dimanche 19 octobre 2008

Roman - Traître à son pays


Jean Deleau, Français, 20 ans, traître à son pays. Jean Deleau, condamné à mort à la Libération. Cet homme, au parcours énigmatique, Dominique Jamet l'a transformé en personnage de roman. Car un vrai Jean Deleau a existé. L'auteur s'est librement inspiré de faits réels. Il raconte donc la vie de ce jeune home, comment à un moment donné tout à basculé. Jean qui est indissociable de sa mère. Une femme possessive, qui fait tout pour le conserver près de lui. Elève brillant, il intègre HEC en 1939. Atout supplémentaire, il parle couramment l'allemand car une de ses grands-mères est originaire d'outre-Rhin. La parfaite maîtrise de la langue, son admiration pour ce pays qui fait régner ordre et obéissance, sont pour beaucoup dans ses choix politiques. Etudiant à Paris, il a participé à une réunion de la Francisque, l'équivalent français du parti national socialiste allemand. Mais sans chercher à s'engager plus.

Défaite éclair

De retour à Neuville, la ville de province où il a passé toute son enfance, Jean assiste à la débâcle de l'armée française. Dominique Jamet, dans ce roman riche et documenté, explique qu'ils étaient peu nombreux ceux qui voulaient en découdre avec les Allemands. Un jeune officier français, prend position sur un pont stratégique. Il a pour mission de le faire sauter pour ralentir les troupes nazies. Mais c'est sans compter sur l'intervention des notables craignant pour leur belle et très tranquille ville. « On se mit en quête du préfet. Il était introuvable, mais le sénateur-maire, un ancien de Verdun, et l'archevêque de Neuville s'associèrent volontiers à une démarche dictée par la seule humanité ». Leur demande : que Neuville soit déclarée ville ouverte. Refus du jeune officier. Mais il devra se rendre à l'évidence : son pays est devenu pleutre. Il ne sauvera pas la France, mais lavera son honneur dans le sang. Neuville se donne donc le lendemain aux troupes allemandes. Jean et sa mère assisteront à la parade des vainqueurs, « jeunes hommes au visage bronzé sous le casque d'acier. »

Voulant croire en la parole du maréchal Pétain, Jean Deleau est recruté pour traduire les demandes de Français auprès des forces occupantes. Il fera son travail de traducteur avec zèle. Remarqué par les responsables de la police allemande, ils l'engageront. Il faut faire face aux « terroristes » qui gangrènent le pays. Jean Deleau, à la tête d'une bande d'hommes radicalement anticommunistes, va, au fil des mois et des années, durcir ses actions. Tortures, viols, vols et souvent, au final, les camps d'extermination ou le peloton d'exécution. Pourquoi ce presque gamin a sombré dans la violence la plus abjecte ? Pourquoi sa foi chrétienne ne l'a pas empêchée de participer aux pires atrocités ? Dominique Jamet, sans jamais vouloir excuser, donne cependant des pistes de réflexion, de compréhension. Jusqu'au dernier jour Jean Deleau sera fidèle aux nazis. Il prendra la fuite avec les derniers convois. Il se cachera quelques mois en Allemagne. Mais sans nouvelles de sa mère, il décide de revenir au pays, son pays qu'il ne considère pas avoir trahit, malgré sa condamnation à mort quelques mois plus tôt. Il parviendra à rejoindre le petite appartement de sa mère et y vivra caché durant 20 ans. Un roman fort, sans concession, au langage parfois cru, sur le passé trouble d'une certaine France.

« Un traître », Dominique Jamet, Flammarion, 20 € (également disponible au Livre de Poche) 

samedi 18 octobre 2008

BD - Pierre Tombal est-il immortel ?


Le 1er novembre, dans quelques jours, une grande majorité de Français va prendre la direction des cimetières pour rendre hommage à leurs morts. Peut-être croiserez-vous alors Pierre Tombal, fossoyeur de son état, héros de BD par ailleurs. 

Imaginé par Raoul Cauvin qui semblait broyer du noir à l'époque, il est dessiné par Marc Hardy au style à l'opposé absolu du trait rond et délié des Schtroumpfs de Peyo. Un humour noir qui a rapidement trouvé son public. Pour preuve, cette « Mise en orbite » est le 25e recueil des gags de l'homme à la pelle. Il croise souvent le squelette à la faux, cette satanée Mort qui, même quand elle se met en grève, assure un service minimum. Le filon semble inépuisable pour un Cauvin que l'on souhaiterait immortel.

