jeudi 15 octobre 2009

Roman - La fête des juges dans "Parquet flottant" de Samuel Corto

Portrait au vitriol d'une partie de la magistrature, ce « Parquet flottant » basé sur une expérience réelle est édifiant et un peu inquiétant.


Qui ne craint pas la justice ? Et notamment le parquet, ces juges qui accusent, demandent réparation. Samuel Corto (il s'agit d'un pseudonyme) a décidé de transformer son expérience de substitut du procureur en un roman acidulé. L'homme, qui se revendique aujourd'hui écrivain à temps complet, a débuté de l'autre côté des prétoires. Avocat, il a perdu de ses convictions au fil des années et des affaires. Il tente une reconversion dans le camp de l'adversaire : juge au parquet.

Le roman débute donc par l'arrivée d'Etienne Lanos, en plein été, dans ce petit tribunal de province. La justice, il connaît. Le parquet, il découvre. Et de détailler par le menu ce petit monde, imbu de sa personne, fonctionnaire jusqu'au bout des ongles, respectueux de la hiérarchie et prêt à tout pour plaire à son chef. Le roi, c'est le président. Vient ensuite le procureur. Etienne a le défaut de ne pas jouer le jeu. N'étant pas passé par le moule de l'Ecole nationale de la Magistrature, il ne pense pas comme ses collègues. Ou du moins, lui, il pense, comprend ce qu'il fait, quelles sont les conséquences de ses décisions.

Il explique ainsi que toute ouverture de dossier doit déboucher sur, au minimum, une mise en examen. La garde à vue, cela fait mieux dans le dossier pour l'avancement. Mais attention, le pire c'est la relaxe au moment du procès. Mais il y a peu de risque : même si leur fonction est tout autre, les juges du siège rendant les décisions sont souvent amis et solidaires de ceux rattachés au Parquet. Magouille ? Non, simplement de la bonne intelligence entre amis et connaissances. Une connivence visible dès le cérémonial. « Précédés d'une sonnette d'un autre temps, nous étions entrés en rang d'oignons, solennellement et dans un ordre immuable, avant de nous installer derrière nos bureaux-bunkers, empêtrés dans nos panoplies de corbeau, l'air grave. Devant nos allures de comédiens professionnels, n'importe quel esprit raisonnable pourrait croire que ce protocole usé, nous ne ferions que le subir, comme un tribut dû à l'Histoire. Qu'il se détrompe immédiatement : rien n'est plus important que ces privilèges d'autorité visuelle. »

Un peu trop misogyne

Rapidement Etienne va se rebeller contre ce système qui écrase les justiciables. Il va notamment prendre en grippe une collègue femme. C'est aussi la partie la plus criticable du roman, une certaine forme de misogynie semblant justifier toutes ses positions. Valérie, qui « prenait régulièrement fait et cause pour les justiciables de ses dossiers », serait avant tout une féministe se vengeant des hommes. « Le massacre était en piste, ronronnant, légal, conforme à l'esprit du siècle : toutes les plaintes des femmes, même les moins étayées, les plus farfelues, aboutissaient directement devant le tribunal, avec la bénédiction bienveillante de la hiérarchie tout à ses statistiques ministérielles. » Certes la Justice s'est féminisée depuis quelques années. Mais force est de reconnaître qu'il faudra encore pas mal de siècles pour rattraper le déséquilibre qui a frappé le sexe dit faible. Il n'y a pas très longtemps, les femmes soupçonnées de sorcellerie étaient brûlées en place publique alors que les notables, violeurs de soubrettes, ou les prêtres, notoirement pédophiles, étaient donnés en exemple...

Reste que ce roman, si l'on met de côté ces attaques misogynes d'un autre âge, est une plongée dans un monde qui semble avoir oublié l'essentiel de son rôle : juger avec humanité.

« Parquet flottant », Samuel Corto, Denoël, 16 € 

mercredi 14 octobre 2009

BD - De Bois-Maury et la fureur cosaque


La saga des Tours de Bois-Maury achevée, Hermann semblait avoir définitivement détourné ses pinceaux du Moyen Age. Finalement c'est son fils, Yves H., scénariste, qui l'a poussé à prolonger la série en signant des histoires complètes ayant pour personnage central un descendant de la célèbre famille. 

