vendredi 26 septembre 2025

BD - Trondheim et Tarrin signent un Spirou classique très réussi


Superbe couverture pour ce nouveau titre de la toute nouvelle collection des “Aventures de Spirou et Fantasio, classique”. Fabrice Tarrin s’est surpassé pour mettre en un dessin toute l’ambiance de cette histoire écrite par le très drolatique Lewis Trondheim. Dans une immense grotte, le jeune héros, dans ses habits de groom rouge, porte le Marsupilami dans ses bras, tel un enfant apeuré. Leur ombre, immense, se projette sur une paroi près d’un orifice contenant les restes de momies aztèques. On se doute que le héros, période Franquin, est à la recherche de ce fameux “Trésor de San Inferno”, titre de l’album. 


Si le premier titre, “La baie des Cochons” par Elric, Lemoine et Baril laissait un peu sur sa faim, les nostalgiques et adorateurs du dessin de Franquin seront conquis, tant sur le fond que la forme. Car c’est tout à fait naturellement que Fabrice Tarrin dessine dans la plus pure tradition de la BD franco-belge. Il n’a pas à se forcer, à tenter de singer un maître. Il a cette souplesse, cette précision, cette expressivité dans le poignet. C’est aussi beau que du Franquin ou de l’Uderzo, autre maestro qui n’a plus de secret pour le dessinateur installé depuis quelques années à Narbonne, pas loin de l’atelier montpelliérain de Lewis Trondheim. Un atelier qu’il rejoint deux fois par semaine. Sans doute le lieu où “Le trésor de San Inferno” a vu le jour. 

Tout commence avec un Fantasio surexcité. Il est sur la piste d’un scoop. A San Inferno, petit village perdu dans le désert d’un état imaginaire d’Amérique du Sud, une étrange momie a fait son apparition dans un ossuaire. Ce seraient les restes… On n’en dit pas plus, mais c’est suffisamment gros pour attirer l’autre gloire du journalisme de l’époque : Seccotine. Une aventure de Spirou et Fantasio, avec Seccotine, c’est l’assurance de gags multiples et variés provoqués par la jeune femme, très moderne, experte pour ridiculiser un Fantasio trop macho ou un Spirou trop timide. Dans des décors minimalistes (désert, grotte sombres…), Tarrin prend beaucoup de plaisir à animer ces personnages légendaires. Trondheim encore plus à les plonger dans des situations cocasses, périlleuses mais toujours humoristiques.  

La Russie soviétique, Cuba, l’Amérique du Sud… Mais quelle sera la prochaine destination du héros ? Sans doute notre plus proche satellite puisque l’album suivant devrait s’intituler “Opération Lune”. On retrouve au dessin Fabrice Tarrin, aidé de Ghorbani et sur un scénario de Neidhardt.  

“Le trésor de San Inferno”, Dupuis, 48 pages, 13,50 €


vendredi 19 septembre 2025

BD - “Pump”, l’histoire d’un pourri dans la conquête de l’Ouest


Le genre du western, et plus généralement les récits autour de la conquête de l’Ouest américain, fait parfois rêver la jeunesse mais reste, pour les historiens, une période brutale et violente au cours de laquelle les pires psychopathes ont pu s’enrichir et assouvir leurs pires instincts. Ce petit rappel essentiel avant d’ouvrir le premier album de la nouvelle série “Pump”, écrite par Rodolphe et dessinée par Laurent Gnoni. 

A la base, c’est une idée de l’éditeur, Nicolas Anspach. Quand il apprend que l'ancêtre de Donald Trump, en arrivant en Amérique en provenance de sa Bavière natale, a fait fortune en ouvrant un bordel en Colombie Britannique, il sent qu’il y a là matière à saga. C’est Rodolphe, scénariste expérimenté, déjà auteur du western Trent avec Léo, qui se charge de romancer le pitch. Tout débute lors de l’attaque d’une diligence en 1871 en Arizona. Les malfrats tuent tous les passagers et l’équipage. Le shérif arrive avant qu’ils ne détroussent les cadavres. Et au milieu, il découvre un survivant, Eddie Pump, 17 ans. Un blond mutique. 


Il le recueille et quelques jours plus tard Eddie a suffisamment récupéré de forces pour se lever et dévoiler son double jeu au lecteur, complice de ses agissements. Ed a la beauté d’un ange mais la perversité du diable. Il va endosser l’identité de ce Eddie, s’approprier l’héritage e sa soi-disant tante, tuée dans l’attaque, s’installer chez le shériff, séduire sa femme et sa fille. Embauché dans un saloon, Eddie devient le protecteur d’une prostituée et commence à manigancer pour devenir le propriétaire des locaux. 

