dimanche 4 juin 2023

Science-fiction - Pluies d’acide dans « Les profondeurs de Vénus »

Grande saga signée Derek Künsken, le roman de science-fiction « Les profondeurs de Vénus » raconte la colonisation de cette planète très inhospitalière du système solaire par des colons québécois très débrouillards.


Mieux vaut retenir sa respiration quand on s’immerge dans ce roman signé du canadien Derek Künsken. Le voyage proposé dans l’atmosphère de Vénus est dépaysant et très dangereux. S’il est impossible de vivre sur la surface de cette planète brûlante, il existe une petite zone dans l’atmosphère propice au développement d’habitats autonomes. Mais attention de ne pas tomber trop bas, au milieu des tempêtes et des pluies d’acide sulfurique.
Délaissée par les grandes puissances terriennes pour son manque de ressource minière, Vénus a pourtant été colonisée par une petite communauté de Québécois. De rudes artisans, rois de la débrouille, capables de survivre malgré un danger omniprésent et l’absence de ressources propres. Au-dessus des nuages toxiques, on trouve les grands habitats de la Colonie, avec gouvernement et présidente autoritaire. Même si son pouvoir n’est que virtuel, les vrais maîtres ce sont les banquiers qui ont prêté les devises pour construire les immenses dirigeables qui permettent aux quelques milliers de Vénusiens d’envisager un avenir radieux.

La fronde des Coureurs des Vents 

Mais il y a aussi les Coureurs des vents, sorte de descendants des Coureurs des bois, braconniers et contrebandiers du temps de la découverte du Canada. Des familles qui vivent plus bas, dans des conditions extrêmes. Au milieu de pluies acides, ils ne doivent leur survie qu’à des combinaisons ultrarésistantes et aussi à leur capacité à domestiquer des chalutiers, sortes de grosses plantes flottantes qui se nourrissent de l’électricité des orages. Les colons peuvent capturer puis aménager ces organismes pour y vivre à l’intérieur, à l’abri.
Le roman raconte comment la famille d’Aquilon survit dans cet enfer. Il y a le père, fier et têtu, le fils, Pascal, ingénieur et très intelligent, Jean-Eudes, l’aîné, trisomique, et Alexis, le petit-fils encore gamin. Alexis a perdu ses parents. Morte également la mère, épouse du père, victime de l’intransigeance de Vénus.
Deux autres enfants ont quitté les profondeurs de l’atmosphère de Vénus, Émile, en violent désaccord avec son père et Marthe, la plus intelligente, chargée de représenter la famille au Parlement de la colonie.

Entre vénération et haine de Vénus 

Une fois que l’on a bien compris comment survivre dans cet environnement, l’auteur déploie son intrigue principale : les d’Aquilon découvrent à la surface de Vénus un véritable trésor qui pourrait changer la face de l’Humanité. Le roman prend des airs de space-opéra mais aussi de traquenard politique car la Colonie et surtout les banques risquent de s’accaparer du trésor. Classique duel entre les petits, intègres et solidaires contre les gros, manipulateurs, menteurs et procéduriers, cette partie du roman reste pourtant tout aussi passionnante que les plongées dans les nuages d’acide.
Reste la relation entre les colons et Vénus. Une passion qui vire parfois à la haine ou la folie, au point de faire des expériences très dangereuses : « Vénus les toucha de ses doigts les plus froids et les plus fantomatiques. Il ne pouvait pas reprendre une respiration, pas une vraie, mais il pouvait goûter Vénus, refermer les lèvres sur l’atmosphère à panteler qu’elle offrait. Ses nuages arides avaient un goût de soufre amer, de sel mordant et de stérilité éventée, plus secs que tout ce avec quoi il avait été en contact. »
Première partie d’un diptyque, Les profondeurs de Vénus, au-delà du volet spatial et colonisation du système solaire, est aussi le portrait d’une famille forte, avec des individualités attachantes. Marthe séduit grâce à sa diplomatie, sa vision de l’avenir et son sens du sacrifice. Et puis il y a Pascal, adolescent de 16 ans, découvrant l’amour tout en se posant des questions existentielles sur son apparence, son genre. Une modernité de bon aloi dans ce futur proche où la survie n’empêche pas de s’interroger sur ses aspirations profondes.
 