« Pierre Tombal » (tome 25), Dupuis, 9,20 € 

vendredi 17 octobre 2008

BD - Ric Hochet entre spiritisme et escapologie


75e titre pour la série Ric Hochet de Tibet et Duchâteau. Il y est question cette fois de spiritisme et d'escapologie, une discipline popularisée par Robert Houdini. Un artiste, roi de l'évasion, va être au centre d'une malédiction ressemblant beaucoup à un complot. Rien de bien transcendant me direz-vous. 

Alors pourquoi parler de cet album alors que plein de jeunes, talentueux et novateurs, se lancent dans la BD ? Tout simplement car Ric Hochet est ma came, ma Madeleine. J'y retrouve (comme beaucoup de lecteurs, je pense), mes années de jeunesse quand je découvrais ces intrigues alambiquées chaque semaine dans les pages de Tintin. La série n'a pas bougé d'un iota. 

Avec Ric Hochet, j'ai toujours entre 12 et 15 ans...

« Ric Hochet » (tome 75), Le Lombard, 9,25 € 

jeudi 16 octobre 2008

BD - Quel prof l'emporte au tableau d'horreur ?


Si les véritables profs sont souvent en grève, ceux de la BD de Pica et Erroc sont plutôt des stakhanovistes. Second album de l'année à leur actif, le classique, rendez-vous de la rentrée scolaire. A « Tableau d'horreur » vous retrouverez le cancre absolu, Boulard, et quelques uns de ses profs réguliers, du jeune et naïf prof d'histoire au blasé prof de philosophie en passant par la tyrannique prof d'anglais. Des gags qui sonnent juste, simples exagérations de situations que nous avons tous connu à un moment de nôtre scolarité. 

Quelques histoires courtes complètent cet album, avec des décors différents (de la jungle amazonienne aux manoirs écossais hantés), permettant à Pica de montrer toute l'étendue de ses talents de dessinateur.

« Les profs » (tome 11), Bamboo, 9,45 € 

mercredi 15 octobre 2008

BD - La fille du savant fou bosse sur l'équation inconnue


Argile va enfin aller à l'école. La fille du savant fou va pouvoir bénéficier de l'enseignement de l'école Cortex, réservée aux surdoués. Elle devra y aller en compagnie de Georges, son ami cochon. Elle y rencontrera un petit garçon qui deviendra son copain. Au grand désespoir du docteur W, son créateur, qui aurait voulu qu'il lui rende la vie impossible. 

Le docteur W a un vieux contentieux avec le savant fou. Il aimerait que sa fille passe pour une demeurée. Mais rien ne se passe comme il voudrait. Et comme même les surdoués ont le droit de s'amuser, Argile et ses amis vont former un groupe de musique, « Les chaussettes sidérales ». 

Ces histoires complètes de cinq pages, au scénario totalement délirant, sont l'œuvre de Mathieu Sapin qui avait déjà à son actif la réécriture décalée des aventures d'un héros calamiteux, Supermurgeman.

« La fille du savant fou » (tome 3), Delcourt, 8,95 € 

mardi 14 octobre 2008

BD - Deux sacrées gonzesses au centre de "Esthétique et filatures"


Ces deux sacrées gonzesses sont en fait quatre : les deux héroïnes de la BD et les deux auteurs : Lisa Mandel et Tanxxx. Dans ce gros volume de 120 pages en noir et blanc, il est question d'esthétisme (c'est le métier de la blonde et pulpeuse Adrienne) et de filatures (Marie, 16 ans, se targue d'être détective privé). Ce pourrait presque être le premier tome d'une série policière classique comme la BD en produit des dizaines chaque année. Problème, ni Lisa Mandel ni Tanxxx ont l'habitude de faire dans le formaté. Lisa Mandel c'est la créatrice de Nini Patalo, série loufoque de chez Tchô. Tanxxx a surtout fait parler d'elle dans des fanzines où l'esthétique punk rock côtoyait du pur sado-masochisme. Pas étonnant donc s'il faut préciser que cet album n'est pas à mettre entre toutes les mains.