Un western économique et machiavélique dessiné par Laurent Gnoni au trait réaliste très aérien. Comme pour donner un peu de légèreté à cette histoire lourde de symboles et pesant comme un cauchemar. On ne peut qu’être fasciné par ce héros très négatif. Il est odieux, abject, détestable. Pourtant tout lui réussi. Jusqu’à la dernière planche du tome 1. Un rebondissement parfait pour tout remettre en question et espérer découvrir, au plus vite, la suite de la vie de Pump et, qui sait, de ses descendants.    

“Pump” (tome 1), Anspach, 46 pages, 15.50 €


jeudi 18 septembre 2025

BD - Les géniaux généalogistes successoraux de “Success Story”


Ils enquêtent dans le passé. Jeanne et Angelo, héros de "Success Story" grosse BD écrite par Fabien Grolleau et dessinée par Nico Cado, sont des détectives très originaux. Ils ne cherchent pas les indices du présent mais recherchent les petits cailloux du passé qui leur permettront de remonter le chemin des vies d’hommes et de femmes décédés et sans descendants.

Le sujet aurait pu être très sérieux. Ou traité sur un mode polar et suspense. Mais Fabien Grolleau a préféré dans un premier temps se concentrer sur la personnalité de ce couple, à la vie comme au travail. Des originaux. Surtout Angelo, amoureux comme au premier jour, romantique lyrique et imaginatif, capable de retracer des vies entières juste en observant un objet du passé, un livre ou un tableau. 

C’est d’ailleurs une toile qui est à la base de cette histoire (on espère la première même si ce n’est pas présenté comme une possible série). Dans un appartement parisien resté fermé durant des décennies ayant appartenu à une certaine Suzanne Godart, épicière dans les Cévennes, ils découvrent des souvenirs datant de la seconde guerre et surtout un superbe tableau d’Andrei Wakowsky, peintre ukrainien assez renommé et réfugié en France au moment de la prise du pouvoir en Europe centrale par les nazis. Andrei, Juif, qui fait partie des millions de sacrifiés dans les camps de la mort. 


Ce probable chef-d’œuvre, au prix exorbitant selon les spécialistes, fait donc partie de l’héritage. Suzanne avait trois enfants. Deux résident toujours dans les Cévennes, la plus jeune, fâchée avec ses parents, a totalement disparue. Angelo et Jeanne ont donc plusieurs missions pour le notaire chargé de la succession : retrouver la fille évaporée et déterminer quelle est la relation entre l’appartement parisien, le peintre ukrainien et l’épicière de province. Une longue enquête sur le terrain qui passe par les Cévennes, évidemment, l’Italie, le Canada et l’Ukraine, pays en guerre actuellement, exactement comme dans les années 40, moment charnière de la vie de Suzanne Godart. Ou plus exactement, les vies. 

Une BD qui ne paye pas de mine, le dessin très gros nez  (notamment celui d’Angelo) donne l’impression d’une pochade comique. Alors certes les saillies d’Angelo sont marrantes, mais l’intrigue est finalement très sérieuse et raconte indirectement les soubresauts de cette Europe des Nations du début du XXe siècle.  

“Success Story”, Delcourt, 10 pages, 19,50 €


mercredi 17 septembre 2025

BD - Lefranc affronte les éléments et des méchants dans “La régate”


Contre vents et marées, l'œuvre de Jacques Martin se prolonge avec rigueur et régularité. Alix (et ses multiples déclinaisons) mais aussi les aventures de Guy Lefranc. A l’époque, c’était une série réaliste, campée dans les années 50 , l’époque de leur création. Grâce à la magie de la BD, Lefranc est toujours jeune, journaliste et curieux des évolutions de la société de ces années 50. Une bascule dans la catégorie “historique”... 

Pour assurer cette fidélité aux origines, le choix de Roger Seiter au scénario est judicieux. Cet historien de formation a une solide expérience en BD. Sa première série, Fog, a marqué les lecteurs de l’époque. Il a sans doute un peu perdu de son originalité en se coulant dans le moule de Jacques Martin, mais côté véracité des faits, il est parfait. Exactement exploitation de faits réels pour en tirer une aventure palpitante à rebondissements.