« Les profondeurs de Vénus » de Derek Künsken, Albin Michel, 24,90 €

samedi 3 juin 2023

BD - Trois récits, trois exils


Jordan Mechner aussi a fait autre chose avant de se consacrer entièrement à la bande dessinée. Cet Américain a notamment créé le jeu vidéo Prince of Persia. Installé à Montpellier depuis quelques années, il ne se consacre plus qu’à la BD, signant de nombreux scénarios et ce premier album, Replay, gros roman graphique de 320 pages en bichromie. 

Sous-titré « Mémoires d’une famille », il s’agit de la biographie croisée de son grand-père, de son père et en partie de sa propre vie. Avec un point commun : l’exil. La famille Mechner, d’origine juive, a subi de plein fouet, les soubresauts de l’Histoire européenne du XXe siècle. Jordan, pour raconter cette saga, a récupéré les mémoires de son grand-père, Bubi Mechner.

Ce médecin autrichien, installé à Vienne, a vu arriver le pire en 1938. Il a fait le nécessaire pour que sa famille soit mise à l’abri. Lui parvient à obtenir un visa pour Cuba. Mais au dernier moment, il s’embarque seul, laisse son fils, Franzi, 9 ans, le futur père de Jordan, à Paris aux bons soins de sa tante, Lisa. Séparé de sa mère (restée à Vienne) et de son père (réfugié à Cuba), Franzi va voir l’arrivée des Allemands en France, subir les bombardements, souffrir de la faim pour finalement quitter la France juste avant la mise en place de la politique de déportation massive des Juifs par le gouvernement de Pétain.

En parallèle à ce récit, le plus poignant, Jordan Mechner se raconte, comment il a imaginé son jeu vidéo vedette et pourquoi, quelques années plus tard, avec ses deux enfants adolescents, il repart de zéro à Montpellier, dans cette France qui a marqué son père.
Le schéma narratif, s’appuyant sur un code couleur pour les différentes époques, est d’une grande fluidité. On passe du présent au passé avec facilité. Les dessins, juste ce qu’il faut de réalistes, permettent aussi de faire accepter les scènes les plus dures. Un grand livre, une belle réussite, que l’on devrait faire lire dans les lycées français pour que les jeunes de notre époque comprennent un peu mieux cette période historique nationale parfois juste survolée en cours quand elle n’est pas dénaturée comme le constate, horrifiée, Jane, la fille de Jordan Mechner, en classe avec un prof révisionniste.

« Replay », Delcourt, 29,95 €

vendredi 2 juin 2023

BD - La vie de famille autour de Grand Louis


Louis est dessinateur. Il travaille à la maison et peut ainsi s’occuper de ses trois enfants. La maman, enseignante, est beaucoup moins présente. A son grand regret souvent car Louis est loin d’être un papa strict. Il aurait tendance à être un peu trop cool avec les deux plus grands, Merlin, le garçon aux cheveux longs et Alma, adorable fillette aux couettes blondes. 

La dernière, Monelle, est encore au temps des couches mais commence à parler et sait marcher.
Dans leur appartement parisien, ils découvrent tout à coup une souris. Mais pire, un marcassin traverse le salon et va se cacher dans le placard de la chambre des enfants. Rebaptisé Porcinet par ces derniers, il est rapidement adopté car dans la ville c’est une invasion d’animaux sauvage qui déferle. Sans raison aucune, sangliers, cerfs, lynx et même loups errent dans les rues, transformant Paris en vaste zoo… sans cage. La population est confinée, les animaux pourchassés.


Sur cette situation de fiction, Louis de la Taille a greffé la vie de sa famille, avec tensions entre sa femme et lui (à propos des animaux sauvages, justement), confinement des enfants (les rues devenant dangereuses, les écoles ferment). Dans ce bazar incompréhensible, la question récurrente reste « que va devenir Porcinet ? » Les enfants ont une solution : autant aller à la campagne chez Papi, là où il y a un jardin et de la nourriture à volonté.
Un dangereux périple pour toute la famille, raconté avec poésie par un auteur qui maîtrise parfaitement son sujet bien que cela soit son premier album. 

Moins étonnant quand on sait que cela fait plusieurs années qu’il travaille dans le secteur de l’animation, notamment sur l’adaptation de Aya de Yapougon ou 50 nuances de Grecs.