L'occasion par ailleurs d'explorer des contrées et des périodes nouvelles de cette Europe remplie de bruit et de sang. Vassya, titre de ce 14e tome, est le nom d'un chef cosaque. Il s'est associé avec les Polonais pour chasser le tsar Boris Godounov et y placer Dimitri à sa place. 

De la grande histoire racontée à travers les amours d'un jeune hussard et d'une belle autochtone.

« Bois-Maury » (tome 14), Glénat, 9,40 € 

mardi 13 octobre 2009

BD - Cassio et les secrets romain


Cassio, série écrite par Desberg et dessinée par Reculé, se déroule entre l'empire romain une centaine d'années après Jésus Christ et l'Europe contemporaine. D'un côté Cassio, médecin aux pouvoirs paranormaux, est sur la piste d'une machination qui lui coûtera au final sa vie ; de l'autre la belle archéologue italienne Ornella Grazzi tente de découvrir comment Cassio, laissé pour mort, a réussi à se venger de ses quatre meurtriers.

 Dans ce troisième tome, l'action se déplace en Égypte. Cassio fait face à la belle Odisséa, ancienne prostituée devenue richissime en favorisant la haine des Égyptiens envers les Juifs, déjà... Entre polar et histoire des religions, une BD palpitante qui connaîtra son épilogue au prochain titre.

« Cassio » (tome 3), Le Lombard, 10,40 € 

lundi 12 octobre 2009

BD - Intrigues vénitiennes


Après quelques années d'absence, Pleyers revient à son héros emblématique : Jhen. Jacques Martin, le scénariste original a laissé la place à Hugues Payen. L'architecte, au service de Gilles de Rais, se rend en Italie pour récupérer un codex, recette d'alchimie qui donnerait la clé de la vie éternelle. Il se retrouvera dans une Venise puissante mais minée par les intrigues et les guerres larvées avec les cités voisines. 

Le dessinateur restitue les rues et canaux de la Sérénissisme dans des images d'une grande richesse. Le lecteur plonge également au cœur du carnaval, ses excès et libertinages de toutes sortes. Jhen, au passage, y trouvera une compagne de jeu experte en intrigue et manipulation.

« Jhen » (tome 11), Casterman, 10 €  

dimanche 11 octobre 2009

BD - Érotisme et vie de château


Eté 1936. Les congés payés, instaurés par le Front populaire, lancent des milliers d'ouvriers français sur les routes de l'Hexagone. Anatole et Simon, jeunes et fringants sur leurs bicyclettes, partent à la découverte. Surpris par la nuit, ils comptent demander le gite dans une grosse demeure perdue dans un parc. Ils sont accueillis par la maîtresse de maison qui est persuadée que ce sont les deux nouveaux domestiques envoyés par son époux, patron à Paris. 

Harassés, ils jouent le jeu et après une bonne nuit de repos, endossent leurs nouveaux uniformes. Ils vont alors découvrir les mœurs très libres régissant la maisonnée. Et se mettre au service, corps et âmes (surtout corps...), de la patronne, sa bonne et la fille de cette dernière. Simon, par ailleurs dessinateur amateur, va croquer ces dames dans leur plus simple appareil faisant encore progresser l'ambiance torride de cette BD grivoise. 

Grégory Mardon signe un récit complet léger et érotique, devenant même encore plus osé dans deux pages scellées pour qu'elles ne tombent pas sous les yeux de n'importe qui.

« Madame désire ? », Fluide Glacial, 14,95 € (réédité en 2023 chez Dynamite) 

samedi 10 octobre 2009

BD - "Les vents de Gath", premier album de Dumarest, l'aventurier des étoiles


La collection « Soleil cherche futurs » a pris le parti de remettre en lumière des sagas de science-fiction ayant enchanté des générations de lecteurs avides de voyages stellaires et de découvertes de civilisations aliens. 