Côté dessin, c’est de nouveau Régric qui officie. Il a calqué son trait sur celui de Jacques Martin. Composition des cases et des planches, c’est bluffant. On est bien au-delà de la reprise appliquée. Un régal pour les amateurs de BD vintage. 

Le 36e titre de la série se déroule en mer et sur une petite île de la toute jeune république d’Indonésie. Lefranc est envoyé par son journal français couvrir une course maritime entre Australie et Asie. Une régate réservée à quelques riches amateurs. Il embarque sur le bateau de Théa, la fille d’un armateur hollandais. Le récit se déroule sur deux plans : les préparatifs de la régate et les premiers jours en mer et, par ailleurs, le mystérieux voyage d’un cargo de l’Europe vers l’Indonésie avec à son bord des armes et des mercenaires. Les deux intrigues vont se croiser quand le voilier de Lefranc fait naufrage au large de l’île de Walang, dernière étape du périple de l’armée privée. Un peu de politique fiction, d’apologie de la démocratie et de dénonciation du capitalisme destructeur donnent à cet album un côté plus actuel qu’il n’y paraît.   

“Guy Lefranc” (tome 36), Casterman, 48 pages, 13,50 €


lundi 15 septembre 2025

BD - “Automne”, très belle fable écologique par Cécile et Lionel Marty


Il était une fois, dans un monde imaginaire, une forêt magique. Un immense arbre, en son milieu, assurait l’équilibre de tous les habitants, de la plus petite bestiole aux humains en passant par les êtres fantastiques. Un fragile bonheur surveillé par Automne, sorte de jeune sorcière rousse. Quand elle devine l’arrivée d’une ville mouvante du peuple de fer dans la forêt magique, elle décide de tout faire pour arrêter ces pilleurs de ressources. 
Si la trame du scénario de cet “Automne” à forte valeur ajoutée écologique semble un peu réductrice, c’est pour la bonne raison que le danger, dans la fiction mais aussi dans la vraie vie, est très réel.


Le peuple de fer veut atteindre la forêt, non pas pour y vivre en paix mais bien pour en massacrer toutes les ressources. Juste le temps de vivre dans l’abondance durant une génération. Ensuite ? Nouvel exil et recherche d’une nouvelle mine à exploiter.
Comment contrer l’inéluctable ? En intégrant juste un peu d’amour. Romance entre Automne et le beau jeune homme qui est éclaireur du peuple de fer. Il va succomber au chrome d’Automne et réfléchir aux conséquences de ses actes. Une petite prise de conscience qui ferait beaucoup pour l’avenir de notre planète si elle était partagée par un peu plus de monde.
On peut reprocher le simplisme de la démarche des deux auteurs. Et pourtant… Quelle solution différente peut changer durablement l’avenir de notre société ? Une BD qui bénéficie du talent des deux auteurs, Cécile et Lionel Marty, ensemble dans la vie et qui ont fait le choix de vivre loin des dégâts de l’urbanisation. Un quotidien en accord avec son travail artistique. Chapeau !    
“Automne”, Delcourt, 64 pages, 16,50 €

dimanche 14 septembre 2025

BD - La dernière enquête de Jack Palmer dessinée par Manu Larcenet


René Pétillon nous manque. Tant au niveau du dessin de presse (sa seule présence, avec Cabu, justifiait chaque semaine l’achat du Canard Enchaîné), qu’en tant que créateur de BD. Jack Palmer, après des débuts abscons et discrets dans les pages de la première version de l’Echo des Savanes est devenu un héros culte de la BD d’humour. Ses grandes aventures devenues populaires, ont même donné des idées à des cinéastes. 

Aujourd’hui, quelques années après la disparition de son créateur, Jack Palmer fait un dernier tour de piste. Le détective au gros nez, au feutre mou et à l’imperméable d’une propreté douteuse se rend dans le bordelais, région viticole renommée. C’est un des personnages de “L’enquête corse” qui met en relation Palmer et des propriétaires. Leur fille a disparu. Elle devait se marier avec un riche Américain, planche de salut de l’exploitation à la limite du Médoc. 

Si cet album ne sort que maintenant, c’est pour la bonne raison que Pétillon n’en avait pas dessiné la moindre case. Le projet n’était qu’un scénario inachevé. Les éditions Dargaud ont décidé de trouver un auteur capable de relever le défi. Car l’univers de Pétillon, celui de Jack Palmer exactement, est loin des canons de la BD humoristique habituelle. On est loin d’une simple reprise d’Astérix… C’est pourtant un grand copain de Ferri qui a accepté le challenge. Et pas n’importe qui : Manu Larcenet himself ! 