Marie vit chez son père. Un fermier divorcé. Fatigué d'être seul, plutôt que de participer à une émission de téléréalité il achète une belle Ukrainienne sur internet. Ne maniant pas bien l'outil informatique, il a demandé conseil à sa fille Marie. Qui s'est empressée de choisir la belle blonde de l'Est. Car Marie, aux airs de garçons manqués, va vite séduire Tatiana. Mais un coup du sort va obliger les deux jeunes femmes de fuir la ferme. Marie, dans son errance, tombe sur Adrienne, ivre et malheureuse. Les deux vont s'apprivoiser et vivre des aventures mouvementées, notamment quand elles devront, pour subsister, travailler pour un producteur de films pornos gay... C'est pour ce dernier que Marie se déguise en détective privé. 

Totalement inclassable, cette BD ne cesse d'étonner le lecteur. Lisa Mandel n'est pas à un coup de théâtre près pour relancer l'intrigue. Tanxxx, la dessinatrice, a un trait noir et charbonneux, un peu à la Charles Burns. Parfaitement adapté aux milieux traversés par nos deux héroïnes hors du commun. Une très bonne surprise de la collection KSTR qui alterne le passable avec le très bon.

« Esthétique et filatures », de Lisa Mandel et Tanxxx, Casterman, 16 €

lundi 13 octobre 2008

« Je t'ai vue », polar irlandais de Julie Parsons

Les fantômes du passé interfèrent dans la dernière enquête de Michael McLoughlin, inspecteur retraité de la police de Dublin.


Drôle d'ambiance dans « Je t'ai vue », polar irlandais de Julie Parsons. Un peu triste, très nostalgique, un sentiment de fin inéluctable, d'achèvement, d'impasse. L'intrigue est surtout marquée par la détresse de deux mères ayant perdu leur enfant. Leur point commun : l'inspecteur Michael McLoughlin qui, à des années d'écart, va devoir affronter les mêmes pleurs, le même désespoir.

Ce vieux policier, célibataire, venant juste de prendre sa retraite, décide d'enquêter de manière officieuse puisqu'il n'est plus chargé de l'affaire. Marina, une jeune femme d'une vingtaine d'année, a été retrouvée noyée dans un lac. Un suicide à priori. Elle a laissé une lettre expliquant qu'elle regrettait, qu'il fallait l'excuser. De plus, elle avait avalé presque une bouteille de vodka. Comme pour se donner du courage.

Mais sa mère ne croit pas à cette version. Pour elle, Marina n'avait aucune raison de vouloir mettre fin à ses jours. Brillante dans son travail, jeune, jolie, courtisée : elle avait tout pour réussir. Elle l'explique à McLaughlin qui accepte, après bien des hésitations, de se pencher sur les faits et gestes de la jeune morte les jours précédents la noyade.

Il hésite car cette affaire lui en rappelle une autre. Une jeune femme avait été assassinée après des heures de tortures. Il avait promis à la mère éplorée, Margaret, de retrouver l'assassin. Ce qu'il avait fait. Mais au procès, le sadique avait été acquitté. La mère avait alors décidé de venger sa fille. Seule. McLaughlin avait été le témoin de cette froide vengeance. Et n'avait rien fait. Au contraire, il avait l'avait indirectement aidée. Le policier, intègre et bourru, vit depuis ce jour avec un meurtre sur la conscience.

Qui a vu qui ?

Ces deux histoires vont se chevaucher car au moment où l'ancien policier va tenter de découvrir la vérité, la première mère éplorée revient en Irlande après des années passées en Nouvelle-Zélande. Et elle va recroiser le chemin de McLaughlin qui l'avait protégée par amour.

Un policier solitaire, inactif, au bord de la dépression. Il se lance alors à corps perdu dans cette enquête officieuse et fait une découverte très étrange. Marina, venait de recevoir plusieurs coups de téléphone et des mails disant toujours la même chose : « Je t'ai vue ». Qu'avait elle à cacher, à se reprocher ? Serait-ce la raison du suicide ? A moins que ces signes annonciateurs, comme des menaces, aient été suivis d'effet. Suicide, accident ou meurtre ?

Le lecteur va se laisser happer par l'intrigue, entraîner par les personnalités hors normes des protagonistes, de McLoughlin à Margaret. Le personnage de cette dernière intrigue beaucoup. Pourquoi revient-elle ? Que vient-elle faire exactement à Dublin ? Va-t-elle se livrer à la justice ? Plus qu'un simple polar, ce roman de Julie Parsons est une œuvre éminemment psychologique. Avec deux âmes à la dérive qui mettront beaucoup de temps avant de se rencontrer, se comprendre et se trouver.