« Grand Louis », Dupuis, 15,50 €

jeudi 1 juin 2023

Roman - Mylène Desclaux analyse l'amour maternel


"Dans la famille Desclaux, je veux la fille." 
Jouer aux 7 familles a longtemps été impossible chez les Desclaux, célèbre dynastie de Collioure. Car en près d'un siècle, il n'y a eu qu'une seule et unique fille : Mylène. C'est sans doute la raison qui a conduit l'ancienne entrepreneuse reconvertie en écrivain à prendre comme sujet central de son premier roman les relations compliquées entre une mère et sa fille adolescente.

Écrit à la première personne, Gala et moi est la vision fraîche et amusante des déboires d'Andréa, une mère solo de 50 ans, dépassée par les multiples lubies et écarts de sa fille, Gala, 14 ans. Un roman en partie inspiré de la véritable vie de l'autrice, qui a longtemps été publicitaire à Paris et a élevé ses enfants seule. Souhaitons simplement que ses rejetons n'aient pas fait autant de "bêtises" que la Gala du roman.

Autopsie de l'amour maternel

Un roman qui débute en Californie. Andréa, pour se rapprocher de sa fille en pleine crise adolescente, décide de passer une semaine de vacances découverte. Mais dès le premier jour, dans la voiture de location, c'est la soupe à la grimace. Gala veut conduire. Or elle n'a pas l'âge et pas de permis. Le ton monte et la mère craque. Car Gala a une propension affirmée pour faire exploser sa mère. Après une incroyable péripétie (le roman est parfois très mouvementé et plein de suspense), les vacances redeviennent presque reposantes. Mais de retour à Paris, Andréa doit gérer les errements de sa fille au collège catholique sélect où elle poursuit laborieusement ses études. Le début d'un engrenage fatal pour les nerfs d'une maman de plus ne plus au bord de la crise. 

Ce roman, le premier de Mylène Desclaux qui avait publié en 2018, déjà chez Lattès, un essai sur Les jeunes femmes de 50 ans, propose le portrait de deux femmes modernes. La mère, sortie d'une éducation patriarcale, tient à son indépendance, sa réussite professionnelle et sa liberté d'aimer. La seconde, jeune pousse pleine de certitudes, semble une caricature de ces adolescentes trop intelligentes, un peu séductrices, beaucoup manipulatrices. Mais tout aussi attachée à son indépendance et sa liberté que maman. Comment de dépêtrer de cette liaison presque toxique ? Car "l'amour maternel est quelque chose d'indulgent, d'éternel et de complètement tordu. Il est lié à cette acceptation immanente d'endurer à nouveau sa propre enfance, en changeant de rôle."

Souvent comique (l'histoire du tatouage ou de l'usurpation d'identité d'une photographe en vogue), le texte permet aussi à Mylène Desclaux de distiller l'air de rien quelques conseils aux mères face aux jeunes filles rebelles. 

"Gala et moi" de Mylène Desclaux, J.-C. Lattès, 283 pages, 20,90 €

mercredi 31 mai 2023

Roman français - Que veut cette patiente « Dangereusement douce » ?

Un psychanalyste, une patiente, un immeuble et des habitants : inventif et surprenant, « Dangereusement douce », roman d’Antoine Laurain flirte avec le thriller.


Alors que le festival de Cannes vient de s’achever, il y a fort à parier que ce roman signé Antoine Laurain finit adapté sur grand écran. Le duel entre le Dr Faber et sa mystérieuse patiente Nathalia devrait permettre à deux grands comédiens français de rendre une composition riche en subtilités. En attendant, profitons de ce roman qui parfois s’apparente à une accumulation de petites nouvelles. Mais loin d’être du recyclage, tout se tient et les deux derniers chapitres permettent au lecteur de se retrouver épaté par la finesse du récit, son enchaînement, sa fin surprenante tout en étant ouverte.