Le dessinateur de Blast ou de La route, maître du noir et blanc apocalyptique, a retrouvé son trait d’humoriste très gros nez (ça tombe bien) pour plonger “Palmer dans le rouge”, titre à double sens de cet album qui se déguste comme un bon pinard oublié quelques années dans la cave. 

Palmer, sans son scooter, va déambuler entre châteaux et vignes taillées au cordeau pour tenter de retrouver l’héritière. Rien ne se passera comme prévu. Seule certitude, le Médoc, bon ou mauvais, file mal au crâne si on en abuse. Palmer le confirme durant une bonne partie de ses recherches hasardeuses et tout sauf professionnelles. Avec sa nonchalance habituelle, il découvre un trafic de vin, démasque des fraudeurs, retrouve presque la jeune fille et remplit son contrat, même s’il se fait virer en cours de route. Le dessin de Larcenet ne tente pas de ressusciter le Palmer de Pétillon. Il fait du Larcenet, tendance Ferri, rond et caricatural. Juste ce qu’il faut pour que les fans de Pétillon ne s’offusquent pas et que les siens (plus nombreux…) ne renient pas leur idole artistique. Un album qui finalement permet un dernier retour en nostalgie. Quand Pétillon était un “Prince de la BD” et que Larcenet justifiait, à lui tout seul, l’achat chaque mois de Fluide Glacial. 

“Palmer dans le rouge”, Dargaud, 64 pages, 17,50 €


samedi 13 septembre 2025

BD - « Le petit frère » et « Un père » : la vie de famille de JeanLouis Tripp en dessins

Raconter sa famille, faire bonifier ses souvenirs et surtout ne pas les oublier. Telle semble la démarche de JeanLouis Tripp, auteur de bande dessinée lauréat du Prix Coup de Cœur des Vendanges littéraires, présent à Rivesaltes les 4 et 5 octobre.


Après une longue carrière dans la bande dessinée, parfois en pointillé, il a attendu d'avoir largement plus de 50 ans pour se recentrer sur ce qu'il connaît le mieux : sa propre vie. Et s'il parle de ses premiers émois sexuels dans les deux tomes d'« Extases », il change de registre avec « Le petit frère » et « Un père ». Deux gros romans graphiques de plus de 300 pages, essentiellement en noir et blanc. L'émotion y est omniprésente. Le lecteur ne peut que se reconnaître dans ces parcours racontés et dessinés avec talent et sans tabou.

Il faut parfois qu'un drame nous frappe de plein fouet pour prendre conscience de l'importance de la vie. En cet été 1976, Jean-Louis a 18 ans. Il est en vacances avec une partie de sa famille. Un mois à sillonner la Bretagne à bord d'une roulotte tiré par des chevaux. Une bulle de bonheur. Jusqu'à ce jour où Gilles, le petit frère, se fait mortellement renverser par un chauffard. Terminée la parenthèse enchantée, finie l'insouciance. Le malheur s'invite. L'été ne sera plus heureux, avec baignades, mures cueillies au bord de la route et nuits au calme, loin de tout danger... 

L'album, sorti en 2021, revient sur l'accident mais se penche aussi sur les suites. Comment la vie a continué, la façon dont la famille a survécu au procès. Ce récit, entre intime et universalité, entre douceur (souvenir des jours heureux) et rage (peut-on pardonner à l'assassin ?) a marqué les esprits. Preuve que la BD, loin de clichés, est devenue un art majeur, animé par de formidables artistes, créateurs novateurs, capables de s'accaparer et de révolutionner un média aux possibilités infinies.


Place au père !