« Je t'ai vue », Julie Parsons (traduction de Pascale Haas), Calmann-Lévy, 20 € 

dimanche 12 octobre 2008

BD - L'imaginaire de Julia Verlanger


« Horlemonde », roman de science-fiction paru en 1980 au Fleuve Noir Anticipation était signé Gilles Thomas. Le pseudonyme de Julia Verlanger qui s'était déjà faite remarquer par sa trilogie de « L'autoroute sauvage » et autres récits fantastiques. La BD y trouve matière à de superbes albums. 

*Dernier en date, donc, « Horlemonde », adapté par Patrick Galliano et dessiné par un jeune illustrateur français, Cédric Peyravernay, très à l'aide dans ce monde futuriste. Marcé est un ambassadeur de la fédération galactique. Il a pour mission de convaincre les dirigeants de la planète Almagiel d'adhérer à ce regroupement de peuples civilisés. La fédération apportera technologie moderne en échange de l'abandon de l'esclavage. Un esclavage bien utile pour récolter la montbassie, seule plante comestible de la planète, poussant dans des marais infestés de bestioles affamées. Une faction rétrograde de la noblesse d'Almagiel fomente un complot contre Marcé.

 Accusé de meurtre, il est expédié dans un bagne en compagnie d'un esclave qui a osé se rebeller, Jatred. Ce duo, enchaîné, va se lancer dans une fuite très mouvementée. C'est passionnant et cela n'a rien perdu de sa pertinence.

« Horlemonde » (tome 1), Les Humanoïdes Associés, 12,90 € 

samedi 11 octobre 2008

BD - De la cause à l'effet


Dans cette rentrée BD 2008, rares sont les albums faisant l'unanimité. Le second tome de « La théorie du grain de sable » devrait en faire partie, à coup sûr. Le duo Schuiten (dessin) Peeters (scénario) signe une de ces BD qui restent longtemps dans la mémoire de ses lecteurs. Par l'originalité du propos, la beauté des dessins, la mise en page parfaite, les trouvailles multiples. 

L'album, de 120 pages au format italien, permet une publication par demi-planche dans un format plus grand que les albums ordinaires. Cela magnifie le dessin réaliste et précis de François Schuiten. Dans la ville de Brüsel, cité virtuelle, capitale de ce monde parallèle issu de l'imagination de Benoît Peeters, les événements étranges s'accélèrent. 

Dans l'appartement de Constant Abeels, des pierres de 6793 grammes apparaissent par enchantement. De même, du sable envahit un appartement, puis un immeuble et une rue, menaçant toute la ville. Les autorités font appel à Mary Von Rathen pour tenter d'enrayer le phénomène. En compagnie de Maurice, un homme flottant dans les airs, elle va tenter de retrouver la cause de tout cela : un objet sacré venant du Boulachistan.

« La théorie du grain de sable » (tome 2), Casterman, 17,50 € 

vendredi 10 octobre 2008

BD - La campagne, ce cauchemar...

Ce qui arrive à Carmilla, adolescente urbaine contemporaine, on ne le souhaite pas à ses pires ennemis. Son père, comme possédé par le démon de l'écologie, décide de changer radicalement de mode de vie. Terminé la vie en appartement, vive le grand air de la campagne. Problème, la ferme tombe en ruine. 

Écrite par Lorris Murail et dessinée par Laurel, cette série jette un regard moqueur sur ces citadins qui tentent de mettre leurs actes en conformité avec leurs idées. Et ce n'est pas facile. En plein hiver, la famille débarque dans une maison glaciale, dans un décor sinistre de campagne grise et triste. Et les clichés vont être alignés avec une belle régularité. Le compost sent mauvais, les éoliennes font du bruit, les légumes du jardin bio sont dévorés par les bestioles, il fait froid et les veillées en famille sont moins passionnantes que les dernières péripéties des élèves de la Starac... 

On ne comprend pas si c'est du premier ou second degré. Si les auteurs ont décidé de dégoûter les jeunes de la nature où s'ils se moquent de ces jeunes, dégoûtés de la nature. Ce petit manque de lisibilité dans le message ne doit pas cacher le très joli dessin de Laurel, doux, rond et enfantin.

« Le journal de Carmilla » (tome 3), Vents d'Ouest, 9,40 €