Bienvenue dans le cabinet du docteur Faber. Ce psychanalyste, narrateur de l’essentiel du récit, mène une vie très réglée. Il a des patients qu’il suit régulièrement et parfois une nouvelle tête s’allonge sur son divan. C’est le cas avec Nathalia, photographe. Elle entre en analyse pour une bonne raison : « Je suis une photographe qui ne photographie plus rien. J’ai perdu mon talent ». La raison en est sa dernière photo réalisée il y a quelques mois : celle d’un meurtre. Pour le Dr Faber, ce cas particulier est particulièrement intéressant : « La plupart de mes clients viennent épancher ici des névroses somme toute banales : problèmes de travail, divorce compliqué, complexe d’infériorité. Ils sont déboussolés face au monde moderne. […] C’est difficile, c’est épuisant même parfois, et c’est rare qu’une jolie jeune femme s’assoie sur le divan juste pour me parler de blocage artistique. Meurtre. Pas blocage artistique, meurtre. »

Les habitants de l’immeuble d’en face 

Ce début de roman, énigmatique, très psychologique (on suit les réflexions du narrateur qui tente de cerner la personnalité de Nathalia), ressemble à un petit apéro. Quand il faut passer à table, le docteur demande à Nathalia de mettre par écrit la vie des habitants de l’immeuble d’en face. On va donc découvrir le destin d’une influenceuse, d’un parolier expert en tubes et passionné par les chats, d’un dessinateur de presse obèse qui tente de reconquérir son amour de jeunesse ou d’un hypnotiseur capable de vous faire renoncer au tabac en quelques minutes.

Des tranches de vies racontées dans le détail par Nathalia, comme si elle faisait partie de leurs existences. Pour le psychanalyste, c’est clairement des affabulations. Des vies imaginaires, comme autant de pistes qu’elle lui donne pour creuser au plus profond de la personnalité de la photographe. Pourtant, après chaque texte, le toubib cherche à vérifier. Et il tombe des nues en découvrant que rien n’est inventé.

Mais alors, pourquoi se confier à lui, que cherche-t-elle exactement ? Peut-il la guérir, lui redonner le goût de refaire des photos ? Le lecteur se pose les mêmes questions que le Dr Faber. Jusqu’aux deux derniers chapitres, superbe pirouette longuement préparée par un écrivain qui a plus d’un tour dans son sac.

« Dangereusement douce » d’Antoine Laurain, Flammarion, 20 €

mardi 30 mai 2023

Cinéma - “L’île rouge” ou les souvenirs de colonie

Robin Campillo puise dans ses souvenirs pour filmer la vie dans une base militaire française à Madagascar.


L’armée française a fait de la résistance une fois l’indépendance obtenue par les anciennes colonies africaines. Preuve que les gouvernements, trop souvent, étaient mis en place par le pouvoir parisien pour préserver ses intérêts économiques et géo-stratégiques. Ce fut le cas à Madagascar jusque dans les années 70. Cette présence militaire française est racontée dans L’île rouge, film de Robin Campillo. 

Un film en grande partie autobiographique. Fils de militaire, le réalisateur de 120 battements par minute a passé son enfance au Maroc, en Algérie et à Madagascar. Le jeune Thomas (Charlie Vauzelle), c’est lui. Un gamin timide, un peu introverti, qui regarde la vie avec de gros yeux écarquillés, aimant rêver, palpiter en lisant les aventures de Fantômette. Une héroïne de papier qui revient régulièrement dans le film, Robin Campillo adaptant certaines scènes des romans de la petite justicière dans un style mêlant décors miniatures, masques de carton et véritables acteurs, dans le style de la télévision française de l’époque. 

Révolte malgache

Thomas est couvé par sa mère (Nadia Tereszkiewicz), moins ménagé par le père (Quim Gutiérrez), militaire de carrière, radio sur les avions qui larguent les paras dans le ciel de l’île paradisiaque. Car c’est aussi une vision magnifiée de Madagascar qui sert de toile de fond à ce film de souvenirs d’enfance. Un petit paradis pour Thomas qui ne comprend pas le colonialisme mais a cette bizarre impression qu’il n’est pas à sa place. 