Cette nouvelle adaptation, signée Nolane et dessinée par Chris Millien, permet au lecteur des années 2000 de faire connaissance avec Dumarest, l'aventurier des étoiles ayant débuté son périple intergalactique à la fin des années 60 sous la plume de l'auteur anglais E. C. Tubb. Dans un space opéra classique, Dumarest, à la gueule très inspirée par Clint Eastwood, va de planète en planète gagnant le prix de ses billets dans des combats à mort. Il est engagé comme garde du corps d'une dignitaire religieuse désirant se rendre sur la planète de Gath. Un monde hostile mais qui a la particularité de permettre aux vivants de converser avec les morts... 

Très plaisante et pleine de rebondissements, cette série n'a d'autre but que de nous divertir et rêver, le temps de la lecture de ces 48 pages.

« Dumarest, l'aventurier des étoiles » (tome 1), Soleil, 12,90 € 

vendredi 9 octobre 2009

BD - Kaplan et Masson, un petit air de Blake et Mortimer à la française


Kaplan et Masson ont un petit air de Blake et Mortimer, à la sauce frenchie. Ecrit par Didier Convard, le scénario se déroule dans les années 50 sur fond de prolifération d'armes nucléaires. Les savants atomistes ayant participé à la mise au point de la première bombe H, pris de remords, décident de lancer un mouvement de la paix pour que plus jamais les gouvernements n'aient à utiliser cette arme de destruction massive. A sa tête Albert Bernstein, de plus en plus torturé. Chaque nuit, un cauchemar vient le réveiller, celui de cet enfant en guenilles dans les ruines d'Hiroshima. 

Dans l'ombre, une mystérieuse organisation a décidé de faire le ménage par le vide dans cette communauté scientifique. Après Bernstein, c'est Purcell puis une physicienne suisse qui sont assassinés. 

Le prochain sur la liste semble être Nathan Masson, jeune scientifique français. Il bénéficiera de la protection de son ami, Etienne Kaplan, membre des services secrets français. 

Un petit côté classique et nostalgique renforcé par le dessin de Thubert, maître incontesté de la ligne claire.

« Kaplan & Masson » (tome 1), Glénat, 13 € 

jeudi 8 octobre 2009

Jeunesse - Georges et les trésors du cosmos


Stephen Hawking, professeur de mathématiques et de physique à l'université de Cambridge est considéré comme l'un des physiciens théoriques les plus brillants au monde depuis Einstein. Il s'est de nouveau associé à sa fille, Lucy, écrivain, pour faire découvrir la science aux plus jeunes dans un roman mélangeant divertissement et connaissance. Georges, son héros, part cette fois à la découverte des trésors du cosmos. 

Annie, la meilleure amie de Georges, a besoin d’aide. Son père, Éric, un grand scientifique, travaille sur un projet spatial important. Mais tout va de travers : son robot, qui s’est posé sur Mars, a un comportement bizarre. Et voilà qu’Annie a découvert un message étrange sur son super-ordinateur… 

En parallèle à cette histoire simple et passionnante, les jeunes lecteurs trouveront des passages plus techniques sur, par exemple, les explorations spatiales robotisées, les satellites dans l'espace ou Alpha du Centaure. Un livre agrémenté de très nombreux dessins de Gary Parsons et d'un cahier de photographies en couleur de l'espace et ses plus lointaines galaxies.

Georges et les trésors du cosmos, Pocket Jeunesse, 18,50 € 

mercredi 7 octobre 2009

Roman - Lettres d'oubli écrites par Jean-François Chabas

Roman crépusculaire de Jean-François Chabas, « Les ivresses » raconte la rencontre, mortelle, entre un quadra et une jeune femme.


Une lettre par jour. Jonas, le narrateur, s'impose cette contrainte pour raconter ses derniers moments à une jeune fille, Ava, rencontrée quelques temps plus tôt dans des circonstances qui resteront longtemps mystérieuses pour le lecteur. Une lettre chaque jour, mais que Jonas ne poste pas. Il garde tout soigneusement, préférant léguer le tout, en lot, à sa correspondante quand il sera mort. Il sait que c'est dans peu de temps. Condamné par la maladie, il va se retirer dans une petite maison à Saint-Pierre et Miquelon, archipel français loin de tout, perdu en Atlantique Nord.