Toujours dans cette veine de l'autobiographie familiale, JeanLouis Tripp s'attaque à un autre monument de sa vie : son père. Pour se comprendre, encore faut-il maîtriser ses origines, savoir d'où l'on vient, de qui on a appris à vivre en société. Parle-t-on avant tout de soi quand on entreprend de raconter la vie de son père ? Cette interrogation est omniprésente dans ces plus de 350 pages. La confrontation est parfois violente. Dans « Un père », l'auteur passe de l'admiration au rejet, de la joie simple à la tristesse infinie. Récit forcément subjectif, le roman graphique a pour cadre les lieux qui ont compté dans la famille : les petits villages du Tarn-et-Garonne, affectations des parents, Francis et Monique Tripier, instituteurs, la Cerdagne et la maison de vacances, les Corbières et le bord de la Méditerranée. Un des premiers souvenirs de Jean-Louis, ou du moins une des premières histoires que sa mère lui a raconté des dizaines de fois date de ses 1 an et demi. Ils sont en vacances chez ses grands-parents, à Mont-Louis en Cerdagne dans le chalet, véritable cœur battant de la famille. Laissé seul sans surveillance, le petit Tripier fait sa première fugue. Quelques heures dans les bois, au bord de la rivière, provoquant une belle panique. Retrouvé intact et sourient par deux jolies randonneuses.


Une entrée en matière très douce, positive. La suite est parfois plus compliquée. Notamment quand Jean-Louis, adolescent, rêve qu'il tue son père et l'enterre. D'où vient cette violence ? Des fessées reçues quand il était gamin et n'obéissait pas ? Ou plus simplement à un banal rejet de la figure paternelle à laquelle on refuse de ressembler ? Pourtant il a de nombreux bons souvenirs avec son père. Quand ils lui apprend à faire du ski, toujours en Cerdagne. Quand ils jouent au rugby. Quand il lui achète Vaillant, le journal communiste à destination des jeunes, là où JeanLouis Tripp découvre la bande dessinée. Quand ils visitent ensemble la Roumanie, pays communiste vénéré par ce père refusant longtemps d'abandonner son rêve universaliste et soviétique. Mais il y a aussi les mauvais jours, quand il se met en colère, cassant la vaisselle, faisant des scènes à sa femme devant les enfants. Un couple progressiste, de gauche, mais qui n'a pas évité la déchirure, le divorce.

Comme souvent, les relations se distendent. Le fils et le père se voient moins. JeanLouis Tripp, dans des pages d'une extrême sensibilité, s'interroge sur la vision que son père avait de ce fils, dessinateur, mais aussi professeur comme lui, dans une université au Canada.

Aujourd'hui, JeanLouis Tripp n'a plus de père. Sa mère aussi est morte. C'est paradoxalement le moment qu'il a choisi pour revenir vers le bercail familial. Installé à mi-temps puis totalement depuis l'an dernier, dans les Corbières audoises, c'est en partie là qu'il a imaginé et dessiné l'histoire de ses proches. Son histoire aussi. Dans ce Sud qu'il aime tant, entre montagne et mer, avec la garrigue au milieu. Des paysages que l'on retrouve en fin de ce roman graphique dans la scène sans doute la plus émouvante, du chalet à la mer, avec la Têt pour ultime voyage.

« Le petit frère », Casterman, 344 pages, 28 €

« Un père », Casterman, 360 pages, 28 €

vendredi 12 septembre 2025

Thriller - Une vengeance vieille et implacable

A chaque cadavre son indice. Puzzle macabre pour le profileur suédois  Sebastian Bergman dans « Le fardeau du passé » de Hjorth et Rosenfeldt.

Débutées en 2011, les aventures de Sebastian Bergman comptent désormais 8 titres. Tous réédités ou édités par Actes Sud et Babel Noir. Le nouvel opus, « Le fardeau du passé », arrive dans les librairies pour cette rentrée littéraire. On peut tout à fait le lire sans avoir découvert les sept précédents, mais on y « divulgache » forcément les intrigues des précédents romans tant les deux auteurs, Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt, manient avec brio les ressorts du feuilleton. Pas étonnant quand on sait qu'ils ont débuté dans la production de séries télé policières en Suède, pays qui s'est imposé dans ce genre. 

On retrouve au centre du thriller le fameux psychologue et profileur Sebastian Bergman. Un peu plus de 60 ans, toujours aussi séducteur et amateur de jolies femmes. Il a cependant un peu levé le pied sur son « addiction au sexe » depuis qu'il est grand-père. Une petite fille qu'il va parfois chercher à la sortie de l'école maternelle, quand sa mère, Vanja Lithner, chef de la brigade criminelle de Stockholm, le lui demande. 