Le volet politique du film est porté par Miangaly (Amely Rakotoarimalala). Cette jeune Malgache, salariée à la base pour plier les parachutes des militaires français, n’est au début qu’une jolie femme, séduite par un jeune soldat fraîchement débarqué. Mais son personnage est plus complexe, il donne à comprendre l’état d’esprit de la population locale vis-à-vis de cette ultime présence de l’occupant qui restera à jamais coupable des massacres de 47 (près de 100 000 morts). La veille du départ de la famille de Thomas pour la Métropole, Miangaly va quitter son « amoureux » pour rejoindre le peuple en liesse. Le film, avec des yeux d’enfants, dans une réalisation très aboutie et maîtrisée, raconte un Madagascar paradisiaque, dépolitisé. Reste que les ultimes scènes permettent au spectateur de saisir la réalité et de prendre conscience de cette presque seconde indépendance en marche.

Film franco-malgache de Robin Campillo avec Nadia Tereszkiewicz, Quim Gutiérrez, Charlie Vauselle

Un film à voir en VOD - « UFO Sweden », rencontre du 3e type nordique

Un club de chasseurs d’ovni suédois est persuadé d’avoir découvert un vaisseau spatial. Un film original, plus sur l’amitié que les petits hommes verts.


Uniquement disponible en VOD, UFO Sweden de Victor Danell (Wild Side) fait partie de ces réalisations originales, manquant de moyens mais qui parviennent malgré tout à captiver son public cible. Il est question d’ovni, de trou de ver, de disparition et d’amitié dans cette histoire qui débute dans les années 80.

La très jeune Denise se retrouve sans père depuis que ce dernier, est parti chasser l’ovni dans les montagnes. Des années plus tard, adolescente, Denise (Inez Dahl Torhaug) est toujours obnubilée par cette disparition. C’est elle qui désormais tente de découvrir la preuve de l’existence d’extraterrestres.

Quand elle retrouve la trace de la voiture de son père, réapparue, comme tombée du ciel, dans une grange, elle retourne au club UFO Sweden pour demander de l’aide. Mais l’ancien club créé par son père n’a plus les mêmes objectifs. Denise devra déployer des trésors de diplomatie pour relancer la flamme.

Avec des airs de Stranger Things accentué par la musique, ce film raconte surtout la belle amitié naissante entre la petite orpheline et ces quatre losers, considérés comme fous par le commun des mortels. Le final manque cruellement d’effets spéciaux, mais le réalisateur s’en tire malgré tout.

Les comédiens, inégaux, apportent cette touche d’humanité, de vérité, qui manque trop souvent dans ce genre de réalisation qui fonctionne essentiellement à la caricature.
 

lundi 29 mai 2023

Cinéma - “L’amour et les forêts”, couple à cru

Subtile analyse de l’alchimie des rapports dans un couple, L’amour et les forêts de Valérie Donzelli est aussi et avant tout un film sur la sororité, les pervers narcissiques et le harcèlement dans un couple. 

Adaptée du roman d’Éric Reinhardt, l’histoire de Blanche et Grégoire ressemble à trop de ces relations amoureuses qui partent sur de très bonnes bases et s’achèvent dans la déception, les cris et parfois la violence. Blanche (Virginie Efira), est célibataire. Sa jumelle, Rose, tente au cours de cet été en Normandie de lui trouver un nouveau compagnon, l’homme parfait. Blanche, prof de français, semble résignée. C’est à contre cœur qu’elle se rend à une soirée où, parait-il, l’oiseau rare l’attend. Là, Blanche retrouve une vieille connaissance, Grégoire Lamoureux (Melvil Poupaud), devenu banquier. Des années qu’ils ne se sont pas vus. Immédiatement, ils se sentent attirés l’un vers l’autre. Grégoire, doux, sensible, prévenant, la joue séducteur au grand cœur. Blanche cède rapidement. Comme le fait remarquer sa sœur, qui la connaît parfaitement, « il suffit qu’elle croit qu’elle est aimé pour aimer en retour ». Quelques mois plus tard, Blanche est enceinte et épouse Grégoire qui est muté à Metz. Nouveau départ dans une nouvelle maison. 

Les 20 premières minutes du film, écrit en collaboration avec Audrey Diwan, ressemblent presque à un roman de la collection Harlequin. Mais on se doute que ce n’est que façade, car c’est une Blanche au visage triste et défait qui raconte, dès les premières images. Le spectateur se doute que la suite est moins gaie. Blanche se souvient alors de la première fois où elle a douté de son mari. Elle apprend qu’il a menti à sa direction pour être muté à Metz, prétextant que c’était la région d’origine de son épouse. Éloignée de sa mère et de sa sœur par ce subterfuge, Blanche constate que son mari est de plus en plus possessif, directif, autoritaire. 

