunter nombre de chemins détournés. Des solos d'écriture pour mieux amener un aspect de la personnalité de Xabi, voire de l'auteur. Charles Dantzing est coutumier du fait. Il aime piocher dans des faits insignifiants les bases d'une théorie implacable sur la beauté, l'amitié, la folie ou autre sujet universel. Petit exemple avec la nourriture. « Ce qui est bon ne voyage pas. Je n'ai jamais mangé de bon cassoulet hors du Lauragais, de bon couscous hors du Maghreb, de bonne salade d'œufs en dehors de New York. Seul le dégueulasse est universel : le café d'avion. Xabi ne s'intéresse pas à ce qu'il mange et déteste les conversations sur la nourriture comme on peut en avoir dans son Perpignan natal. »

Rupture douloureuse

On apprend que Xabi, loin d'être fidèle, a vécu un grand amour avec une artiste contemporaine. Elle a beaucoup profité de sa notoriété pour mettre en avant ses créations. Elle vient de le quitter et la décision de Xabi de partir au Venezuela n'est peut-être pas totalement étrangère à cette rupture qu'il semblait vivre mal. Car au fond, « pourquoi vouloir attaquer les tyrans étrangers ? Est-ce mieux que le temps où on les approuvait ? Quelle est cette passion des intellectuels, naguère de gauche, aujourd'hui à droite, de ne jamais s'intéresser à leur pays ? » « La France je m'en occuperai quand elle sera en guerre », a écrit Xabi.

Réflexion sur l'amitié, l'amour et l'engagement, ce roman de Charles Dantzig a la puissance des grandes œuvres, celles qui, tout en étant ancrées dans le temps présent, peuvent survivre aux modes. Un prix littéraire (Goncourt ou Renaudot) dans quelques semaines ne serait que justice.

« Dans un avion pour Caracas » de Charles Dantzig, Grasset, 19 € 

samedi 20 août 2011

BD - Aria et "Les rescapés du souvenir" par Weyland chez Dupuis

D'une pure saga fantastique, Aria a dévié au fil des ans vers un fond plus humain et psychologique, moins aventureux. La belle blonde imaginée par Michel Weyland dans les pages de Tintin et qui entretemps a migré vers celles de Spirou, se penche à nouveau vers son passé. Aria est en plein doute. Ce soir, c'est la fête au village. Elle va être honorée pour ses actes héroïques. Elle n'a cependant pas le cœur aux réjouissances. Elle s'inquiète du temps qui passe, de ces jours calmes, trop calmes à son goût. En rencontrant une sorcière elle va pouvoir revivre son enfance, pour comprendre le traumatisme qui la pousse sans cesse à partir à l'aventure.

C'est une véritable psychanalyse de l'héroïne que Weyland propose à ses lecteurs, entre démons de l'enfance et problèmes avec les parents. Étonnant mais convaincant...

« Aria » (tome 33), Dupuis, 11,95 € 

jeudi 18 août 2011

BD - IRS 13 de Desberg et Vrancken au Lombard : L'or de Yamashita

Larry B. Max a perdu un peu de son auréole de héros parfait et incorruptible dans le précédent diptyque. La seule femme qu'il ait jamais aimé, Gloria, a été assassiné par Phoenix, son dealer. Il le pourchasse jusqu'à Bangkok. 

C'est là que débute le 13e album de ses aventures, toujours dessinées par Vrancken et écrites par Desberg. Larry B. Max est sur le point de tuer Phoenix quand il est assommé. Quelques heures plus tard, l'agent de l'IRS (fisc américain) est aux mains de Master Ianfu, un des chefs des triades chinoises. Il offre la tête de Phoenix (au propre...) en échange de la collaboration de Larry dans la recherche de l'or de Yamashita. Ces tonnes de lingots ont été volées par les Japonais durant la seconde guerre mondiale. 

Une partie du trésor revient à Ianfu. Larry va être obligé de se plonger dans les archives de la CIA. Des démarches compliquées et risquées. Ce nouveau cycle est très sombre. Larry, de plus en plus implacable, va jouer sa vie et son boulot dans la recherche de la vérité.