Sa relation avec Vanja s'apaise depuis qu'il a décidé de ne plus travailler pour son service. Pas pour longtemps cependant. La policière d'élite, dont le service est sur la sellette, récupère une affaire complexe. Une femme assassinée est découverte dans une ferme porcine. Sur les murs cette phrase inscrite en peinture rouge « Résous ça Sebastian Bergman ». Sebastian et Vanja vont donc de nouveau enquêter de concert. Rapidement, un second meurtre, avec une nouvelle énigme à la clé, les oblige à aller très vite. Quitte à s'affranchir de quelques règles légales. La tempête reprend de plus belle dans le service et ils ont fort à faire pour rester à leur poste tout en traquant un meurtrier vicieux et très retors, comme seuls les grands de la littérature nordique savent les imaginer. 

Enquête mouvementée sur laquelle se greffe plusieurs intrigues annexes, explications des romans précédents ou pierres posées pour les prochains épisodes. Il y est question de ce « maudit Billy », ancien collègue de Vanja mais aussi tueur en série attendant son procès, d'une jeune Australienne à l'identité incertaine ou de l'arrivée d'une nouvelle enquêtrice, belle et effrontée : tout pour plaire à Sebastian.   

« Le fardeau du passé » de  Hjorth et Rosenfeldt, Actes Sud, 400 pages, 23,50 €

jeudi 11 septembre 2025

Thriller – Le diamant de l'apocalypse

Alexandre Murat est un érudit. Sa parfaite connaissance de l'histoire napoléonienne lui a donné l'envie de partager son savoir. Mais au lieu de pondre des études savantes, il a utilisé ces faits parfois extraordinaires pour alimenter en rebondissements des thrillers haletants. Pour se plonger dans l'Histoire, deux héros : Alex et Mary. Un couple. Lui universitaire, elle femme d'action. Pour cette nouvelle enquête, le voyage dans le temps est plus profond. Alex et Mary se lancent à la recherche d'un diamant façonné en 1492 en pleine inquisition espagnole. Sur cette pierre unique, inestimable, est gravée la clé permettant de retrouver un parchemin révolutionnaire pour l’Église catholique. Une secte de fanatiques, espérant la fin du monde, l'Apocalypse, quitte à la provoquer, désire aussi posséder aussi ce diamant. Des USA à Anvers, en passant par Rome, Munich ou l'abbaye de Montserrat en Catalogne, un thriller passionnant par « le Dan Brown français » selon Philippe Labro.

« La prophétie du diamant », Alexandre Murat, Fleuve Noir, 336 pages, 20,95 €

samedi 6 septembre 2025

BD - Les dangers de la délinquance, du net vers l’“IRL”


On trouve à peu près de tout sur les nouvelles plateformes de vente du net genre Shein ou Temu. Le “à peu près” n’est plus de mise sur le dark web, ce net caché, souterrain, là où la loi n’existe plus. Un sujet souvent abordé dans les polars contemporains et qui est au centre de ce gros roman graphique écrit par Mark Eacersall et Henri Scala et dessiné par Jérôme Savoyen. 

La différence avec cet ouvrage, c’est la seconde signature du scénario. Henri Scala est commissaire de police depuis 20 ans. Il a travaillé dans tous les services, de la police du quotidien aux gros dossiers criminels. Sa connaissance de la délinquance numérique est particulièrement importante dans cette histoire de jeune fille un peu trop douée avec les codes et attirée par l’interdit. Roxane est en terminale. Elle passe beaucoup de temps sur son téléphone portable. 


Mais contrairement à ses collègues de classe (pas amies, Roxane est solitaire), ce ne sont pas les dernières idioties de TikTok ou Snap qui l’accaparent. Elle est un intermédiaire entre des vendeurs du dark web et des acheteurs. Elle a un pseudo, met en contact des gens qui ne se connaissent pas. Et n’auront jamais la moindre interaction l’un avec l’autre. Un rôle pivot stratégique dans cette nouvelle économie de l’ombre. 

Tout est sous contrôle, les rentrées d’argent conséquentes jusqu’au jour où un client, pour finaliser une transaction, réclame de la rencontrer IRL, in real life, dans la vraie vie… 

Cette descente aux enfers de la jeune fille, on la suit avec angoisse directement à ses côtés mais aussi avec la policière spécialisée dans ce genre de délits et qui piste sur le réseau l’avatar virtuel de Roxane depuis quelques mois, persuadée qu’elle va forcément faire une erreur. 

Un véritable polar rondement mené, dense, avec de multiples rebondissements, vrais méchants, faux gentils et des flics trop souvent impuissants (et trop peu nombreux), face à un mouvement d’ampleur. Édifiant.   

“IRL (In Real Life)”, Glénat, 208 pages, 23 €