Il la surveille, regrette qu’elle ait retrouvé un poste d’enseignante. Elle va s’enfermer dans cette relation toxique, redoutant de tout perdre, notamment l’amour de ses deux enfants. Le film permet à Melvil Poupaud de faire une extraordinaire performance d’acteur très crédible quand il passe de gentil amoureux à jaloux acariâtre. Virginie Efira est parfaite dans ce rôle compliqué de femme sous influence, ne voulant pas voir la réalité durant de longues années. Un déclic, une rencontre, l’écoute d’un professionnel, vont lui permettre de se sauver. Et c’est sans doute la grande utilité et force de ce film : permettre à d’autres femmes sous emprise de prendre conscience de la situation et de trouver la force et le courage pour crier « Basta ! ».

Film de Valérie Donzelli avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond, Marie Rivière, Romane Bohringer, Bertrand Belin

Une anthologie - Ces Catalans qui ont fait l’histoire


Après plus de 20 romans souvent reliés à l’Histoire ou au terroir du Pays Catalan, Hélène Legrais est devenue incollable sur ce sujet. Elle signe donc logiquement une anthologie reprenant les grands noms de ce département.

Un livre richement illustré de biographies courtes mais complètes de 50 personnalités, des moins connues (Eloi Pino, fondateur de Djibouti ou Blanche Selva, virtuose oubliée) à quelques célébrités à la renommée incontournable, du Maréchal Joffre au prix Nobel de Littérature Claude Simon.

« Ces Catalans qui ont fait l’Histoire » d’Hélène Legrais, Le Papillon Rouge éditeur, 21,90 €

dimanche 28 mai 2023

Cinéma - “Showing Up”, l’art fait son cinéma

La vie d’artiste. On a beaucoup glosé sur les tourments des créateurs passés, actuels ou futurs. Kelly Reichardt prend le pari de transformer ce quotidien parfois banal en film signifiant et aussi esthétique que les dizaines d’œuvres filmées sous toutes les coutures. La réalisatrice américaine, unique dans son genre, après le western écolo-rétro First Cow, revient à l’époque contemporaine avec ses considérations parfois très terre à terre. 

Showing Up raconte les quelques jours précédents le vernissage de l’exposition de Lizzie (Michelle Williams). Cette sculptrice, employée dans une école d’art à des tâches administratives pour remplir son frigo et le bol de croquettes de son chat, vit dans une vieille maison qu’elle loue à Joe (Hong Chau), sa voisine et meilleure amie, artiste elle aussi et qui comme Lizzie prépare une exposition. Deux exactement. Dans le garage, Lizzie modèle la terre. Elle multiplie les statuettes de femmes, les peignant pour qu’elles prennent d e multiples couleurs une fois cuites dans le four de l’école.  Le long-métrage, à la limite du contemplatif parfois, filme longuement Lizzie en train de travailler sur la matière. 

Une partie artistique passionnante, à mettre en parallèle avec le quotidien de la jeune femme un peu casanière. Son gros problème du moment, en plus de légèrement paniquer à quelques jours de l’expo alors que toutes ses œuvres ne sont pas terminées, c’est la défaillance de la chaudière. Elle harcèle Jo pour qu’elle la répare et ait enfin d l’eau chaude dans sa salle de bains. Autre tracas, l’arrivée inopinée d’un pigeon dans l’appartement. Le chat lui casse une aile, Lizzie, s’en débarrasse par la fenêtre. 

Mais le lendemain matin, Joe vient lui montrer l’adorable pigeon blessé trouvé devant sa porte qu’elle vient d’adopter et soigner. Un pigeon dont Lizzie va récupérer la « garde », comme pour se déculpabiliser de son geste nocturne.  

Un film atypique, comme toutes les œuvres de Kelly Reichardt, tranche de vie d’une artiste en recherche de reconnaissance, peu sûre d’elle. Loin du génie (plutôt du côté de Joe) trop souvent glorifié dans le cinéma clinquant. 

Film de Kelly Reichardt avec Michelle Williams, Hong Chau, Maryann Plunkett