« IRS » (tome 13), Le Lombard, 11,95 € 

mardi 16 août 2011

BD - "Yerzhan" de Hautière et Efa chez Delcourt : Baïkonour, année zéro

A Baïkonour, dans un futur proche, la ville a perdu son auréole de cité de l'espace. C'est devenue une zone pénitentiaire russe. La population est partagée entre ceux qui collaborent avec les militaires et ceux qui les rejettent. En l'occurrence des islamiste de plus en plus vindicatifs et armés. 

Entre les deux, Yerzhan ne peut pas choisir. Le jeune homme est totalement désenchanté. Il rejette autant la violence de ses amis que la docilité de son beau-père. Il va pourtant devenir le héros de cette série en aidant une jeune fille à s'évader du quartier de haute sécurité de la prison. Elle est jeune, belle mais très dangereuse. Une tueuse née semblant déterminée à retrouver la liberté. 

Un scénario faisant la part belle à l'action signé Hautière et dessiné par Efa, un auteur espagnol au trait réaliste très efficace. Une dose de politique, un peu de fantastique et beaucoup de « baston » pour un premier tome très prometteur.

« Yerzhan » (tome 1), Delcourt, 13,50 € 

dimanche 14 août 2011

BD - « Le périple de Baldassare » de Joël Alessandra : à la recherche du Livre maudit

Adaptation du roman éponyme d'Amin Maalouf, « Le périple de Baldassare » de Joël Alessandra est un appel au voyage, à la réflexion et à la tolérance. « C'est un récit comme je les adore, un peu carnet de voyage, un peu journal intime et récit historique » explique Joël Alessandra dans une postface richement illustrée d'aquarelles présentant les monuments des principales villes traversées par Baldassare, de Gibelet à Constantinople en passant par Tripoli et Alep. Nous sommes en 1665 au Liban. Baldassare est bouquiniste. 

Il acquiert par hasard le livre maudit, celui qui révèle le centième nom de Dieu. Il le vend à un noble Français et pris de remord décide de le récupérer. Baldassare va donc se rendre à Constantinople avec ses jeunes neveux et une jolie veuve dont il tombera amoureux au cours de ce voyage long de plus de deux mois. Le Moyen-Orient, riche et compliqué est parfaitement décrit dans cet album parsemé d'aquarelles d'une extraordinaire beauté.

« Le périple de Baldassare » (tome 1), Casterman, 14 € 

jeudi 11 août 2011

BD - "Clopinettes" de Gotlib et Mandryka chez Dargaud : délires seventies

Dans les années 70, alors que les journaux pour jeunes étaient les seuls débouchés pour les dessinateurs de BD, certains, visiblement marqués par l'esprit de mai 68, tentaient de casser les codes. Pilote, dirigé par Goscinny, était en pointe et comptait dans son équipe ce qui fera la crème de la BD adultes quelques années plus tard, de Brétecher à Druillet en passant par Moebius, Mandryka et Gotlib. 

Ce sont des œuvres de jeunesse de ces deux derniers qui sont exhumées par les éditions Dargaud. « Clopinettes », séries de gags ou d'histoires courtes, sont parues entre 1970 et 1973. Un dessin de Mandryka s'affranchissant totalement du style franco-belge et des textes de Gotlib d'une rare loufoquerie. 

Pour cette édition ultime, les deux auteurs qui ont fait pas mal de chemin depuis (ils ont créé L'Echo des savanes première formule) offrent 33 pages inédites dont 16 dessinées pour cet album. Fables express, non-sens absolu, calembours tirés par les cheveux : si vous êtes hermétique à « l'humour glacé et sophistiqué » dixit les auteurs, passez votre chemin.

« Clopinettes », Dargaud, 19,95 € 

mercredi 10 août 2011

BD - « Déluge » de Pona et Hervas chez Soleil : SF aquatique

Ceux qui rêvent encore d'un futur prospère et heureux devraient se remettre en cause. Les auteurs de BD l'ont bien compris et chaque nouvelle série ne présente la Terre dans l'avenir que blessée par les éléments déréglés. 