A travers ces lettres, il va raconter sa vie dans cette nouvelle maison, ses relations avec ses voisins, se remémorer cette rencontre cruciale avec Ava et surtout faire le point sur son existence à quelques jours de l'échéance finale. C'est la partie la plus copieuse du roman de Jean-François Chabas, mais pas forcément la plus passionnante, ses relations avec le jeune couple d'épiciers installé près de chez lui devenant, au fil des jours et de sa déchéance physique, de plus en plus étrange, voire mystique.

Souvenirs de jeunesse

Par petites touches quotidiennes, comme ses peintures qui lui ont procuré une grande liberté financière, Jonas se raconte. Son enfance, la mort de ses parents naturels dans un accident, son placement dans des orphelinats puis son adoption par des Polonais, propriétaires d'une salle de sport, de boxe exactement. La boxe, la première ivresse du jeune Jonas. Les autres ivresses ce sont « la nature, les femmes et leur plaisir, le dessin, la peinture. Je compte sur mes doigts, par ordre d'apparition. Elles sont toutes là. Mes ivresses. Quelles sont, ou quelles seront les vôtres ? » questionne Jonas dans cette nouvelle lettre à Ava. La boxe, il l'a pratiquée avec passion, méthodiquement : « travailler des heures à en baver comme une limace sur des combinaisons compliquées, à prendre mes premiers marrons à travers le casque, et puis petit à petit, vous sentez votre corps qui comprend ce qu'on lui demande, et qui obéit. Ce n'est pas comme on imagine, une sorte de rage brute, une explosion. C'est un rouage d'horloge suisse. » La salle de boxe dans laquelle il verra ses deux parents adoptifs se faire assassiner.

Nouveau placement en institution. Mais il se rebelle, fugue, découvre la rue et finalement la nature sauvage, réfugié dans un chalet isolé en montagne. C'est peut-être un peu de ce sentiment qu'il tente de retrouver en décidant de mourir à Saint-Pierre. Affaibli physiquement, il profite pourtant au maximum d'une tempête, en plein mois de décembre. « Le paysage s'est modifié, les congères ont changé de place, c'est une mer ici, une mer de neige, avec les vagues presque aussi mouvantes. » Seul un fou pourrait prendre plaisir à vivre dans de telles conditions. C'est pourtant le choix de Jonas : « Au moins, le climat ne nous laisse-t-il pas de loisir. Il s'impose, et tant pis pour nos préoccupations humaines. »

Ce roman, entre rage humaine et désespérance de la maladie, est une ode à la vie, à la jeunesse et au besoin d'oubli face à l'éternité.

« Les ivresses », Jean-François Chabas, Calmann-Lévy, 14,90 € 

mardi 6 octobre 2009

BD - Anne, la bonne du Royaume imaginé par Feroumont


Dans ce Royaume, digne des plus beaux contes de fée, le roi a deux fils, une fille et une femme acariâtre. Le roi qui aime qu'on lui dise chaque matin que la nuit a été calme. « J'adore ce pays, il ne se passe jamais rien ! » avoue-t-il à son valet, Thibault. Mais ce que le roi préfère en ce royaume, c'est sa bonne. Anne, jeune, fraîche et peureuse. Elle redoute le cri des chouettes la nuit. Résultat, elle passe la nuit dans le lit du Roi... 

Cela aurait pu dévier vers une BD érotique, vaudeville version lutte des classes. Mais Benoit Feroumont, l'auteur, a créé cette série pour les pages de Spirou, magazine destiné aux jeunes. Donc Anne est chassée du château par la reine et devra tenir une taverne en ville. On rajoute un peu de fantastique, des oiseaux qui parlent et n'ont pas leur langue dans la poche, et au final on se retrouve avec un drôle de livre entre les mains, très séduisant car totalement inclassable. 

Situations farfelues, longs dialogues hilarants, qui propos explosifs, dessins expressifs : les atouts de cette BD ne manquent pas. Reste à trouver un public...

« Le Royaume » (tome 1), Dupuis, 9,45 €