« Déluge » de Pona (scénario) et Hervas (dessin) annonce la couleur dès le titre. La pluie, tombant continuellement, a submergé les continents. Il ne reste que quelques zones en surface. Le reste de l'humanité vit dans des villes submergées. Ou dans des sous-marins comme le héros, Jason, un nomade des mers, sorte de paria du futur traité de sous-race par les Humains. 

Jason sent la bonne affaire quand il assiste au crash d'un vaisseau spatial. Cherchant quelques chose à récupérer, il tombe sur Normaée, une femme clone cybernétisée venue sur terre pour une mission bien précise. Une première partie très agréable, avec un héros frondeur, individuel et plus humain qu'il n'y paraît. Normaée apporte la dose de glamour semblant nécessaire à ce type de BD. Sous le crayon de Hervas, c'est un plus non négligeable.

« Déluge » (tome 1), Soleil, 13,50 € 

lundi 8 août 2011

Thriller - La mort fait tomber les barrières

Un homme condamné par la maladie va perdre les pédales en voulant vivre pleinement ses dernières semaines. Un roman très noir de Neil Cross.

Kenny va mourir. Une tumeur récemment détectée. À l'évolution foudroyante. Il ne lui reste plus que quelques semaines à vivre. Moins de deux mois. Une fois le choc de l'annonce passé, Kenny va se remettre en question. Ce peintre, vivant seul dans un cottage perdu au fond des bois en Angleterre, dresse une liste de quatre noms. Quatre personnes importantes à un moment de sa vie. Quatre personnes à qui il voudrait dire merci.

Ce livre de Neil Cross débute comme un roman psychologique légèrement déprimant. Parmi les noms il y a un marchand qui est intervenu dans une affaire d'enlèvement d'enfant par un pédophile. L'enfant également, que Kenny n'a pas réussi à aider. Il a croisé le pédophile mais n'a jamais été capable de se souvenir de son visage. Il y a également Mary, l'amour de sa vie. Et enfin Callie Barton. C'est la recherche de cette dernière qui va totalement changer le cours du récit.

Disparue sans laisser de traces

Callie est la seule petite fille qui a accepté d'être amie avec Kenny en primaire. Il en a été follement amoureux. Une année scolaire. Et puis à la rentrée, elle n'était plus là. Depuis, il pense souvent à Callie, se demande ce qu'elle est devenue et qu'auraient été leurs vies s'ils étaient resté en relation. Tout en se battant contre les premières défaillances physiques (nausées, vertiges, pertes de connaissance), il va remonter le temps, pour finalement tomber sur un avis de recherche au nom de Caroline Reese, le nouveau nom de Callie. « Le mari d'une femme disparue, Caroline Reese, 34 ans, domiciliée à Bath, a lancé aujourd'hui un appel plein d'émotion invitant son épouse à prendre contact avec sa famille afin qu'il puisse « commencer à ramasser les morceaux de sa vie ». L'appel du mari, Jonathan Reese, survient six semaines après le non-retour de Callie chez elle à la fin d'une soirée passée avec des amies. » Kenny apprend également que Jonathan a été soupçonné un temps d'avoir fait disparaître sa femme.

Face-à-face violent

Le condamné se sent alors comme investit d'une mission : faire avouer à Jonathan le meurtre de sa femme. N'ayant plus rien à perdre, il enlève le mari, l'attache et l'enferme dans une pièce sombre de son cottage-atelier. Un long face-à-face s'engage entre les deux hommes. Kenny va se durcir, atteindre des sommets de violence car son temps est compté pour obtenir ces aveux : « Il était certain que cela ne prendrai pas longtemps; il avait déjà surpris Jonathan en train de marmonner et de sangloter, tourmenté par la faim et la peur. Il ne pourrait pas supporter ce traitement bien longtemps encore. Personne ne l'aurait pu. » La moitié du roman de Neil Cross est composé de ce duel entre Kenny et Jonathan. Une situation allant crescendo dans la souffrance, la torture et la violence entre deux hommes agonisant chacun de leur côté.

On est happé par ce huis clos ténébreux, à la recherche d'une vérité qui finalement arrivera en fin de volume, mais aux conséquences totalement différentes de ce qu'avait imaginé Kenny dans son délire de condamné.

« Captif » de Neil Cross, Belfond, 18 euros